CHAPITRE 2

Vingt minutes plus tard, Olivia se précipitait hors de la voiture noire luxueuse de son père biologique avec un soupir de soulagement. Elle ne l’avait jamais trouvée petite auparavant, mais d’y entasser les quatre filles était trop !

Alors qu’elle s’étirait les bras et les jambes ankylosés, elle leva le regard sur le vaste bâtiment devant elle. Le musée de Franklin Grove se dressait devant le ciel qui s’assombrissait, massif et gothique, avec de grandes tourelles en pierre s’élevant vers les nuages. Il était fermé pour la journée, mais l’aile sud, où le Café Créatif était situé, ouvrirait plus tard. Ivy, Reiko et Sophia se dépêchaient déjà à monter les marches vers la grande porte en chêne, mais Olivia hésita.

— Papa ?

Elle se retourna et regarda dans la voiture surbaissée où Charles attendait avant de retourner à la maison et Lillian.

— J’espère… Je veux dire, est-ce que tu es d’accord avec ça ? Je sais qu’on était censées t’aider avec les préparations pour le Lever de lune, et…

— Ne t’en fais pas, lui dit Charles. Ta loyauté envers ton amie est une grande qualité. Je suis tellement fier que mes deux filles ont cette qualité naturellement. Et de toute manière… il remua ses sourcils… il restera encore beaucoup de temps pour célébrer le Lever de lune quand vous reviendrez !

« Oh oh. »

Alors qu’Olivia le regardait repartir, elle se questionna sur l’étincelle qu’elle avait vue dans ses yeux… et ce que cela pourrait vouloir dire pour ses plans concernant le reste des célébrations du Lever du soleil.

« Probablement quelque chose de très recherché, se dit-elle. Si je connais bien mon papa ! »

La voix d’Ivy interrompit ses pensées.

— Allez, Olivia !

Les trois vampires étaient au sommet des marches et la regardaient.

— Camilla a dit qu’elle avait besoin de nous tout de suite.

— J’arrive ! répondit Olivia en montant les marches aussi rapidement que le lui permettaient ses belles petites bottines.

Les autres filles se mirent de côté, lui faisant une place devant le grand heurtoir en laiton. Ivy s’éclaircit la voix.

— Euh, on s’est dit… Eh bien, pourquoi ça ne serait pas toi qui frapperais pour appeler Albert ?

— Moi ? dit Olivia en prenant un pas rapide vers l’arrière. Pourquoi moi ?

Ivy grimaça. Reiko détourna le regard, sifflant d'un air innocent alors qu'elle faisait rebondir sa balle de tennis contre le mur en pierre. Sophia semblait légèrement amusée.

— Je n’y crois pas, dit Olivia.

Elle posa ses mains sur ses hanches et fit de son mieux pour les fusiller d’un regard de la mort… même si elle était certaine qu’il ressemblait plutôt à un demi-sourire.

— Regardez-vous ! Trois grandes vampires effrayantes — intimidées par un concierge de musée grincheux.

— Nous n’avons évidemment pas peur de lui, marmonna Ivy. Mais, eh bien, il ne te regardera pas d’un air renfrogné, n’est-ce pas ? Je veux dire, tu es si gentille. Et humaine.

— Ça ne l’a jamais empêché auparavant, marmonna Olivia.

Mais elle prit une grande inspiration et leva le heurtoir… puis grimaça lorsqu’il retomba avec un son assourdissant sur la porte en chêne.

En vérité, le concierge du musée qui habitait sur place était vraiment intimidant. En tant que vampire, Albert avait eu plus d’un siècle pour perfectionner son regard blasé. Il était peut-être assez proche de son papa pour l’appeler par son surnom « Charlot », mais Olivia n’avait jamais vraiment réussi à se détendre en sa présence.

« N’oublie pas qu’il est vraiment gentil, en fait, se dit-elle. Probablement. Peut-être… »

— Ahhh !

Elle lâcha un cri étouffé et bondit vers l’arrière lorsque la porte s’ouvrit et révéla… un vampire !

Ou plutôt, un concierge habillé exactement de la manière dont les lapins imaginaient que les vampires s’habillaient.

— Je vous prie de bien vouloir m’excuser, dit Albert sèchement alors qu’Olivia reprenait son souffle.

Les mots sortaient avec un zézaiement en raison des longs crocs artificiels qui sortaient de sa bouche au-dessus de marques de sang séché qui descendaient sur son menton comme des éclairs rouges. Son visage semblait encore plus pâle que d’habitude, encadré par le collet noir relevé de sa cape, lequel ressemblait à des ailes de chauve-souris.

— Mademoiselle Edmunson croyait que je devais… répéter mon rôle pour la performance de demain soir.

— Répéter ? demanda Sophia en haussant un sourcil.

La mâchoire d’Albert se raidit, puis il baissa la voix à un murmure enroué.

— Elle a dit… que je n’étais pas très convaincant en tant que vampire.

Alors qu'Olivia le fixait, les yeux écarquillés, elle entendit Reiko s’étouffer. Du coin de l’œil, elle vit Sophia se détourner ; ses épaules bougeaient. Ivy se cacha la bouche d’une main, le visage rouge vif.

« Oh oh, se dit Olivia. Si elles ne peuvent se retenir… »

Elle jeta un dernier regard aux crocs de vampire en plastique qui sortaient de la bouche d’Albert et éclata de rire, tout comme les trois filles vampires, et sa nervosité s’évapora.

Pour la toute première fois, selon les souvenirs d’Olivia, Albert sourit.

— Allez-y, passez, dit-il en montrant le corridor peu éclairé derrière lui.

Puis, il se retourna avec un swish de sa cape fluide, s'éloignant avant qu'elles ne puissent dire un mot de plus.

Des ombres surgissaient de chaque coin alors qu’elles se dépêchaient dans le corridor, mais Olivia les ignora. Elle était habituée à l’atmosphère lugubre du musée la nuit.

— C’était trop drôle, ricana Ivy. Je me demande si Albert… Aaaah !

Elle lâcha soudainement un cri aigu et sauta dans les bras d’Olivia en l’agrippant comme un petit singe apeuré.

Olivia rit lorsqu’elle leva le regard et vit la créature dont les jambes avaient sûrement effleuré la tête d’Ivy dans la noirceur.

C’était une poupée géante en forme de momie, accrochée au plafond, molle et flasque.

— Je crois que tu es en sécurité, maintenant, dit Olivia d’un ton sarcastique en donnant une petite tape sur l’épaule d’Ivy. La seule chose qu’elle pourrait te faire est de te donner un coup de pied, non ?

— Quoi ?

Ivy cligna des yeux, puis leva le regard. Elle lâcha ensuite un gémissement de gêne, sauta hors des bras d’Olivia et ajusta ses vêtements.

— Je ne peux pas croire que j’ai fait ça !

— Je suis contente que tu l’aies fait, dit Olivia. Tu m’as battue. Je déteste les choses qui me font sursauter. Maintenant, nous sommes toutes deux des poules mouillées !

— Tu veux dire des chauves-souris mouillées ! dit Reiko.

— Oh ! J’adore !

Sophia applaudit en se rendant à côté d’elles.

— J’ai attendu toute ma vie qu’Ivy ait un moment chauve-souris mouillée !

— OK, c’est assez !

Ivy leva les yeux au ciel et s’en alla d’un pas lourd dans le corridor devant elles, ses grosses bottes noires résonnant contre le plancher de marbre.

— Fais attention aux monstres terrifiants sur ton chemin ! lança Olivia après elle. N’oublie pas que je suis ici pour te protéger !

— Ha ha ha ! Très drôle ! lui répondit Ivy. Mais soyez averties : vous allez toutes vous mériter un regard de la mort si vous continuez ça !

Toujours en souriant, Olivia se dépêcha à rejoindre sa sœur. Lorsqu’elles tournèrent un autre coin dans le corridor sinueux, un portrait qu’elle n’avait jamais vu auparavant capta son attention et la fit tourner la tête même alors qu’elle avançait.

« Ooh, encore des jumelles ! »

Dans l’image, deux filles qui semblaient avoir le même âge qu’elle et Ivy étaient assises l’une à côté de l’autre, les deux avaient les cheveux foncés et se tenaient par la main, leurs visages identiques illuminés par des sourires éclatants. Leurs robes longues à jupe ample flottaient autour d’elles et leurs cheveux étaient coiffés en boucles élaborées qui retombaient autour de leurs visages. Selon leur habillement, qui ressemblait un peu à ce qu’Olivia portait pour Coucher de soleil éternel, elle estimait que les filles avaient été immortalisées il y a au moins 150 ans.

« Faut pas que j’oublie de montrer ça à Ivy en sortant ! »

Olivia tourna le regard vers le corridor devant — et hurla. Un extraterrestre géant la surplombait, ses tentacules levés comme s’il était sur le point d’attaquer.

— Ahhhh !

Elle bondit vers l’avant et s’agrippa à sa jumelle en embarquant sur son dos, paniquée.

Ivy ne ralentit même pas, mais secoua la tête alors que les rires de Sophia et de Reiko résonnaient dans le corridor derrière elles.

— Camilla frappe à nouveau ! dit dérisoirement Ivy.

Olivia leva la tête et jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Puis, elle s’affala sur le dos de sa sœur, soulagée.

— Oh… Ce n’était qu’un mannequin !

— Bien sûr, dit joyeusement Sophia. Camilla apprend à être réalisatrice de film, tu as oublié ? Elle est bonne pour créer une « ambiance » !

— J’aurais presque préféré qu’elle ne le soit pas, marmonna Olivia en débarquant du dos de sa sœur.

Ivy lui jeta un regard qui voulait dire : « Je te l’avais dit ».

— Ce n’est pas si drôle maintenant, hein ?

— Eh bien, dit Olivia en lissant ses vêtements et en tentant de changer de conversation. C’est juste que je me demande où elle a trouvé tous ces accessoires !

Elles passèrent à côté de cinq autres mannequins effrayants avant d’arriver enfin aux portes du Café Créatif.

— Si le chemin vers le Café est aussi bien que ça, dit Reiko avec des yeux pétillants, pouvez-vous imaginer à quoi ça va ressembler à l’intérieur ?

— Je crois bien qu’on va le découvrir.

Olivia se prépara et ouvrit la porte de l’espace ouvert et lumineux à l’avant du Café Créatif.

En fait, il était habituellement ouvert. Aujourd’hui, toute la zone devant les tables du café était recouverte d’une énorme pile de corps de zombies en états variés de décomposition.

« Beurk ! »

Olivia frissonna malgré elle.

OK, elle était pas mal certaine qu’il ne s’agissait que de mannequins et de vieux vêtements remplis d’oreillers et de couverture pour créer l’effet… mais l’effet était tout de même sérieusement effroyable.

Et où était Camilla avec tout ça ?

— Camilla ? appela Olivia avec hésitation en entrant dans la pièce.

Sa voix résonna contre les murs et les vitrines sombres.

— Mmmfff !

Olivia fronça les sourcils en se tournant pour en trouver la source, mais les trois autres filles, grâce à leur super ouïe de vampire, avançaient déjà rapidement.

— Elle est ensevelie sous cette pile ! dit Ivy en montrant du doigt la montagne de zombies.

— Oh, génial, soupira Olivia en avançant. Je n’avais vraiment pas prévu de m’approcher autant d’un zombie !

En travaillant ensemble, les quatre filles creusèrent dans les « corps » jusqu’à ce que la tête de Camilla sorte enfin d'en dessous d’un zombie.

— Fiou ! dit-elle en prenant une grande inspiration, ses boucles blondes rebondissant sans retenue autour de son visage. On dirait que j’y ai été prise pendant une éternité !

Olivia prit l’un des bras de Camilla, Ivy prit l’autre, puis elles aidèrent leur amie à sortir d’en dessous des derniers zombies qui avaient coincé sa jambe.

— Comment est-ce arrivé ? demanda Olivia.

— Oh, tu sais…

Camilla se repencha pour fouiller dans les zombies. Un instant plus tard, elle ressortit son béret violet, en retira un morceau de « cerveau » et le déposa sur ses boucles.

— Il y a eu une situation de domino lorsque je repositionnais ces gars, expliquat-elle. J’ai appelé Albert encore et encore, mais…

Elle haussa les épaules.

— Il était sûrement de l’autre côté du bâtiment, parce qu’il ne m’a pas entendu. C’est pourquoi j’ai dû vous texter pour me porter secours.

— Mmh…

Olivia partagea un regard avec les trois vampires et vit qu’elles pensaient la même chose qu’elle.

Albert avait assurément entendu l’appel à l'aide de Camilla avec sa super ouïe. Le fait qu’il ait choisi de l’ignorer… eh bien, même si Olivia adorait son amie, elle savait exactement à quel point Camilla pouvait devenir intense lorsqu’elle était en mode réalisatrice ! Elle ne pouvait qu’imaginer à quel point le vieux vampire devait détester se faire diriger !

— Peu importe, dit vivement Olivia. Maintenant que nous sommes ici, nous pouvons t’aider à installer le reste des zombies pour que tu n’aies plus d’accident toute seule.

— Ça serait fabuleux.

Camilla recula et encadra la scène avec ses mains, comme si elle la regardait par la lentille d’une caméra.

— Je veux qu’on sente qu’ils sont des invités à la fête. Donc, je dois en avoir un près du comptoir, quelques-uns assis à des tables, couteau et fourchette à la main…

Ivy se pencha et ramassa un corps de zombie repoussant et le laissa pendre sur son bras sans expression de dégoût.

— Commençons ! dit-elle joyeusement.

Alors que les quatre filles se mettaient à travailler sous la direction de Camilla, Olivia se força à ignorer les cerveaux coulants des corps de zombie avec lesquels elles travaillaient, même lorsque Camilla lui montra le pire qu’Olivia avait vu jusque-là.

— Pourrais-tu apporter celui-ci à la table la plus éloignée ? demanda Camilla.

— Bien sûr.

Olivia afficha un faible sourire et tira le « zombie » du dessus de la pile. Les yeux du mannequin étaient d’un ton jaune-orange nauséabond.

Olivia prit de grandes inspirations pour se calmer en transportant le mannequin de l’autre côté de la pièce. Elle l’assit à la table, prenant le temps de positionner ses bras comme s’il mangeait un repas.

« Je suis Olivia la dure maintenant, pas Olivia le lapin. Tu te souviens ? Et je sais exactement comment suivre les directives d’une réalisatrice. »

À ce moment-là, la sonnerie de son téléphone cellulaire retentit de son sac à main et son cœur faillit sortir de sa poitrine.

— Aaah !

Ivy secoua la tête et montra Olivia du doigt alors que les rires des autres filles résonnaient dans la salle.

— Tu es en train de perdre deux à un au score chauve-souris maintenant !

— Humpf !

Olivia sortit son téléphone qui sonnait toujours et lança un regard faussement fâché à sa jumelle.

Puis, elle vit la photo sur son téléphone cellulaire et se mit à sourire.

Il était impossible d’avoir de l’intimité avec trois vampires dans la pièce, mais elle s’éloigna de quelques mètres de plus et tourna le dos pour répondre à l’appel de son petit ami.

— Hé, salut ! Comment vas-tu ?

— Je vais bien.

La voix de Jackson l’enveloppa chaudement.

— Je voulais juste te prévenir. As-tu vérifié tes messages vocaux ?

Olivia rit.

— J’ai les mains pleines, en ce moment. Littéralement ! Je transporte des zombies pour la fête d’Halloween de Camilla.

— Vraiment ? dit Jackson en prenant une pause. Toi ?

— Pas besoin d’avoir l’air si surpris ! dit Olivia avec fausse outrance. Je ne suis pas une la… Je veux dire, je suis une dure maintenant. Peu importe. Quel courriel ?

— Eh bien, soupira Jackson. Toutes ces scènes que nous allons tourner à Pine Wood dans quelques semaines viennent d’être réécrites — encore.

— Oh, non !

Olivia ferma les yeux et frotta sa tempe avec sa main libre pour essayer de dissiper un mal de tête soudain.

— Alors, nous avons maintenant de nouvelles répliques à apprendre par cœur ? Je commençais à peine à connaître les premières pages. Je suis presque en train de répéter mes monologues dans mon sommeil !

— Ah, oui ?

Elle entendit l’amusement dans la voix de Jackson.

— Alors, comment va ton accent du sud des États-Unis ?

Olivia fit un large sourire en se retournant vers le Café Créatif version Halloween, où Camilla s’affairait toujours à diriger et les trois filles vampires s'étaient poliment détournées d’Olivia et de sa conversation. Elle assuma son meilleur accent du Sud et déclara :

— Jé crois qu’il s’en vient miou, sucre d’orge !

Les trois filles vampires se tournèrent vers elle.

Les yeux d’Ivy étaient écarquillés avec une expression d’horreur. Sophia grimaça avec une expression peinée. Reiko se contenta de secouer tristement la tête.

« Oh oh. »

Olivia eut un mouvement de recul.

Elle avait peut-être besoin de plus de pratique, finalement !

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Le lendemain après l’école, Ivy baillait encore, assise à son ordinateur en consultant les photos de la fête du Lever de lune de la veille. La fête avait commencé lorsqu’elles étaient revenues du Café Créatif et avait pris fin bien après minuit, mais cela avait valu la perte de sommeil.

« Voilà Olivia en mode vampire ! »

Dans les premières photos, Olivia tenait dans les airs et ensuite mangeait l’un des biscuits en forme de cœur recouverts de sauce aux canneberges que Charles avait faits spécialement pour elle. Dans les quatre prochaines photos, Ivy avait capté sa jumelle en train de faire des expressions drôles avec la sauce qui dégoulinait des deux côtés de sa bouche, tout comme un vampire de film.

« Nous l'avons vraiment vampirifiée ! »

Un bruit sourd en bas signala l’ouverture et la fermeture de la porte d’entrée. La voix de sa belle-mère résonna dans les marches un instant plus tard.

— Reiko vient te voir, Ivy !

« In-croc-yable »

Ivy bondit de sa chaise et ajusta son costume à l’aide du miroir accroché sur la porte de son placard.

« Lorsque Reiko va voir ça, elle va totalement flipper ! »

La porte s’ouvrit brusquement et Reiko entra… et s’arrêta immédiatement lorsque la porte claqua derrière elle.

— Oh, wow.

Elle regarda Ivy de haut en bas, secouant la tête, incrédule.

— Ce costume de Sherlock Holmes te va à merveille !

— Merci !

Ivy agrippa son chapeau à la Sherlock Holmes et tournoya afin que sa cape en tweed tourbillonne autour d’elle.

— Je pensais que ce serait parfait pour une journaliste d’enquête en herbe. Bon… Tu es déguisée en quoi ?

Elle étudia Reiko en penchant la tête pour absorber chaque détail de la robe vert néon qui atteignait presque les genoux de Reiko —, mais dont la moitié était recouverte du reste de son costume. Du métal rouillé recouvrait la jambe et le bras gauche de Reiko et la moitié de sa poitrine ; elle avait teint la moitié gauche de ses cheveux de couleur argent.

— Un genre de robot rouillé, peut-être ? Ou…

Ivy fronça les sourcils en regardant l’autre moitié noir de jais des cheveux de Reiko et son côté droit non métallique.

— La moitié d’un robot rouillé ?

— Exactement !

Reiko fit un coup avec une raquette de tennis imaginaire, puis leva les bras dans les airs comme si elle avait marqué un point.

— Je suis Kumiko !

Ivy secoua la tête en se laissant tomber sur sa chaise devant l’ordinateur.

— Kumi-qui ?

— Tu sais ! dit Reiko en levant les yeux au ciel. Le personnage principal, moitié humaine moitié robot de Ville des robots ? C’est l’une des bandes dessinées Manga les plus populaires au Japon !

— Euh… OK.

Lorsque la porte d’entrée s’ouvrit et se referma à nouveau en bas, Ivy soupira.

— Tu es superbe, dit-elle à Reiko, mais prépare-toi à ce que beaucoup de personnes à la fête ce soir ne sachent pas qui tu es censée être.

Reiko renâcla en montrant son costume d’un geste du bras.

— Allez, Sherlock. Qui d’autre pourrais-je possiblement être en étant habillée comme ça ?

Ivy haussa les épaules.

— Ils penseront probablement que tu es un personnage de La guerre des étoiles.

La bouche de Reiko s’ouvrit, indignée, et Ivy lâcha un petit rire.

Elle se rendit compte qu’elle allait vraiment s’ennuyer de Reiko lorsqu’elle retournerait au Japon, même si Sophia était maintenant de retour. C’était dommage que Sophia ne vienne pas à la fête, mais Ivy comprenait que ses parents voulaient un Lever de lune en famille étant donné que leur fille avait été partie pendant si longtemps.

— OK, Kumiko, est-ce que tu es, euh… tes piles sont chargées ? demanda Ivy en faisant un grand sourire.

Reiko ferma les yeux et fit un son de vrombissement. Puis, elle parla en prenant un ton mignon robotique.

— Le rapport d’analyse du système indique que la pile est à cent pour cent de sa capacité, monsieur Holmes !

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Une demi-heure plus tard, Ivy serrait la main d’Olivia alors qu’elles marchaient avec Reiko jusqu’à l’entrée du musée.

— Je sais que tu n’as pas peur de marcher dans ce corridor cette fois-ci.

Sa jumelle lui fit un sourire.

— Non, mais ça ne veut pas dire que j’ai hâte de le faire non plus !

Ivy la poussa légèrement en montrant du doigt son costume de sorcière rose pâle.

— En plus, tu as le costume le plus effrayant !

— Ha ha, dit Olivia en levant les yeux au ciel, mais ses lèvres se remuèrent. C’est juste parce que tu as une peur irrationnelle de la couleur rose…

Elle serra la main d’Ivy et se mit à avancer.

Ivy n’allait pas se laisser surprendre encore une fois comme hier soir.

« Plus de sauts de lapin pour moi ! »

Elle ne pouvait quand même pas s’empêcher d’être impressionnée par le talent de Camilla alors que les filles esquivaient les zombies aux pieds traînants, les fantômes gémissants et les momies enveloppées de pansements. Heureusement, les mannequins étaient tous du bon côté de « trop effrayant »…

« Eh bien, à l’exception de ces cinq ! Les mannequins ne respirent pas… et ne sentent pas mauvais. Camilla n’a sûrement pas placé ceux-là ici ! »

Ivy plissa les yeux, utilisant sa super vue de vampire pour détecter les cinq garçons regroupés dans les ombres de la pièce voisine, aussi immobiles que des statues, attendant manifestement qu’elles passent pour bondir et les effrayer.

— Allez, Josh, cria-t-elle.

Elle aurait reconnu le garçon le plus proche, soit le garçon le plus méchant de leur école, par son odeur repoussante même sans vision de vampire.

— Tu as rien de mieux à faire ? Tu as même pas de costume.

— Ah, ouais ?

Il secoua ses cheveux ternes, avança d’un pas lourd, et son long trench bruissa autour de lui. D'après le sourire suffisant qu'il affichait, il n'était pas du tout déçu d’avoir été démasqué. Et il n’était pas non plus prêt à reculer.

Ivy se croisa les bras et le fusilla d’un regard de la mort. Incroyable. Ses cheveux avaient réussi à atteindre un état « graisseux » inégalé.

— Qu’en pensez-vous, les gars ? demanda Josh à ses acolytes lorsqu’ils émergèrent des ombres derrière lui. Avons-nous un meilleur endroit où aller ? Ou bien est-ce que nous préférons rester… ici ?

Le garçon juste derrière lui lâcha un rire en renâclant, et les yeux d’Ivy s’écarquillèrent.

« Oh oh. »

Elle ne s’était pas attendue à ça. On dirait que Garrick Stephens était le nouvel homme de main principal de Josh. Elle ne l’avait pas vu depuis qu’il allait à l’autre école secondaire en ville, mais il avait été la « Bête » en chef à l’école intermédiaire Franklin Grove. Sa bande de garçons vampires avait fait tout son possible pour rendre misérables tous les autres élèves de l’école.

— Ma bande m’a raconté des histoires à ton sujet, dit Josh à Ivy avec un sourire suffisant qui s'élargissait.

Il la regarda de haut en bas, puis dit à Garrick :

— Alors, c’est elle la fille que tu as embrassée dans la pièce de théâtre au dernier semestre ?

— Non, dit Garrick avec un sourire idiot en montrant Olivia du doigt. C’était l’autre.

— In-té-re-ssant, dit Josh d’une voix traînante.

Ses yeux brillaient dangereusement lorsqu’il se tourna vers Olivia.

— Hé !

Ivy fit un pas de côté pour se placer devant sa jumelle en guise de protection, mais Olivia passa rapidement devant elle, le visage tordu d’indignation.

— Je n’ai pas embrassé Garrick ! déclarat-elle. Le scénario de Camilla pour Romezog et Julietron disait que j’étais censée l’embrasser dans la pièce de théâtre, mais…

Elle fusilla du regard Garrick, qui lui souriait toujours.

— Heureusement, il a dû quitter la scène hâtivement parce qu’il avait raté ses répliques.

— C’est exact, dit Ivy. En plus, il a passé son temps à se gratter pendant tout le spectacle !

Elle fit un sourire suffisant à Josh en espérant qu’il était aussi malpoli que celui qu’il avait fait à sa sœur.

— Mais tu dois comprendre ça aussi, n’est-ce pas ? Tu sembles avoir la même approche laxiste envers l’hygiène corporelle.

— Ha ! ricana Josh en se retournant vert Garrick. Tu viens de te faire remettre à ta place, mec.

— Aww, Josh…

« Sérieux ? se dit Ivy en fixant le chef de la bande graisseuse. Tu ne t’es même pas rendu compte que je t’insultais aussi ? »

— Venez, dit Josh en faisant un geste de tête vers l’aile sud du musée où la fête les attendait. On a des places plus intéressantes où aller. Quant à toi…

Son regard se posa sur Ivy et son visage se durcit. Tout d’un coup, Ivy était très certaine qu’il avait remarqué son insulte… et qu’il s’en souviendrait.

— Ne t’en fais pas… On se reverra.

Il se mit en marche vers le café2, son manteau de cuir sale craquant avec chaque mouvement.

Ivy relâcha son souffle, soulagée, lorsque les quatre autres garçons le suivirent et disparurent enfin, laissant les trois filles seules dans le corridor sombre. Mais lorsqu’elle se retourna vers ses amies, elles partagèrent un long regard. Elle comprit qu’elles pensaient toutes la même chose.

« Garrick la Bête a trouvé un ami qui est encore plus méchant que lui. On devrait probablement rester loin d’eux… Ce qui ne posera pas problème. Sacrée obscurité, ils puent horriblement ! »

 

2 En français, dans le texte original.