Claire Castillon
23 novembre 2010
PV : Claire Castillon, bonjour.
Bonjour (voix basse)
Vous êtes écrivain, vous avez publié sept romans dont Le Grenier en 2000, La Reine Claude en 2002, puis deux recueils de nouvelles, Insecte et On n’empêche pas un petit cœur d’aimer, nouvelles traduites en vingt langues. Vous venez de sortir Bulles, encore un recueil de nouvelles, trente-huit portraits d’hommes et de femmes coincés dans leur bulle – par exemple une femme qui regrette d’avoir mangé trop gras pendant son dîner d’anniversaire de mariage. Votre livre précédent s’appelait Les Cris. Le titre m’amuse parce que c’est incroyablement antinomique avec la manière dont vous vous exprimez… Cela s’appelle Les Cris parce que vous chuchotez ?
Oui, c’était vraiment ça.
Ou parce que c’est un jeu de mots avec « les cris » et « l’écrit ».
Non, je n’ai pas fait exprès. Le jeu de mots était totalement fortuit. En revanche, l’idée m’est venue parce qu’un jour une lectrice m’a dit « Vous écrivez comme on pousse des cris de langouste, et le cri de langouste, on ne l’entend pas, c’est le seul qu’on ne peut pas entendre et il paraît que c’est pourtant le plus fort de tous ».
C’est quoi cette histoire de cri de langouste ?
Quand on la trempe dans l’eau, on imagine le hurlement ; quand elle est vivante et qu’on la met dans l’eau bouillante, c’est ce cri-là qu’on n’entend pas, mais qui est évidemment ignoble…
Oui, mais si on ne l’entend pas ?
Mais je comprends quand même ce truc de décibels audibles seulement par ceux qui auraient l’oreille très fine ou l’oreille très sensible, ou l’oreille accrochée au cœur…
Un petit mot, je n’imaginais pas en vous l’incarnation de Laurent Ruquier. C’est hallucinant à quel point vous aimez les calembours ! J’en ai relevé un dans quelques pages. J’ai relevé « étalon étau lent », « il percute le mur comme une lamentation »…
Il m’arrive d’en enlever un ou deux qui sont plus lourds encore…
Ce que vous dites me terrifie ! Vous vous relisez quand même ?
Je n’ai pas fait l’école du rire, je n’essaie pas non plus d’en faire et parfois je me rends compte que…
Parfois il y a de la petite blagounette…
Non ! (Rire)
« C’est définitivement Venise qui m’attend. Il gondole. »
Oui, c’est atroce. Vu comme ça, c’est terrible. J’arrête…
Gondole, Venise : humour !…
Oui, à fond. Mais alors, lu comme ça, on est mort de rire.
La critique se partage en deux autour de vous. Vous ne laissez pas indifférent. On aime ou on n’aime pas vos livres. François Busnel, qui a travaillé ici sur France Info, fait vraiment partie de vos fans ; il écrit dans une critique : « Claire Castillon est devenue un vrai écrivain, Christine Angot puissance dix ». Il y a beaucoup de gens qui vous soutiennent. C’est agréable ou on s’en fiche ?
Non, je ne m’en fiche pas du tout. Je trouve cela assez inouï en fait.
Et vous êtes sensible à la critique quand elle est négative ?
J’ai eu la chance de ne pas en avoir beaucoup. J’en ai eu peut-être trois ou quatre dans ma vie d’écrivain. J’en ai eu une récemment qui m’a vraiment mise à plat parce que je me suis demandé ce que j’avais bien pu faire…
Je l’ai ici. C’est Beigbeder je parie.
Oui ! J’ai eu l’impression d’avoir assassiné toute sa famille pour mériter cela.
Il démarre ainsi : « Les historiettes de Claire Castillon exploitent de petites idées gentilles aussi vite rédigées qu’oubliées », et il conclut « Je ne sais pas ce qui m’a pris d’écrire un article aussi désagréable, il n’y a pas du tout de quoi s’énerver, la littérature s’en remettra ». Quand vous lisez cela, vous êtes à plat ou vous vous relevez dans l’heure qui suit ?
D’ordinaire, je me relève dans l’heure qui suit, même dans les dix minutes. Comme je venais de perdre quelqu’un quand j’ai lu ce truc, le même jour, j’ai eu une espèce de vraie violence intérieure en me disant que c’était affreux.
Une fois, vous avez une réaction que je trouve absolument incroyable et romanesque. C’est un type de Libé qui raille votre style…
… qui, lui, écrit bien, pour le coup…
C’est Philippe Lançon qui vous reproche : « Des formules fières d’elles mais cruellement inutiles », et il reçoit une lettre anonyme avec ce mot « Fais gaffe à tes couilles ». Avec le mot, il y a un bocal avec deux testicules d’animaux. Le journal Libération porte plainte, on retrouve la poste d’où le pli est parti, et sur les caméras de surveillance, on découvre que c’est une jeune femme qui apporte le paquet, cachée derrière un manteau, un bonnet et des lunettes. C’est vous, Claire Castillon.
Oui, mais je n’étais pas cachée. Je ne savais même pas que les postes étaient filmées. En fait, j’avais un bonnet puisque c’était l’hiver, et un manteau. Les lunettes, peut-être parce que je ne les avais pas enlevées.
Deux questions. Qu’est-ce qui vous a pris d’envoyer une lettre pareille avec un colis pareil ? Et où est-ce qu’on va acheter des testicules d’animaux ?
Je ne vous le dirai jamais, je ne l’ai même pas dit à la police, alors je ne vais pas vous le dire à vous ! (Rires) En revanche, qu’est-ce qui s’est passé dans ma tête ? Cela rentrait dans une autre histoire. Il avait fait un papier certes très bien écrit sur ma vie, un peu privée à l’époque, donc cela m’avait énervée. Je lui avais répondu un courrier signé auquel il avait répondu de façon encore très ironique. Et un jour, j’étais avec un ami et on s’est dit « on envoie ça, c’est marrant »… Sauf qu’on m’a expliqué ensuite le problème juridique de la menace… En fait, si vous dites à quelqu’un « je vais te gifler » et que vous n’avez pas de bras, cela compte quand même, c’est une menace…
Vous avez présenté une émission érotique sur la chaîne TPS Star, vous l’avez fait parce que votre précédent livre s’était mal vendu ?
Exact. Mais il ne faut pas dire cela, paraît-il, quand on écrit des livres ou quand on fait des choix. Mais moi, je l’ai vraiment fait parce que j’avais besoin d’argent et que c’était vite gagné.
Vous n’auriez quand même pas présenté la météo ou l’état des routes avec Bison Futé, si ?
J’aurais préféré… l’état des routes… (Rires)
Arrêtez ! Ne me dites pas que si on vous propose les départs en vacances et les embouteillages, vous acceptez ?
Pas maintenant, mais à l’époque cela m’avait bien arrangée et je m’étais dit comme je n’avais pas le câble, je pensais que personne ne le verrait.
Il y a quelque chose que je ne comprends pas chez vous. Vous êtes quelqu’un d’extrêmement mesurée, vous posez chaque mot, vous ne criez pas, et vous racontez des trucs dingues à la presse tout en disant « Mais pourquoi je raconte ça ? » Donc je vous pose la question : pourquoi vous racontez tout cela ?
Je ne raconte pas de trucs vraiment dingues, mais quand on reste deux ou trois heures avec un journaliste qui veut absolument qu’on lui sorte des choses pour son papier, mais qu’on ne boit pas un truc particulier en écrivant et qu’on ne se drogue pas et qu’on n’a rien à raconter de vraiment folichon, on cherche et on cherche, et au bout d’un moment, si on nous dit « Qu’est-ce qu’un homme a fait de fou pour vous ? », en effet j’ai dû raconter cela, mais c’est vraiment quand je suis à bout…
Parmi les choses que vous détestez de vous (avez-vous dit), vous détestez qu’on dise de vous que vous ne pouvez pas travailler (que de négations) si votre cuisine est sale.
(Rires) Quand j’ai commencé à écrire, j’ai fait une première interview, on m’a posé toutes les questions qu’on me pose depuis : où est-ce que j’écris, si j’écris sur un ordinateur, ce que je mange, ce que je bois, et du coup, j’avais tellement pas d’idées que j’avais balancé que je ne pouvais pas travailler quand ma cuisine est sale – qui a été le titre de l’article… Depuis, quand je commence une interview, on me dit « Est-ce que vous pouvez travailler quand votre cuisine est sale ? »…
Sauf votre respect, elle devait être bien pourrie l’interview. Parce qu’en titre le rédac’ chef met ce qu’il y a de meilleur… (Rires)
Je n’ai jamais été très douée en interview.