Claude avait fini par opter pour l’e-mail : le papier accusait, révélait par trop le tremblement de sa main raidie. L’ordinateur lissait le temps. Grâce à lui, Cléo continuait à s’adresser à son ancienne habilleuse, pas à cette dame aux doigts déformés. Claude, elle, s’adressait à cette fille brusque et serviable, aux cuisses puissantes, qui lui avait appris qu’elle était lâche.

À quelques arrondissements de distance, Cléo et Claude maintenaient un rythme régulier d’échanges. L’ex-danseuse s’était mariée à… un homme. Elle l’avait annoncé à Claude en ajoutant un “What The Fuck?!” au faire-part.

Elle racontait à Claude sa fille adolescente, qui jugeait sévèrement le passage de Cléo au Diamantelles, où les spectacles “reproduisaient des normes patriarcales”. Cléo faisait suivre la phrase d’une litanie de points de suspension. Si c’était vrai, Claude et Cléo auraient contribué à blesser des centaines de femmes, sans même s’en douter.

Il avait été question de se revoir à plusieurs re­­prises, sans que cela se produise.

 

*

 

Et aujourd’hui, pour la première fois depuis leur rencontre, Cléo, quarante-huit ans, ne recevra pas sa carte de vœux virtuelle.

Lorsque Claude parvient enfin à se reconnecter le lendemain, tous les messages de sa boîte mail ont été effacés. Elle écrit à Castor Junior ceci : un ordinateur a jugé bon d’effacer leur Historique, est-ce que ça n’est pas un merveilleux cadeau d’anniversaire, tout recommencer ?