Arménien déterritorialisé de Gauche

André Manoukian

15 octobre 2009

Oui.

Parce que un, je ne sais pas dire non, c’est mon problème. Deux, j’aime bien expérimenter des choses, et c’est vrai que je me régale comme un gamin à qui on propose des trucs et des expériences. Je ne l’avais jamais encore fait. En plus, on va bientôt atteindre la date de péremption, donc tant que je peux le faire, j’y vais. Après il y a un moment où je ne pourrai plus.

Voilà.

Elle est trop belle ! Je lui ai envoyé un texto, je lui dis : « Marianne, dire que pendant quatre ans j’étais assis à côté d’une bombe sexuelle et je n’ai même pas bougé le petit doigt, comme je m’en veux ! ».

Oui ! (Rires)

Elle a répondu : « Viens me voir dans mon spectacle, chéri, on en parlera après ».

Euh… oui…

Mais non je ne me force pas ! Puis c’est pas vraiment non plus complètement méchant ! Le principe de cette émission, c’est quoi ? Imaginez des Jeux Olympiques avec des vrais tocards, vous me mettez moi à côté d’Usain Bolt sur un 100 mètres. C’est ça, et c’est pour ça que ça fonctionne, cette mécanique.

Non, déjà ! (Rires)

Ouais, c’est vrai que ce candidat avait les yeux grands ouverts et il avait le regard de Rocco Siffredi, c’est-à-dire un regard complètement inexpressif.

Mais rien ! Mais simplement…

En fait c’est la première fois que j’ai cité Gilles Deleuze sur M6 à propos d’une chanteuse suisse.

Oui, le philosophe. Et la chanteuse suisse chantait… son territoire était le R&B, elle avait chanté une chanson de Balavoine. Et je lui avais dit : « Il y a un philosophe qui s’appelle Deleuze, qui a un concept qui s’appelle “la déterritorialisation”, qui dit “un territoire ne vaut que s’il est quitté”, ton territoire c’est le R&B, tu l’as quitté, tu l’as emmené avec toi, c’était juste bien ». Et le lendemain, dans Libé, ils écrivaient « Dédé y a été un peu fort hier en citant Gilles Deleuze sur M6, il ne manquerait plus que Dove nous cite du Spinoza ». Et la semaine d’après, j’ai chopé Dove, je l’ai apostrophé en direct, il a fait une espèce de compte rendu comme lui seul sait les faire, un petit peu obscur mais que j’adore, et je lui dis : « Dove, je n’ai pas bien compris ce que t’as dit, j’aime mieux quand tu me cites du Spinoza ». Et Dove me regarde… droit dans les yeux en disant : « D’où je te cite du Spinoza ? » Et le lendemain dans Libé, ils écrivaient : « C’est génial, on est rentré en communication télépathique avec Dédé », parce que j’avais repris leur remarque. Et là ils me disent : « Maintenant il faut qu’il dise que Libération est le meilleur journal du monde ». Putain, le prime d’après, je me torture la tête, tout le prime, et je me dis que c’était impossible à dire et je n’y suis pas arrivé. Et là le lendemain dans Libé : « Ouais c’est dégueulasse, on croyait qu’on s’était fait un copain et Dédé, il a été lâche ! ». Et la semaine d’après, cela me tarabuste, et c’était l’année Christophe Willem. Et tout d’un coup, l’inspiration en un quart de seconde, et je lui dis : « Christophe, tu réussis le miracle de plaire à la fois aux branchés et à ma tante Adrienne, mais attention, ma tante Adrienne, ce n’est pas une ringarde. Elle lit Libération, pour elle c’est le meilleur journal du monde ». Yes ! Je l’avais casé. Et à partir de ce moment-là, a commencé une grande histoire d’amitié.

Oui.

Wow ! Ça c’est la plus difficile leçon de sagesse, mais il faut tous les jours un peu pratiquer.

Ah ouais ! Nikos « Nikos and I, he’s my brother » (Rire) Nikos, chaque fois qu’il me voit me dit « T’es mon frère, t’es Arménien, je suis Grec ».

C’est arrivé une fois et ça m’a fait rire.

Comment vous savez ça !? (Rires) Il était tailleur pour dames, c’est pas lui qui essayait, c’était ma mère. Et c’est vrai qu’une fois on m’avait oublié, par inadvertance. Je me cachais. Et j’ai vu avec délice la dame essayer son truc devant moi et je crois que c’est un des plus grands moments érotiques de ma vie. Alors après, c’est pour ça aussi que le chant me met dans des états pas possibles, parce qu’une fois, c’est une chanteuse (elle n’avait pas le droit de chanter devant les hommes parce que sa religion le lui interdisait) qui m’expliquait que « chanter c’est pire que se mettre nue, c’est dévoiler son âme ». Donc le chant, comme strip-tease spirituel, j’ai compris pourquoi le chant me mettait dans tous mes émois.

Le 22 octobre au New Morning avec mon quartet de jazz, et c’est vrai que j’ai le sentiment d’être à poil aussi parce que c’est la première fois que je ne me cache pas derrière une chanteuse.

Ce que je joue, moi, c’est un jazz arménien déterritorialisé de gauche.

Cela veut dire que c’est à base de folksong arménienne. Des vieilles mélodies que me chantait ma grand-mère, que j’ai faites d’une manière un petit peu jazz, et même complètement puisque la formule est du jazz. Donc c’est la déterritorialisation de cette musique folklorique qui se reterritorialise dans le jazz.

Parce que la vision, la définition de la gauche suivant Deleuze, c’est qu’on part d’abord du monde et ensuite on arrive à soi, alors que la définition d’un mec de droite, c’est qu’il part de lui, de sa famille, puis de son village, puis du monde. Donc c’est une histoire de priorités.