Lorant Deutsch
4 janvier 2010
PV : Lorant Deutsch, bonjour. Vous êtes comédien, vous avez incarné Mozart, Jean de la Fontaine, Jean-Paul Sartre. Je lis ça sur la quatrième de couv de votre livre, car vous sortez un livre. Plus qu’un livre, un pavé, et un livre d’Histoire.
Pour un Parisien, un pavé, ça convient.
Votre livre s’appelle Métronome et je trouve que c’est un très bon livre, et je vais vous dire pourquoi. Le titre ne veut rien dire. La couverture est ratée, le concept est bancal, sauf que, on prend une page au hasard, on est passionné, et ça cartonne en librairie.
J’espère que ce n’est pas parce que cela cartonne que cela fait un bon livre… Métronome, c’est évidemment le métro qui va renommer l’Histoire, donc j’ai voulu changer et mettre en perspective une autre Histoire de France. J’en ai eu marre avec l’école d’apprendre l’Histoire de France avec des gros concepts froids, des dynasties comme les Mérovingiens, les Carolingiens, les Capétiens et la Guerre de Cent Ans, Louis XIV, les Bourbons, etc. J’ai voulu mettre des stations de métro en perspective pour montrer qu’on pouvait redécouvrir l’Histoire grâce à elles.
Cela pouvait correspondre, c’est vrai. Et gros coup de bol aussi, Paris naît en – 52 avant J.-C. – certains vont me dire que Paris existait à – 300 avec les Celtes, avec la tribu des Parisii, mais déjà Paris n’était pas à Paris, Paris était à Nanterre à l’époque. On a situé Paris dans l’île de la Cité avec Jules César, et donc on peut dire que Paris est né presque avec Jésus, est contemporaine de Jésus.
Vous êtes un rat de bibliothèque. Vous allez à la Bibliothèque historique de la ville de Paris, mais vous avez aussi enquêté sur place avec votre scooter. C’est vrai que vous avez une clé PTT ?
Oui, que m’a offerte Jean Tiberi, le maire du 5e. J’ai pu franchir les digicodes et les portes cochères. Malheureusement, il y a des petits malins (et ils ont raison parce qu’ils ne veulent pas qu’on entre chez eux) qui cassent leur clé dans le pêne de la serrure, comme ça, on ne peut plus rentrer. Alors je m’arme de patience et j’attends que les gens ouvrent leur porte pour leur demander l’accès, pour fouiller et trouver des vestiges de l’Histoire.
Vous êtes marié depuis peu.
J’ai déjà dit « oui » au maire.
Vous dites aussi : « Question drague, les balades historiques, y a pas mieux ».
C’était bien ça. C’est vrai. Au départ, j’avoue que je me baladais sur mon scooter, c’était des copains que j’emmenais, puis des copines, des frangines des fois, des filles à qui j’avais envie de faire découvrir ma passion pour Paris, et si elles pouvaient voir cet amour de Paris dans mes yeux et que cela me serve un peu à enchaîner derrière, c’était pas plus mal.
Vous êtes multi-casquettes, multi-talents. Vous avez été aspirant footballeur professionnel au FC Nantes, vous avez une licence de philosophie, vous vous passionnez pour l’Histoire, l’écriture, le théâtre, vous êtes comédien. Et même dans le cinéma, vous avez touché du cinéma intello et du cinéma populaire. J’ai également lu que vous étiez un spécialiste de doublage des dessins animés. Vous doublez qui ?
Dans Astérix et les Vikings, je faisais Goudurix, le p’tit Normand qui venait de Paris, qui allait dans le village gaulois. J’ai doublé Chicken Little pour Walt Disney. J’ai doublé Ben pour Walt Disney.
Avez-vous encore une passion inassouvie ?
Je n’ai pas de rêve inassouvi. J’ai la chance d’avoir un métier qui me permet d’exercer ma passion et d’aiguiser mon œil de curieux, de jouer deux mille vies dans une seule, d’avoir plein de casquettes, plein de personnages à revêtir. Et je ne me lève pas le matin en me disant « tiens, j’ai envie de faire ça », je me lève le matin en me disant « tiens, qu’est-ce que je peux faire ? » Donc tout me plaît. C’est la définition du curieux, je m’enthousiasme pour tout. Par exemple, j’ai tourné un film sur La Fontaine pour lequel j’ai pris des cours d’escrime, et je me suis plu à cette discipline qui est hyper-agréable pour le corps. Quand on tire face à quelqu’un, il y a une espèce de performance et de rencontre, de face à face, cela me plaît, j’ai envie d’aller plus loin dans l’escrime.
Vous avez joué à Nice une pièce inspirée de la vie de Jérôme Kerviel, Le Roman d’un trader. C’est un type qui a joué et qui a fait perdre des milliards à la Société générale. Pour les uns, il est détesté, et pour les autres, c’est un héros.
En tout cas, il sert à tout le monde.
Et pour vous alors ?
Il sert à se donner bonne conscience et pour dire qu’on a expurgé la brebis galeuse du système et que le système va très bien. Pour ma part, je crois qu’il est un tricheur – je ne suis qu’un comédien donc il faut que je reste à ma place et ce ne sera pas à moi de le juger, il va être dans une salle d’audience prochainement. Je pense qu’il a outrepassé ses responsabilités et il a transformé vraiment la banque en casino, mais on lui a permis de le faire. Donc ce n’est pas parce qu’il n’est plus dans le système que le système n’est pas encore complètement déraisonné, entré dans une espèce de virtualité qui détruit l’humain et je pense que le système capitaliste est le seul viable ; cela fait mille ans qu’il existe en Europe de l’Ouest et il fonctionne – je crois qu’il n’y a pas autre chose qui peut fonctionner à sa place –, mais en tout cas il faut le raccorder à l’économie. Le capitalisme doit être au service des hommes et pas l’inverse.
Dans le métier, chez les comédiens, tous et toutes disent détester les étiquettes, les emplois, les rôles.
Il n’y a pas le choix.
Pas vous justement. C’est assez rare pour être signalé. Vous dites : « Il y a tellement de concurrence chez les jeunes comédiens, que pour exister, il faut être catalogué ».
Oui, il faut qu’on nous référencie. Il faut que les gens puissent se dire : « Ah oui ! Il me dit quelque chose ». Et pour qu’il dise quelque chose, cela s’appelle mettre un nom sur un visage, c’est le premier mouvement de la connaissance, de la préhension. On a commencé par appréhender les choses. Je ne veux pas remonter au Big Bang…
Justement non, vous n’êtes pas catalogué. Vous êtes Lorant Deutsch…
Si, je le suis quand même !
Non ! Vous jouez aussi bien Sartre avec l’œil qui se barre ailleurs, que Le ciel, les oiseaux et… ta mère, ou 3-0 qui est une comédie moins ambitieuse.
C’est par époques. Quand j’ai eu 30 ans, j’ai fait Mozart, j’ai joué Amadeus, et après j’ai refusé toutes les comédies. C’est là où j’ai commencé à jouer Sartre, puis La Fontaine, là j’ai fait Fouquet pour la télé, et je ne fais plus de comédies.
Quelle grosse comédie avez-vous refusée ?
Des films comme L’Incruste ou des choses comme ça, quand on était fâché avec Diefenthal. Il y en avait d’autres, je ne me les rappelle plus, heureusement j’essaie de me souvenir des choses que j’ai faites et qui m’ont marqué, qui m’ont fait avancer.
Et des grosses comédies refusées?
Jet Set 2 d’Onteniente, je n’avais pas participé à l’aventure, et cela m’aurait peut-être permis autre chose aujourd’hui, ou cela m’aurait transformé en autre chose. Mais ce que je suis devenu, je ne le regrette pas en tout cas.
Vous avez une très haute image de vous…
Ah oui ! Merci ! Pour un mec d’1,70 m, il faut au moins ça !
… Vous dites : « J’y vois rien, j’ai le nez cassé, j’ai des chicots, des boutons plein la gueule, des grandes oreilles et le menton rentré ».
Oui.
Oui. En tout cas, s’il y avait un truc à changer, il y aurait tout. Mais je suis moins ingrat maintenant. Je disais ça il y a cinq ou six ans. Je vais enfin me balancer un truc pour arrêter de me plaindre : je trouve que je vieillis bien. C’est peut-être grâce à ma femme, mais je me trouve plus beau qu’avant.
Est-il vrai qu’en une seule année (je ne sais plus laquelle) vous avez tourné 25 films ?
C’est complètement faux. C’est à l’époque où je tournais beaucoup de comédies, je n’ai jamais tourné plus de trois films par an.
Même un petit rôle…
Oui, trois films, c’est déjà énorme pour un comédien de tourner trois films. Il m’est arrivé (c’est pour cela que cela donnait la sensation aux gens qui disaient que j’étais un boulimique, que j’étais dans tous les films) de participer à des films qui sont tous sortis en même temps (on n’est pas responsable de la date). Sur trois semaines, trois étaient à l’affiche de suite. Et on se disait « mais ce mec en fait combien par an ? », « s’il y en a trois en trois semaines, cela veut dire qu’en un an il en fait 52… » Mais en fait, pas du tout, je n’ai jamais tourné 25 films en une année. Je n’ai même pas tourné 25 films au cinéma ! J’en ai tourné une douzaine.
Est-il vrai que vous avez encore un doudou qui est un oreiller ?
Oui, qui s’appelle Galette St Michel. C’est vrai ! C’est ma sœur qui me l’avait offert. Je suis né dans un drap, on a gardé le drap et ma sœur l’a transformé en oreiller qu’elle m’a offert quand j’avais 4 ou 5 ans. C’est un doudou dont je me sers pour me le caler contre l’épaule. Mais là, je ne l’ai plus depuis un an. Je ne sais plus où il est, il faudrait que je m’inquiète d’ailleurs, tiens…
Est-il vrai que vous avez appris le hongrois ? Vous êtes d’origine hongroise, mais vous ne parliez pas la langue.
Je ne parlais pas. J’avais entendu dans ma famille. J’entendais des mots et justement cela me gênait. Je me disais « tiens, là il y a du complot, là il y a du conciliabule »…
… donc vous avez pris des cours…
Oui, j’ai pris des cours à l’INALCO.
Sarkozy est un nom d’origine hongroise. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Cela veut dire « issu du milieu de la boue ». Mais il faut savoir que Sarkozy est un très très grand nom hongrois. C’est un nom de grande famille noble, c’est La Rochefoucauld pour nous. Les Sarkö, sont des gens très dignes en Hongrie, très respectés. Ce sont de grosses familles nobles, qui sont presque les familles fondatrices du royaume de Hongrie. Ce n’est pas les sept tribus originelles de Béla et des autres, mais c’est un nom très très respecté.
Je rappelle la traduction…
… « Issu du milieu de la boue ». Sár en hongrois veut dire « la boue ». Köz, « le milieu ». Et donc Közy veut dire « du milieu ». Mais c’est un village en fait, Sárköz.
Est-il vrai que vous faites un hit-parade de vos meilleurs potes…
Oui !
… et que vous leur envoyez le classement de vos potes par e-mail ?
Oui. Je fais le classement de l’automne et le classement de l’hiver. Et il ne bouge pas beaucoup. De toute façon, c’est les dix mêmes qui sont un peu ballottés à chaque fois, mais ils savent que quand ils sont dans le bas du classement, c’est pour mieux le remonter ensuite.
Ce sont des potes de quelle année ?
De toujours, des potes de 30 ans.
Quand on vous voit comme ça, vous ressemblez à tout le monde sauf à Sébastien Chabal, est-il vrai que vous avez démoli un mec qui voulait vous voler votre scooter ?
Oui.
Comment avez-vous fait ?
N’importe comment. Je me suis battu et j’aurais pu me faire tuer. C’est stupide. Je n’ai vraiment pas le physique d’un bagarreur.
Avec les poings ?
Oui. J’ai perdu les pédales. Je me suis battu. En fait, le mec ne voulait pas me voler mon scooter, il m’avait coupé la priorité et il m’avait insulté après. J’avais essayé de le rappeler, on en est venu aux mains et j’ai même été un lâche jusqu’au bout, et odieux parce que la violence est l’expression de la faiblesse, mais je l’ai rattrapé par-derrière en scooter et je lui ai rentré mon scooter dans son scooter, je l’ai fait tomber et après il a essayé de me frapper et on s’est frappés. Et j’ai gagné ! C’est incroyable ! Comme à la cour d’école en CM2 !
Est-il vrai que votre déclic pour le théâtre est né en banlieue à cause d’une fille qui avait peur de marcher toute seule ?
Oui, c’est vrai. Elle avait peur de traverser l’Abreuvoir qui était la cité dans laquelle j’habitais, alors que moi, avec mon physique de moineau, je ne pouvais pas du tout l’aider à grand-chose. S’il s’était passé quoi que ce soit je serais plutôt parti en courant (non je crois que je l’aurais défendue quand même), je l’avais accompagnée.
Et vous avez assisté à un cours, et cela vous a plu et…
Cela m’a plu : il y a plus de filles dans un cours de théâtre que dans un vestiaire de football. Donc je me suis dit que je n’étais peut-être pas à ma place dans le foot…
Est-il vrai que vous avez aimé longtemps une femme qui ne vous aimait pas et qui était avec un autre homme ?
Oui, la même, c’était elle.
Elle ? Vous êtes un malade mental alors ? Vous avez dit qu’elle s’appelait Pauline.
Oui, j’ai été amoureux d’elle pendant sept ans.
Elle est devenue quoi, Pauline ?
Elle est mariée, elle a des enfants, et je ne la vois plus. Heureusement que cela m’est passé, maintenant que j’ai rencontré l’amour.