Jean-Louis Murat
29 septembre 2009
PV : Bonjour, Jean-Louis Murat. Vous sortez un nouveau CD avec un titre assez beau (quand on arrive à le lire) : Le cours ordinaire des choses (les mots sont un peu effacés). Sur la pochette, on vous retrouve barbu, poivre-et-sel, le regard à la fois profond et ailleurs, et je me suis dit « On dirait Saddam Hussein retrouvé dans sa cachette ». Est-ce que vous l’avez fait exprès ?
C’est plutôt révélateur sur vous-même de penser à ce rapprochement malheureux. Êtes-vous sûr de ça ? Saddam Hussein dans sa cachette ? Non, je préfère le Suaire de Turin par exemple…, ce qui est beaucoup plus agréable.
Vous chantez dans un texte : « Voilà ma pauvre chanson, l’occasion fait le larron, au reposoir francisé, il reste que dalle à chanter ». Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est quoi le « reposoir francisé » ?
On a passé les 50 % de retraités, la moyenne d’âge du Français est assez terrifiante, ou de l’Européen. L’Europe est un mouroir, et l’Europe est un reposoir, tout à fait.
Pourquoi dites-vous à la suite de ça : « Il reste que dalle à chanter » ?
J’ai l’impression que l’espèce de surface exploitable de mots ou d’expressions d’idées ou de choses un peu subversives ou un peu dérangeantes ou un peu immorales se restreint. Il y a une sorte de fonction policière, notamment des médias, qui pousse à être correct. C’est vrai que tout cela, on le ressent nous-mêmes en écrivant les chansons. Il y a une sorte d’autocensure qui est difficile à estimer et qui fait que des fois on aimerait chanter dans une autre langue.
Avez-vous suivi la polémique de la chanson du rappeur OrelSan ? La chanson qui s’appelait « Sale Pute » ?
C’est le mec qui veut crever le ventre des filles enceintes à l’Opinel ?
Oui, parce qu’elle l’avait quitté. Il prétend que c’est un personnage qui parle.
Il peut dire n’importe quoi. C’est un con, c’est un con. On se retrouve face à une connerie, on est même sidéré qu’on puisse lui ouvrir une porte de studio pour enregistrer des absurdités pareilles. Il ne faut pas confondre la connerie grasse et la liberté d’expression.
J’ai remarqué quelque chose. Vous savez, quand on tape des noms sur Internet, il y a ce qu’on appelle des occurrences. Arrivent certains mots qui suivent tout de suite le nom. Ce qui suit parfois votre nom, c’est « Jean-Louis Murat déteste ». Vous semblez avoir beaucoup d’objets de détestation. Est-ce vrai que vous détestez la poésie d’Aragon ?
Non, j’aime beaucoup. Le Roman inachevé est quelque chose que je parcours quasiment quotidiennement. Il ne faut pas prendre pour argent comptant ce qu’on peut dire dans les médias. Souvent c’est un jeu. Moi, je m’amuse à dire le contraire de ce que je pense pour démentir après. C’est un jeu, c’est insensé. Pour chaque album, je donne quarante-cinq interviews de trois quarts d’heure. Brassens donnait une interview tous les deux ans. J’aurais bien aimé entendre Brassens quarante-cinq fois trois quarts d’heure par an.
Cela vous sert ou cela vous dessert, ces interviews ?
Cela dessert, mais c’est comme ça, cela fait partie du…
Qu’est-ce qui se passe si on ne le fait pas ?
On ne vend pas de disque et on prend un job de cantonnier en Auvergne.
Est-ce vrai que vous voulez bien aller à Taratata, l’émission musicale de France 2, mais que vous ne voulez plus faire l’interview ?
La dernière fois que j’y suis allé, cela s’est encore mal passé avec ce cher Nagui, il a effacé ma séquence et ne l’a jamais diffusée.
Vraiment ?
Depuis, je suis interdit sur le service public.
Vous regardez ce que vous faites, les interviews, ou vous vous en foutez ?
Jamais. Je ne lis pas les interviews. Pourtant, je devrais le faire. Je traite tout cela avec finalement un assez grand mépris des médias. Je ne peux pas passer ma vie en interviews à sortir du Du Bellay ou à réfléchir comme Montaigne, cela ne passe absolument pas. Alors, je fais le con.
Vous aidez les mecs du zapping à dégotter des séquences pour le lendemain.
Voilà. Cela a commencé comme ça dans les années 1990, au début du zapping. J’ai dit au patron de ma maison de disques que je ne voulais pas faire de télé. Il a refusé, j’ai négocié : « OK, mais à une condition, si je passe au zapping, cela m’en fait une en moins ». Il a accepté. Et tout s’est enchaîné comme ça… Chaque passage au zapping m’enlevait une émission de télé.
Wow !
Et donc à la fin, sur chaque album, je donnais deux émissions de télé en essayant de fournir quatre passages de zapping, si les quatre passages de zapping passaient deux fois, cela me faisait huit émissions de télé en moins à faire, et donc je suis parti dans ce système à la con. Ce n’est vraiment pas admirable, c’est même assez minable comme système. Mais je n’ai pas trouvé mieux. Je suis désolé. Une interview propre, sans dérapage, n’intéresse personne. J’ai encore essayé au début de la promo sur cet album. J’ai donné deux interviews par écrit. J’ai tenté le coup. Première interview, extrêmement sage, de La Boétie carrément, les réponses formidables, épatantes : pas un seul écho. Deuxième interview, j’ai dit « d’accord, c’est ce qu’on va voir », on m’interroge sur la grippe A et Renaud je réponds que pour la grippe A, il y a le vaccin et pour Renaud, il y a l’euthanasie. Et là, yahoo ! Connexions ! 10 000 par jour ! Insultes ! Agitation ! Formidable, formidable, formidable ! La maison de disques : « Bravo ! On fait le buzz, les gens savent que tu sors un disque… »
Est-il vrai qu’une fois vous aviez accepté l’émission de Stéphane Bern sur Canal+ parce que sinon votre tournée n’était pas financée ?
Oui, cela m’est arrivé, bien sûr ! Le tourneur et la maison de disques doivent promotionner la tournée, qu’on puisse reprendre cette information dans les médias, notamment avec le Net, comme s’il y avait l’écho du tambour. L’écho du tambour maintenant, c’est Internet. Or on ne peut pas rester dans la louange sur Internet. Les détracteurs y sont les rois, donc cela ne sert à rien de chercher la louange. Ce qui importe, c’est de faire passer l’information et de donner des os à ronger aux détracteurs. C’est un peu ma façon vicieuse de voir ce monde de la communication qu’évidemment je déteste. Je ne joue absolument pas le jeu. Je sais que cela me dessert, mais mon passage sur Terre à faire les disques, l’obligation que je sens pour moi, ce n’est pas d’être clean dans la communication. Je fais une communication dégoûtante, une communication des poubelles. Je sais bien pour moi-même que ma vérité dans mes chansons est ma stricte vérité, quand je chante, bien sûr.
Est-ce que vous vous plantez parfois ? Est-ce que parfois vous prenez un rendez-vous avec un média (presse, radio, ou télé) et vous n’y allez pas ?
Oui, cela m’arrive. C’est le genre de trucs qui ne me dérange pas. Cela rend fous les gens de ma maison de disques, ou mes managers. Mais si une heure avant je n’ai pas envie, je dis « non, je ne le sens pas, je n’y vais pas ».
Et là vous aviez envie.
Oui. Déjà, je n’avais plus une thune et je n’avais pas pris mon p’tit déj’, or la maison de disques paie le p’tit déj’. Je me suis dit « il faut que je me dépêche, on va me payer un petit déj’ », ce qui a été le cas.