Charlotte Rampling
1er mars 2011
PV : Charlotte Rampling, bonjour. Vous êtes comédienne. Je n’aime pas ce mot, mais là on est obligé de le dire : vous êtes une comédienne « culte ». Vous étiez à l’affiche des Damnés de Visconti, vous êtes dans Portier de nuit, film extrêmement troublant sur le rapport dominant/dominé avec l’esthétique nazie en prime. On vous a vue dans Max mon amour d’Oshima où vous aviez le premier rôle et pour partenaire un chimpanzé. Dans Stardust Memories de Woody Allen, et vous êtes devenue l’une des actrices fétiches de François Ozon depuis Sous le sable. Les habitués des pages people vous connaissent également pour avoir été mariée à Jean-Michel Jarre, mais ce n’est pas notre sujet aujourd’hui parce que là, vous êtes à l’affiche d’un film pour le moins étrange et troublant lui aussi, signé Jonathan Nossiter qui avait déjà fait Mondovino, qui s’appelle Rio Sex Comedy. Et, contrairement à ce que le titre laisse penser, c’est ni une série B ni un film porno. Quoique pour le porno…
Oui, ce n’est pas porno, mais cela donne envie…
C’est à la fois une fiction et un documentaire. Quatre personnages se croisent : une anthropologue (Irène Jacob), un ambassadeur américain qui n’assume pas son rôle, un guide touristique un peu véreux et vous qui êtes chirurgien, d’un genre spécial, esthétique.
On a construit le rôle avec Jonathan Nossiter. On est parti à Rio – Jonathan Nossiter vivait à Rio à l’époque – et on a décidé ce qu’on allait être. Et avec Jonathan, on s’est demandé ce qui véhiculait beaucoup d’histoires et de passion autour, à Rio c’est la chirurgie esthétique.
Question qui concerne les comédiennes. Aux États-Unis, j’ai lu que les producteurs trouvent maintenant très difficilement des actrices pour tourner des séries comme Desperate Housewives, il y a tellement de comédiennes qui sont botoxées qu’ils n’arrivent plus à en trouver sans Botox, c’est-à-dire avec des expressions de visage.
C’est un très grand problème. Donc celles qui n’en ont pas fait vont devenir d’un coup des vedettes.
Et vont avoir la cote. Vous par exemple ?
Oui, moi par exemple !
Enfin, vous c’est différent, vous avez toujours été une vedette.
Je suis sur le bon cheval je pense.
J’aime beaucoup une question philosophique que pose votre personnage dans le film, et vous allez me dire si vous avez la réponse. Vous dites : « Comment bien vieillir si on lutte pour rester jeune ? »
Si on réfléchit une seconde, c’est vrai, si on veut être quelque chose qu’on ne pourra jamais plus être, on va entraver son développement vers un âge plus épanoui, qui est certes avec quelques rides, quelques expressions du visage qui d’habitude sont très belles sur des femmes ou des hommes qui vieillissent. Mais on a tellement horreur de ça, qu’avoir une ride devient une sorte de malédiction. La question fondamentale, ou la réponse fondamentale, pourquoi vouloir travestir la nature ? Parce qu’elle va vous avoir…
Vous parlez relativement facilement de choses dont on ne parle jamais. Quelque chose qui m’a vraiment frappé, à commencer par l’argent. Vous aviez révélé à Première en 2001 : « En fait, j’ai très peu tourné pour vivre ». C’est vrai, dans votre filmographie, il n’y a pas de navets comme font certains pour payer leurs impôts. Je cite maintenant votre déclaration en entier : « En fait, j’ai très peu tourné pour vivre, je me suis débrouillée autrement pour l’argent, à travers les hommes ».
Oh !
Il faut oser dire ça !
Oui ! I’m a kept woman, comme on dit. Mais dans le temps, c’était comme ça ! C’est le mari qui payait toutes les factures.
Oui, dans le temps. Mais mai 68 est passé par là, et il a été dit qu’on voulait que cela s’arrête…
Oui, mais on peut garder un peu de ça aussi ! On peut donner autre chose en échange.
Savez-vous comment certains appellent ce que vous êtes en train de revendiquer ? Vous allez faire bondir les féministes ! On appelle ça la « prostitution conjugale ».
C’est vrai ?
Quand on donne en échange quelque chose à un mari qui vous entretient. Un service contre un confort de vie.
Je trouve que c’est bien. Je trouve que ce mot est bien pour ça aussi.
Pourquoi ?
C’est donnant-donnant. Il faut savoir ce qu’on veut, il ne faut pas se cacher derrière les fausses idées et se dire « non, je ne ferai jamais ça parce que ci ou ça ». Il faut savoir ce qu’on veut et trouver le moyen de l’obtenir tout en étant en harmonie.
Beaucoup plus difficile, vous avez parlé de dépression, et vous dites que vous avez failli sombrer.
J’ai sombré, pas failli.
Quand on sombre, on ne se relève pas.
Oui quand on sombre, on sombre. Le « failli », c’est « oups ! presque ! non pas tout à fait ». Ce n’était pas mon cas.
Cela a duré combien de temps ?
Longtemps.
Comment pouvez-vous parler de ça avec le sourire qui est le vôtre maintenant ?
Parce que c’est une aventure extraordinaire !
En quel sens ?
Dans le sens que vous êtes tout à fait ce que vous n’étiez pas, et donc tous vos démons sortent. Toutes les choses qui rendaient votre vie invivable ressortent à la surface et il faut faire face, ce qui demande une grande force.
Non, on ne peut pas donner le change. Il y a une belle expression qui explique cela en anglais : « You hit rock bottom », c’est-à-dire qu’on ne peut pas aller plus bas.
Littéralement, on a touché le fond.
Oui.
Charlotte Rampling, vous êtes bien vivante et en pleine forme, mais il s’est passé un truc terrible pour vous en 2001. On vous a attribué un César d’honneur pour l’ensemble de votre carrière. En général, quand on reçoit un César d’honneur, on meurt dans l’année…
Je suis d’accord, j’étais très troublée… C’était juste avant Sous le sable avec François Ozon, et Sous le sable devait sortir dans cette année-là. C’était très troublant !
Je l’ai dit de manière ironique, mais je le pense ! Cela signifie que c’est la fin quand on a un César d’honneur ?
Oui ! J’avais cinquante ans ou quelque chose comme ça. Je me suis dit… est-ce que je vais le refuser, avec ce brave Toscan du Plantier qui voulait me le donner, etc. Mais j’ai inversement pensé, « est-ce que cela va être une poisse ? »
Cela ne l’a pas été.
Non.
A-t-on le droit de refuser un César ?
Oui. Très peu l’ont fait. Je pense que ce n’est pas bien de le refuser.
En même temps, maintenant vous pouvez faire n’importe quoi, vu que vous avez déjà eu le César d’honneur pour l’ensemble de votre carrière, et qu’il s’est passé dix ans depuis !
Oui !
C’est génial comme sursis. Est-il vrai que tous les matins après le réveil à 7 heures, vous pratiquez 40 minutes de méditation ?
Non.
Pourquoi est-ce imprimé dans les journaux alors ? C’est vous qui l’avez raconté ?
Oui, j’aimerais bien y arriver, mais je ne le fais jamais ! En tout cas pas avec cette régularité, à 7 heures tous les jours. De temps en temps.
Quand vous lisez des choses fausses sur vous, c’est vous qui mentez à dessein aux journalistes pour raconter une belle histoire, ou est-ce eux qui enjolivent l’histoire pour que cela soit bien pour les lecteurs et les lectrices ?
C’est un peu les deux. Parfois, c’est très énervant quand ils brodent et ce n’est pas bien. Et parfois, c’est moi qui brode et c’est très bien.
Dans Désaccord parfait, la comédie d’Antoine de Caunes, où vous jouiez avec Jean Rochefort, vous formiez un couple assez harmonieux avec un homosexuel. Est-il vrai que cela vous irait très bien ?
Oui. En fait, c’est une situation assez délicieuse.
Pourquoi ?
Si vous vivez avec un homosexuel élégant, raffiné, qui vit bien, qui a de l’argent, qui a une magnifique maison, et qui ne veut pas trop de vous, vous êtes libre de faire ce que vous voulez en dehors, mais vous avez quand même une relation intime, intelligente, très belle avec pas toutes les emmerdes… (Rires)
Est-il vrai que vous ne cuisinez jamais ?
Si ! Maintenant j’ai fait un peu de progrès. Je prépare une dinde une fois par an à Noël pour mes enfants, une vraie dinde magnifique, elle est délicieuse (vous pouvez demander à mes enfants et à ma famille), et des omelettes.
Vous êtes vraiment extraordinaire, pardon de ce cliché, mais vous êtes vraiment une Anglaise ! Vous faites un plat une fois par an et vous appelez ça « cuisiner » ?
Oui !
Mais cuisiner tous les jours ?
J’ai un four pour ça, uniquement pour ma dinde.
Vous avez acheté un four uniquement pour une dinde dans l’année ?
Oui ! Sinon, on peut faire les petites choses en haut, mais la dinde, il faut qu’elle aille dans un grand four.
Est-il vrai que vous roulez comme une dingue dans une Mini vert foncé ?
Bleu foncé…
Erreur de la presse !
Oui, c’est pour cela que c’est très bien de tout vérifier.
Ce qui est génial, c’est que vous ne m’avez pas repris quand j’ai dit que vous rouliez comme une dingue.
Oui, c’est vrai. Je ne roule pas comme une dingue, parce qu’on ne peut plus, ils vous arrêtent tout le temps maintenant.
Ah bon ?
Oui ! Même avec mes vitres teintées sur ma petite Mini bleu très foncé. Ils vont m’arrêter…
Attendez, je n’ai absolument pas compris l’argument, vous pensiez qu’avoir des vitres teintées empêchait que la police vous arrête ?
Oui.
Pourquoi ?
Parce qu’il n’y a personne dans la voiture ! (Rires)
Ah oui, ils se disent que c’est un extraterrestre… « On ne va pas l’arrêter, il ne va pas payer son PV ».
Oui, c’est ça, « il n’habite pas ici »…