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Paris, le 22 mai 2003
Dans la salle d’audience, la juge Arlette Maurier présidait. Les chroniqueurs judiciaires chargés de couvrir ce procès se demandaient comment Verstraete et les autres avaient pu évoluer avec autant de facilité dans le monde de l’art. Selon eux, Verstraete avait plutôt la tête d’un nigaud que d’un courtier d’art. En bref, le prévenu avait laissé entendre que c’était lui la vraie victime dans toute cette histoire, car il avait été manipulé par Josée-Lyne Falcone et Georges Guerra, son jeune amant ambitieux, qui avait été en fin de compte son mauvais génie.
À la barre des témoins, l’inculpé se défendait tant bien que mal.
— C’est mon ancien compagnon, Georges Guerra, qui m’a suggéré d’abord de me lier d’amitié avec Irène Menskoï. Mais après la mort de Chagall, il m’a incité à appeler les héritiers, en disant que j’étais courtier chez Gobbi. Il voulait que j’entre en contact directement avec Valentina. Quand je téléphonais à la villa, c’était toujours avec la bonne que je parlais puisqu’on se connaissait déjà. C’est elle qui me donnait les gouaches et les nombreuses lithographies. Elle disait que Valentina les lui avait confiées pour qu’elles soient toutes vendues. Depuis la mort de son mari, c’était le seul moyen que Vava avait d’obtenir de quoi vivre. Guerra se chargeait par la suite de les revendre à Josée-Lyne Falcone et aux autres prévenus. Je n’étais que l’intermédiaire. C’est Irène qui nous a tous bernés.
Toute cette histoire s’était déroulée sans obstacles et sans ennuis. Toutefois, l’affaire aurait pu éclater au grand jour, après le meurtre de la gouvernante par son mari qui ne pouvait supporter de voir sa femme s’éloigner.
— Comment expliquez-vous, monsieur Verstraete, la relation entre Nadia Menskoï et Georges Guerra ? demanda l’avocat de l’accusation.
— Ben, c’est lui qui a séduit Nadia en lui offrant des voyages, des bijoux et la promesse de mener la grande vie. Pour me garder dans le coup, il me faisait des menaces. C’est lui qui l’a convaincue de vider les tiroirs des studios. Je n’y étais pour rien. Nous avions tous peur de Guerra. C’est vraiment un sale type.
Selon Le Figaro, il parut stupéfiant que les autres prévenus aient pu considérer l’ancien taupier comme un intermédiaire réputé, distingué et raffiné. À cet égard, il existait des tas de professionnels dans les hautes sphères du monde de l’art qui ont été bafoués et escroqués par des personnages étranges et hauts en couleur. D’une part, au cours de leur carrière, ils ont été éblouis par l’étalage du train de vie de ces personnages ou plutôt envoûtés par l’attrait de l’argent facile. D’autre part, la raréfaction de bonnes pièces sur le marché les avait conduits à découvrir toutes les pistes susceptibles de les mener vers des sources d’approvisionnement, en oubliant au passage toute forme de prudence élémentaire.
* * *
Lorsque Verstraete fut interrogé sur le fait que les œuvres qu’il avait obtenues de la gouvernante avaient en fait été volées et qu’il les avait acceptées en toute connaissance de cause, le prévenu a continué de nier avec véhémence sa culpabilité. Il a rejeté carrément le blâme sur les épaules de la bonne et affirmé sous serment :
— Je n’aurais jamais consenti à de pareilles activités, si j’avais su que les œuvres avaient été volées. C’est Irène Menskoï qui me les avait offertes ou plutôt confiées pour être vendues. Ma participation dans toute cette histoire ne saurait justifier des sanctions pénales.
Plus tard, il est ressorti de ses déclarations que les véritables organisateurs du trafic avaient été Josée-Lyne Falcone et Georges Guerra, ancien amant de Verstraete. L’ancien taupier se déchargea de toute responsabilité en accusant et en rejetant la faute essentiellement sur tous ceux qui étaient absents du procès.
En terminant son témoignage, il essaya une fois de plus de se disculper en minimisant sa participation dans toute cette histoire. Avec son bagout habituel, il chercha notamment à convaincre l’auditoire de son innocence.
— Je ne suis pas un voleur. Je suis, au contraire, le protecteur des œuvres de Chagall. Toutes ces œuvres auraient pu être détruites par Valentina, affirma-t-il, cherchant par tous les moyens à s’innocenter.
Verstraete était devenu un bouffon héroï-comique, dont les journaux s’étaient nourris pendant toute la durée du procès. L’ex-taupier, voyant que sa déclaration n’avait pas produit l’effet escompté, ajouta une dernière énormité à son tissu de mensonges et de fabulations, en cherchant à se raccrocher désespérément à n’importe quoi pour blanchir sa réputation.
— Des témoins, ajouta-t-il, auraient vu Valentina mettre le feu à des tableaux. De cette façon, s’il y avait pénurie sur le marché, elle aurait pu vendre à gros prix et maintenir la cote du peintre.
Devant les questions de l’avocat, il s’est révélé incapable de citer un seul nom.
Dans les derniers jours du procès, qui avait duré quatre mois, Jean Luc Verstraete était seul à comparaître. En l’absence des autres accusés, il a bénéficié d’un non-lieu. Le parquet décida d’abandonner les poursuites.
Verstraete, l’ex-taupier, vexé par le peu d’attention que lui accordaient les médias, dira aux journalistes, à sa sortie du palais de justice :
— Décidément, si Irène était la dinde, il semblerait que je suis la farce.
Les enfants d’Irène, en échange de leurs aveux, n’eurent pas à comparaître comme témoins. La Cour décida qu’ils avaient été des tierces personnes, jouets des circonstances. Les recels avaient commencé alors qu’ils étaient mineurs et Nadia avait continué les vols sous l’influence indue de Georges Guerra. Elle et son frère furent considérés comme des victimes de machination et de manipulation.