Chapitre II

Les débuts de l’Afrique du Nord musulmane (VIIe-Xe siècles)

L’expansion musulmane fut poursuivie sous les Omeyyades (661-750) jusqu’au double coup d’arrêt porté par les Francs de Charles Martel à Poitiers en 732 et en 740 par les Byzantins en Asie Mineure.

Au VIIIe siècle, les Berbères de Berbérie ainsi que ceux de Tripolitaine252 se soulevèrent contre la présence arabe. Ils le firent paradoxalement au nom de l’Islam, sans remettre en question leur nouvelle religion. Cette résistance de la berbérité à l’arabisation se manifesta dans le cadre d’un islam dissident, le kharijisme.

Au IXe siècle, l’unité du califat fut brisée et des états apparurent sur ses décombres, tant au Machrek avec l’Égypte des Toulounides, qu’au Maghreb avec les Aghlabides et les Idrissides. Puis, le califat fatimide s’étendit de l’actuelle Algérie jusqu’en Palestine.

I- De l’Égypte chrétienne à l’Égypte musulmane (650-968)

Durant les premières années de la conquête, les Arabes se montrèrent tolérants253. Le patriarche d’Alexandrie, Benjamin, qui avait été déposé par les Byzantins fut rétabli, les structures administratives antérieures furent conservées et la collecte des impôts fut confiée aux Coptes. Devenus des dhimmis (protégés), ces derniers durent, en échange de la reconnaissance de leur religion et de leurs biens, acquitter deux impôts, la gizya, ou impôt de capitation, et le kharâj ou impôt foncier254.

En 706, l’arabisation linguistique et culturelle de l’Égypte fut décidée par le calife omeyyade Walid Ier (705-715) qui imposa l’arabe comme langue officielle ; puis, en 715, il remplaça les fonctionnaires chrétiens par des musulmans. Le mouvement semble avoir été très rapide puisque le dernier document bilingue grec-arabe date de 709255.

Des révoltes chrétiennes d’intensité variable se produisirent en 722, en 725, en 739 et en 770. En 829-832 eut lieu la grande insurrection des Coptes du Delta contre la perception des impôts. Elle fut réprimée avec vigueur par le calife Al Mamoun (813-833) en personne à la tête de plusieurs milliers de Turcs islamisés. Plusieurs dizaines de milliers de Coptes furent alors vendues sur les marchés aux esclaves. À partir de ce moment, terrorisée, la masse des Coptes se convertit. De moins en moins nombreux, ces derniers furent donc de moins en moins ménagés par le pouvoir et les mesures vexatoires leur furent appliquées avec toute la rigueur prévue par la loi coranique256.

En 868, sous le règne du calife abbasside Al-Moutaz (866-869), un préfet d’origine turque du nom d’Ahmed ibn Touloun, devint peu à peu autonome par rapport à Bagdad. Abandonnant Fostat, Ahmed ibn Touloun décida de construire une nouvelle capitale, Kataf, l’actuelle ville du Caire. Il couvrit le pays de mosquées, de fontaines et de diverses autres constructions et il fit même restaurer partiellement le phare d’Alexandrie.

Inquiet de la montée en puissance de l’Égypte, le calife Al-Moutamid (870-892) prit prétexte des impôts que son gouverneur égyptien ne lui versait plus et il décida de le démettre. Ahmed ibn Touloun n’ayant pas accepté sa mise à l’écart, la guerre éclata. En 878, les troupes califales furent vaincues et les Égyptiens occupèrent la Syrie. Profitant de l’éloignement de son père, Al-Abbas Ibn Touloun se rebella et il ravagea la Tripolitaine avant de tenter de conquérir l’Ifrikiya. Alliés aux Berbères Nefuza, les Aghlabides (voir plus loin) le mirent en déroute et il fut repoussé vers Barqa où son père le fit prisonnier et le jeta en prison.

Ibn Touloun mourut en 884 et son fils Khoumaraway lui succéda (884-896). Il contraignit le calife à lui reconnaître, ainsi qu’à ses descendants, le gouvernement de l’Égypte et de la Syrie en échange d’un impôt annuel. En 896, Khoumaraway fut assassiné alors qu’il se trouvait à Damas. Ses successeurs Abu al-Asakir (896), Harun ben Khoumaraway (896-904) et Chaban ben Ahmed ben Touloun (904-905) se déchirèrent dans de sanglantes intrigues et en 905, le calife abbasside Al-Mouktafi (902-908) décida de faire rentrer l’Égypte dans le droit commun califal en y envoyant une armée. Au mois de janvier 905, Fostat fut prise. Redevenue province du califat, l’Égypte fut confiée à des préfets d’origine turque qui ne parvinrent cependant pas à la pacifier.

En 935, sous le calife Al-Radi (934-940), le Turc, Mohammed Ibn Toughdj (ou Tughg) fut nommé gouverneur d’Égypte avec pour mission de défendre la frontière ouest du califat contre les Fatimides qui, depuis l’Ifrikiya, se montraient de plus en plus menaçants (voir plus loin pages 154-157). En 939, il reçut le titre d’Ikhshid (serviteur).

En 946, à la mort de Mohammed ibn Toughdj, deux de ses fils lui succédèrent, mais ce fut le chef de son armée, un eunuque noir nommé Abou el Misk Kafour257 qui exerça la réalité du pouvoir. En 966, il devint le maître de l’Égypte et fut reconnu par le calife abbasside. Il mourut en 968, au moment où la reconquête byzantine se mettait en marche258 et où les Fatimides, à la tête d’une armée berbère levée en Kabylie, s’avançaient vers la vallée du Nil.

II- La révolte berbère du VIIIe siècle

La conversion des Berbères ayant été massive, l’impôt que les gouverneurs omeyyades exigeaient des non-musulmans pour l’envoyer à Damas était donc très faible. En conséquence de quoi, en 720, Yazid ben Ali Muslim, le gouverneur de Tanger qui avait autorité sur tout l’actuel Maroc, décida que les Berbères convertis seraient assujettis, comme l’étaient les non musulmans, à la fois à l’impôt de capitation (jiziya) et à l’impôt foncier (kharaj)259, ce qui était contraire au droit islamique. Ce faisant, le représentant du pouvoir omeyyade considérait donc les Berbères comme des vaincus et il les traitait comme tels.

Les Berbères qui estimaient être les égaux des Arabes au sein de la Umma, se mirent alors à nourrir un profond sentiment de révolte, non envers l’islam, mais envers ses dirigeants arabes. L’empire omeyyade fut donc perçu par eux pour ce qu’il était, à savoir un État arabe dirigé par une aristocratie composée de la tribu mecquoise des Kurashites laquelle considérait le monde musulman comme un bien personnel lui appartenant par droit de conquête.

En 721, Yazid ben Ali Muslim fut assassiné, ce qui marqua le début de troubles ranimés au rythme des demandes exorbitantes des représentants omeyyades. Ainsi, en 734 quand le nouveau gouverneur exigea que les tribus du Rif acquittent leur impôt en esclaves, notamment en jeunes filles.

En 740, sous le calife Hicham (724-743), Omar ben Abdallah al-Muradi, le gouverneur de Tanger, fut égorgé et une révolte éclata, dirigée par un certain Maysara el-Madghari sur lequel nous ne sommes guère renseignés. Le mouvement qui se fit au nom de l’islam et qui s’incarna dans le kharijisme, s’étendit ensuite à tout le Maghreb ainsi qu’à la Tripolitaine, la quasi-totalité des tribus berbères finissant par la rejoindre.

Deux zones furent primitivement touchées, les plaines atlantiques et plus précisément le pays des Barghwata et le Rif, où Maysara el-Madghari prit la tête de l’insurrection des Ghomera et des Miknasa avant de s’emparer de Tanger et de s’y proclamer calife.

Le kharijisme

Le kharijisme est une des conséquences de l’assassinat d’Othman, le troisième calife dit « orthodoxe260» en 656, meurtre qui ouvrit une crise profonde dans le monde musulman, qui déboucha sur l’apparition de deux grands schismes261, le kharijisme et le shiisme.

Le shiisme prônait le califat héréditaire afin que l’ensemble du monde musulman, la Umma, soit dirigé par un membre de la famille du prophète, en l’occurrence par un descendant de sa fille Fatima et de son gendre Ali.

À l’opposé des shiites, les kharijites étaient partisans d’un califat électif ouvert à tous les musulmans, anciens ou nouveaux convertis sans distinction d’origine, le calife ne devant pas être désigné par le sang, mais pour ses qualités. Selon eux, la direction de la communauté musulmane devait être confiée par élection au meilleur et cela sans distinction de race, ce qui impliquait l’égalité de tous les musulmans262. Pour cette doctrine égalitaire et « démocratique », tous les membres de la Umma étant donc égaux, qu’il s’agisse des Arabes ou des convertis, il n’était donc pas acceptable que les descendants des conquérants arabes constituassent une oligarchie dominant la masse des croyants, même nouvellement convertis.

Les kharijites contestaient donc la nature même du califat, refusant que sa dévolution se fasse automatiquement dans la famille du prophète. Pour les Omeyyades, cette hérésie était évidemment inacceptable car elle menaçait l’essence même de leur pouvoir devenu temporel et ils traquèrent les dissidents.

Au Maghreb et en Tripolitaine, le kharijisme fut d’abord clairement une révolte ethnique des Berbères car :

« […] on ne peut pas ne pas remarquer que les royaumes kharijites du VIIIe siècle prirent le relais des principautés berbères – et pour certaines chrétiennes – qui s’étaient instaurées au cours des siècles précédents. Face à un pouvoir central étranger, hier à Byzance et aujourd’hui à Damas, c’était toujours la même affirmation de l’autonomie africaine (berbère) » (Decret et Fantar, 1998 : 348).

Le gouverneur d’Al Andalus, Uqba ben al-Hajjaj tenta de reprendre le contrôle de la situation, mais il fut battu. Peu de temps après, Maysara el-Madghari mourut. Selon certaines traditions, il aurait été capturé et exécuté ; selon d’autres, il aurait été assassiné par ses propres compagnons qui lui désignèrent un successeur en la personne d’un autre Berbère nommé Khalid ben Hamid el-Zanati. En 741, sur les bords de l’oued Chélif, dans l’ouest de l’actuelle Algérie, ce dernier remporta une importante bataille qui se termina par la mort de nombreux combattants arabes venus d’Espagne.

Dans l’historiographie, trois grandes interprétations dominent au sujet de ces événements.

1- La première privilégie l’aspect ethnique de la révolte et elle insiste sur le ressentiment berbère qui expliquerait le succès du kharijisme devenu le moteur du soulèvement contre les Omeyyades. Elle est bien illustrée dans le mémorandum remis en 739 au gouverneur Hisham ben Abd el-Malik (724-743) par une délégation berbère menée par le chef Maysara el-Madghari. Ce document contient les principales doléances et revendications berbères à savoir :

- Lors des combats, les Berbères convertis étaient toujours placés aux lieux les plus exposés tandis que les Arabes demeuraient en retrait ; or, lors du partage du butin de guerre, les seconds se réservaient les meilleures parts.

- Les Arabes s’emparaient des troupeaux appartenant aux Berbères.

- Les Arabes enlevaient jeunes filles et femmes berbères.

- Les Arabes considéraient les Berbères comme des vaincus devant accepter leur loi.

(Talbi, 1997 : 204).

2- La seconde vision met en avant l’idée d’une révolte musulmane contre l’administration omeyyade (Monès, 1997 : 202). À l’appui de cette seconde explication, vient le fait qu’au Maghreb, le kharijisme a également attiré des Arabes qui avaient, eux aussi, à se plaindre des Omeyyades.

3- Une troisième explication a été donnée par Charles-André Julien pour lequel :

« Le kharjisme devint, en quelque sorte, un épisode de la lutte de classes et une manifestation xénophobe, comme l’avait été le donatisme. Si le Maghreb fut la terre de choix de ces deux hérésies, ou plutôt de ces deux schismes à caractère révolutionnaire, c’est que nulle part les sentiments ascétiques et égalitaires, inséparables de la haine du maître, n’atteignirent une telle intensité » (Julien, 1994 : 360-361).

En 742, le calife omeyyade Hicham décida d’en finir. Il envoya alors à Kairouan une armée forte de plusieurs milliers de combattants arabes, égyptiens et lawâta, mais elle fut taillée en pièces sur les berges de l’oued Sebou, dans le nord de l’actuel Maroc (carte page XXXI) et son chef fut tué.

Toute la Berbérie se souleva alors et Kairouan fut sur le point de tomber aux mains des insurgés quand un coup d’arrêt fut donné au mouvement grâce à deux victoires remportées par les troupes califales.

La reconquête de la Berbèrie par les Omeyyades n’eut cependant pas lieu car, en 750, les Abbassides263 prirent le pouvoir. Ces derniers réussirent à prendre en partie le contrôle de l’Ifrikiya mais le reste du Maghreb leur échappa. Puis, les Berbères qui avaient vu dans le karijisme le moyen de lutter contre la domination arabe, revinrent ensuite peu à peu à l’orthodoxie sunnite à partir du moment où cette dernière ne fut plus une menace pour leur identité.

III- Le Maghreb après la révolte berbère

La grande révolte berbère terminée, six principaux royaumes berbères se réclamant du kharijisme ou de ses variantes, se développèrent en Tripolitaine et en Berbérie :

En Tripolitaine, deux royaumes se constituèrent :

- celui d’Abu el-Hattab, (Abou Khattab) un Arabe qui, en 757, fut élu imam par les Berbères ibadites264 de Tripolitaine. En 758 ou en 759, il prit Tripoli et Kairouan, appuyé sur la tribu des Mazata. Ce royaume qui eut la région des Syrtes comme limite orientale résista à une armée abbasside en 759 ou en 760. Puis, en 761-762, le gouverneur d’Égypte, Ibn al-As’at remporta contre lui une bataille livrée dans la région de Surt. Abu el-Hattab ainsi que des milliers de ses partisans y auraient perdu la vie et Kairouan fut reprise au mois d’août 761.

- celui d’Abu Hatim Yaqub ben Labib al-Malzuzi, le nouvel imam ibadite, semble avoir pris la suite du précédent. Il s’empara de Tripoli et de Kairouan en 770 et ses forces repoussèrent l’armée abbasside jusque dans la région des Syrtes.

En 772, le calife abbasside al-Mansur (754-775) envoya une puissante armée sous les ordres de Yazid ibn Hatim qui écrasa les insurgés dans la région de Tripoli. Yazid ibn Hatim fut ensuite nommé gouverneur d’Ifrikiya et il exerça cette fonction de 772 à 787, massacrant les tribus rebelles, rétablissant à la fois l’orthodoxie et l’obéissance au calife de Bagdad. Installant des populations arabes, il est à l’origine de la première phase de déberbérisation de la Tunisie et de la Tripolitaine.

Dans l’ouest de l’actuel Maroc, le royaume des Barghwata (carte page XXX) qui tire son nom de la tribu berbère éponyme – les Baquates des Romains –, fut fondé vers 742 par un certain Tarif qui avait combattu aux côtés de Maysara el-Maghari. Son royaume s’étendit sur une partie de l’actuel Maroc atlantique, entre le Bou Regreg (Salé) et Azemmour 265. Sa base ethnique était composée de tribus masmouda rassemblées autour des Barghwata.

Mohammed Talbi (1973), a montré que l’islam demeura durant un siècle la religion des Barghwata et que ce ne fut que sous Younès ben Ilyas (842-884), le quatrième chef de cette dynastie berbère, qu’il y eut adaptation de l’islam à la berbérité avec refus de l’arabe et emploi du berbère. Younès ben Ilyas se référait à la sourate du Coran disant : « Nous avons envoyé à chaque peuple un prophète qui lui parlera dans sa langue ». L’interprétation de cette sourate par les Barghwata était que Dieu n’avait destiné la parole du Prophète Mohammed qu’aux seuls Arabes266.

Le royaume de Sijilmassa ou royaume des Beni Wasul, du nom de sa dynastie, fut fondé en 757 dans le sud marocain par des Berbères miknassa et il se maintint jusqu’en 909, année où il passa pour quelques semaines sous le contrôle des Fatimides. Les Beni Wasul reprirent ensuite le pouvoir en se ralliant à l’ibadisme, puis au sunnisme orthodoxe, avant d’être finalement éliminés par d’autres Berbères zénétes, les Beni Khazrun.

Vers 770, un kharijite persan nommé Abd er-Rahman ibn Rustum (Rostem) qui avait épousé une femme berbère de la tribu des Beni Ifren, fonda un imamat à Tahert, dans la région de Tiaret (Békri, 2004). En 784, son fils, Abd al-Wahhab (784-823) lui succéda.

Comme cette fondation dynastique était en contradiction avec les principes égalitaires animant les kharijites, plusieurs scissions se produisirent. Certains Ibadites refusèrent alors de le reconnaître comme souverain et ils constituèrent le courant nukkarite qui est un schisme de l’ibadisme.

Le pouvoir des Rustumides fut accepté par une autre partie des Ibadites, notamment par ceux de Tripolitaine et du sud de l’actuelle Tunisie où il s’ancra sur les Berbères Nefuza et Mazata. Cette acceptation s’expliquait parce que les Rustumides (777-909), combattaient les Aghlabides arabes de Kairouan fidèles aux Abbassides. La Cyrénaïque, l’on disait à l’époque le pays de Barqa, était alors une possession des Tulunides d’Égypte (868-905)267.

Les Rustumides (777- 909) furent les alliés des Omeyyades de Cordoue contre les Aghlabides arabes de Kairouan fidèles aux Abbassides, mais aussi contre les Idrissides. Le royaume berbère-ibadite des Rustumides fut rayé de la carte par les Berbères Kutama-Fatimides comme nous le verrons plus loin.

Aux deux extrémités du Maghreb, deux royaumes non kharijites se développèrent. Celui qui fut fondé par les Idrissides (788-974)268, dans l’actuel Maroc était arabo-berbère alors que celui qui le fut par les Aghlabides, dans l’actuelle Tunisie et sur une partie de la Tripolitaine, était authentiquement arabe.

Paradoxalement, les Berbères qui s’étaient lancés dans l’aventure kharijite afin de se défaire de la domination orientale, accueillirent donc avec enthousiasme des Arabes d’auguste naissance qui furent des fondateurs de royaumes, qu’il s’agisse d’Ibrahim ben Aghlab dans l’actuelle Tunisie, d’Ibn Rustum dans la région de Tahert, ou encore d’Idriss dans l’actuel Maroc269.

Les Aghlabides (800-909)

Le royaume Aghlabide d’Ifrikiya qui s’étendit sur une partie de l’actuelle Tunisie et de l’actuelle Libye jusqu’à la hauteur de Labda (Leptis Magna) était authentiquement arabe.

Son origine remonte à l’année 800, quand le calife Haroun al-Rachid (786-809) nomma comme gouverneur à Kairouan, un Arabe du nom d’Ibrahim ben al-Aghlab, de la tribu des Bani el-Aghlab. Or, ce dernier avait exigé de pouvoir transmettre son gouvernorat à ses descendants.

L’originalité de cette nomination fut qu’elle créait une dynastie administrative autonome au sein du califat, le nouveau gouverneur étant en effet nommé à titre héréditaire. C’est ainsi que fut fondé le royaume aghlabide qui connut onze souverains qui prêtèrent tous allégeance au calife abbasside, et qui survécut jusqu’en 904 après avoir embelli Kairouan et Tunis.

Les Aghlabides eurent une politique expansionniste en Sicile et dans le sud de la botte italienne. Leurs armées prirent Agrigente, Palerme et enfin Syracuse en 878.

L’apogée du royaume se situa entre 856 et 863, sous le règne d’Aboul Ibrahim puis, sous Ibrahim II (875-902), le royaume se trouva menacé sur trois frontières : en Italie, la reconquête byzantine lui fit perdre la Calabre ; en Tripolitaine, il lui fallut faire face à une attaque des Toulounides d’Égypte, cependant qu’à l’intérieur, plusieurs tribus berbères se rebellèrent.

C’est donc un royaume affaibli qui succomba en 909, sous les coups des Fatimides et de leur force de frappe composée des Berbères Kutama (voir plus loin page 154). Le dernier aghlabide, Ziyadat Allah III s’enfuit vers l’Orient.

Les Idrissides

Idriss, un descendant d’Ali par Hassan, avait participé à la révolte alide de 786 qui s’était terminée par la victoire abbasside de Fakh près de La Mecque270. Pourchassés par les vainqueurs, les survivants s’enfuirent et plus particulièrement les descendants du Prophète, dont Idriss, qui partit en compagnie de son affranchi, Rachid, tentant de mettre la plus grande distance possible entre lui et les Abbassides. Après avoir fait étape à Tlemcen, il passa par Tanger avant de se rendre à Volubilis où vivaient les Berbères Awarba.

Originaires de la région des Aurès dans l’actuelle Algérie, les Awarba, à la suite de la défaite de leur chef Kusayla avaient migré vers l’ouest avant de s’installer dans la région de Volubilis devenue Oualili271. Idriss fut bien accueilli par Ishaq ben Mohammed, chef des Awarba. Cette tribu faisant alors partie d’une coalition berbère regroupant les Ghiata, les Ghomara, les Miknasa, les Nefrata, les Nefza, les Sedrata, les Zouagha, les Zouaoua, etc.272, et qui s’étendait sur tout le nord du Maroc actuel (Ibn-abi-Zar, 1326 : 25).

Pour tous ces Berbères, Idriss était un homme doublement important car, en plus d’être de la famille du Prophète, il était l’ennemi des Abbassides, donc du pouvoir arabe oriental. En 788 ou en 789, il fut proclamé Imam.

À la tête de la coalition berbère, Idriss soumit une partie du pays. Son royaume s’étendait sur le nord de l’actuel Maroc, englobant la région de Taza à l’est, allait jusqu’au Tadla au sud et comprenait les plaines atlantiques, sauf le royaume des Barghwata à l’ouest. Le danger qu’il représentait alors fut estimé à sa juste mesure par Harun al-Rachid le calife abbasside de Bagdad (786-809) qui fit assassiner Idriss en 791.

Sa succession fut dramatique car il laissait une épouse berbère, Kenza, enceinte de plusieurs mois. L’enfant qui naquit, un garçon, fut prénommé Idriss, comme son père, et deux régents arabes se succédèrent. Le premier fut Rachid, le fidèle affranchi d’Idriss Ier, puis, après la mort de ce dernier, Abou Khaled.

En 803, Idriss ben Idriss qui avait alors onze ans fut proclamé sous le nom dynastique d’Idriss II (803-828). Il s’affranchit de la tutelle des Awarba et de leur chef, Ishaq ben Mohammed, son grand-père, en créant un makhzen et en se constituant une garde personnelle formée d’Arabes venus d’Espagne et d’Ifriqiya.

En 808, Ishaq ben Mohammed, le chef des Awarba, fut assassiné et Idriss II quitta Oualili pour installer sa capitale à Fès. Il intervint ensuite contre les Masmouda du Moyen-Atlas et il soumit les Maghraoua de la région de Tlemcen. Ses principales conquêtes se firent cependant vers le sud, en direction du Sous. Le reste de l’actuel Maroc échappa à son autorité, tant à l’ouest, dans les plaines atlantiques où les Barghwata réussirent à maintenir leur indépendance, que plus au sud où les immensités pré-sahariennes demeurèrent en dehors de son pouvoir, de même que l’Atlas et une partie du Rif. Il eut également à affronter les Abbassides et leurs vassaux aghlabides d’Ifrikiya. Le 18 août 828, Idriss II mourut, probablement empoisonné, laissant 13 garçons, dont dix étaient majeurs273.

L’aîné des fils d’Idriss II, Mohammed ben Idriss, succéda à son père et il délégua une partie de ses pouvoirs à certains de ses frères. Il n’y eut pas de remise territoriale comme bien personnel, mais une responsabilité administrative simplement déléguée par Mohammed ben Idriss qui était et demeurait seul souverain ayant autorité sur ses frères, lesquels ne faisaient qu’administrer des provinces en son nom.

C’est ainsi que Mohammed ben Idriss régna à Fès et dans sa région ; Omar sur les régions peuplées par les Ghomara et les Sanhadja ; El-Kacem sur Tanger, Ceuta et Tetouan ; Hamza sur Oualili ; Aissa ibn Soleiman sur Tlemcen ; Daoud sur une partie de l’actuelle Oranie ; Aissa sur Salé et Azemmour ; Yahia sur la ville de Dai (Beni Mellal) ; Ahmed sur les Miknassa et le Tadla ; Abdallah sur les Masmouda, avec les villes d’Agmat, de Nefis et le Sous274. Trois autres fils mineurs furent placés sous la tutelle d’Idriss (Benblal, 2004).

Aissa s’estima lésé et il se révolta. Comme El Kacem refusa de le réprimer, Idriss demanda à Omar d’intervenir. En remerciement, il lui remit leurs territoires.

Omar mourut en 835 et Mohammed ben Idriss le suivit dans la tombe en 838. Le successeur de ce dernier, Ali ben Mohammed ben Idriss, mourut quant à lui en 848 et son frère Yahia ben Mohammed ben Idriss ben Idriss lui succéda, régnant sous le nom de Yahia Ier (848-859).

À la mort de ce dernier, son fils Yahia ben Yahia ben Mohammed ben Idriss ben Idriss lui succéda sous le nom de règne de Yahia II. La décadence idrisside débuta alors, ce monarque laissant ses oncles gouverner à leur guise les territoires qu’ils considéraient comme des biens propres ; petit à petit, une dissociation de fait se produisit, chaque prince se rendant indépendant. Souverain réputé dépravé275, Yahia II eut à faire face au soulèvement de la population de Fès qui le chassa. Sa femme Atika demanda alors à son père, Ali ben Omar ben Driss, gouverneur du Rif276 d’intervenir, ce qu’il fit et il prit Fès. Yahia II mourut en 859 sans avoir eu d’héritier et la branche aînée des Idrissides s’éteignit avec lui.

Ali ben Omar ben Idriss, descendant d’Omar ben Idriss, frère de Mohammed ben Idriss, lui succéda, mais cette désignation provoqua la jalousie des autres princes idrissides qui se combattaient. Ali ben Omar ben Idriss fut battu par une coalition de tribus berbères commandée par Abd el-Rezak el-Fihri, un Arabe venu d’Andalousie et il se réfugia chez les Awarba.

Les Idrissides s’épuisèrent ensuite dans de sanglantes guerres civiles et familiales. Prises entre les feux croisés des Fatimides orientaux et des Omeyyades de Cordoue qui s’opposaient, les principautés idrissides disparurent les unes après les autres et l’actuel Maroc connut une longue phase de dissociation.

En 933 les partisans des Fatimides s’emparèrent la ville de Fès dont ils furent chassés dès 934 par une révolte et entre 984 et 986, les Omeyyades d’Espagne prirent le contrôle du nord du Maroc. La dynastie idrisside s’éteignit avec Ben Kennoun qui mourut en 985.

Les Idrissides avaient fondé le premier État marocain, même si leur pouvoir ne s’étendait pas à l’ensemble du Maroc historique. Ce fut durant leur période de domination que le Maroc se sépara définitivement de l’Orient en rompant ses liens d’allégeance avec les Abbassides de Bagdad. Le califat y fut remplacé par le sultanat, fondant ainsi l’autonomie du Maroc, le sultan devenant le chef de la communauté nationale par la Beia, cérémonie d’allégeance par laquelle ceux qui font la Beia reconnaissent au sultan le droit de les gouverner (Benjelloun, 1999).

Les Idrissides disparaissant peu à peu de la scène politique, plusieurs principautés berbères du groupe zénète apparurent. Celle de Fès fut déchirée par d’interminables rivalités familiales ; celle d’Aghmat dont nous ne savons quasiment rien, est surtout connue pour la beauté de Zineb, la femme de Laqout qui en était le chef et qui fut successivement prise pour épouse par les deux premiers chefs almoravides, à savoir Abou Bekr, puis Youssef ben Tachfin.

À l’est de ces principautés zénètes, dans le Maroc atlantique, entre Oum er Rbia et Bou Regreg, et s’étendant sur une partie de la Chaouia et le nord des Doukkala jusqu’aux limites du Tadla à l’est, le royaume berbère des Barghwata maintenait une réelle puissance (carte page XXX).

En dehors de ces ensembles, plusieurs autres entités berbères pourraient avoir existé, notamment l’« émirat » berbère de Nokour dans le Rif et la principauté des beni Khazroun à Sijilmassa (carte page XXXI).

IV-Les Fatimides entre Kabylie et Égypte (909-1171)

Ce fut dans l’actuelle Kabylie que naquit la dynastie fatimide dont l’histoire comporte deux périodes. De 909 à 974, les Fatimides furent les maîtres du Maghreb central et oriental puis, en 974, ils transférèrent leur pouvoir en Égypte. Avec les Fatimides, l’unité califale fut rompue puisqu’existèrent deux califats concurrents, celui du Caire et celui de Bagdad.

La Kabylie, berceau des Fatimides

L’empire fatimide277 naquit de la rencontre, lors d’un pèlerinage à La Mecque, probablement vers 893, d’Abou Abdallah al-Shi’i, un prédicateur shiite ismaïlien, et de membres de la tribu berbère des Kutama278, une branche des Sanhaja vivant en petite Kabylie. Ces derniers trouvèrent dans le shiisme279 le moyen de combattre, non pas l’islamisation, mais l’arabisation280. Le pays kutama était en effet englobé dans le royaume aghlabide arabe de Kairouan qui représentait dans cette partie du Maghreb le pouvoir des califes abbassides de Bagdad (carte page XXXIII).

La Kabylie entra en rébellion sous Ibrahim II (875-902), le troisième aghlabide quand les Kutama se levèrent en masse et déferlèrent de leurs montagnes au nom d’Obaid Allah, un Arabe qui se prétendait « descendant » du Prophète et qui s’autoproclama Mahdi281. En 904 ils prirent Sétif, puis Kairouan, tandis que le dernier aghlabide, Ziyadat Allah, s’enfuyait en Égypte.

En 909, après avoir vaincu les Aghlabides, les Kutama-Fatimides se tournèrent vers l’ouest et ils s’emparèrent du royaume ibadite de Tahert où ils massacrèrent la population282.

En 912, Obaid Allah fonda une nouvelle capitale, Mahdiya (la ville du Mahdi) où il mourut en 934. En 913, les Fatimides s’emparèrent de tout le littoral tripolitain, puis ils marchèrent en direction de Barqa qui fut prise en 914. Voulant poursuivre l’offensive, Abu al-Qasim, le fils du calife fatimide tenta alors d’entrer en Égypte, mais il fut repoussé. Installés dans l’actuelle Cyrénaïque, les Fatimides préparèrent alors la conquête de l’Égypte en visant l’oasis du Fayoum, mais ils échouèrent par deux fois dans leur entreprise, en 919 et en 935.

En 935, Abû al Quaim (934-946), fils d’Obaid Allah, eut à faire face à une révolte kharijite menée par Abu Yazid Makhlad ibn Kibdad (873-947), dit l’ « homme à l’âne », un Berbère zénéte de la tribu des Aït Beni Ifren originaire de Tozeur dans l’actuelle Tunisie, qui entraîna derrière lui une partie des tribus des Aurès, dont les Magrawa (Letourneau, 1978).

En 942, cette coalition zénéto-kharijite fut écrasée par Ziri Ibn Menad, chef de la tribu des Talkata (groupe Sanhaja), et les Aït Beni Ifren et les Magrawa (Letourneau, 1978) se réfugièrent dans l’actuel Maroc avant de se mettre sous la protection du Califat omeyyade de Cordoue auquel ils firent allégeance283.

Ziri ibn Menad fut récompensé de sa fidélité par le Mahdi qui en fit le chef de toutes les tribus Sanhaja de la région (Hrbek, 1997 : 248-265).

Le 3e calife fatimide, Ismaël El Mansour (le victorieux) (946-952) succéda à Abû al Quaim et en 969, sous le règne d’el- Mu’izz (952-975), les Fatimides se lancèrent à la conquête du califat oriental.

Le califat fatimide d’Égypte (970-1171)

En 969, l’armée fatimide qui, depuis le Maghreb, marcha sur l’Égypte était essentiellement composée de contingents berbères majoritairement Kutama et Beni Ziri. Après avoir pris Fostat, en 970, ces derniers entrèrent en Palestine, prirent Ramhala, puis Tibériade avant de s’emparer de Damas.

L’Empire fatimide qui venait d’être constitué partait de l’Ifrikiya à l’ouest et s’étendait jusqu’au Sinaï. L’actuelle Libye en était l’élément central284.

Al-Hakim (996-1021), fils et successeur d’al-Aziz, accéda au pouvoir alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Profitant de la faiblesse du jeune calife, les divers contingents ethniques285 composant l’armée fatimide s’entre-déchirèrent. Les premiers à prendre les armes furent les Berbères qui avaient longtemps constitué la force principale de la dynastie et qui acceptaient mal de se voir supplantés par les Turcs.

Durant le règne d’al-Hakim, l’Égypte fut menacée sur sa frontière ouest par un membre de la famille omeyyade nommé Abu Rakwa qui réussit à lever une armée composée de volontaires berbères zénètes et d’Arabes de la tribu des Beni Kurra, installée en Tripolitaine. En 1006, Abu Rakwa arriva jusqu’à Fostat et le régime fatimide fut sauvé par l’enrôlement de milliers de mercenaires nubiens286.

En 1009, Al-Hakim qui, dit-on, souffrait de maladie mentale, fit abattre le Saint-Sépulcre à Jérusalem et contraignit chrétiens et juifs à la conversion, avant de leur donner l’autorisation d’apostasier. Entre 1009 et 1014, il se livra à une sanglante persécution contre les Coptes287.

Sous ses successeurs, Al-Zahir (1021-1035) et Al-Mustansir (1035-1094), la crise du régime prit de l’ampleur, cependant que l’armée, mal payée, affaiblie par les luttes de clans était gagnée par l’indiscipline.

En 1072, un soulèvement militaire eut lieu et un général nommé Nasir el-Dawla emprisonna le calife Al-Mustansir, reconnut le califat abbasside et fit appel aux Turcs seldjukides. La dynastie fatimide fut alors sauvée par un Arménien converti à l’islam, Badr el-Djamali, gouverneur de Palestine. Au début de l’année 1074, il rétablit Al-Mustansir après avoir procédé à une importante épuration de l’armée et de la fonction publique. Il écrasa ensuite les contingents nubiens mutinés qui pillaient la Haute-Égypte. En 1077, il élimina la population berbère installée dans la région du delta et 20 000 femmes berbères auraient alors été vendues sur les marchés aux esclaves de la région (Bianquis, 1997 : 163).

Badr al-Djamali et le calife al-Mustansir moururent tous deux en 1094. L’anarchie gagna alors l’Égypte et Al-Afdal, fils de Badr al-Djamali installa sur le trône le jeune al-Hasan, tandis qu’il écartait son frère aîné Nizar qu’il fit jeter dans un cachot. À partir de ce moment, la dynastie fatimide fut le jouet des chefs militaires qui exerçaient la réalité du pouvoir tout en se livrant de terribles luttes fratricides.

252. À la différence de ceux de Tripolitaine, les Berbères de Cyrénaïque n’ont, semble-t-il, pas remis en question leur adhésion à l’islam orthodoxe.

253. Le Prophète Mohammed avait eu une femme copte nommée Maria qui lui avait donné un fils mort en bas âge et il avait demandé à ses disciples de respecter les Coptes.

254. L’impôt fut sans cesse augmenté. Entre 705 et 868, il doubla à cinq reprises (Cannuyer, 2000 : 63).

255. À la différence des Persans ou des Turcs qui conservèrent leurs langues respectives, les Égyptiens abandonnèrent la leur et ils furent intégrés à l’ensemble linguistique arabe. Plus de la moitié des Coptes s’étant convertis en quelques décennies, les musulmans semblent donc avoir été rapidement majoritaires en Égypte.

256. Vers 1055, ils furent pourchassés et leurs églises fermées.

257. Déformation de kaffir : noir.

258. Reconquête de la Crète en 961 ; d’Alep en 962 ; de Chypre en 965 ; d’Antioche en 969 etc.

259. Nous avons vu que les non musulmans devaient acquitter l’impôt foncier (kharaj) et l’impôt personnel (jiziya), preuve du statut inférieur des vaincus non croyants qui ne conservaient leurs biens qu’en échange de cette taxe – notamment le kharaj –, versée au bénéfice théorique de la communauté musulmane.

260. Il y eut au total quatre califes râchidûn ou « bien inspirés » qui se succédèrent entre 632 et 661.

-Le premier fut Abou Bakr (632-634) auquel, de son vivant, le prophète Mohammed avait confié l’honneur de diriger la prière.

-Le deuxième, Omar (634-644), fut désigné par Abu Bakr comme son successeur. Il fut assassiné en 644.

-Le troisième, Othman (644-656), fut choisi par un conseil de six sages, nommé par Omar et il fut assassiné en 656. La mort du troisième calife dit « orthodoxe », ouvrit une crise profonde dans le monde musulman, qui déboucha donc sur l’apparition de deux grands schismes, le shiisme et le kharijisme.

Après de longues négociations, le quatrième calife râchidûn fut Ali (656-661), gendre du Prophète – il avait épousé sa fille Fatima –, mais son pouvoir fut contesté. Il battit ses opposants en 656 à la bataille du chameau et il fut assassiné en 661. Après sa mort, l’unité politique et religieuse de l’islam éclata.

261. Deux compétiteurs s’étaient opposés, Ali, gendre et cousin du Prophète et héritier « automatique » en l’absence de descendance mâle, et Mu’awiya, cousin d’Othman. Ali, devait en théorie être le maître du califat lequel, après lui, aurait dû revenir à ses fils Hassan et Hosseyn. Mu’awiya ayant contesté le pouvoir d’Ali, une bataille les opposa. Ali avait l’avantage quand Mu’awiya fit fixer des exemplaires du Coran au bout des lances de ses cavaliers. De crainte de profaner le Livre Saint, Ali fit cesser le combat et deux arbitres furent désignés pour dire le droit.

Cet arbitrage fut refusé par nombre de soldats d’Ali qui sortirent (kharadj = sortir) car ils refusaient que l’on puisse demander aux hommes de se prononcer sur la parole de Dieu. En effet, en acceptant l’arbitrage, ils auraient enfreint le coran qui est la parole même de Dieu, ce qui aurait fait d’eux des hérétiques puisqu’ils auraient jugé à la place d’Allah dont le Coran est la parole incréée.

262. Nous n’entrerons pas ici sur les quatre grandes subdivisions de cette doctrine, ce qui nous entraînerait trop loin de notre sujet. Disons simplement que sur les quatre expressions du Kharijisme, à savoir l’Azarikisme, le Nadjadatisme, le Sufritisme et l’Ibadisme, les deux premières furent éliminées en Orient vers 693, soit avant la conquête définitive de l’Afrique du Nord berbère. Vers 712-714, le Sufritisme et l’Ibadisme commencèrent à y être introduits.

263. Les Abbassides qui gouvernèrent le monde musulman jusqu’en 1258 tirent leur nom d’Abbas, oncle du prophète Mohammed. Leur capitale fut déplacée de Damas à Bagdad. En 833 les Arabes perdirent leur statut privilégié, la pension que leur versait l’État fut supprimée et ils furent dispensés du service militaire. L’arrivée de la nouvelle dynastie, qui considérait les nouveaux convertis à l’égal des Arabes marqua la fin de la suprématie arabe.

264. L’ibadisme est une branche du kharijisme dont la principale originalité est politique dans la mesure où il affiche un respect pour le pouvoir établi, même s’il n’est pas ibadite, à la condition qu’il n’ordonne pas des actes contraires à la foi.

265. Pour l’origine géographique des Barghwata, voir Benhima (2008 : 62 et suivantes). Pour la discussion quant à l’origine de leur nom, voir Redjala (1983 : 115-125). Pour une vue d’ensemble les concernant, on se reportera à Khalf el Aabidi (1983).

266. Le Barghwata en tant qu’État et religion disparut sous les coups des Almoravides et non sous ceux des Almohades comme cela est parfois écrit. Les Almohades quant à eux détruisirent la tribu Barghwata elle-même (Khalf el Aabidi, 1983 ; Redjala, 1983 ; Benhima, 2008).

267. La limite entre le territoire aghlabide et celui des Tulunides passait à l’est de Misrata, Surt et Waddan étant probablement englobées dans la zone tulunide. Selon Jacques Thiry, la frontière orientale du royaume tulunide était la ville de Tawarga (Thiry, 1995 : 161).

268. Pour tout ce qui concerne cette dynastie, nous renvoyons à Benblal (2004).

269. « La Berbérie () reçoit d’Orient presque tous les chefs de ses premiers États musulmans. Ibrahim ben Aghlab, Ibn Rostem (Rustum), (), Idris, sont tous des Orientaux. () chez ces Berbères qui venaient de rejeter la domination arabe, les Orientaux qui pouvaient se réclamer d’une illustre naissance et surtout qui se présentaient comme des chefs religieux, des guides dans l’islam, avaient toutes chances d’être bien accueillis. Du fait qu’elle avait adopté l’Islam, la Berbèrie, bon gré, mal gré, devait se tourner plus ou moins vers l’Orient » (Terrasse, 1949 : 109).

270. En 680, à la mort de Mu’awiya, Hussein, le second fils d’Ali souleva la ville chiite de Koufa, en Mésopotamie, mais il fut battu à Kerbala par les Omeyyades. Vers 683, à Bassorah, les Alides se soulevèrent avant d’être écrasés. Sous les Abbassides, Idriss, descendant d’Ali prit part à la révolte menée par son frère Mohammed al-Nafs al-Zakiyya qui revendiquait le califat. Après la défaite de Fakh de 786 dans la région de La Mecque, suivie du massacre des partisans des Alides, Idriss s’enfuit au Maghreb.

271. Plus tard, les Awarba se déplacèrent à nouveau, peut-être durant l’époque almohade ; leur territoire actuel est pour l’essentiel situé au nord de Taza où vivent leurs descendants (les Ouerba Branès, les Jaia, les Meziat, les R’Ghiwa et les Setta). Un autre groupe de descendants des Awarba, les Adjouka, vit au sud d’El Ksar el-Kébir dans le nord du Maroc. Les descendants des Awarba des Aurès ne vivent pas tous au Maroc car, aujourd’hui encore, d’importantes fractions de cette tribu se retrouvent en Algérie, dans l’Aurès, l’Ouarsenis et le Mzab.

272. Ibn abi-Zar (1323 : 25) écrit que les Awarba furent rejoints par ces tribus, lesquelles, à leur tour proclamèrent Idriss et se soumirent à lui.

273. Le Maghreb était alors divisé en trois grandes zones : celle sous l’autorité des Idrissides à l’ouest, celle sous l’autorité des Kharijites au centre, et celle sous l’autorité des Aghlabides arabes à l’est (carte page XXX). Dix ans plus tard, vers 838, trois Etats karijites subsistaient : Sijilmassa (Sufrite), Zaoulia et Tahert (Ibadites). Le long des plaines atlantiques de l’actuel Maroc, se maintenait la Confédération des Barghwata que tous considéraient comme hérétique. Quant à l’islam ibérique, il était dirigé par les émirs omeyyades de Cordoue.

274. Pour tout ce qui concerne le partage du royaume effectué par l’aîné des fils d’Idriss II, nous renvoyons à Beck (1989 : 68 et suivantes).

275. « Yahia ben Yahia était un prince de mauvaises mœurs ; il viola dans le bain une jeune fille juive nommée Hannah, la plus belle femme de l’époque qui avait résisté à ses offres et à ses prières » (Ibn abi-Zar, 1326 : 72)

276. Il était le fils d’Omar, fils d’Idriss II qui avait reçu la région de Mohammed en remerciement de son intervention contre Aissa et El-Kacem comme nous l’avons vu plus haut.

277. Sur les Fatimides en général, voir Hrbek (1997 : 248-265) et sur les Fatimides au Maghreb, voir Dachraoui (1981).

278. Les Kutama sont les Ucutamani des Byzantins, connus pour leur cavalerie.

279. « Les Fatimides – qui tirent leur nom de Fatima, fille du prophète et épouse d’Ali – ont répandu la doctrine du chiisme de shi’a, le parti. Résolument « légitimistes », ils enseignent que le khalifat doit revenir à la descendance d’Ali, les « gens de la Maison », et que les trois premiers califes qui se sont succédé depuis Abû Bakr – pourtant qualifiés par la tradition de rashidûn, les « bien dirigés » – sont des usurpateurs. Usurpateurs donc également les califes des Omeyyades et des Abbassides, tous étrangers à la famille d’Ali et de Fatima » (Decret, 2003).

280. Après avoir combattu les Arabes Omeyyades au nom du kharijisme, doctrine égalitaire, certains Berbères luttèrent ensuite contre les Arabes Abbassides au nom du shiisme, doctrine théocratique et aristocratique. Il semble que ces derniers abandonnèrent donc leurs revendications égalitaires incarnées par le kharijisme au profit d’un ordre théocratique et aristocratique représenté par le shiisme. Dans les deux cas, la religion fut la couverture du fait ethnique berbère.

281. Il « régna » de 909 à 934 et prétendait descendre d’Hussein, fils de Fatima, la fille du prophète Mohammed et d’Ali son époux. « Sur le point de savoir qui devrait être le dernier imam visible et le premier caché (donc le Madhi), les shiites se scindent en de nombreux groupes. Ceux qui estiment que l’imam caché est le douzième, Muhammad, qui disparut en 878, sont connus sous le nom de duodécimains et forment aujourd’hui la majorité des shiites » (Hrbek, 1997 : 248).

282. Les Ibadites survivants s’installèrent au Mzab qui est demeuré jusqu’à aujourd’hui le cœur de l’ibadisme maghrébin.

283. Parmi les vaincus, nombreux furent ceux qui partirent en Andalousie, avec leurs familles, y formant ici et là des noyaux de populations aussi impopulaires aux indigènes que le furent les Kutama implantés en Égypte.

284. Après l’installation du calife el-Mu’izz au Caire, une nouvelle province fut créée. Ayant pour capitale Tripoli, elle englobait toute la Tripolitaine jusqu’à Agdabiya. Son premier gouverneur fut un Berbère kutama. En 977, le successeur d’el-Mu’izz, Al-Aziz, rattacha la province à l’Ifrikiya gouvernée par un Ziride. Puis les rapports se tendirent entre les Fatimides et leurs vassaux zirides, ce qui entraîna un vide du pouvoir en Tripolitaine. En 1001, un Berbère zénète de la tribu des Bani Hazrun, Fulful ben Hazrun, prit Tripoli et il y fonda une dynastie. Cette dernière contrôla la ville et sa région durant près de 150 ans en jouant de sa situation géographique pour s’allier tantôt aux Zirides de Tunis, tantôt aux Fatimides d’Égypte.

285. Berbères, Slaves, Nubiens et Turcs.

286. Durant toute la période fatimide la Nubie fut prospère et de nombreux Nubiens furent intégrés à l’armée égyptienne dans laquelle ils constituèrent notamment la garde du souverain, connue sous le nom de Garde noire. À cette époque, quatre évêchés existaient en Nubie, Ksar Ibrim, Faras, Saï et Dongola. La chronologie des évêques de Faras est connue depuis la fondation du diocèse au VIIe siècle jusqu’en 1175.

287. Sa mort mystérieuse en 1021 donna largement naissance à la croyance des Druzes qui attendent son retour.