Introduction

L’Afrique du Nord est formée de cinq pays, l’Égypte, la Libye, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. Dans l’appellation courante, cette immense région est divisée en Machrek (Égypte et Libye) et en Maghreb (Tunisie, Algérie, Maroc), deux mots arabes signifiant « Levant » pour le premier, « Couchant » pour le second.

Si nous voulions être plus précis, nous devrions prendre en compte le fait que la Libye fait à la fois partie de chacun de ces deux ensembles. La Cyrénaïque qui a jadis été imprégnée d’une puissante marque hellénistique est en effet culturellement rattachée au Machrek, alors que la Tripolitaine qui a subi l’influence carthaginoise fait partie du Maghreb. Durant l’antiquité, la limite entre les deux régions était matérialisée par l’« autel des Philènes » édifié au fond du golfe de la Grande Syrte1 (voir plus loin page 62), golfe séparant la Cyrénaïque de la Tripolitaine où se rejoignent et même se croisent, routes littorales et pistes transsahariennes menant aux bassins du Niger et du Tchad par le Fezzan (Martel, 1991 : 31).

Le nom de Libye fut employé pour la première fois par Homère2. Il vient très probablement des Égyptiens qui subissaient la pression des Lebou – d’où Libye –, Berbères3 sahariens qui cherchaient à pénétrer dans la riche vallée du Nil.

Pour les Arabes, le Maghreb, autrement dit la Berbérie, était la Djezirah el-Maghreb ou « île du Couchant » dont ils baptisèrent la partie la plus orientale du nom d’Ifrîqîaya ou Ifrikiya (littéralement : Petite Afrique)4. Cette dernière englobait la partie la plus occidentale de l’actuelle Libye, c’est-à-dire la Tripolitaine, la Tunisie et la partie orientale de l’Algérie actuelle. Pour les conquérants arabes, les habitants de la région étaient les « Roumis », les Romains, car, d’après eux, l’empire byzantin auquel ils furent confrontés était l’héritier de Rome. Quant à la partie la plus occidentale de la Berbérie, essentiellement l’Oranie et l’actuel Maroc, ils lui donnèrent le nom de Maghreb el-Aqça (Le Couchant lointain).

Au point de vue de la géographie :

« À l’ouest de l’Égypte commencent les steppes qui se prolongent jusqu’au revers de l’Atlas marocain, tantôt sous forme de plaines côtières comme en Marmarique ou dans la Grande et la Petite Syrte, tantôt sous forme de Hautes Plaines. Véritable rocade méditerranéenne favorable aux déplacements des caravanes et des troupes. En « Libye », ces étendues, enserrent deux massifs montagneux. En Cyrénaïque, le Djebel Akhdar (la montagne verte) s’étend du port de Derna à celui de Benghazi. Le Djebel Nefuza en Tripolitaine, s’allonge de Misrata aux Chotts tunisiens. Il isole une plaine côtière relativement fertile, la Djefara, et se prolonge au sud par un revers, le Dahar, qui plonge sous les sables de l’Erg oriental » (Martel, 1991 : 34).

À l’est, l’Égypte développa une civilisation aussi brillante qu’originale. Centrée sur l’étroit cordon du Nil, elle tenta, en vain, de se fermer à l’ouest, là où, poussés par la péjoration climatique, les Berbères sahariens ne cessèrent de battre une fragile ligne de défense ancrée sur les oasis situées à l’ouest du fleuve (carte page XI).

L’ouverture de l’Égypte à l’ouest se fit à partir du Ve siècle av. J.-C. avec les Grecs de Cyrénaïque. À la même époque, en Berbérie, l’actuel Maghreb, apparurent les royaumes dits libyco-berbères dont les limites correspondaient grosso modo aux frontières des actuels États : royaume de Maurétanie (Maroc), royaume Masaesyle (Algérie) et royaume Massyle (Tunisie).

À partir de la fin du IIe siècle, Rome imprégna toute la région de sa marque, à l’exception toutefois de l’actuel Maroc qui ne fut qu’effleuré par la romanisation, puis par la christianisation. Successeur de Rome, l’empire byzantin s’établit de l’Égypte jusqu’à l’est de l’actuelle Algérie. La plus grande partie de l’actuel Maghreb échappa à son autorité et, partout, à l’exception de certaines villes, la «reconquête» berbère eut raison du vernis romano chrétien.

Aux VIIe-VIIIe siècles, l’islamisation de l’Afrique du Nord eut trois grandes conséquences :

– Elle entraîna la cassure nord-sud du monde méditerranéen5 et l’apparition d’un front mouvant entre chrétienté et islam qui ne fut stabilisé qu’au XVIIe siècle.

– Elle provoqua également l’orientation de toute l’Afrique du Nord vers l’orient alors que, jusque-là, elle avait été tournée vers le monde méditerranéen.

– Elle fut à l’origine d’une mutation en profondeur de la berbérité avec l’apparition d’États berbères islamisés qui adoptèrent les hérésies nées dans le monde musulman afin de se dégager de l’emprise arabe.

À partir du XVe siècle, puis au XVIe, toute l’Afrique du Nord fut concernée par l’expansion turco ottomane, à l’exception du Maroc qui réussit à maintenir son indépendance en s’alliant à l’Espagne chrétienne.

Durant la période coloniale, l’Afrique du Nord fut partagée entre quatre puissances européennes. Les Britanniques s’installèrent en Égypte afin de pouvoir contrôler le canal de Suez. Les Italiens, tard venus dans la « course au clocher », disputèrent le vide libyen à la Turquie. Quant au Maghreb, il fut en totalité rattaché au domaine français, à l’exception toutefois de la partie espagnole du Maroc.

Après le second conflit mondial, l’évolution fut différente au Machrek et au Maghreb. Si le premier fut tôt décolonisé – l’Égypte en 1922 et la Libye en 1951 –, le second connut des péripéties sanglantes avec la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962).

Après les indépendances, et en dépit d’une « arabité » affirmée mais ethniquement minoritaire au Maroc et en Algérie, et de leur « islamité » commune, les cinq pays composant l’Afrique du Nord eurent des destins divers. Ces différences se retrouvèrent dans l’épisode dit des « printemps arabes » qui ne concerna que la Tunisie et l’Égypte. L’Algérie et le Maroc y échappèrent cependant que la Libye connut une guerre civile et une intervention étrangère génératrice d’un immense chaos.

1. La Petite Syrte est le golfe de Gabès en Tunisie.

2. Pour la discussion concernant les origines et les variations historiques et géographiques du mot Libye, il est nécessaire de se reporter à la synthèse de Zimmermann (2008).

3. Berbère = Amazigh. Au féminin tamazight = une Berbère et la langue berbère. Au pluriel, Imazighen Berbères.

4. Le toponyme Africa fut « forgé » par les Romains à partir de l’ethnique Afer. D’origine inconnue ce dernier aurait pu, à l’origine, désigner un ensemble de tribus vivant dans le nord-est de l’actuelle Tunisie. Après la troisième guerre punique, (149-146 av. J.-C.), les Romains parlèrent d’Africa pour désigner les territoires conquis sur Carthage et ils utilisèrent le terme Afri pour désigner les populations qui y vivaient (Decret et Fantar, 1998, 22-23).

5. À laquelle s’ajouta plus tard une fracture est-ouest à la suite de l’intrusion turque en Méditerranée.