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L’ENQUÊTE À REBOURS

En arrivant au bureau, Andrée Renard prit le temps d’avaler son petit-déjeuner et de contacter Xavier Brassard du Commissariat de police central de la gendarmerie de Nice-Foch, avant de réunir son équipe pour les mettre au courant des derniers développements.

L’inspecteur Brassard, comme elle, avait pris un congé. Sa journée avait été organisée dans les moindres détails et il n’appréciait pas un appel l’obligeant à remettre un dîner, annulé plus d’une fois auparavant.

La veille, il s’était rendu au marché pour faire minutieusement toutes ses courses. Il imaginait le ton intime du tête-à-tête avec sa nouvelle fiancée, les saveurs de chaque plat et le bouquet des bons vins qu’il servirait avec le repas, sur la terrasse de son appartement surplombant la mer.

Au moment de l’appel, il était dans l’état d’esprit d’un homme qui se promettait de savourer pleinement une journée de repos bien méritée et qui présageait une fin de soirée encore plus délicieuse.

L’appel lui parvint à 11 h 30, alors qu’il était en train de peler les pommes de terre et de laver les poireaux pour sa vichyssoise. « La tarte aux poires d’Anjou devra attendre », se dit-il, en reconnaissant la voix de Marius.

— Bonjour, Inspecteur Brassard ! Ne quittez pas, la commissaire Renard voudrait vous parler.

Au bout de la ligne, il entendit un déclic puis, après un moment, la voix bien connue de sa collègue.

— Il y a du nouveau dans le dossier de la bonne des Chagall, je crois que nous allons avoir besoin de vos services immédiatement.

— Mais, je croyais que depuis le décès d’Irène Menskoï, tout était rentré dans l’ordre, dit Xavier Brassard.

— Ce n’est pas du tout le cas. Nous surveillons depuis longtemps deux individus considérés comme suspects, sans trouver de preuves d’une affaire illicite. Mais ce matin, nous avons reçu un appel qui vient confirmer nos pires appréhensions. Je voudrais vous demander de commencer les démarches pour procéder à l’arrestation préventive de Nadia, la fille d’Irène Menskoï, tandis que nous allons mettre en état d’arrestation Verstraete puisqu’il habite Paris et Guerra qui se trouve à dix kilomètres de la ville.

— Je vous informe dès que nous aurons la jeune femme en détention, annonça la voix de Brassard dans le combiné, avant de raccrocher.

* * *

Après des mois d’enquête dans le plus grand secret, les policiers perquisitionnèrent chez Nadia à Martigues, dans les Bouches-du-Rhône. Ils y récupérèrent quatre œuvres, dont deux étaient des crucifixions. Elles les avaient cachées dans de vieux journaux et des sacs d’épicerie, derrière le frigo. Clément Toussaint, le chasseur de tableaux volés, venu sur les lieux pour identifier les œuvres, était hors de lui. Depuis le temps qu’il pratiquait ce métier, il avait l’habitude de retrouver des œuvres d’art de grande valeur, souvent en très mauvais état, cachées dans des endroits inimaginables.

Des souvenirs, des pires situations dont il avait eu connaissance, lui revinrent à l’esprit tout à coup. Certains vols dataient de plus de vingt ans. Dans la soirée du 23 septembre 1971, un garçon d’hôtel de vingt et un ans avait retiré des cimaises La lettre d’amour de Vermeer, au Palais des beaux-arts de Bruxelles. Au cours de sa visite des lieux, le voleur s’était enfermé dans la boîte des panneaux électriques de la salle d’exposition. À la fermeture du musée, il était sorti de sa cachette pour décrocher du mur le tableau choisi. En voulant se sauver par une fenêtre, il s’était rendu compte que le cadre était beaucoup trop grand pour passer par l’ouverture. Pris de panique, il avait essayé, sans succès, de sortir la toile du cadre. À bout de solutions, il avait maladroitement coupé la toile de son cadre avec un éplucheur de pommes de terre qu’il avait sur lui. Par la suite, il avait roulé la toile pour l’enfouir dans la ceinture de son pantalon, où elle allait subir encore plus de dégâts. Dans un premier temps, il l’avait cachée dans sa chambre. Plus tard, il décida de l’enterrer dans la forêt. Quand il se mit à pleuvoir, il serait allé, paraît-il, la déterrer pour la mettre dans une taie d’oreiller et la cacher sous le matelas de son lit, dans sa chambre, au café-restaurant de l’hôtel où il travaillait.

Une autre histoire d’horreur fut le vol en 1969 de la Nativité avec saint François et saint Laurent de Caravaggio. Toussaint classait ce vol au rang des plus célèbres du monde de l’art.

Le chef-d’œuvre, introuvable à ce jour, fut dérobé d’une chapelle de Palerme, en Italie. Selon des témoignages, le tableau fut subtilisé à la demande d’un acheteur privé. Pour en réduire les dimensions, la toile fut tailladée maladroitement au couteau et retirée de son cadre. L’acheteur, voyant l’état de la toile, aurait fait une crise de nerfs et, en larmes, aurait refusé de prendre l’œuvre. Les voleurs, sachant qu’ils n’avaient pas d’autres preneurs, la cachèrent dans une grange où des rats et des porcs l’auraient irrémédiablement endommagée. La rumeur voulait que l’œuvre ait été brûlée. Pourtant, le sort de la Nativité restait toujours un mystère entier.

Entre deux soupirs, Toussaint put facilement identifier les quatre gouaches comme des authentiques. Chacune était accompagnée d’un certificat du Comité Chagall, dont le président était Jean-Louis Prat. Toussaint connaissait bien cet homme. Prat, maintenant directeur de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, s’était donné comme mission de défendre le droit moral du peintre décédé. De plus, il s’était fixé comme objectif de traquer les faux. Ancien gendarme, il s’était servi des méthodes apprises à l’époque où il coiffait toujours le képi. Il fut crédité de plus de cinquante saisies. Il s’était même rendu jusqu’à New York afin de confondre des faussaires. En bref, il était le seul à confirmer la validité du certificat d’authenticité. Sans ce document, un Chagall était invendable.

Nadia fut embarquée. On l’avait d’abord informée de ses droits avant de la conduire au commissariat de police. Se rendant à l’évidence qu’elle ne parviendrait pas à s’en sortir, elle passa aux aveux et impliqua son frère dans les recels. Xavier Brassard enregistra son témoignage. Serge fut arrêté quelques heures plus tard, mais minimisa son implication dans toute l’affaire en disant :

— Je ne connaissais pas le contenu des colis que je devais livrer une fois par mois à Jean-Luc Verstraete. Je le faisais pour faire plaisir d’abord à ma mère et, plus tard, à ma sœur.

Nadia à son tour avoua :

— Oui, je sortais des œuvres de la villa dans ma valise, au moment de partir pour les week-ends. Mais je le faisais sous l’influence indue de Georges Guerra et j’avais très peur de lui. Si je voulais arrêter, il menaçait de me tuer, disant que je finirais comme ma mère. J’avais aussi peur de Yann. C’est lui qui a envoûté ma mère. Et Gigi s’est servi de moi en me faisant croire qu’il m’aimait. Et bêtement, je suis tombée dans le panneau.