Hugues Aufray
28 août 2009
PV : Hugues Aufray, 80 ans, 50 ans de métier, avec des tubes comme Santiano, Céline ou Stewball. Vous dites : « Ma voix s’améliore avec les années ». Est-ce une boutade ou vous le pensez ?
Je le pense vraiment. Je vous explique pourquoi. Je suis gaucher, et les gauchers font tout à l’envers. Donc j’ai commencé par être mauvais et je finirai par être bon.
Vous avez dit un jour : « Je bois avec modération, mais peut-être aurais-je dû boire plus pour écrire mieux ».
Oui, je manque un peu de folie pour faire le métier d’artiste. Le public s’intéresse beaucoup aux gens qui sortent de l’ordinaire. Moi, d’une certaine manière, ce que j’ai d’extraordinaire, c’est que je suis presque parfait.
Et modeste !
Je plaisante, bien sûr ! Je veux dire que je suis peut-être trop raisonnable.
Vous n’avez pas pu chanter la chanson Céline dans l’émission « Hommage à Céline Dion ». Or Céline Dion s’appelle Céline justement parce que sa maman adorait cette chanson.
Non, je n’ai pas été invité tout simplement (même si j’ai été invité par Michel Drucker une autre fois).
Comment expliquez-vous cela ?
Il y a des oublis et il y a certainement des complots, des gens qui ne vous aiment pas.
Et les Enfoirés ? Pourquoi n’êtes-vous pas dans la bande des Enfoirés ?
Il faut leur demander. Le principal n’est pas de savoir si Aufray a chanté aux Enfoirés. C’est de savoir si, grâce aux Enfoirés, il y a des gens qui mangent. C’est ce qui compte. Le reste n’est pas important.
Vous êtes l’un des rares artistes français qui défendent la Star Academy.
Bien sûr !
Pour quelle raison ?
Parce que je ne vois pas pourquoi on attaque des gens qui font un travail. Presque tous les artistes que je connais sont issus d’un concours, que ce soit Françoise Hardy, Richard Anthony, Dalida jadis, etc.
Vous-même !
Moi-même.
Vous avez gagné un concours en 1961, avec la chanson d’un inconnu…
Il n’était pas connu à l’époque.
Non, il ne l’était pas. La vie est un concours, un concours de circonstances. Interrogez le spermatozoïde qui est à l’origine de votre existence, s’il ne s’est pas battu pour y arriver.
Vous venez de sortir New Yorker. C’est un disque de chansons de Bob Dylan. Pourquoi ces reprises en français ?
C’est un hommage. Bob Dylan a marqué cette fin du XXe siècle. Pour moi, le seul chanteur authentique d’avant-garde actuellement. Il est devant tous, par son modernisme, son honnêteté et sa force d’écriture. Je l’ai découvert en 1961, j’ai été un des tout premiers au monde. J’ai traduit ses chansons alors que je parlais à peine l’anglais, je ne comprenais même pas ce qu’il disait.
En 1961, je comprends, faire découvrir Dylan, mais pourquoi en 2009 ?
Parce que les jeunes ne le connaissent pas ! Ils connaissent le nom, mais pas lui ! Il faut savoir que Bob Dylan dans le monde est une énorme vedette. C’est l’homme qui fait le plus grand nombre de galas depuis vingt ans. Mais en France, il est complètement sous-produit, sous-estimé pour une raison très simple : il ne donne pas d’interview, et ça, les journalistes ne le lui pardonnent pas – les journalistes français, bien entendu.
C’est un album de reprises, et de duos. Je ne vais pas tous les énumérer ici. Citons Eddy Mitchell, Jane Birkin, Francis Cabrel, Johnny Hallyday. Et je n’oublie pas de parler de Carla Bruni. Vous l’avez facilement convaincue ?
Vous avez bien fait de la placer à part. Le jour où Ingrid Betancourt était reçue à l’Élysée, j’étais invité moi-même. Le président me demande ce que je préparais pour la rentrée, je réponds : un disque hommage à Bob Dylan en duos. À ce moment-là, Carla Bruni est arrivée. Elle a entendu « hommage », « Dylan » et « duos », et m’a dit « Hugues, je veux chanter avec toi (elle m’a tutoyé) Don’t Think Twice et It’s All Right en do majeur. J’ai dit « cochon qui s’en dédit », elle m’a tapé dans la main et elle est venue en studio.
Et le président Sarkozy était content quand il a entendu le résultat ?
Il est même venu à l’enregistrement. Il m’a dit : « Mon Dieu, comme elle est belle quand elle chante ! » Et il avait raison.
Est-il vrai que vous êtes toujours en jeans ? Aujourd’hui, vous êtes en jeans, mais est-il vrai que vous l’êtes toujours ?
Oui, c’est le costume qui me convient le mieux. Il ne vous situe pas socialement. C’est un costume d’ouvrier à l’origine, il ne faut pas l’oublier. J’ai réussi à l’imposer parce que j’ai quand même été exclu du Fouquet’s et d’une émission de télévision au Canada parce que je portais des jeans.
On vous a viré du Fouquet’s pour ça ? En quelle année ?
En 1972, j’ai été viré du Fouquet’s parce que j’étais habillé avec blouson et pantalon de jeans.
Est-il vrai que vous avez failli faire du cinéma avec Brigitte Bardot mais que vous vous êtes fait piquer le rôle par Samy Frey ?
J’ai fait du cinéma avec Brigitte Bardot, mais j’ai quitté le plateau au bout de trois jours parce que je ne supportais pas le comportement du metteur en scène (Clouzot) qui était d’une très grande brutalité verbale – pour ne pas dire d’une très grande vulgarité – avec moi. Je débutais. Il paraît que c’était sa méthode pour faire ressortir soi-disant le meilleur du comédien, cela n’a pas marché avec moi. Et grâce à lui, j’ai conçu une haine pour le métier de comédien. Je n’avais pas cette nature et je n’ai jamais fait de cinéma à cause de lui. Je suis rentré chez moi, j’ai dit à ma femme : « On arrête, je ne suis pas fait pour ce métier de comédien ». Trois jours après, Samy Frey, qui était à l’époque une sorte de beau-frère puisqu’il vivait avec ma petite sœur Pascale Audret, est allé tourner avec Bardot. Le lendemain il avait changé de lit…
À propos de femmes, est-il vrai que vous revendiquez la polygamie ?
Non ! C’est encore une légende. Je dis simplement que le sexe masculin est programmé d’une façon différente du sexe féminin, et le mâle a tendance à se disperser.
Vous avez tendance à vous disperser ?
Comme tous les chanteurs en tournée, on se balade. Je dis tous les chanteurs, mais les hommes politiques, les hommes d’affaires, tout le monde.
Votre femme ou votre petite amie vous écoute. Est-elle au courant de vos déclarations ?
Je suis très fidèle. Toutes vos questions sont tellement importantes qu’il faudrait encore beaucoup plus de temps pour y répondre sérieusement.