Chapitre 6

Au cours des quelques jours qui suivirent, Merritt et Bowie s’installèrent dans une sorte de routine.

Ils se voyaient aux repas, bien sûr, et aussi le soir après le dîner. Bowie avait pris l’habitude de s’installer dans le salon avec M. Wilson et leur hôtesse, pour partager une partie d’échecs ou même pour nettoyer son arme tout en bavardant avec eux.

Bien qu’encore très perturbée par l’idée qu’Earl et Ruby avaient été assassinés, Merritt se sentait rassurée par la présence de Bowie chez elle, ainsi que par sa détermination à retrouver les assassins.

Elle était d’ailleurs convaincue qu’il y parviendrait.

Même si cela ne la réjouissait pas outre mesure, Bowie Cahill était avant tout un homme de loi. Et, pour autant qu’elle ait pu en juger, un homme de loi très compétent.

Ils passaient désormais beaucoup moins de temps ensemble qu’ils ne l’avaient fait pendant la période qui avait suivi sa blessure à la main. Merritt avait beau se dire que c’était sans doute préférable, elle n’en éprouvait pas moins du regret.

L’honnêteté l’obligeait à reconnaître que, sur le moment, elle ne s’était pas rendu compte des longues heures qu’ils avaient passées seuls tous les deux et que… Bowie lui manquait.

Sa présence et son aide aussi. Pourtant, sa main était pour ainsi dire guérie. Elle pouvait maintenant faire seule ce qui était nécessaire à l’entretien de la maison, mais…

Pendant la journée, elle vaquait donc à ses occupations — ménage, lessive, préparation des repas —, tâches auxquelles, depuis son installation à Cahill Crossing, elle avait jusqu’à présent consacré toute son énergie et toute son attention.

Or, ce n’était plus le cas. Loin de là.

Souvent, bien trop souvent à son goût, elle se surprenait à penser au séduisant shérif, à se demander ce qu’il était en train de faire à l’instant précis où elle pensait à lui.

Elle savait bien que lui, de son côté, s’investissait totalement dans son travail. Outre l’enquête qu’il menait concernant l’assassinat de ses parents, il se trouvait chaque jour confronté à des problèmes que, en tant que nouveau shérif de la ville, il lui incombait désormais de résoudre. Des problèmes très divers, parfois à la limite du dérisoire. Depuis sa création, Cahill Crossing n’avait encore eu à déplorer ni braquage de banque ni attaque de diligence. A part les exactions commises par les deux prisonniers qui attendaient leur jugement à Wolf Grove, Bowie avait surtout été sollicité pour mettre fin à des bagarres de saloon et débusquer des voleurs de poules. Une petite fille était même venue le voir, en larmes, pour lui demander son aide parce qu’elle avait perdu sa poupée !

Il avait raconté l’épisode à Merritt avec un sourire attendri, et conclu en reconnaissant qu’une grande partie de son travail consistait à connaître le mieux possible tous ces gens dont il était chargé d’assurer la sécurité.

Bref, des problèmes souvent futiles, parfois même risibles, qui contrastaient de manière drastique avec la gravité de l’enquête qu’il menait à titre personnel. Du moins bien sûr jusqu’à ce que son frère et sa belle-sœur reviennent de Dodge City.

Chaque soir, lorsqu’il rentrait dîner, Merritt l’interrogeait du regard, toujours pour lui poser la même question : avait-il appris quoi que ce soit de neuf à propos de Tobias Hobbs ou du meurtre de ses parents ?

Et chaque soir, hélas ! il secouait la tête en signe de dénégation.

Ils en étaient donc là lorsque Merritt trouva le message.

Une semaine après avoir échangé avec Bowie ses impressions concernant les révélations de Lefty, Merritt alla dans sa chambre pour refaire son lit. Surprise par l’atmosphère renfermée de la pièce, elle posa les draps propres sur sa commode et alla jusqu’à la fenêtre, qu’elle se souvenait pourtant avoir laissée ouverte le matin, avant d’aller préparer le petit déjeuner.

Alors qu’elle s’apprêtait à soulever le panneau coulissant, elle aperçut un morceau de papier coincé dans l’embrasure.

Elle le dégagea puis ouvrit la fenêtre. Une fraction de seconde lui suffit pour identifier l’auteur du message.

Saul Bream.

Depuis le jour où ses parents avaient recueilli le jeune orphelin, âgé d’à peine une dizaine d’années tandis qu’elle-même n’en avait encore que six, elle avait toujours considéré ce garçon comme son frère.

Fils d’une mère décédée peu après sa naissance et d’un père alcoolique qui le brutalisait, Saul était arrivé chez eux juste après la mort de ce dernier. Il était alors physiquement en piteux état et moralement très perturbé.

Son expérience de la vie l’avait rendu à la fois frondeur et très méfiant mais, malgré cela, Merritt et lui s’étaient tout de suite liés d’une amitié profonde et qu’on aurait pu croire indéfectible.

Or, Saul avait disparu un jour sans crier gare, et cela faisait maintenant près de deux ans que ni elle ni ses parents n’avaient eu de nouvelles de lui.

Merritt n’avait pas la moindre idée de ce qu’il avait pu devenir, et l’affection qu’elle continuait à lui porter se trouvait désormais mêlée d’inquiétude et de ressentiment. Elle ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir d’avoir ainsi disparu dans la nature du jour au lendemain, sans avoir rien confié de ses projets à celle qu’il disait pourtant considérer comme sa sœur.

Elle avait été terriblement déçue, bien sûr, mais pas vraiment surprise : Saul avait eu une adolescence un peu difficile, puis il s’était acoquiné avec les mauvais garçons de la région qui l’avaient assez vite entraîné dans des activités peu recommandables, au grand dam de ses parents adoptifs.

Elle parcourut le message d’un coup d’œil rapide : Saul voulait la retrouver ce soir à Triple Creek, une fois la nuit tombée.

Elle ne put réprimer un soupir de lassitude. S’il voulait la rencontrer en secret, cela ne pouvait signifier qu’une chose : une fois de plus, il avait des ennuis…

L’estomac noué par la nervosité, elle refit son lit, puis descendit dans la cuisine pour préparer le repas.

A son grand soulagement, Bowie ne rentra ni pour le déjeuner ni pour le dîner. Elle savait bien qu’elle se serait sentie encore plus nerveuse en sa présence, car elle aurait détesté devoir garder le silence au sujet du message de Saul.

Après que M. Wilson se fut assoupi dans le salon, elle gagna sa chambre et enfila une jupe d’équitation afin de pouvoir monter à cheval. Avant de quitter la maison elle repassa par la cuisine, le temps de réunir du pain, du fromage et des restes de jambon qu’elle enveloppa soigneusement dans un torchon propre.

Elle se rendit à l’écurie de louage où M. Wilson laissait sa jument en pension. Le jour où il était venu s’installer chez elle, le journaliste lui avait généreusement offert d’utiliser sa jument chaque fois qu’elle en aurait besoin. Jusqu’à présent, le cas ne s’était présenté qu’à deux reprises, mais cela lui avait permis de constater que la jument en question était douce et obéissante.

Elle atteignit rapidement Triple Creek, une clairière au nord de la ville qui devait son nom au fait qu’elle se trouvait à la jonction de trois cours d’eau. Elle arrêta sa monture à la lisière du bois et, ne voyant personne, sortit de sa poche son petit revolver.

— Merritt ?

Sursautant au son de la voix familière, elle vit alors se détacher du sous-bois la haute silhouette d’un cavalier entièrement vêtu de noir. Ce n’est que lorsqu’il s’avança dans l’espace dégagé éclairé par la lune qu’elle put distinguer les traits de Saul.

Il lui parut amaigri, le visage encore plus émacié que dans son souvenir.

— Tu es seul ? demanda-t-elle à voix basse en plissant les yeux pour scruter le sous-bois derrière lui.

— Oui.

Il mit pied à terre et s’approcha d’elle pour l’aider à faire de même. Elle remit alors dans la poche de sa jupe le revolver qu’elle avait apporté davantage pour sa tranquillité d’esprit que par défiance envers son demi-frère.

Elle fut heureuse et soulagée de constater qu’il ne sentait pas l’alcool ni la saleté, comme cela lui était hélas ! si souvent arrivé. Il lui parut même, en fait, s’être baigné très récemment.

Il la saisit par la taille pour la faire descendre de cheval et la serra un instant contre lui avant de la poser à terre.

— Comment vas-tu, petite sœur ? s’enquit-il en souriant, tirant sur sa natte avec le même geste affectueux qu’il avait toujours eu.

— Très bien, merci. Je t’ai apporté de la nourriture.

Elle sortit de sa sacoche de selle le paquet qu’elle lui avait préparé.

— Merci.

Il le lui prit des mains et alla le glisser dans la sacoche de sa propre selle tandis qu’elle suivait des yeux.

Ce n’est que lorsqu’il revint vers elle qu’elle s’aperçut qu’il boitait.

— Que t’est-il arrivé ?

— Je… je me suis blessé avec un couteau.

— Et tu ne crois pas que tu devrais voir un médecin ?

— Mais non, c’est déjà presque cicatrisé, la rassura-t-il avec un sourire sans toutefois parvenir à masquer l’anxiété que trahissait sa voix.

— Où étais-tu passé pendant ces deux ans, Saul ? Qu’est-ce que tu as fait pendant tout ce temps ? Et comment as-tu pu rester si longtemps sans nous donner de nouvelles, aux parents ou à moi ?

Il fouilla son regard un moment en silence.

— Tu te rappelles ce que tu m’as dit la dernière fois que tu m’as vu ? demanda-t-il enfin d’une voix sourde.

— « Tâche d’éviter les ennuis », dirent-ils tous les deux en même temps.

Elle avait passé des années à lui répéter cette phrase, encore et encore. Pourtant, il ne l’avait jamais écoutée.

Jusqu’à ses seize ans, tout s’était à peu près bien passé, avec des hauts et des bas, bien sûr, comme c’est presque toujours le cas avec les adolescents. Mais, après, les choses s’étaient gâtées et ses relations avec ses parents adoptifs s’étaient peu à peu détériorées. De tendues, elles étaient devenues houleuses. Jusqu’au jour où il avait disparu, sans prévenir qui que ce soit, et sans jamais donner de nouvelles depuis.

Il parut fixer un point invisible, quelque part derrière elle.

— Saul ?

— J’étais en prison.

Merritt ne put retenir un soupir las. Elle n’était même pas surprise ; il y avait si longtemps déjà qu’elle avait compris qu’elle devrait toujours s’attendre au pire avec lui… Malgré cela, elle s’obstinait à espérer, envers et contre tout, qu’un jour il finirait par changer.

— Pourquoi étais-tu en prison ?

— J’ai rejoint deux types qui préparaient un coup, une attaque de train, et… on s’est fait pincer.

— Oh ! Saul !

Il s’avança d’un pas, balayant d’un œil inquiet les bois alentour.

— Et ce n’est pas le pire.

Triturant nerveusement l’extrémité de sa natte, Merritt retint son souffle.

Plusieurs secondes s’écoulèrent. Comme il gardait le silence, elle le pressa de reprendre.

— Que s’est-il passé, Saul ?

— C’est toujours Hobbs, le shérif du coin ?

— Hobbs ? répéta-t-elle, interloquée. Qu’est-ce que Hobbs vient faire dans cette histoire ? Et, d’abord, comment le connais-tu ?

— Il est encore shérif, oui ou non ?

— Non. Un nouveau shérif a été élu il y a environ deux semaines.

— Tant mieux. Parce qu’il y a au moins une chose que je peux te dire, c’est que ce type ne mérite pas de représenter la loi.

— Pourquoi ?

Saul tourna vivement la tête sur le côté, l’air inquiet.

— Tu n’as rien entendu ?

Merritt écouta attentivement, mais n’entendit que le bruit de l’eau et celui du vent dans les arbres.

— Non, je n’entends rien. Mais revenons-en à Hobbs. Qu’est-ce qui te permet de dire qu’il ne mérite pas de représenter la loi ?

— Avant que je te réponde, il faut que tu me promettes une chose : de ne jamais dire à personne de qui tu tiens ce que je vais te dire.

— Voyons, Saul…

— Promets d’abord.

— Et si je refuse ?

— Si tu refuses, je ne pourrai rien te dire et… il faut vraiment que je te le dise. C’est très important. Crois-moi, Merritt, je t’en supplie.

Déstabilisée par l’expression torturée de son demi-frère, elle le dévisagea un instant sans répondre.

Il ne faisait aucun doute qu’il avait des ennuis. De graves ennuis. Et elle n’avait pas la moindre idée de ce à quoi sa promesse allait l’engager, mais elle savait qu’il ne se confierait pas à elle tant qu’elle ne lui aurait pas donné sa parole.

— Bon, d’accord, je te le promets, concéda-t-elle enfin avec un soupir résigné.

Une fois encore il hésita, en proie à une intense nervosité.

— Peut-être que je ferais mieux de ne rien te dire, finalement. Après tout, c’est une vieille histoire et personne ne peut plus rien y faire.

— A quoi ?

Cette fois, le silence se prolongea si longtemps que Merritt sentit ses mains devenir moites. Elle les frotta machinalement sur sa jupe.

— Il y a deux ans, Hobbs a engagé quelqu’un pour assassiner les gens qui avaient donné leur nom à cette ville.

Merritt crut que son cœur avait cessé de battre. Elle demeura un instant pétrifiée, les yeux écarquillés, le souffle court.

— Les Cahill ? dit-elle enfin dans un souffle.

— Oui.

Elle sentit sa poitrine se contracter si fortement qu’elle eut soudain l’impression de ne plus pouvoir respirer. Elle était à la fois submergée par la colère, l’incrédulité et l’angoisse.

De toute évidence inquiet de l’intensité de sa réaction, Saul lui posa la main sur l’épaule.

— Merritt ? Ça ne va pas ?

— Non, ça ne va pas ! s’écria-t-elle, les yeux soudain brouillés de larmes qu’elle essuya brusquement d’un revers de la main. Ces gens étaient mes amis !

Saul baissa la tête en grommelant des jurons étouffés.

— Comment sais-tu ça ? Je t’en conjure, Saul, dis-moi que tu n’y étais pas !

Il saisit d’un geste vif sa main qui avait été récemment blessée et elle laissa échapper un petit cri de douleur. Il la relâcha aussitôt.

— On était juste censés leur tendre une embuscade pour les voler. Rien de plus. Du moins, c’est ce qu’on m’avait dit. Mais ça a fini en meurtre.

Donc, Saul avait bien été présent. Il avait participé, songea Merritt.

Une larme roula sur sa joue.

— Comment sais-tu que Hobbs était derrière cette embuscade ?

— Le type qu’il a engagé pour le faire était un de mes amis. Vernon Pettit. Il était seulement censé les voler.

Vernon Pettit. L’homme pour le meurtre duquel Hobbs avait voulu faire accuser Quin.

— Mais alors, pourquoi les Cahill sont-ils morts ? demanda Merritt d’une voix tremblante.

— Pettit avait dès le départ prévu de les tuer, mais on ne le savait pas. Je te jure qu’on ne le savait pas, Merritt.

— « On » ? Qui y avait-il d’autre, à part toi ?

— Mon copain Huck Allen.

L’homme qui avait révélé à Quin qu’Earl et Ruby avaient été assassinés.

Elle sentit tout à coup son sang se glacer dans ses veines.

— Je t’en supplie, dis-moi que ce n’est pas toi qui as tué ces gens !

— Ce n’est pas moi, répondit-il d’une voix sourde.

Elle vit qu’il fuyait son regard, et son angoisse s’accrut d’un coup.

— Maintenant, Saul, ça suffit ! s’exclama-t-elle. Tu vas m’expliquer tout de suite comment ça s’est passé, et dans les moindres détails !

— Eh bien… quand Huck et moi on les a arrêtés sur le chemin, Pettit a violemment frappé les chevaux pour les affoler. Ils se sont emballés et… ils ont fait basculer le chariot dans le canyon. Il fallait que ça ressemble à un accident, tu comprends.

Luttant pour tenter de garder son calme, Merritt serrait et desserrait convulsivement les poings.

Donc, Lefty avait eu raison. Hobbs était bel et bien impliqué dans le meurtre des Cahill.

Et Saul aussi l’était.

Ça la rendait folle de rage. Et ça lui brisait le cœur.

Elle dut s’astreindre à inspirer plusieurs fois à fond avant de sentir les battements précipités de son cœur s’apaiser un peu.

— Je veux que tu viennes avec moi parler au nouveau shérif, dit-elle enfin en détachant chaque syllabe.

Sa voix était si rauque qu’elle en était méconnaissable.

— Sûrement pas ! cria Saul, avant de baisser de nouveau la voix. Je ne peux pas faire ça, Merritt. Essaye de le comprendre. Il me flanquerait en prison illico.

— Oui, sans aucun doute. Mais si tu te rends de toi-même, il en tiendra compte.

Du moins l’espérait-elle.

Il y avait une chose, en tout cas, dont elle était certaine : elle ne dirait pas à son demi-frère que le nouveau shérif était le fils des deux personnes assassinées ce jour-là.

Saul eut un ricanement de dérision.

— Allons donc ! J’ai rencontré assez de shérifs dans ma vie pour savoir que ça ne changera rien.

A cet instant, Merritt se remémora la tension qu’elle avait toujours perçue entre son demi-frère et son mari, chaque fois qu’ils s’étaient retrouvés en compagnie l’un de l’autre.

— Seth s’est toujours montré très loyal envers toi.

— Ce qui ne l’empêchait pas de vouloir périodiquement me flanquer en prison.

— Parce que tu avais bafoué la loi, Saul.

Il avait volé des chevaux, du bétail, et Dieu sait quoi d’autre encore. Quel gâchis ! C’était un garçon intelligent, instruit et séduisant. Qu’est-ce qui avait bien pu l’entraîner sur cette mauvaise pente ? Elle avait, depuis longtemps déjà, renoncé à essayer de comprendre, mais elle en souffrait toujours autant.

— Je resterai avec toi quand tu iras le trouver.

— Non.

— Tu sais que tu as commis une faute grave. C’est la raison pour laquelle tu as voulu me contacter… parce qu’il te reste encore une conscience.

— Je voulais juste que quelqu’un sache qui avait vraiment été derrière toute cette histoire.

Il continuait à balayer les alentours d’un œil inquiet, comme un animal aux abois.

— Mais tu penses bien que si je vais trouver ce nouveau shérif et que je lui raconte cette histoire, deux ans après, toute l’affaire va me retomber sur le dos. Ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

— Au contraire ! protesta Merritt, sans pourtant être vraiment convaincue.

Comment aurait-elle pu l’être ? Bowie était aussi révolté par la mort de ses parents qu’elle l’aurait été à sa place. Alors, bien sûr, elle espérait qu’il serait juste… Mais le serait-il seulement ? En serait-elle capable, si c’était elle qui se trouvait dans cette situation ?

— Allons, Merritt, tu sais bien que c’est vrai. Et puis, de toute façon, ce serait ma parole contre celle de Hobbs. Alors qui va me croire ?

— Moi, je te crois. Et je pense que Bowie aussi te croirait.

Saul secoua la tête avec un sourire triste.

— Quel rôle as-tu joué exactement dans cette affaire ?

Elle s’arrêta un instant avant de poser la question suivante, cette question qu’elle avait si peur de formuler parce qu’elle redoutait la réponse.

— Tu n’as pas aidé à tuer les Cahill ?

Je t’en supplie, dis-moi que non !

— Non, mais…

— Tu peux aider Bowie à prouver la responsabilité de Hobbs. Le shérif ne retiendra contre toi que ta participation à l’embuscade en vue de voler. Rien de plus. Bowie pourrait peut-être, grâce à toi, faire comparaître Hobbs en justice.

— Et moi, ça m’avancerait à quoi ?

— A éviter la pendaison, rétorqua-t-elle d’un ton sec. Ce serait déjà pas mal, non ?

Piqué au vif, il se redressa brusquement.

Merritt continua à le fixer sans oser faire le moindre geste ni prononcer la moindre parole. Même à la pâle clarté de la lune, elle pouvait lire le doute dans son regard. L’espace d’un instant, elle crut qu’il allait se laisser convaincre.

Puis, tout à coup, il tourna les talons et franchit en trois enjambées la distance qui le séparait de son cheval. Il sauta en selle et prit les rênes en main.

— Saul, je t’en prie ! insista-t-elle une fois encore. Viens avec moi !

Il fit non de la tête.

— Et si Hobbs apprend que tu…

— C’est déjà fait. Pettit lui a parlé.

— Quoi ?

Elle s’avança et lui posa une main sur la jambe.

— Alors tu n’es plus en sécurité. Il faut te mettre sous la protection de la loi.

— Mais non. Pettit n’a pas donné mon nom à Hobbs. Il lui a juste dit qu’il y avait d’autres gens qui savaient qu’il avait fait tuer les Cahill.

— Et s’il découvre que tu l’as dit à quelqu’un ?

— C’est impossible, petite sœur.

Elle sentit un sanglot s’étrangler dans sa gorge.

— Je t’en supplie, Saul ! Reviens avec moi jusqu’à la maison.

— Certainement pas. Il est hors de question que tu te retrouves entre le marteau et l’enclume. Crois-moi, il vaut mieux pour tout le monde que je m’en aille.

— Tu reviendras me voir ?

— Je ne sais pas.

— Je t’en prie, Saul, ne disparais pas une fois de plus ! Il y a une petite chambre libre derrière ma cuisine et…

— Je ne veux pas que tu sois impliquée dans tout ça par ma faute.

— C’est un peu tard, non ?

— Je n’aurais rien dû te dire.

— Au contraire, tu as bien fait. Mais je t’en supplie une dernière fois : reviens à la maison avec moi !

— Impossible.

Sans doute sensible à la tension ambiante, son cheval se mit à piaffer nerveusement.

— Surtout, si tu as besoin de quoi que ce soit, de nourriture ou de n’importe quoi d’autre, promets-moi de venir à la maison ! Promets-moi que tu ne vas pas disparaître de nouveau. Que tu me donneras des nouvelles.

Il acquiesça d’un hochement de tête.

— Promets-moi ! insista Merritt d’une voix forte. Je sais que je peux t’aider. Ne me fais pas revivre deux autres années d’inquiétude, à me demander si quelque chose de grave t’est arrivé.

— D’accord. Je reprendrai bientôt contact avec toi. Maintenant, il faut que j’y aille. Je t’aime, petite sœur.

— Moi aussi, Saul.

La gorge nouée, elle le regarda tourner bride, s’enfoncer sous les arbres, et disparaître dans la nuit.

Elle avait envie de hurler

Elle resta un long moment immobile, fixant d’un œil vide l’obscurité qui avait englouti Saul, avant d’aller d’un pas lourd jusqu’à sa jument et de remonter en selle.

Voilà. Elle n’avait pas réussi à se tenir à l’écart de l’enquête bien longtemps… Bowie ne serait pas heureux d’entendre qu’elle avait appris quelque chose de nouveau, mais l’information qu’elle détenait était bien trop importante pour ne pas la lui communiquer.

Elle aurait tant voulu ne pas se sentir obligée d’aller lui dire ce qu’elle venait d’apprendre ! Hélas ! elle n’avait pas le choix.

*  *  *

Il était près de minuit lorsque Bowie rentra à la pension. Merritt venait de brosser ses longs cheveux et s’apprêtait à refaire sa tresse pour la nuit lorsqu’elle entendit le bruit étouffé de ses pas dans l’escalier.

Depuis qu’elle était revenue de sa rencontre avec Saul, elle avait alterné crises de larmes et bouffées de colère. Mais elle était calme à présent, ou du moins plus calme.

Elle se sentait encore furieuse contre son demi-frère parce qu’il avait été impliqué dans le meurtre des Cahill mais, en même temps, infiniment soulagée de savoir que ce n’était pas lui qui l’avait organisé.

Non. C’était Tobias Hobbs et l’inconnu avec lequel Lefty l’avait entendu parler.

Une nouvelle idée lui était venue à l’esprit, accroissant encore son angoisse. Jusqu’à présent, Tobias Hobbs n’avait pas été inquiété pour le meurtre des Cahill. Mais peut-être avait-il tué quelqu’un d’autre. Peut-être, en ce moment même, était-il à la recherche de Saul pour le tuer lui aussi.

Tendue et très inquiète de l’accueil qu’elle allait recevoir, elle enfila ses pantoufles et s’enveloppa dans sa robe de chambre. Puis elle ouvrit tout doucement la porte de sa chambre et se dirigea sur la pointe des pieds vers celle de Bowie.

Un rai de lumière filtrait sous sa porte. Dieu merci, il était encore éveillé. Elle avait craint un instant, étant donné l’heure tardive, qu’il ne se soit effondré sur son lit à peine passé la porte de sa chambre.

Redoutant sa réaction lorsqu’elle lui dirait la raison de sa venue, elle hésita quelques secondes avant de frapper.

La porte s’ouvrit et elle se trouva face à Bowie, torse nu. La lampe allumée derrière lui nimbait sa haute silhouette d’un halo doré. Ses cheveux et ses épaules étaient encore humides, et elle perçut l’odeur de son savon.

Troublée par la vision de ce torse superbe qui venait de faire monter en elle une bouffée de désir aussi soudaine qu’intempestive, elle réprima de justesse une petite exclamation étouffée et resta une seconde sans voix.

La surprise qu’avait d’abord exprimée le visage de Bowie se mua en inquiétude.

— Merritt ? Ça ne va pas ?

— Euh… si, pardon… Je voulais vous dire que je vous ai laissé une assiette dans la cuisine, pour le cas où vous n’auriez pas pu dîner.

Elle ne parvenait pas à détacher le regard de la toison brune qui ombrait son torse et s’amenuisait en descendant vers son estomac musclé, pour disparaître sous la ceinture du jean…

Il s’appuya d’une main au montant de la porte, et ce mouvement fit saillir les muscles de son bras.

— J’ai dîné au ranch, merci. J’y suis passé en fin de journée pour m’assurer que tout allait bien en l’absence de Quin et Addie. Et Elda, leur cuisinière, m’a préparé à dîner.

Merritt luttait pour recouvrer ses esprits, agacée de réagir en vierge effarouchée, comme si elle n’avait jamais vu le torse nu d’un homme. Ni d’autres choses, d’ailleurs. Bon sang, elle avait été mariée, tout de même !

Pourtant, ça ne changeait rien à l’affaire. Dès qu’il s’agissait de Bowie Cahill, elle perdait instantanément tous ses moyens. C’était ridicule peut-être, mais c’était ainsi.

— Avez-vous eu des nouvelles de votre frère et de votre belle-sœur ?

— Pas encore, non.

Il scruta son visage avec attention, s’arrêtant une fraction de seconde sur sa bouche.

— Vous êtes certaine que tout va bien ?

Il ne rimait à rien de tergiverser, pensa Merritt. Autant se jeter tout de suite à l’eau. Elle balaya le couloir du regard pour s’assurer que les autres portes étaient toutes bien closes.

— Il faut que je vous parle du meurtre de vos parents, dit-elle à voix basse.

Se redressant brusquement, il lui saisit le poignet pour l’attirer à l’intérieur, avant de refermer la porte derrière elle.

— Je vous rappelle que personne d’autre n’est au courant.

— Je le sais bien. J’ai fait très attention à ne faire aucun bruit.

La fenêtre ouverte laissa entrer un souffle d’air chaud, portant jusqu’à elle une odeur de cuir et de savon.

Lorsqu’il la libéra, Bowie effleura légèrement la peau sensible de son poignet, déclenchant un frisson qui courut tout le long de son bras.

— Maintenant dites-moi. Que se passe-t-il ?

— Je… J’ai parlé à quelqu’un qui m’a confirmé que Hobbs savait que vos parents avaient été assassinés.

Il plissa les yeux.

— Pourquoi diable avez-vous parlé de ça à quelqu’un ? Je vous avais dit de ne…

— Vous avez bien entendu ce que je viens de vous dire ?

— Oui. Répondez-moi !

— Un homme m’a contactée et m’a demandé de le retrouver à Triple Creek.

Bowie se figea.

— Et vous y êtes allée ! s’exclama-t-il.

— Oui.

— Et il ne vous est pas venu à l’esprit que ça pouvait être dangereux ?

— Si, bien sûr. Mais j’avais pris mon revolver avec moi.

Il ne parut pas soulagé pour autant.

— Et comment se fait-il que cet homme ait voulu vous contacter vous ?

Ne pouvant révéler le nom de Saul, elle préféra biaiser et faire comme si elle n’avait pas entendu sa question.

— Cet homme m’a dit que Vernon Pettit avait été engagé par Hobbs pour assassiner vos parents.

— Comment le sait-il ?

— Parce que Pettit l’avait engagé, lui, en renfort.

Elle vit les épaules de Bowie se raidir.

— Donc, cet homme mystérieux serait l’une des personnes responsables de l’assassinat de mes parents.

— Pas directement…, commença-t-elle d’une voix hésitante, consciente de la très mince nuance entre « responsable » et « participant ». Vernon Pettit a dit à cet homme qu’il avait été chargé de dévaliser les Cahill. Il n’a jamais dit qu’il était aussi question de les tuer. Le rôle de… de mon ami était d’arrêter le chariot. C’est à ce moment-là que Pettit a effrayé les chevaux, qui ont fait verser le chariot dans le canyon.

Le regard de Bowie se fit dur.

— Et, ensuite, ils ont tué mes parents, dit-il d’un ton glacial.

Merritt sursauta.

— Vous ne pensez pas qu’Earl et Ruby sont morts quand le chariot s’est écrasé au fond du canyon ?

— Non. Hobbs a dit que c’était le cas, mais quand nous avons pu voir le corps de nos parents…

Il s’arrêta un instant et déglutit péniblement.

— … on aurait dit que le crâne de Pa avait été écrasé, par une pierre ou une crosse de revolver. Quin a eu la même impression que moi, il me l’a dit, mais nous n’avions aucune raison de soupçonner un meurtre, à l’époque. Je me souviens très bien que Druckman, l’entrepreneur de pompes funèbres, nous a dit par la suite qu’il avait eu beaucoup de mal à… remettre la tête de mon père en état pour les funérailles. Et qu’il n’avait même pas tout à fait réussi.

— Oh… !

Merritt se rappela que, ce jour-là, elle avait à peine pu regarder les visages de ses amis, dans leurs cercueils. Mais pour que Druckman ait eu du mal à remettre le crâne d’Earl Cahill en état, il avait vraiment fallu que la blessure soit horrible.

— Votre nouvel ami vous a-t-il dit si lui et Pettit avaient volé quelque chose ? reprit Bowie.

La rage froide qu’exprimait son regard fit frissonner Merritt.

Elle secoua la tête en signe de dénégation. Elle avait été tellement assommée par la révélation de Saul qu’elle n’avait pas pensé à lui poser cette question.

— On leur a volé quelque chose ?

Comme Bowie ne répondait pas, l’angoisse de Merritt s’accrut. Qu’est-ce que Saul avait pu faire d’autre ? Elle osait à peine imaginer qu’il puisse y avoir d’autres choses qu’il ne lui avait pas avouées.

— Revenons à cet homme que vous avez rencontré. Donc, il était sur place lorsque le chariot a quitté la route et dévalé dans Ghost Canyon.

— Oui.

— Que vous a-t-il dit d’autre ? Que Hobbs avait tué Vernon Pettit ?

— Non.

— Que Huck Allen aussi avait participé au traquenard ?

— Oui, ça il me l’a dit.

— Je vois…

Il la dévisagea un moment sans rien dire.

— Il semblerait, reprit-il d’une voix coupante, que cette personne a pour vous une importance… certaine.

Elle eut un haut-le-corps.

— Dans le cas contraire, vous m’auriez déjà donné son nom.

Merritt garda le silence. Elle ne pouvait pas lui révéler le nom de Saul avant d’avoir une idée de la manière dont Bowie le traiterait.

Il avança d’un pas, puis d’un autre, l’obligeant à reculer vers la porte.

— Qui est-ce ? demanda-t-il d’une voix sourde.

— Bowie, je vous en prie…

Il fit un pas encore et, cette fois, elle se retrouva dos au battant.

— Donc, cet homme mystère vous aurait choisie au hasard ?

La suspicion qu’exprimait sa voix la fit se raidir.

— Qu’êtes-vous en train de sous-entendre ? Que j’aurais quelque chose à voir avec ce qui est arrivé à vos parents ?

— Il ne s’agit pas de « sous-entendre » quoi que ce soit, il s’agit d’une déduction, nuance. J’affirme que vous connaissez cet homme. Que vous le connaissez bien, et que ce n’est pas par hasard qu’il vous a choisie, vous, comme interlocutrice.

Merritt se mordit la lèvre.

— Je le connais pratiquement depuis toujours.

— Ce n’est pas ce que je vous ai demandé, gronda Bowie en posant les mains sur la porte, de part et d’autre de sa tête, et en se penchant jusqu’à ce que son regard soit au niveau du sien.

— Qui est-ce ?

— Je… j’ai été élevée avec lui.

— Un frère ?

— Pas… pas vraiment.

Ce n’était pas tout à fait un mensonge.

— Vous vous rendez compte qu’en faisant de la rétention d’information vous perturbez délibérément le cours de l’enquête ? Vous entravez l’action de la justice, Merritt, c’est grave ! Cela fait de vous une complice et ça pourra être retenu contre vous.

Malgré la peur qui lui nouait l’estomac, elle parvint à soutenir son regard.

— Je ne peux pas vous donner son nom. J’ai… j’ai promis.

L’air d’avoir du mal à croire ce qu’il venait d’entendre, il se redressa et la dévisagea pendant cinq bonnes secondes sans rien dire.

— Vous avez promis, dit-il enfin en détachant chaque syllabe.

— Oui.

Elle eut tout à coup l’impression qu’il avait du mal à respirer.

— Vous avez promis à un hors-la-loi que vous ne me donneriez pas son nom.

Piquée au vif par son ton soudain méprisant, Merritt le défia du regard.

Il recula d’un pas en se passant lentement la main dans les cheveux, ses yeux bleus à présent froids comme l’acier.

— Pourquoi êtes-vous venue, au juste ?

— Parce que j’ai pensé qu’il fallait que vous sachiez ce que j’ai découvert.

— Alors dites-moi qui vous a permis de faire cette découverte.

— J’ai essayé de le convaincre de vous parler, mais il a déjà eu maille à partir avec la loi. Alors il se méfie de ses représentants.

— C’est généralement le cas des criminels, lâcha-t-il d’un ton lourd de sarcasme.

— Laissez-moi tenter de lui parler de nouveau.

— Si vous me laissiez le rencontrer, j’arriverais à le faire parler.

— Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle, affolée. Par la violence ?

— Je n’ai pas dit ça.

Il n’avait pas nié non plus, remarqua-t-elle.

Oh non ! Elle ne permettrait pas que cela se produise. Saul le méritait peut-être — certainement, même —, mais elle refusait de prendre la responsabilité de laisser une telle chose se produire.

Bowie croisa les bras sur son torse et tourna la tête pour fixer, par la fenêtre ouverte, l’arbre dont la lune dessinait les contours.

— Vous êtes donc venue me transmettre les informations que vous a communiquées cette personne, et je vous en remercie. Mais pourquoi diable refusez-vous de me dire ce que je veux savoir ?

— Et pourquoi diable refusez-vous de respecter le fait que je lui ai donné ma parole de ne pas vous dire son nom ?

— Parce que cet homme a très probablement collaboré au meurtre de mes parents. Et, s’il ne l’a pas fait, c’est une raison de plus pour me donner son nom. Il pourrait peut-être me conduire à la personne qui les a véritablement assassinés.

Un soupçon horrible s’immisça tout à coup dans l’esprit de Merritt. Peut-être Saul ne lui avait-il pas dit toute la vérité concernant sa participation à l’embuscade. Etait-il possible qu’il ait physiquement aidé à tuer Earl et Ruby ?

Bowie se tourna vers elle de nouveau. L’intensité de son regard la fit se redresser.

— Vous prétendez que mes parents étaient vos amis…

— Je ne le « prétends » pas. Ils étaient mes amis. Mais cette personne est mon ami aussi. Je voudrais juste être certaine qu’il ne lui serait fait aucun mal s’il acceptait de vous parler.

— Que croyez-vous que j’aie l’intention de faire ? Le réduire en bouillie à la seconde même où je l’apercevrai ?

— Non. En fait… je ne sais pas.

— Je sais comment traiter un suspect. Ça fait partie du métier ; nous sommes formés pour ça.

— Mais vous est-il déjà arrivé de vous trouver confronté à un suspect dans une affaire vous touchant d’aussi près ?

— Non. Ça ne signifie pas pour autant que je ne sois pas capable de le faire.

— Vous savez que je veux très sincèrement découvrir qui est derrière le meurtre de vos parents, n’est-ce pas ?

— Je l’ai cru jusqu’à présent. Maintenant, je n’en suis plus si sûr.

— Cessez d’essayer de me faire me sentir coupable !

— Pourquoi ? Vous devriez vous sentir coupable !

Elle baissa la tête d’un air infiniment las.

Inutile de prétendre le contraire. Elle savait bien qu’une fois face à Saul Bowie était susceptible de céder à la colère. En fonction de ce que Saul lui dirait, bien sûr. Mais le problème était qu’il y avait trop de choses qu’elle ignorait pour pouvoir se permettre de prendre ce risque.

D’une part, elle ne savait pas si Saul lui avait dit toute la vérité concernant sa participation à ce meurtre. D’autre part, elle ne connaissait pas suffisamment Bowie pour savoir s’il était vraiment capable de se maîtriser assez pour ne pas faire de mal à Saul. Ou, pire, le tuer.

Elle refusait l’idée qu’une telle tragédie se produise.

Déchirée entre son désir d’aider ces deux hommes, elle se tourna pour poser la main sur la poignée de la porte.

— Je… je ferais mieux de partir.

— Merritt !

— Je vais essayer de convaincre mon ami de vous parler.

— Je peux le traquer, vous savez.

Son cœur se contracta douloureusement.

— Je vous en prie, ne faites pas ça.

Si Bowie trouvait Saul le premier, il n’y aurait rien qu’elle puisse faire pour le défendre. Si, au contraire, elle parvenait à le convaincre de rencontrer Bowie, peut-être réussirait-elle à lui garder la vie sauve, même s’il était fort probable qu’il passe le reste de ses jours en prison.

— Je n’arrive pas à croire que vous osiez me demander de ne pas intervenir, reprit Bowie d’une voix sourde.

— Je vous demande juste un peu de temps. Rien de plus.

— Je ne peux pas vous l’accorder.

— Pas même quelques jours ?

— Non.

— Très bien.

Elle lui tourna le dos et ouvrit la porte. Avant de franchir le seuil, elle lui jeta un dernier coup d’œil par-dessus son épaule.

Son regard était dur, ses mâchoires serrées.

Tremblant de tout son corps, elle retourna dans sa chambre.

Elle aurait été incapable de dire si elle avait eu raison d’agir comme elle venait de le faire, mais elle restait convaincue qu’il valait mieux que ce soit elle, et non Bowie, qui voie Saul en premier.

Au lieu de communiquer à Bowie toutes les informations qu’elle possédait pour lui permettre de prendre le relais, elle venait de se condamner à rester impliquée dans cette enquête.

Il ne devait pas être plus heureux qu’elle de cette situation.