André Manoukian
15 octobre 2009
PV : André Manoukian, bonjour. Vous êtes musicien, compositeur, producteur, homme de télévision. Le grand public vous connaît comme juré de La Nouvelle Star. Et là vous avez une grosse actu : vous avez posé nu pour un calendrier, au profit du Secours populaire français.
Oui.
Pourquoi avoir dit oui ?
Parce que un, je ne sais pas dire non, c’est mon problème. Deux, j’aime bien expérimenter des choses, et c’est vrai que je me régale comme un gamin à qui on propose des trucs et des expériences. Je ne l’avais jamais encore fait. En plus, on va bientôt atteindre la date de péremption, donc tant que je peux le faire, j’y vais. Après il y a un moment où je ne pourrai plus.
Ah oui, encore une série de photos dans Playboy et après…
Voilà.
Elle est trop belle ! Je lui ai envoyé un texto, je lui dis : « Marianne, dire que pendant quatre ans j’étais assis à côté d’une bombe sexuelle et je n’ai même pas bougé le petit doigt, comme je m’en veux ! ».
Mais tout n’est pas perdu !
Oui ! (Rires)
Et qu’est-ce qu’elle a répondu ?
Elle a répondu : « Viens me voir dans mon spectacle, chéri, on en parlera après ».
Cela nous amène à La Nouvelle Star. Vous êtes un vrai méchant ou un faux méchant ? Vous êtes amoureux de la musique, amoureux des musiciens, mais quand vous dites à un candidat « J’ai une copine attachée de presse, quand elle est bourrée et qu’elle chante Aznavour, elle fait mieux que vous », c’est terrible !
Euh… oui…
Vous vous forcez ou pas ? Vous vous forcez à dire des méchancetés ou pas ?
Mais non je ne me force pas ! Puis c’est pas vraiment non plus complètement méchant ! Le principe de cette émission, c’est quoi ? Imaginez des Jeux Olympiques avec des vrais tocards, vous me mettez moi à côté d’Usain Bolt sur un 100 mètres. C’est ça, et c’est pour ça que ça fonctionne, cette mécanique.
Déjà vous ne rentrez pas dans le short !
Non, déjà ! (Rires)
André Manoukian, vous avez balancé à un chanteur : « Quand vous chantez, vous avez l’expression d’un acteur de film porno, ils font l’amour mais on voit qu’ils ne ressentent rien ».
Ouais, c’est vrai que ce candidat avait les yeux grands ouverts et il avait le regard de Rocco Siffredi, c’est-à-dire un regard complètement inexpressif.
Qu’est-ce que vous avez fait aux gens de Libération pour qu’ils vous aiment et qu’ils vous adulent, qu’ils vous vénèrent à ce point ?
Mais rien ! Mais simplement…
C’est quoi l’histoire des paris stupides, entre la page média de Libé et Manoukian dans La Nouvelle Star ?
En fait c’est la première fois que j’ai cité Gilles Deleuze sur M6 à propos d’une chanteuse suisse.
C’est un philosophe.
Oui, le philosophe. Et la chanteuse suisse chantait… son territoire était le R&B, elle avait chanté une chanson de Balavoine. Et je lui avais dit : « Il y a un philosophe qui s’appelle Deleuze, qui a un concept qui s’appelle “la déterritorialisation”, qui dit “un territoire ne vaut que s’il est quitté”, ton territoire c’est le R&B, tu l’as quitté, tu l’as emmené avec toi, c’était juste bien ». Et le lendemain, dans Libé, ils écrivaient « Dédé y a été un peu fort hier en citant Gilles Deleuze sur M6, il ne manquerait plus que Dove nous cite du Spinoza ». Et la semaine d’après, j’ai chopé Dove, je l’ai apostrophé en direct, il a fait une espèce de compte rendu comme lui seul sait les faire, un petit peu obscur mais que j’adore, et je lui dis : « Dove, je n’ai pas bien compris ce que t’as dit, j’aime mieux quand tu me cites du Spinoza ». Et Dove me regarde… droit dans les yeux en disant : « D’où je te cite du Spinoza ? » Et le lendemain dans Libé, ils écrivaient : « C’est génial, on est rentré en communication télépathique avec Dédé », parce que j’avais repris leur remarque. Et là ils me disent : « Maintenant il faut qu’il dise que Libération est le meilleur journal du monde ». Putain, le prime d’après, je me torture la tête, tout le prime, et je me dis que c’était impossible à dire et je n’y suis pas arrivé. Et là le lendemain dans Libé : « Ouais c’est dégueulasse, on croyait qu’on s’était fait un copain et Dédé, il a été lâche ! ». Et la semaine d’après, cela me tarabuste, et c’était l’année Christophe Willem. Et tout d’un coup, l’inspiration en un quart de seconde, et je lui dis : « Christophe, tu réussis le miracle de plaire à la fois aux branchés et à ma tante Adrienne, mais attention, ma tante Adrienne, ce n’est pas une ringarde. Elle lit Libération, pour elle c’est le meilleur journal du monde ». Yes ! Je l’avais casé. Et à partir de ce moment-là, a commencé une grande histoire d’amitié.
Vous êtes heureux d’être là ?
Oui.
Vous connaissez la magnifique phrase de Spinoza, un de ses grands concepts ? Le simple plaisir d’exister.
Wow ! Ça c’est la plus difficile leçon de sagesse, mais il faut tous les jours un peu pratiquer.
Est-ce qu’il est vrai qu’on vous confond parfois avec Nikos Aliagas ?
Ah ouais ! Nikos « Nikos and I, he’s my brother » (Rire) Nikos, chaque fois qu’il me voit me dit « T’es mon frère, t’es Arménien, je suis Grec ».
Mais des gens ne vous arrêtent quand même pas dans la rue en disant « Nikos, Nikos » ?
C’est arrivé une fois et ça m’a fait rire.
Votre père était tailleur, est-il vrai que quand vous étiez enfant, vous alliez vous cacher dans une cabine d’essayage pour voir les clientes nues ?
Comment vous savez ça !? (Rires) Il était tailleur pour dames, c’est pas lui qui essayait, c’était ma mère. Et c’est vrai qu’une fois on m’avait oublié, par inadvertance. Je me cachais. Et j’ai vu avec délice la dame essayer son truc devant moi et je crois que c’est un des plus grands moments érotiques de ma vie. Alors après, c’est pour ça aussi que le chant me met dans des états pas possibles, parce qu’une fois, c’est une chanteuse (elle n’avait pas le droit de chanter devant les hommes parce que sa religion le lui interdisait) qui m’expliquait que « chanter c’est pire que se mettre nue, c’est dévoiler son âme ». Donc le chant, comme strip-tease spirituel, j’ai compris pourquoi le chant me mettait dans tous mes émois.
Vous allez bientôt être à poil alors ? Si je suis bien renseigné, vous allez donner un concert ?
Le 22 octobre au New Morning avec mon quartet de jazz, et c’est vrai que j’ai le sentiment d’être à poil aussi parce que c’est la première fois que je ne me cache pas derrière une chanteuse.
C’est quoi votre genre musical ?
Ce que je joue, moi, c’est un jazz arménien déterritorialisé de gauche.
Hein ?!! Ça veut dire quoi ?
Cela veut dire que c’est à base de folksong arménienne. Des vieilles mélodies que me chantait ma grand-mère, que j’ai faites d’une manière un petit peu jazz, et même complètement puisque la formule est du jazz. Donc c’est la déterritorialisation de cette musique folklorique qui se reterritorialise dans le jazz.
Et pourquoi de gauche ?
Parce que la vision, la définition de la gauche suivant Deleuze, c’est qu’on part d’abord du monde et ensuite on arrive à soi, alors que la définition d’un mec de droite, c’est qu’il part de lui, de sa famille, puis de son village, puis du monde. Donc c’est une histoire de priorités.