Jean-Marie Rouart
28 février 2011
PV : Je reçois Jean-Marie Rouart de l’Académie française, et je le dis avant toute chose parce que c’est ce qu’il y a toujours écrit dans les journaux « Par Jean-Marie Rouart de l’Académie française ». Est-ce une obligation, un usage ou une demande de votre part ?
Un usage. Pas du tout une demande de ma part. Ce n’est en rien une obligation, mais cela ferait bizarre dans la mesure où je me suis présenté un certain nombre de fois à l’Académie, avant d’être élu et reçu.
Cinq fois, si mes informations sont bonnes.
Cinq fois, c’est exact. Quand j’ai été élu, on m’a dit « Vous êtes heureux ? » Et j’ai répondu : « Non, je suis inquiet ». « Pourquoi êtes-vous inquiet ? » « Je suis inquiet parce que j’ai eu seize voix de plus que Balzac » (qui n’a eu que deux voix). C’est pour vous dire que j’ai relativisé.
Est-il vrai que vous avez été recalé cinq fois au bac ?
C’est exact.
Je n’ai pas été tout à fait recalé cinq fois. À la troisième fois, j’ai eu le premier bac, et à la deuxième fois, j’ai eu le second. J’ai passé le bac cinq fois, comme pour l’Académie.
Est-il vrai que votre premier livre a été refusé treize fois ?
Oui. Par treize éditeurs.
À moins que vous en rajoutiez la légende de l’écrivain maudit ?
Non, pas du tout ! C’est exact. C’est extrêmement blessant ! Je le dis, mais j’en suis blessé ! J’en suis meurtri d’ailleurs.
Vraiment ?
Oui. Enfin, maintenant je me dis que j’aurais été meurtri s’il avait été publié, parce que, entre nous (ne le répétez pas), il était très mauvais…
Vous l’avez encore ?
Oui.
Est-il vrai que vous vous réveillez encore la nuit en vous demandant si vous avez réussi à publier un livre ?
C’est vrai.
Encore maintenant ?
Oui. J’ai peur. Je me dis « mais ce n’est pas possible, j’ai vécu un rêve ». J’ai vécu énormément dans l’échec. J’étais nul en classe, mais j’adorais la littérature, j’adorais l’Histoire, et je révérais le savoir.
Je vais citer un portrait fait par Paul Wermus, qui date de 2005. J’ai appris que vous étiez célibataire, vous l’êtes peut-être toujours, et j’ai beaucoup aimé cette information : « Loisirs : recherche la femme de sa vie ». C’est un loisir ?
C’est une occupation à plein temps ! J’ai une autre occupation qui est de rêver ma vie et, dans ce rêve, essayer de trouver la femme idéale. Cela occupe beaucoup de temps ! D’ailleurs, quand j’écris mes romans, je cherche la femme idéale, bien sûr. Mais nous en sommes tous là ! Les femmes aussi d’ailleurs, parce que les femmes sont beaucoup plus fantasmatiques que les hommes. Les femmes ont une richesse de fantasmes, d’imagination… Les hommes à côté sont des enfants de chœur. Je crois que c’est cette richesse qui fait qu’elles sont très proches du romancier. Ce sont les femmes qui lisent les romans. Pourquoi ? Dans les romans, elles trouvent l’évocation de tous leurs fantasmes.
70 % des romans sont achetés par des femmes. Tout à fait autre chose (quoique), vous êtes engagé pour de multiples causes, comme l’innocence d’Omar Raddad, qui vous avait valu une condamnation et votre place, dit-on, au Figaro. Mais, on le sait moins, vous êtes un militant anti-prostitution. Pour quelle raison ?
Ce n’est pas par pudibonderie. C’est parce que je considère que la prostitution est la situation la pire de la femme. Vous savez, je ne suis pas suspect d’être un marxiste adepte de la lutte des classes. Néanmoins, on est en pleine lutte des classes. Les femmes qui servent au plaisir des classes moyennes et de la bourgeoisie, ce sont des pauvres, ce sont les femmes pauvres qui sont exploitées. Et je trouve ça dégueulasse. Si c’était des bourgeoises qui se prostituaient, vous verriez le tollé ! Si c’était les mères, les sœurs de tous ces gens que nous voyons, très convenables, ce serait une révolution. Cela ne marque que parce que ce sont des gens pauvres qui ne se plaignent pas. Voilà. Donc je me bats pour leur donner de la dignité. Je considère que c’est un esclavage.
Vous avez dit un jour : « Les grands créateurs sont toujours dans l’opposition ». Est-ce que vous vous sentez dans l’opposition ? Est-ce que vous vous voyez comme un grand créateur ?
Oui, je pense qu’un écrivain a des rapports compliqués et d’opposition avec la société. À la fois, il veut des consécrations de la société, il veut l’Académie (je ne peux pas dire le contraire…), mais en même temps il n’est pas esclave de cette société, il est toujours en train de la contester, et c’est mon but. Je crois que je défends l’être humain qui est toujours broyé par la société et qui est toujours victime de l’injustice qu’elle fait peser sur lui, j’essaie de défendre cet individu qui finalement est seul et écrasé.
Une histoire qui fait ma joie : est-il vrai que la nièce du Président Giscard d’Estaing vous a montré ses seins dans la chambre même du petit Valéry ?
Écoutez, je l’ai raconté dans un livre, j’ai regretté d’avoir écrit cette phrase. Heureusement que je n’ai pas donné le nom, ni le prénom de la nièce.
Dans la chambre d’enfant de Valéry (quand il était enfant évidemment) ?
Oui, c’est vrai. Cela n’a pas arrangé mes rapports avec le Président Giscard d’Estaing !
Il vous en a parlé ?
Non ! (Rires)
Pourtant, vous le croisez ?
Quand je le croise, nous parlons d’autre chose. Nous parlons de l’avenir de la France.
(Rires) Non ! J’aime les femmes qui ont 16 ans, qui ne sont pas mariées, les femmes de 17 ans, qu’elles soient ou non mariées.
Pardonnez-moi, quel âge avez-vous ?
Moi ? Mais c’est très indiscret ce que vous me demandez ! J’ai 67 ans.
16 ans, ce n’est pas un peu…
Mais non. Vous êtes très bourgeois ! Vous vivez vraiment dans des critères qui sont de convenance. Ce qui est important je crois, c’est d’aimer. Qu’on aime une jeune femme de 16 ans, qu’on aime une dame de… je suis contre toutes les ségrégations et je trouve que l’amour pardonne tout.
Est-il vrai que votre première fois, c’était avec une jeune femme qui avait cinq ans de plus que vous ? Vous aviez 15 ans et elle 20 ans.
C’était à Noirmoutier au bord de la mer. Après avoir fait l’amour avec elle, elle m’a dit « Il faut absolument que je rentre, mes parents m’attendent », je dis « D’accord, je vais te raccompagner », et elle me dit « Non, je m’en vais ». Et à ce moment-là, je lui ai confié mon pull-over rouge (il faisait un peu frais). Elle est partie, puis j’ai eu un remords, je me suis précipité et quelques mètres plus loin, j’ai vu une femme en train d’embrasser un homme goulûment, et cette femme avait un pull-over rouge. C’était elle. Vous imaginez, j’étais désespéré, je suis rentré chez moi. Ma mère m’attendait comme toutes les mamans, je lui ai tout raconté et elle a été absolument adorable. À la fin, elle m’a dit « N’oublie quand même pas de lui réclamer ton pull-over rouge »…