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RAPPORT DE SURVEILLANCE

Paris, juillet 1990

De retour au bureau après quelques jours d’absence, la commissaire Andrée Renard était débordée. En matinée, elle avait assisté à plusieurs réunions pour se remettre en mémoire les cas qui faisaient l’objet d’une enquête. Elle s’était ensuite consacrée à la lecture des différents dossiers. Après le déjeuner, elle s’était installée de nouveau à son bureau pour trier l’avalanche de documents reçus par télécopieur. Comme c’était une tâche dont elle ne venait jamais à bout, une heure plus tard, elle consulta sa montre et se dit qu’elle reprendrait plus tard. Elle fit pivoter son fauteuil, appuya sur une touche du téléphone et dit à son assistant Marius :

— Faites entrer Arnaud Lupien, s’il vous plaît.

Elle ajusta le veston de son élégant tailleur, enleva ses lunettes, mit de l’ordre dans les dossiers éparpillés pêle-mêle sur son bureau et se leva pour aller à la rencontre du jeune inspecteur.

Lupien entra et lui serra la main.

— Vous avez fait bon voyage ?

— Oui, quelques jours de repos m’ont fait grand bien. Alors, vous avez des nouvelles sur les déplacements de Nadia et de Guerra ?

Lupien tira de la poche intérieure de son veston un carnet noir et se mit à en feuilleter les pages.

— Ah ! Voilà, dit-il enfin. Selon nos renseignements, quelques jours après les funérailles de sa mère, Nadia et Guerra ont pris un vol pour Tahiti. Les billets ont été achetés dans une agence de voyages de Paris, gracieuseté de Jean-Luc Verstraete.

— Celui que Georges Menskoï accusait d’être l’amant de sa femme.

— Tiens, dit Lupin. Je ne savais pas qu’il y avait un lien entre Nadia et cet homme.

— Je soupçonne que Verstraete s’est arrangé pour que Guerra et Nadia aient une liaison amoureuse.

— Il y a du nouveau. De retour de voyage, continua Lupien, Nadia et Guerra ont pris ensemble un petit appartement à Martigues.

— Ça complique un peu les choses s’ils ne vivent plus à Paris…

— Nadia et son frère ont vidé l’appartement de leurs parents et elle semble avoir quitté la ville pour de bon.

— Est-ce que vous avez d’autres détails ?

— Oui, nous venons tout juste d’apprendre que Nadia a été engagée par madame Chagall.

— Vous voulez dire qu’elle a pris la place de sa mère auprès de la veuve ?

— En effet, elle passe la semaine à la villa. Les week-ends, elle fait la navette entre Saint-Paul-de-Vence et Martigues.

— Vous ne trouvez pas ça un peu étrange, je dirais même morbide d’occuper le même poste que sa mère défunte ? C’est encore plus dingue que je ne l’imaginais. Mais quel serait l’intérêt ?

— C’est peut-être la seule prétendue « famille » qui lui reste, ou elle veut s’accrocher aux souvenirs de sa mère dans ce lieu. Nadia travaillait souvent avec elle à la villa lorsqu’elle finissait ses études. Quel autre métier pourrait-elle exercer ?

— Vous avez sans doute raison, Arnaud, mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Je ne comprends pas qu’elle se soit mise en ménage avec ce Guerra. Cet homme est un individu au passé douteux. Il a, soit dit en passant, un casier judiciaire long comme le bras. Il a été arrêté pour toutes sortes de méfaits : allant d’infractions mineures, de vol, de falsification, de fraude jusqu’à l’attaque d’un transporteur de fonds. Je crains pour la sécurité de Nadia.

— Est-ce qu’elle a porté plainte contre lui, commissaire ?

— Non, mais, disons que je me fie à mes instincts de femme. Enfin ! Seul l’avenir nous le dira. Laissons les choses suivre leur cours, mais tenez-moi au courant s’il y a du nouveau ou si Guerra se conduit de manière louche.

Arnaud Lupien salua sa supérieure et quitta le bureau. Dès qu’il fut parti, Andrée Renard s’installa de nouveau devant son ordinateur et nota dans le dossier de Nadia les derniers détails que l’inspecteur venait de lui fournir.