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Dès le lundi matin, en rentrant au travail, Nadia demanda à madame Valentina si elle pouvait aller dépoussiérer les ateliers.
— Oui, mais avec le plus grand soin. Je veux que ces lieux restent comme il les a laissés.
— Très bien, madame, je ne dérangerai rien.
Nadia se rendit d’abord dans l’atelier à dessins, sachant que personne ne viendrait l’épier. Charlotte ne quittait plus sa cuisine et Léon était dehors avec le chien Pasha, son inséparable compagnon. Il était occupé à entretenir les arbres fruitiers autour de la villa. La patronne, maintenant octogénaire, restait dans ses appartements, entretenant de longs monologues avec Chagall, son défunt mari.
Lorsque Nadia pénétra dans la pièce encombrée, pleine de soleil, une nappe de poussière d’or se mit à danser, soulevée par le courant d’air de la porte qu’elle venait d’ouvrir. La lumière naturelle inondait tout l’espace de travail. Pour y être venue souvent avec sa mère, l’endroit lui était familier. Elle perçut tout de suite une faible odeur de papier mêlée à celle de la térébenthine. Une longue table de bois rectangulaire, installée devant une large fenêtre, était entièrement dégagée. Les monticules de croquis et de dessins avaient tous disparu. Les pots placés à portée de main contenaient encore leurs pinceaux et leurs crayons de toutes tailles, leur donnant l’allure d’une famille de hérissons avec leurs piquants dressés. Sur un des coins perchait toujours la lampe articulée comme un héron.
Au centre du studio, plusieurs chevalets, de différentes tailles, telle une forêt d’arbres dénudés n’arboraient plus, comme par le passé, leurs feuilles de papier vivement colorées et tenues en place par de larges pinces.
Nadia pendit ses linges sur le dossier d’une chaise. Elle avança d’un pas hésitant et posa sa main machinalement sur le collier de clés qu’elle venait de sortir de son chandail. Devant les grandes armoires peintes en blanc, qui faisaient la longueur de la pièce, tout à l’opposé de la table de travail, elle saisit le trousseau et passa la cordelette au-dessus de sa tête pour enlever le collier. En tâtonnant, elle cherchait à trouver à quelle serrure pouvait correspondre chacune des clés. Une par une, elle trouva la bonne combinaison. Dès qu’elle eut réussi à ouvrir une première porte, elle sut que cette clé pouvait ouvrir tous les tiroirs d’une même armoire. Avec un crayon-feutre trouvé sur la table de l’artiste, elle marqua chaque clé d’un symbole bien visible.
Une fois les serrures à secrets d’une armoire décodées, elle vérifia en verrouillant et déverrouillant chaque tiroir et chaque porte pour s’assurer qu’elle avait bien identifié les clés.
Devant les portes closes, elle demeura pensive un moment.
« Comment sortir les dessins de la pièce, sans que j’aie l’air de quelqu’un qui fait des trucs louches ou sans avoir l’air coupable ? » pensa-t-elle. Elle n’avait pas encore trouvé la façon dont elle s’y prendrait pour voler les trésors. Elle décida de revenir, à intervalles irréguliers, au cours des prochaines semaines. Ses visites à l’atelier correspondraient avec la routine de ses tâches ménagères, sans engendrer la crainte d’une infraction et sans risquer de faire naître des soupçons à son égard. Ce délai lui donnerait amplement de temps pour tout ouvrir et scruter le contenu de chaque tiroir. De cette façon, ses allées et venues dans la maison et les studios n’éveilleraient ni inquiétude ni reproche susceptibles de compromettre son rôle d’employée digne de confiance.
Avant de quitter les lieux, elle ouvrit une fenêtre et s’activa à faire un peu de ménage, en prenant soin de secouer ses linges dehors, au cas où Léon s’interrogerait sur sa présence dans cette partie de la maison.
Tout à coup, elle fut envahie d’une sourde angoisse.
Consciente qu’elle s’était enfermée dans un piège sans issue, elle craignit de finir comme sa mère. Il fallait à tout prix qu’elle se défasse de Guerra, sinon, elle courait à sa perte.