Fanny Ardant
19 août 2009
PV : Bonjour, Fanny Ardant. Vous êtes comédienne. Vous réalisez votre premier film, qui s’appelle Cendres et sang. Je dois dire que j’en suis revenu extrêmement perplexe quant à votre santé mentale (pardonnez-moi). Vous qui êtes une grande bourgeoise du 5e arrondissement, tout se passe dans une province reculée de Transylvanie. Vous qui êtes pacifiste et plutôt calme quand on vous voit comme ça, ce ne sont que crimes et dettes d’honneur. Vous qui aimez les mots, qui êtes célèbre pour votre diction, vos comédiens ont des phrases qui dépassent rarement cinq mots et qui en plus ne parlent pas français.
Tout cela est exact. Mais tout ce que vous saviez de moi était faux… Vous savez bien que tout ce qu’on sait sur les gens, c’est deux ou trois petites phrases élucubrées dans un coin – un ramassis de trucs pour aller vite. Donc, déjà, je ne suis pas sûre d’être une grande bourgeoise, je ne suis pas sûre d’être du 5e arrondissement. Je ne suis pas sûre d’être calme, je suis extrêmement contrôlée, je suis la reine des hypocrites. C’est vrai que pour moi le cinéma, c’est le monde de l’image, que la majeure partie de mes acteurs dans ce film sont Roumains ou Hongrois et que je voulais qu’ils parlent français avec leur « r » qui roule.
On se bat beaucoup dans ce film. Et à un moment donné, pendant une bagarre générale, je suis revenu à la réalité, et je me suis dit « Bigre, c’est Fanny Ardant avec ses bas couture et ses escarpins, qui a réglé les bastons ! »
Oui. (Rires)
Mais comment cela s’est-il passé ? C’est vous qui disiez « Vas-y ! Mets-lui un coup de genou dans les… ? »
Non, je l’ai très écrit. Je voulais que les choses soient visuelles.
« Très écrit », cela veut dire quoi ? Vous avez écrit le mot « bagarre » ou vous avez décrit la bagarre ?
J’ai décrit la bagarre, surtout la première. Je voulais qu’il lui fracasse le genou avec une pierre. Je voulais que tout de suite, au tout début du film, on comprenne qu’un des personnages principaux, Pashko, était un être violent et qu’il usait de la force d’une façon démesurée.
Pourquoi vous ne vous êtes pas donné un petit rôle ? Ou au moins une apparition comme Hitchcock ou Godard ?
Je suis dans la voix de la femme qui crie dans la fenêtre.
C’est vous !?!
C’est moi.
À la projection, en entendant ce hurlement interminable, je me suis demandé « C’est quoi cette voix de malade ?… »
Vous pouvez être très colérique…
Comme toutes les personnes extrêmement contrôlées. C’est la théorie de la cocotte-minute. Plus vous serrez les boulons, plus le jet de vapeur ne peut pas s’en aller d’une façon sociable ou comestible. Donc la colère est toujours liée au fait qu’on n’arrive pas à s’exprimer.
Cela vous a joué des tours parfois dans le métier ? Le cinéma est un métier de communication.
La plupart du temps, j’ai été très heureuse sur un plateau, donc je n’ai pas eu à me mettre en colère.
Mais le reste de l’année, quand vous êtes hors tournage ? Je lisais une interview de vous où vous disiez : « On me dit qu’il faut faire des dîners en ville, je déteste les dîners en ville ».
Oui.
Cela aide pourtant dans votre profession ?
Non. Les choses qui doivent arriver arrivent. Et je pense justement que les dîners sont la plupart du temps très ennuyeux, parce que les gens parlent de la météo, des impôts, de la vieillesse, etc. Ce sont rarement de vraies conversations. Je crois que les conversations, c’est 1 + 1 et pas des groupes. Vous savez qu’autrefois on disait « on ne parle ni de Dieu, ni de politique, ni de business », alors on parle de quoi ? On parle justement de la météo…
Les gens qui n’ont pas grand chose à se dire parlent aussi des films qu’ils ont vus, mais comme vous êtes comédienne, cela revient à parler boulot. Donc on ne peut plus parler de rien chez vous.
(Rires)
Est-il vrai que vous ne faites jamais la cuisine chez vous ?
Oui, c’est vrai. Ou alors des œufs à la coque. Mais c’est difficile de bien réussir un œuf à la coque, le saviez-vous ?
La minute de trop, c’est un œuf dur ou la minute en moins, c’est un truc tout gluant qui tombe, donc il faut absolument trois minutes. L’œuf sur le plat pareil.
Vous êtes chez vous, il y a un dîner, et vous vous ennuyez tellement que vous allez vous enfermer dans votre chambre. Est-ce une légende ou est-ce vrai ?
Non. Je dis souvent que je reviendrai. Mais je ne reviens pas…
J’ai rarement vu une femme aussi séduisante et aussi peu sûre d’elle. Vous avez raconté que, adolescente, vous n’aviez aucun succès auprès des garçons et que vous avez développé une sorte d’arrogance pour exister. J’ai deux questions. Quelle était cette arrogance ? Est-ce que cela leur a plu ?
L’arrogance, c’était justement ne pas être invitée à danser. J’étais trop grande, j’étais trop maigre. Je m’en sortais en parlant. Et j’ai toujours su que si on s’intéresse au noyau dur des gens, à ce qu’ils sont vraiment, cela crée des liens. Vous savez, on a toujours été élevé pour dire de ne pas poser de questions indiscrètes, mais je crois qu’il faut poser des questions indiscrètes. C’est ça, l’arrogance. Et si vous me demandez si cela a marché : avec certains, oui…
Vous avez été élevée dans une famille de militaires où les choses étaient extrêmement non pas cadenassées mais sériées ?
Pas du tout. J’ai eu cette chance d’avoir été élevée par un père qui était officier de cavalerie, mais qui était l’homme le plus libre d’esprit, le plus indépendant d’esprit, le plus humaniste qui soit. Donc cette légende de croire que quelqu’un qui a été élevé par un officier de cavalerie va l’être à la schlague, deux par deux, en rang et pas un bruit, c’est tellement la folie que je ne sais pas de quoi on parle.
Parfois, il vous arrive même de vous emporter dans un taxi.
Un taxi, c’est comme le marchand de légumes ou le policier ou n’importe quoi.
À la différence que dans un taxi l’espace est confiné.
Oui, on peut déplaire à un chauffeur de taxi. Je me rappelle, c’est parce que je sifflais et qu’il ne faut pas siffler soi-disant. Encore pire une femme qui siffle dans un taxi, il m’a dit « C’est pas joli-joli ». Et j’ai dit « Je m’en fiche ». Alors il m’a dit « Descendez de mon taxi » !
C’est pas vrai !
Et j’ai répliqué : « Venez me chercher ». Et comme vous l’avez fait remarquer, j’avais des chaussures à talon haut et je disais « Essayez »… Donc on s’est battus !
(NdA) Fanny Ardant tend alors ses longues et magnifiques jambes vers moi en lançant des grands coups d’escarpin dans le vide.
Finalement, c’est ce qui est bien avec les êtres humains. On peut créer un lien même dans la colère.
Vous êtes bagarreuse. Vous êtes-vous déjà battue pour de vrai avec autre chose que des mots ?
Oui, j’ai donné des coups de sac, j’ai donné des coups de parapluie et j’ai donné des claques.
Et en tant que Fanny Ardant, grande comédienne reconnue ?
Je ne peux pas le dissocier. Je suis moi, je suis Fanny. Je me suis trouvée dans des situations où il fallait que je me batte, sinon cela voulait dire m’écraser et dire « oui monsieur ».
Oui. Dans un parking ou dans une file d’attente pour les taxis.
À coups de parapluie…
Avec ce que j’avais sous la main. Et j’attendais le coup qui allait m’abattre et tomber sur le macadam, mais cela n’est pas arrivé.
Et c’est lui qui a pris.
Vous savez, je trouve que le cinéma montre toujours des bagarres extrêmement réglées, ping pang poum ! Cela n’existe pas.
Comment cela se passe-t-il en vrai ?
C’est très brouillon, très maladroit, et finalement ridicule.
Et vous avez mis un point d’honneur à soigner le son dans les bagarres de votre film. Cela faisait des « bong », bien mats, bien sourds, étouffés mais fermes.
Oui, la peau contre la peau.
Vous dites cela avec un petit sourire de jouissance.
Non, quand même pas. Mes acteurs n’étaient pas des tueurs.
En préparant cet entretien, j’ai lu beaucoup de choses sur vous et il y a quelque chose qui m’a frappé : vous aimez des choses que les gens habituellement n’aiment pas.
C’est-à-dire ?
Il arrive parfois qu’on n’aime pas ce que les gens aiment, mais vous c’est l’inverse, vous aimez des choses que les gens n’aiment pas. Par exemple, vous n’aimez pas les voyages. Vous dites : « J’ai Venise en horreur, Istanbul l’enfer, Calcutta un cauchemar, la verte campagne française quel mortel ennui, et le Sud en été quelle calamité ce soleil ! ».
J’ai eu cette chance de pouvoir voyager à travers mon métier. Je n’aime pas le tourisme, je n’aime pas acheter un ticket pour pouvoir partir. Mais je peux dire cela parce que j’ai eu cette chance de voyager. Mais je n’aime pas les voyages.
L’arrogance, vous aimez.
Oui. Parce que c’est une forme d’insolence, et qu’on prend un risque inouï d’être arrogant.
Vous pensez vraiment ce que vous dites ?
Oui.
Je me méfie. Parce que vous dites également : « J’adore mentir, surtout mentir pour rien, pour le plaisir ».
Exactement.
Vous aimez le mensonge.
Oui, je déteste ce mot à la mode, « la transparence »… Non, on est un être humain. Le mensonge, pas pour les choses qu’on croit, je n’ai jamais menti sur ce que je crois, mais j’ai menti sur ce que je suis.
Sur quoi avez-vous menti, par exemple ?
Non, trouvez-le !
J’ai trouvé. Vous racontez que vous avez menti à la douane.
Vous êtes fou ! (Rires)
Vous avez dit que vous avez menti sur la petite carte qu’on remplit dans l’avion avant d’atterrir.
Oui. Je me suis inventé des métiers. Une seule vie, ce n’est pas assez. Je me souviens, avant d’avoir des enfants, je disais que j’avais trois enfants, et finalement j’en ai eu trois. Donc, finalement, je n’ai pas menti…
Quels métiers vous indiquiez ?
J’ai beaucoup mis « romancière », « police des polices »…
Je le révèle aux auditeurs : Fanny Ardant a fait croire à ses amis pendant très longtemps que c’était son papa qui était le petit bébé dans le landau du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein…
Oui.
Les dates coïncidaient ou vous vous en foutiez ?
J’attendais qu’on me dise « ça va pas ! », et comme cela n’arrivait jamais… C’était une façon de tout réconcilier : mon père que j’adorais et ce film que je trouvais un chef-d’œuvre.
Et vous avez laissé écrire dans la presse que vous aviez fait de la figuration dans Ben-Hur.
Oui !!
Un autre verbe que vous voyez comme un plaisir, et qui pour la plupart des gens est un déplaisir, c’est « se tromper ». En quoi est-ce agréable ?
Je crois que ce qui fait la richesse d’un être humain, c’est sa contradiction. On a pu s’engager sur une voie, et je vais très loin, même la voie politique, même la voie religieuse. Tout d’un coup, parce que je sais que la richesse d’un être humain est d’autres choses, d’autres mixtures qui font partie de lui. Alors on se dit « je me suis trompée ».
Autre chose que les gens détestent dans la doxa contemporaine, c’est l’adultère et la tromperie. Et là, vous dites : « Être trompé, ce n’est pas grave ».
Oui.
Vous-même, êtes-vous infidèle ? Vous pouvez le dire puisque ce n’est pas grave.
Oui. Je pense qu’il y a les choses inéluctables, les choses irrésistibles. Et s’il faut être malheureux toute sa vie parce qu’on a juré d’être fidèle, non. Il faut être fidèle parce que c’est une joie, un cadeau, une offrande, mais pas pour se fustiger en disant « t’as vu comme j’étais fidèle ? ». Si c’est pour empoisonner un couple, ma che ! Souvent l’infidélité donne des vitamines dans un couple, parce qu’on est allé ailleurs. Je n’ai pas dit que cela ne me faisait pas souffrir, mais voilà, c’est la vie ! La vie avec tout ce qu’elle apporte… Si on pense que dans l’histoire d’amour la seule chose qui finit une histoire c’est l’infidélité, alors ce n’était pas de l’amour…
Comment réagissez-vous justement face à un homme qui vous trompe ?
Je me dis que j’ai eu raison parce qu’il plaît à d’autres femmes.
Ce qui fait le plus souffrir, c’est qu’il vous trompe ou c’est de l’apprendre ?
Je ne le sais jamais, je ne l’ai jamais su.
Et eux, ils le savent quand vous le faites ?
Je ne sais pas !
Je vais vous poser une question philosophique du même ordre. Un arbre qui s’écroule dans la forêt vierge en Amazonie, fait-il du bruit parce que cela produit effectivement du son ou est-ce qu’il ne fait pas de bruit parce qu’il n’y a personne pour l’entendre ?
Il ne fait pas de bruit parce qu’il n’y a personne pour l’entendre.
Donc si personne ne le sait, il n’y a pas d’infidélité.
Oui. Voilà ! Vous avez dit la chose. L’infidélité finalement, c’est une brûlure sociale. On souffre plus du qu’en-dira-t-on que de cette chose. Donc, si c’est clandestin, c’est entre vous et vous.
Sans aucun rapport avec ce qui précède (quoique), pourquoi n’achetez-vous jamais la presse ? Je trouve cela assez étrange pour quelqu’un qui a fait Sciences-Po.
Quand je lis un journal (quelquefois je le lis dans les avions), je lis tout. Cela me prend un temps fou.
Vous ne lisez pas la chronique échecs quand même ?
Si ! Les petites annonces, les publicités, tout !
Est-il vrai que votre père officier a été gouverneur du Palais de Monaco ?
Oui.
Vous alliez au bal avec Caroline ?
Au bal, non, pas tant que cela, mais bon… on marchait sur les routes du petit rocher de Monaco.
Est-il vrai que votre père avait les yeux jaunes et que vous pensiez que c’était son uniforme militaire qui avait déteint ?
Oui.
Vous l’avez cru combien de temps ?
Longtemps. Toute ma famille a les yeux bleus, sauf moi. Et mon père avait les yeux jaunes. Donc je me suis dit qu’il devait avoir les yeux comme moi, et à force d’avoir porté cet uniforme, tout a déteint.
Est-il vrai que vous avez travaillé au club Playboy en Angleterre ?
Oui.
Et vous prétendez que vous n’avez pas été jugée assez belle pour être Bunny girl, alors on vous a affectée au classement des enveloppes ?
Vrai. Mais c’était bien.
Mais si vous n’étiez pas assez belle pour être Bunny girl, comment étaient les Bunny girls ?
Trop maigre, pas assez de poitrine, pas assez de trucs comme ça… Peut-être aussi une sorte d’arrogance, je n’étais pas prête à porter les petites oreilles qui bougeaient.
Les petites oreilles de lapin ?
Oui.
Vous le regrettez ?
Non.