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LE BANQUET DES CORNEILLES

Avant de quitter Paris, Nadia et Serge s’étaient cloîtrés dans l’ancien appartement de leurs parents. Pendant deux jours, ils le vidèrent de son contenu et en firent le grand ménage, en commençant d’abord par la cuisine et le salon.

En soirée, Nadia, assise devant le miroir de la commode de sa mère, fouillait le petit meuble. Dans le tiroir à droite, elle trouva quelques objets ne correspondant en rien aux goûts de sa mère. C’étaient des babioles, des colifichets, des bijoux sans valeur. « Sans doute des cadeaux que lui offrait papa pour se faire pardonner », pensa-t-elle.

Dans celui de gauche, sa main effleura un petit sac de cosmétiques. Elle ouvrit la fermeture éclair et trouva les fards et les fonds de teint que sa mère utilisait pour cacher ses contusions et ses bleus. Entremêlée aux autres pots et aux tubes à moitié vides se trouvait une cordelette de cuir sur laquelle était suspendu un trousseau de clés.

Nadia entreprit de les comparer, une à une, à celles qu’elle avait dans la poche de son jean. D’abord, elle mit de côté les clés qui ouvraient les portes de l’appartement, sachant qu’elle ne remettrait plus jamais les pieds dans cet immeuble. Elle voulait se défaire de tous les objets susceptibles de raviver les mauvais souvenirs de la place. Mais, à l’anneau de métal pendait toujours une demi-douzaine de clés destinées à de petites serrures, comme celles que l’on trouve sur des coffrets de bois ou les tiroirs d’un bureau. Incertaine de ce qu’elle devait en faire, elle demanda à son frère s’il pouvait les identifier.

— Serge, est-ce que ces clés te disent quelque chose ?

— Non, tu devrais les mettre à la poubelle avec tout le reste.

— Tu ne veux pas les garder ?

— Pour quelle raison ?

— Je ne sais pas. Pour avoir un petit quelque chose de maman.

— Nadia, je ne veux rien garder du passé, sauf l’image de maman le matin lorsqu’elle nous préparait le petit-déjeuner et qu’elle nous couvrait d’attention et d’affection. Tu te souviens des airs de son coin de pays qu’elle fredonnait en travaillant ?

— C’était seulement le matin, puisque le soir, lorsqu’elle rentrait, elle devait se taire pour ne pas déranger notre père. Nous mangions sans dire un mot de peur de déclencher la tempête qui semblait toujours se profiler à l’horizon.

— Ces clés, tu les as trouvées où ?

— Cachées au fond d’un tiroir de sa commode.

— Maman, sans doute, ne voulait pas qu’il les trouve. Voyons si elles ouvrent quelques portes secrètes.

Le frère et la sœur se mirent à fouiller, sans succès, tous les coins du logis. Presque à bout d’idées et d’énergie, Nadia se souvint, tout à coup, d’un moment précis, lorsqu’elle passait les week-ends à la villa des Chagall. Nadia avait aidé sa mère à sortir des tapis de la maison pour les suspendre sur une des cordes à linge du jardin. Irène s’était penchée pour ramasser une tapette en rotin pour battre les tapis, découvrant le collier qu’elle portait autour du cou. Les clés pendaient au bout de leur cordelette et avaient tinté comme de jolies clochettes. D’un air inquiet, sa mère les avait vite recueillies d’une main pour les soustraire au regard et, à la hâte, avait enfoui le curieux collier sous sa chemise.

— Je viens de trouver, dit-elle à son frère. Ce sont des clés de la villa.

— Tu es certaine ?

— Je le saurai dès que je serai sur place.

— Allons, finissons ce que nous avons commencé. Je voudrais prendre la route avant la tombée de la nuit.