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Paris, 16 octobre 1994
Quinze jours plus tard, en fin de journée, Yann sortait de son appartement du 72, quai André-Citroën, accompagné de son ami Raphaël quand les gendarmes déboulèrent dans le hall. Verstaete se mit alors à pleurnicher et à gémir en se débattant. Dans sa confusion, il avait pris les policiers pour les gros bras de Guerra. Il était persuadé que Gigi les avait envoyés pour le tabasser et lui « faire une grosse tête ».
Une fois la méprise passée, Verstaete, qui se faisait toujours appeler Yann, voulut tout de suite présenter ses excuses aux policiers.
— Je croyais que vous alliez me battre. On ne sait jamais avec Guerra, il me menaçait en laissant des messages sur mon répondeur et il a fait flamber ma voiture, parce que je ne voulais plus lui donner d’argent.
Yann fut emmené au commissariat pour interrogatoire. En route, il s’était mis à se plaindre d’un malaise cardiaque. Il fut d’abord conduit au service des urgences à Nanterre, de là promené de l’Hôtel-Dieu à l’hôpital Ambroise-Paré. Comme les services étaient débordés, on le ramena de nouveau à l’Hôtel-Dieu.
Deux jours plus tard, de son lit d’hôpital, à peine remis de ses émotions et de sa crise d’hystérie, l’ex-taupier expliqua en détail le système qu’il avait mis en place. Huit jours après son arrestation, il fut écroué. Dans son luxueux appartement, les policiers mirent la main sur les diapositives des œuvres dérobées et sur une somptueuse lithographie d’un Moïse.
L’aveu de ses méfaits entraîna une rafale de mises en examen, de contrôles judiciaires et d’incarcérations. Trois marchands de tableaux parisiens furent inculpés et durent échanger leur jolie boutique pour une cellule de prison. Yves Hémin, propriétaire de la galerie Marcel-Bernheim, Josée-Lyne Falcone, une experte respectée de la galerie Falcone-Carpentier et Denis Bloch, propriétaire de la galerie Denis-Bloch, furent tous les trois placés en garde à vue.
Le parquet avait déjà ouvert une information judiciaire à la suite de l’appel anonyme. Mais selon la loi sur la prescription du recel, en l’absence de plaintes pour la période allant de 1988 au 13 octobre 1991, et en vertu des restrictions de cette loi de trois ans, toutes les ventes — et il y en a eu — n’ont pu être prises en compte. Il fut impossible de déterminer le nombre exact d’œuvres volées au cours des années. Les autorités ne purent faire que des suppositions. Des douzaines de lithographies, et au moins une soixante de gouaches furent dérobées des armoires à plans de l’atelier dans la résidence de la veuve de Marc Chagall. Personne ne pouvait être tenu responsable des méfaits de la gouvernante Irène Menskoï, morte depuis bientôt quatre ans.
Par un hasard favorable, les policiers avaient découvert des traces de transactions effectuées par chèque, postérieures à cette date. La plus ancienne datait du 22 novembre 1991. Ce simple document fut la preuve tangible tant attendue pour résoudre cette affaire qui hantait les autorités depuis des années. L’Office central de répression de vols d’œuvres d’art arriva ainsi à mettre fin au trafic des gouaches volées.
Même l’avocat de la défense applaudissait le travail éblouissant fait par l’ensemble du service de trente policiers qui avaient réussi, en trois mois, à résoudre l’énigme.