Michel Boujenah
8 juillet 2010
PV : Michel Boujenah, bonjour. Vous êtes comédien, acteur, metteur en scène. On vous a vu dans Trois hommes et un couffin, vous avez eu une nomination pour le César du Meilleur acteur pour Le Nombril du monde en 1992, et pour la Meilleure première œuvre de fiction avec Père et fils, votre premier film. Votre dernier one-man show s’appelle Enfin Libre ! mais depuis le temps que vous le jouez, ça y est, vous devez être libre…
Mais bien sûr que je suis libre.
Mais vous ne changez pas le titre ?
Non, non.
Parce qu’il y a « enfin ». On sent le gars qui sort de taule, mais là, c’est bon, vous êtes sorti !
C’est vrai que j’aurais pu ne l’appeler que « Libre ».
Vous faites quelque chose que vous n’aviez jamais fait auparavant, vous parlez de politique et d’actualité.
Oui. Je voulais que le spectacle soit en prise directe avec le monde dans lequel je vis.
Vous avez levé le mystère du secret Sarkozy. Votre thèse est audacieuse. Vous dites qu’en fait ce sont des triplés, c’est pour ça qu’il est partout.
Nico, Nicolo, Nicolas. Je tiens à préciser quand même que si ce sont des triplés, il y en a une qui doit être super-contente…
Quel retour avez-vous eu dans la presse en parlant de politique ?
Les journalistes sont assez surpris. La presse de gauche, Libé n’a rien fait, comme d’habitude. De toute façon, entre Libé et moi, c’est vraiment une catastrophe, une honte !
Comment ça se fait ? Pourtant vous êtes tout à fait le personnage qui pourrait leur plaire ?
Je me demande. On dit « avoir la carte » ou « ne pas avoir la carte ». Moi, il y a une chose qui est sûre, c’est que je n’ai pas la carte avec les journaux de gauche d’une manière générale, alors que je suis quelqu’un de gauche. Mais ils ne m’aiment pas.
Pourtant, vous n’êtes pas un grand blond catholique.
Non, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais peut-être que je suis juif. C’est même vraisemblable.
C’est grave ce que vous dites. Si vous pensez que la presse pourrait ostraciser quelqu’un parce qu’il est juif, surtout Libération, cela paraît étrange.
Vous savez, la dernière fois que Libé a parlé de moi, ils ont écrit que ce n’est pas parce qu’on parle beaucoup qu’on a quelque chose à dire. Eux ne me contactent pas, ils ne s’intéressent pas à mon travail. Cela fait 32 ans que je travaille, ils n’en ont rien à foutre de ce que je fais, même si je remplis les salles. Ils ne viennent même pas me voir. Je cherche les raisons. J’ai un nom arabe, je suis juif, je suis né en Tunisie, peut-être parce que je suis séfarade. Pour eux, peut-être que les gens qui parlent comme moi, c’est des baratineurs. Ils ont des gens qu’ils aiment et qu’ils connaissent et qu’ils apprécient, et je dois dire que parmi les gens que Libé aime, il y a des gens que j’adore et que j’admire. Ils écrivent des choses sur des gens qui sont pas connus, et c’est formidable, et c’est le rôle de Libé. Mais profondément, je pense que ces gens-là ne m’aiment pas.
Michel Boujenah, vous racontez dans chaque interview et dans beaucoup de vos spectacles, seul en scène, que vous êtes un juif tunisien, qui a débarqué en France à l’âge de 11 ans. En même temps, vous dites parfois souffrir d’être réduit à l’image du juif pied-noir, et là j’ai pas compris.
D’abord, juif pied-noir, c’est une contradiction formidable, il faut quand même mettre les choses au point. Il y a autant de différences entre un juif et un pied-noir qu’il y a de différences entre un juif égyptien et un Anglais. Les pieds-noirs sont des colons. La synagogue de Djerba a trois mille ans, donc bien avant la colonisation. Être juif d’Afrique du Nord, Tunisien, Algérien ou Marocain, cela n’a rien à voir avec les pieds-noirs. Cela ne veut pas dire que je hais les pieds-noirs, cela veut dire qu’on est très différents. On n’a pas du tout la même histoire. Les pieds-noirs, ce sont les gens qui sont arrivés avec Napoléon III. C’est un point d’Histoire qui est réglé. D’autre part, je ne me plains pas d’être réduit, et même mes amis d’enfance ou des copains tunisiens me disent « arrête de prendre l’accent », je leur dis que j’ai fait de mon histoire un étendard. Ce qui me fait de la peine, c’est pas tellement qu’on me voie comme un juif tunisien. Ce qui me fait de la peine, c’est qu’on voie un juif tunisien comme ça. C’est le regard qu’on a sur lui. Ce n’est pas d’être ce que je suis qui me fait de la peine, c’est que le regard que les autres ont sur les gens de ma communauté, c’est un regard réducteur.
Dans votre dernier spectacle, Enfin Libre !, vous vous réjouissez d’avoir découvert chez un scientifique, un type qui étudie le cerveau, un chercheur reconnu, Jean-Didier Vincent, que je cite : « Les hommes sont biologiquement polygames ».
Oui, c’est grâce à France Info.
Et pas les femmes ?
Non.
Mais, si on est polygame, si un homme a quatre femmes, il faut bien qu’une femme ait quatre hommes ?
Non, pas forcément.
Comment cela se passe ?
Jean-Didier Vincent explique que dans l’étude du comportement hormonal, les hommes ont besoin d’avoir une activité sexuelle multiple, et que les femmes en ont beaucoup moins besoin. C’est biologique, scientifique. Après, il y a la morale, les lois, l’éducation, le désir de liberté, tout ce que vous voulez, la psychanalyse, etc. Mais sur un plan purement scientifique et physique, quand j’ai entendu ça, je me suis dit que c’était du pain béni, je vais mourir de rire. Parce qu’en plus, ils ont fait les expériences sur les rats et les rates.
Comment ils se débrouillent, les rats et les rates ?
Les chercheurs ont pris un rat, ils ont attendu qu’il soit très nerveux, ils l’ont mis en abstinence sexuelle, et au bout de trois semaines ils lui ont mis une rate dans son petit enclos. Au début, il lui a fait tout, de la poésie, des repas, de la chanson, etc., et au bout de trois semaines, il ne se passait plus rien. Donc ils ont enlevé la rate, ils ont attendu de nouveau, et ils ont mis une nouvelle. Cela a recommencé, c’était super. Si on laisse la même rate avec le rat, au bout de trois semaines, il ne se passe plus rien sexuellement parlant. Donc l’animal a besoin d’avoir des relations multiples. Maintenant, si vous lui remettez la première rate après la deuxième, il est très content. Donc il peut être fidèle en même temps. Quand vous entendez cela et que vous êtes dans la voiture, et que vous vous imaginez sur scène en train de parler de cela, avec toutes les filles dans la salle qui vont vouloir vous lyncher, c’est à mourir de rire.
Vous ne vous êtes pas dit « c’est formidable pour ma vie », mais vous vous êtes dit « c’est formidable pour mon spectacle ».
Oui, bien sûr.
Le spectacle est plus important que la vie ?
Bonne question. Non. Si vous ne vivez pas, vous ne pouvez pas écrire.
Est-il vrai que vous vous êtes retrouvé coincé une heure dans un ascenseur non pas avec Adriana Karembeu, mais avec Philippe Noiret ?
Oui, et on ne se connaissait pas, et on ne savait pas que quelques années plus tard, on allait tourner ensemble.
La question toute bête qu’on se pose : vous avez pensé que c’était Surprise sur prise ? Au bout de combien de temps, vous vous êtes dit que ce n’était pas une blague et que Marcel Béliveau n’allait pas débouler ?
Tout de suite. Je le savais. On a beaucoup ri. Il m’a regardé et m’a dit : « Surtout ne vous mettez pas à parler ». Il savait que je parlais beaucoup.
Une légende qui vous colle à la peau. Est-il vrai que dans Trois hommes et un couffin en 1984, vous avez refusé d’être payé au pourcentage comme vos deux compères Roland Giraud et André Dussollier ?
C’est faux. La vraie histoire, c’est qu’au début j’ai demandé le même contrat qu’André et Roland. Même au début, je ne voulais pas être payé du tout. Je leur ai dit : « Donnez-moi un pourcentage » parce qu’ils n’avaient pas d’argent. « Donnez-moi 1 % ou 0,5 % », je m’en foutais, je n’ai pas fait le film pour l’argent, j’adorais Coline Serreau. Il se trouve que je n’avais pas d’agent de cinéma à l’époque. Roland et André en avaient un évidemment. Leur contrat a été révisé au milieu du tournage. Et là, on leur a mis des pourcentages.
Et pas le vôtre ?
Pas le mien parce que je n’avais pas d’agent. À la fin du tournage, Jean-François Lepetit (le producteur) et Coline Serreau m’ont appelé en me disant « Ne t’inquiète pas, ton contrat va être révisé comme les autres ».
Comme c’est parti comme un pétard dans Paris, c’était il y a 25 ans, vous imaginez aujourd’hui ? Avec Internet, avec le buzz, avec le zap, avec le zip, avec le zoup ?
Justement, vous êtes là pour rectifier quand ça n’est pas exact. Est-il vrai que depuis quelques années vous ne vous regardez plus dans la glace ?
Je n’ai pratiquement pas de glaces chez moi, ni de photos de moi, sinon avec mes enfants ou des choses comme ça. J’ai des glaces dans la salle de bain pour me raser. Je déteste me regarder.
Est-il vrai que vous avez voulu fonder l’association des petits gros ?
Oui, à une époque. J’en avais marre. Il y a eu une mode à un moment donné, les pantalons à pinces. Vous savez ? Quand vous êtes petit et un peu enrobé, et que vous mettez des pantalons à pinces, vous êtes ridicule.
Dans Le Nombril du monde en 1993, vous avez joué un obèse. C’était un trucage ou une prise de poids effective ?
J’avais pris 23 kg et il y avait des trucages. Aujourd’hui, avec les moyens techniques qu’on a, je ne serais pas obligé de prendre 23 kg. Mais j’avais quand même cinq heures de maquillage par jour.
Juste un mot pour les gens qui nous écoutent, comment vous avez fait pour perdre les 23 kg ?
Je n’ai pas mangé.
Pendant combien de temps ?
Deux mois. J’avais un gars qui me suivait partout…
Et qui vous tapait dès que vous ouvriez la porte du frigo ?
Oui. Tous les matins il me réveillait. Vous savez, quand vous commencez à réduire énormément la quantité de nourriture, votre estomac se rétrécit et vous avez moins faim. Au bout d’un moment, je n’avais plus faim.