Du côté de chez Freud

Freud meurt à Londres le 23 septembre 1939. La communauté analytique et tous ceux qui s’intéressent à la psychanalyse de près ou de loin ont commémoré le cinquantième anniversaire de la disparition du fondateur d’une véritable « révolution copernicienne » dans la compréhension de la vie psychique. Provocation, ignorance ou curiosité, la question ne manque pas de se poser : que reste-t-il de la psychanalyse cinquante ans après la mort du Père ? Votre maladie ou votre mal de vivre proviennent souvent d’un désir refoulé, d’un traumatisme enfantin, d’une excitation indicible. Dire n’est pas guérir. Mais la parole ouvre des voies par lesquelles votre malaise peut se transformer en connaissance, renaissance ou création. Au commencement n’était peut-être pas le Verbe, mais en faisant parler votre corps, vous avez une chance de résurrection psychique et physique.

Le « cas Dora », Anna O., le rêve d’Irma… Freud a beaucoup écouté les femmes. Il a fait des hystériques les complices de ses aventures à travers le labyrinthe du psychisme. On a trop dit qu’il les a « utilisées ». Plus exactement, il les a entendues et, même lorsqu’il n’a pas réussi à modifier leurs symptômes et leur personnalité, il les a toujours abordées avec ce respect qui considère que le malade est une personne.

Que la psychanalyse semble se retirer aujourd’hui de la scène médiatique, qu’on en parle moins ou qu’on ne lui demande pas une réponse aux crises politiques est peut-être plutôt une chance pour elle. Ce relatif recul accompagne les périodes de recherches, et les investigations ne manquent pas. Elles essaient de rendre plus subtiles, plus précises, les manières d’écouter les « patients difficiles », ceux qui souffrent de dépression ou de psychose, encore récemment inabordables par le « divan ». La collaboration entre le traitement pharmaceutique et la psycho­ thérapie ouvre des perspectives nouvelles.

La psychanalyse est-elle menacée ?

Oui, par la paresse mentale. « La pilule ou la parole », telle semble être aujourd’hui l’alternative pour beaucoup, et souvent on préfère confier ses angoisses à un comprimé (« Cela ira plus vite ») qu’à un long transfert avec un homme ou une femme (« Ça coûte cher, et ça risque d’être dangereux »). Un tel refus de se connaître accompagne nécessairement la crise religieuse, la « crise des valeurs » : à ­l’introspection on préfère la « performance », mais jusqu’à quand ?

Et si l’on opte pour l’analyse, comment choisir son analyste ? Il y a tant de charlatans…

L’inquiétude est d’autant plus légitime qu’elle ne trouve pas de réponse facile. Certes, les formations sérieuses et prolongées sont une garantie pour la qualité professionnelle des analystes. Mais Freud fut le premier à pratiquer ce « métier » comme une vocation, comme un art. L’éthique personnelle, la finesse psychologique, l’aptitude à nommer le malheur et le bonheur : qui peut les garantir ?

La solution ? S’informer, lire les travaux des uns et des autres, assister aux conférences et aux débats, garder sa liberté de jugement – quand on le peut – dans les premiers entretiens et tout au long de la cure. Ne jamais s’inféoder, apprendre à être autre, à mettre en cause les liens et les fusions. Après tout, un bon psychanalyste est quelqu’un qui vous accompagne dans vos amours et vos haines, qui vous débarrasse de vos symptômes, qui vous permet de découvrir ce que vous voulez au juste, et qui vous aide à vous débarrasser… de lui-même.

Il y a cinquante ans, Freud inventait une certaine expérience de la liberté. Nous sommes quelques-uns à parier qu’il est possible de la renouveler aujourd’hui.

Femme, n° 53, mars 1990.