Daniel Vaillant
6 octobre 2009
PV : Daniel Vaillant, bonjour. Vous êtes ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement Jospin, député-maire PS du 18e arrondissement de Paris, vous êtes resté un proche de Lionel Jospin, qui est désormais simple militant socialiste dans votre secteur (on en reparlera), et vous avez une actualité énorme, car du 7 au 11 octobre, c’est la fête des vendanges de Montmartre. C’est la 76e édition. Au menu cette année : Charles Aznavour et la chanteuse Anaïs. Anaïs habite le quartier (je suis parfaitement renseigné), mais Aznavour habite en Suisse, vous n’auriez pas pu trouver un meilleur symbole ?
Charles Aznavour est venu me voir en 1998. Je ne le connaissais pas. J’étais aux relations avec le Parlement et il m’a dit : « Voilà, je suis très triste parce que l’immeuble des Trois Baudets est fermé après avoir été un sex-shop. C’est un immeuble de la Ville de Paris, vous ne pouvez pas faire quelque chose ? »
Pour ceux qui ne connaissent pas, qu’est-ce que les Trois Baudets ?
Les Trois Baudets était un cabaret qui a existé entre 47 et 67. À l’époque de Jacques Canetti, c’est là où ont démarré des Guy Béart, des Brassens, des Devos, des Brel, des Juliette Gréco – bref, c’est mythique. Et j’ai trouvé que c’était une très mauvaise idée d’avoir fermé ce lieu et une très bonne de le faire rouvrir. Cela a été difficile, long. J’en ai parlé à Tiberi qui manifestement n’était pas sensible. Et quand Delanoë en 2001 a préparé sa campagne, je lui ai dit qu’il fallait inscrire dans le programme la résurrection des Trois Baudets.
Bravo, mais quand vous étiez avec Aznavour, pourquoi ne lui avez-vous pas dit : « Monsieur Aznavour, vous ne pourriez pas venir en France payer vos impôts ici chez nous ? »
En 1998, je n’ai pas osé.
Fallait oser en 1999 !
Cela ne me viendrait pas à l’idée. Écoutez, il a accepté d’être le parrain, il a fait un gentil billet dans le Journal des vendanges, et c’est quand même un grand de la chanson française.
Qui dit vendanges, dit vin. La cueillette a eu lieu le 11 septembre (funeste présage). Est-ce que vous avez goûté le vin de l’an dernier ?
Oui. Je dois dire que c’est plutôt un bon millésime. Moi qui suis maire depuis 1995, je me tape chaque cuvée pour goûter ! C’est un grand vin de petite montagne, élevé au coteau nord. Je ne vais pas vous dire…
Parce que cela a l’air de piquer…
Ce n’est pas vrai, il ne pique pas !
Attendez, il y a le mot de l’œnologue, j’ai relevé cela : « La cuvée 2008 les Trois Baudets décidément sera la bien nommée, car voici en effet un vin de guinguette, un vin de cabaret ». Cela sent la fin de soirée qui pique…
« Le nez plutôt pointu révèle des arômes de petits fruits rouges frais écrasés, l’attaque en bouche vive. » Très guinguette…
Disons qu’il vaut mieux casser une petite croûte avec, quoi. Mais vous savez, tous les gens qui l’achètent le gardent souvent. C’est difficile d’ouvrir du vin de Montmartre. Je le constate moi-même. J’en ai quelques bouteilles et si on l’ouvre, on ne l’a plus. Donc c’est un peu le problème de ces vins qui sont quand même à vocation sociale.
En gros, vous avez le même problème que Petrus. Les gens l’achètent mais n’osent pas le boire…
Oui, c’est un peu ça.
Vous êtes très bien implanté à la Goutte-d’Or, c’est votre quartier.
Oui, j’y habite.
Vous aviez un laboratoire d’analyses médicales, c’est ça ?
Non, j’étais salarié dans un laboratoire d’analyses médicales.
Mais il n’était pas à vous.
Non. J’étais salarié dans un laboratoire, 68 boulevard Barbès, Laboratoire Civray Dupont (je peux le dire parce qu’ils ne sont plus là, donc je ne fais pas de pub).
En 1997, Bertrand Delanoë expliquait ainsi votre succès aux élections (qui ne s’est jamais démenti depuis) : « Il a piqué pas mal de fesses, c’est comme ça qu’il a appris puis conquis l’arrondissement ».
Ce n’était pas les fesses, c’était des veines, mais je peux dire que c’est vrai. Quand on est en même temps enraciné, reconnu pour son travail, en dehors des idées et des convictions politiques parce que les gens ont quand même voté pour moi parce que j’étais socialiste et authentiquement de gauche.
Vous avez été ministre des Relations avec le Parlement de 1997 à 2000, et surtout de 2000 à 2002, c’est-à-dire jusqu’au départ de Lionel Jospin de Matignon, vous avez été ministre de l’Intérieur. L’élection présidentielle pour laquelle Jospin n’a pas atteint le second tour s’est jouée sur l’insécurité, on s’en souvient. Un sondage plaçait ce thème comme première priorité des électeurs. Comment expliquez-vous que la gauche ait fait à ce point un déni de la réalité ?
La gauche a toujours eu un problème avec ces sujets. Moi, je pense qu’il n’y a pas de liberté individuelle et collective sans sécurité. Quand on a peur, on n’est pas libre. Pour moi, la police et la justice sont indispensables. Mais il y a tout ce qui se passe avant. Si on demande à la police de régler les problèmes de société, on va dans le mur, c’est ce qu’a fait Sarkozy.
Mais au sein du PS, après l’élection, quand vous avez revu vos camarades, vous leur avez dit quoi ? Vous leur avez dit : « Tu vois bien que j’avais raison » ?
Il y a des raisons multiples. Au moment de l’échec de Lionel Jospin en 2002, la campagne de la droite et de Jacques Chirac, notamment sur ce thème, était extrêmement déstabilisante. Je me souviens du truc sur les rave parties, etc.
Vous étiez pour autoriser les rave parties ?
Non, j’étais pour responsabiliser les organisateurs.
Non, mais j’ai vu des vidéos. C’est un peu effrayant. Quand on pique des bombonnes de peroxyde d’azote dans les cliniques pour vendre des bouffées dans des baudruches à 1 ou 2 euros l’inhalation… Cela fait beaucoup de mal aux méninges, ce genre de trucs. Après, on passe à d’autres choses, d’autres produits, sans parler du bruit et des décibels qui fracturent les oreilles internes de tous ces jeunes.
Pour vous donner raison, ce dimanche-là, les jeunes ne sont pas allés voter.
Un sondage montrait que 68 % des jeunes étaient pour ma réglementation. Quand on connaît la jeunesse, ce n’est pas une fraction de la jeunesse. J’ai une formule : « La gauche doit gouverner pour la masse, sans oublier les marges ; il faut qu’elle évite de gouverner pour les marges en oubliant la masse ».
Il faut que je la comprenne celle-là. On va reprendre du peroxyde d’azote… Plus sérieusement, est-il vrai que vous êtes pour le contrôle par l’État de la production et des importations de cannabis ?
J’ai évolué sur ce sujet. Dans la situation d’aujourd’hui, cela ne marche pas, il y a des trafics, il y a l’économie parallèle et les jeunes fument de plus en plus. C’est quand même un problème ! Et je me dis « ne faut-il pas comparer le cannabis à l’alcool et le réglementer de la même manière ? ». Puisque cela existe, ne vaut-il pas mieux traiter le cannabis comme l’alcool ? Je pense que c’est presque là où la différence est très faible. La cigarette ne crée pas le changement du comportement. L’alcool change le comportement, le cannabis aussi. J’avais osé cette évolution : ne faut-il pas, non pas légaliser le cannabis, mais ne pas l’interdire ? On sanctionne le tabac aujourd’hui à travers des taxes, etc. L’alcool aussi. Et je disais qu’il fallait sanctionner le comportement dangereux au volant. Il y a une grue devant votre studio, si le conducteur fume du cannabis, c’est peut-être un problème.
Le cannabis au volant est déjà sanctionné.
Oui, mais l’idée était de M. Raffarin qui avait dit : « Il faut légaliser le cannabis ». Vous vous souvenez ? Il l’avait envisagé.
Mais c’est à cause de son passé chez Jacques Vabre…
(Rires) Écoutez, le café, on ne va pas quand même l’apparenter à une drogue. Il est clair qu’il y a un problème. Il suffit d’écouter des spécialistes. Je me souviens d’avoir débattu de ces sujets avec M. Lowenstein, notamment. Je pense qu’il faut trouver des solutions et le mieux serait quand même d’avoir du cannabis de qualité, pas frelaté, et surtout pas des tonnes qui passent dans les banlieues et qui font les ravages qu’on connaît.
Si je m’attendais à ce qu’un ancien ministre de l’Intérieur milite pour du cannabis non frelaté…
… labellisé…
… labellisé, je ne l’aurais jamais cru.