S’étant déraisonnablement endettée afin de financer des projets surdimensionnés, l’Égypte rata son entrée dans la « modernité ». Au même moment, la Libye fut directement reprise en main par l’Empire ottoman. Au Maghreb, le statut de l’Algérie fut plusieurs fois remis en question au gré des changements de la politique française, cependant que le Maroc s’enfonçait dans une crise devenue structurelle.
Dans les années 1880 l’Égypte se trouva placée au cœur de l’actualité internationale pour trois grandes raisons :
1-Le canal de Suez ayant été inauguré en 1869, la région devint hautement stratégique.
2-L’Empire ottoman dont elle dépendait était en déclin.
3-Le pays connaissait un véritable chaos financier.
Nous avons vu au chapitre précédent qu’au mois de mars 1848, malade, Méhémet Ali fut écarté du pouvoir au profit de son fils Ibrahim nommé pacha par la Porte ottomane. Nous avons également dit que cet homme à poigne qui avait été l’artisan des conquêtes de son père avait l’intention de rompre avec la Porte ottomane afin de faire de l’Égypte le centre d’un nouvel empire arabe. Il n’eut pas le temps de mettre cette politique en pratique puisqu’il mourut le 10 novembre 1848 après un règne de sept mois seulement472.
Le successeur d’Ibrahim fut un petit-fils de Méhémet Ali, fils de Toussoun, qui régna sous le nom d’Abbas I (1848-1854). Nationaliste ardent, il voulut limiter l’influence que les Français exerçaient sur l’Égypte. On put parler de son règne comme celui de l’« éclipse française » sur l’Égypte. En revanche, il eut d’excellentes relations avec Londres qui se concrétisèrent en 1851 par l’autorisation donnée aux Anglais de construire le chemin de fer Alexandrie-Le Caire. Il mit un terme à la politique de confrontation avec l’empire ottoman, choisissant de persuader La Porte d’accorder à l’Égypte une autonomie de plus en plus importante. En 1853, au début de la guerre de Crimée, il envoya des troupes combattre aux côtés de celles du sultan ottoman. Il fut assassiné en 1854 par deux de ses esclaves.
Son successeur, fut Mohammed Saïd (1854-1863), un de ses oncles et fils de Méhémet Ali qui entretenait d’excellentes relations avec Ferdinand de Lesseps auquel il accorda par firman en date du 30 novembre 1854, le droit de fonder une société chargée de construire un canal maritime reliant la Méditerranée et la mer Rouge. La Compagnie du Canal de Suez fut constituée au mois de décembre 1858 avec un capital de quatre cent mille actions de cinq cents francs chacune. Mohammed Saïd en souscrivit 42 % et les particuliers français 52 %. À cette phase, l’Angleterre était absente et la presse britannique qui ne croyait pas dans la faisabilité du projet parla même d’une duperie. La compagnie reçut pour 99 ans la concession des terres nécessaires au percement du canal. Le chantier démarra le 25 avril 1859473.
À la mort de Mohammed Saïd, ce fut un neveu du défunt, Ismaël (1863-1879), fils d’Ibrahim et petit-fils de Méhémet Ali, qui accéda au trône. Formé en France, il voulut moderniser l’Égypte mais, pour financer les grands travaux nécessaires à cette politique, il continua à l’enfoncer dans l’endettement. À l’extérieur, il participa à la pacification de la Crète aux côtés des Ottomans et en remerciement, il reçut par firman du 8 juin 1867, le titre de Khédive avec droit de transmission à ses seuls descendants directs474.
Sous son règne, l’Égypte dépassa les possibilités de son endettement. Le Royaume-Uni et la France, ses principaux créanciers, s’ingérèrent alors peu à peu dans ses affaires afin de garantir le remboursement de la dette. La part de plus en plus importante prise par les capitaux européens dans l’économie égyptienne avait comme nous l’avons vu, véritablement commencé à croître à partir des années 1840-1850475. Le mouvement fut amplifié durant le règne du Khédive Ismaël pour atteindre des proportions déraisonnables, notamment quand les emprunts furent systématiques pour lancer une politique de creusement de canaux, de construction de ponts, de mise en chantier de nouvelles lignes de chemin de fer, de lignes télégraphiques ou encore d’aménagement des grandes villes. À la fin de l’année 1875, l’Égypte ne fut plus en mesure de rembourser ses créanciers.
À Londres, les critiques, et même les sarcasmes, qui avaient accompagné le début du projet du canal de Suez étaient oubliés et grands étaient les regrets de ne pas avoir participé à sa création. Disraeli Premier ministre, la Grande-Bretagne racheta alors à l’Égypte la totalité de ses parts dans la Compagnie du canal de Suez, ce qui donna un ballon d’oxygène de quelques mois à ses finances tout en permettant à Londres de devenir l’actionnaire majoritaire de la Compagnie476.
Au mois de mai 1876, le pays fut en effet de nouveau en situation de banqueroute et au mois de novembre, les créanciers imposèrent au khédive la nomination de deux contrôleurs généraux des finances, un Français et un Anglais.
Moins de deux années plus tard, au mois d’août 1878, Paris et Londres exigèrent qu’Ismaël constitue un gouvernement composé d’experts européens qui, de fait, prit le contrôle du pays. L’agitation nationaliste qui découla d’un tel diktat fut telle que le khédive se sentit menacé. C’est alors qu’il tenta d’apparaître comme un résistant, s’opposant dans la mesure de ses faibles moyens à la main mise étrangère. Cédant devant les menaces de la rue, il se sépara alors de ses conseillers européens, ce qui fut considéré comme un acte d’hostilité par la Grande-Bretagne et par la France qui demandèrent au sultan turc l’autorisation de le déposer. Ce dernier qui n’était pas en mesure de répondre par la négative à deux des principales puissances européennes, donna son accord et en 1879, le Khédive Ismaël fut contraint d’abdiquer.
Il fut remplacé par son fils Tewfik Bey (1879-1892) qui accepta le retour des conseillers européens. En quelques mois, les finances égyptiennes se rétablirent, mais l’agitation nationaliste reprit avec une vigueur accrue. En 1881, ce fut même à une véritable révolte que l’on assista, Tewfik Bey étant accusé d’être le « valet des Européens ».
Le mouvement qui prit une vaste ampleur était mené par un officier dont la popularité devint immense et qui avait pour nom Ahmed Urabi (ou Orabi), plus connu sous le nom d’Arabi Pacha (ou Orabi Pacha) (1839-1911) et qui, à la différence des hauts gradés de l’armée appartenant à la caste turco-mamelouk, était d’origine paysanne et égyptienne. Il devait sa promotion aux réformes qui avaient été décidées sous le règne de Mohamed Saïd et qui avaient eu pour but d’ouvrir l’accès aux hauts grades de l’armée à des officiers issus de milieux modestes.
En 1876, Arabi Pacha avait constitué une société secrète qui fut renforcée à partir de 1879 par le corps des officiers autochtones qui s’estimait humilié par les Turco-mamelouks qui monopolisaient les grades supérieurs. Le mouvement se transforma ensuite en un parti politique qui prit le nom de Parti nationaliste (Al-Hizab al Watani)477. Influent auprès du nouveau khédive, il menaça directement les intérêts britanniques ; d’autant plus qu’en février 1881 une révolte militaire éclata et qu’au mois de janvier 1882, Arabi Pacha devint sous-secrétaire d’État à la Guerre, puis ministre de la Guerre un mois plus tard.
Face à ces événements, la Grande-Bretagne hésitait à s’engager sur le terrain, souhaitant demander à la Turquie de le faire à sa place. La complexité des relations internationales du moment empêcha cette intervention car la Russie étant en conflit quasiment ouvert avec la Turquie au sujet des Balkans, Saint-Pétersbourg s’opposait donc à tout ce qui pouvait renforcer « l’homme malade de l’Europe ».
Une intervention militaire franco-britannique en Égypte fut alors envisagée. Mais la France était au même moment agitée par une grande controverse à laquelle le Parlement donnait le plus large écho : quel choix politique devait-il être fait entre l’expansion coloniale et la « Revanche » ? Dans ces conditions, à Paris, l’éventualité d’une participation française à une opération en Égypte fut âprement discutée. Si Gambetta, le Président du conseil, était partisan d’une intervention aux côtés des Britanniques, l’opposition radicale était quant à elle favorable à une opération internationale dont le commandement serait donné à la Turquie, ce qui, et nous venons de le voir, était impossible à envisager.
En 1881, la France, alors dirigée par le deuxième gouvernement Freycinet qui avait succédé au gouvernement Gambetta le 30 janvier 1882, proposa une intervention symbolique destinée à intimider Arabi Pacha.
Le 10 juin, une flotte franco-britannique se présenta devant Alexandrie. Le 11, une violente émeute éclata en ville durant laquelle plusieurs dizaines d’Européens furent massacrées. Au mois de juillet 1882, Freycinet qui s’était finalement décidé à intervenir aux côtés de la Grande-Bretagne demanda des crédits au Parlement. Le 30 juillet, sa demande fut massivement rejetée et le gouvernement démissionna.
Se retrouvant seule, et comme elle estimait ses intérêts vitaux menacés, la Grande-Bretagne se décida alors à agir. Le 11 juillet 1882, la marine britannique bombarda les forts d’Alexandrie et un corps de débarquement commandé par sir Garnet Wolseley fut mis à terre. Arabi Pacha fut battu et dès le mois d’août 1882, les Britanniques étaient maîtres du terrain. Le 13 septembre 1882, les dernières forces égyptiennes furent dispersées. Arabi Pacha fut capturé puis déporté à Ceylan478 et l’armée égyptienne licenciée.
La poussée égyptienne vers le Soudan
Nous avons vu que durant la première moitié du XIXe siècle, à l’époque de Méhémet Ali (voir page 301 et carte page XLIX) l’Égypte avait développé une politique impérialiste en mer Rouge et en Nubie. La ville de Khartoum fut fondée en 1830 et des comptoirs créés vers le sud.
En 1874, Ziber Pacha, gouverneur de la province du Bahr el Ghazal et conquérant du Darfour, apparut comme un rival potentiel du khédive Ismael qui se mit à craindre de voir naître en Nubie un sultanat rival et il le rappela au Caire. Il nomma des Européens pour gouverner son immense empire soudanais, mesure qui avait un double avantage pour lui. D’une part, les philanthropes ne pourraient que reconnaître sa bonne volonté dans son intention de contrôler la traite des esclaves ; d’autre part, il n’aurait rien à craindre de gouverneurs européens qui ne seraient jamais des concurrents, des rivaux ou des compétiteurs.
En 1872, l’Anglais Samuel Baker fut nommé gouverneur de la région de l’Equatoria. Au mois de mars 1873, un autre Anglais, Charles Gordon, lui succéda avant d’être nommé gouverneur général du Soudan en 1877479. Ses successeurs, l’Américain H.G Prout, colonel dans l’armée égyptienne et Ibrahim Fauzi furent dépassés par leurs responsabilités et il fallut attendre 1878 et la nomination de l’Allemand Edouard Schnitzer (Emin Pacha) comme gouverneur de la province de l’Equatoria pour que l’autorité égyptienne soit véritablement rétablie.
Gordon eut à combattre Soliman480, le fils de Ziber Pacha, qui s’était révolté contre les autorités égyptiennes et qui fut tué au mois de juillet 1879 par la colonne de l’Italien Gessi.
À partir des années 1870, à l’appel d’un chef religieux originaire de Dongola, Muhamad Ahmed Ibn Abdallâh (1844-1885)481, qui se faisait appeler al-Mahdi482, un puissant mouvement connu sous le nom de Mahdisme, souleva les populations soudanaises contre le Khédive d’Égypte accusé d’être le « valet des infidèles » (carte page L).
Deux grandes périodes doivent être distinguées à l’intérieur de la parenthèse turque qui couvre les années 1835 à 1911. La première, qui va de 1835 aux années 1880 est celle de la prise de contrôle territoriale, de la mise au pas des tribus et de la définition d’une nouvelle forme d’administration, « directe » en Tripolitaine et comme déléguée à la Sanûsiya en Cyrénaïque. La seconde, entre les années 1880 et 1911, est celle de la tentative de création d’un empire saharo-sahélien face aux ambitions territoriales françaises, d’où des tensions avec Paris (Lugan, 2015).
En 1835, le retour turc fut accepté dans les villes côtières. Ailleurs, les Ottomans durent combattre les tribus ; dans cette entreprise, ils eurent la main lourde :
« La force est employée à la turque : les colonnes de réguliers, Turcs et Kouloughlis, usent du sabre, du fusil et du canon, brûlent récoltes et villages, s’emparent d’otages, empalent et décapitent, exposant par dizaines les têtes coupées. L’usage de la force démontre la résolution du maître et l’irréversibilité de la situation. Ils s’accompagnent d’une pratique diplomatique subtile qui dissocie les insoumis » (Martel, 1983a : 76).
La Porte ottomane mena des expéditions contre les tribus de l’intérieur en prenant appui sur la ville de Misrata fermement tenue par Osman Agha.
En 1841, les rebelles de Tarhuna commandés par Mrayed furent défaits par le général (feriq) Hamed Pacha. Cette réussite était de la plus haute importance car elle permit de couper en deux le front rebelle, séparant les insurgés sédentaires du Djebel Nefusa des Bédouins de la région des Syrtes. Les premiers étaient commandés par Ghouma el-Mahmoudi, les seconds par Abd el-Gelil ; les Turcs allaient donc pouvoir les affronter séparément.
En 1842, la ville de Garyan, cœur du territoire de Ghouma el-Mahmoudi fut prise et sa résistance écrasée en 1842. Capturé, il fut exilé en Turquie483. La même année, Abd el-Galil Sayf an-Nasir le chef des Awlad Sulayman (Ouled Slimane), qui avait été approché par des agents français fut fait prisonnier et décapité avec les principaux chefs de la tribu484. Les Turcs placèrent alors une garnison à Mourzouk et en 1843 Ghadamès fut occupée.
À la suite de cette campagne, les Awlad Sulayman qui tenaient une ligne partant du golfe des Syrtes et reliant le Fezzan jusqu’au Bornou, au nord du lac Tchad, éclatèrent en plusieurs rameaux dont le plus important partit vers l’actuel Tchad, ravageant en chemin les royaumes de Kanem et de Bornou.
La Sanûsiya485
La Sanûsiya est un ordre religieux musulman fondé en 1835 par un Algérien du nom de Saïd Muhammad ben Ali As-Sanûsi (1787-1859). Né dans une tribu arabe de la région de Mostaganem, il étudia à Fez, puis, en 1812, il partit pour Le Caire. S’étant brouillé avec les docteurs d’El Azhar, il décida de se rendre à La Mecque où il fonda une confrérie prônant le retour aux sources de l’islam.
En 1830 et en 1838, il tenta d’installer sa confrérie en Algérie, puis en Tunisie, mais il se heurta à la confrérie Qadiriya qui désirait conserver son monopole. Il repartit alors pour l’Orient mais, en chemin, il fit halte à Tripoli où, le sultan ottoman avait rétabli son autorité depuis 1835. Le pacha qui représentait ce dernier l’accueillit favorablement et autorisa une fondation.
La première fut établie en Cyrénaïque, à Al-Baïda dans le Djebel Akhdar, puis il partit pour l’oasis d’Al-Jaghbub à proximité de l’Égypte où il créa une zaouia. Cette dernière se développa le long des axes caravaniers, rayonnant au sud, vers Koufra et le lac Tchad, et vers l’ouest en direction de Ghat et d’Agadès.
La Sanûsiya fut l’âme de la résistance à l’implantation française dans le Sahara oriental, puis à la mainmise italienne dans la future Libye486.
Durant plus d’un demi-siècle, Al-Jaghbub fut la capitale de la Sanûsiya et elle joua un rôle considérable, tant sur un plan religieux que politique et économique sur toute la zone tchado-soudanienne ainsi que sur une vaste partie du Sahara oriental. André Martel (2011) voit plusieurs raisons à ce choix :
- Al-Jaghbub est située sur la route traditionnelle empruntée par les pèlerins maghrébins se rendant à La Mekke.
- L’oasis est également placée sur un axe caravanier menant à Koufra et de là, au Waddaï et vers le lac Tchad487.
- Son isolement garantissait son autonomie par rapport au pouvoir politique.
À partir de 1858, les troupes turques réussirent à s’imposer dans toute la Tripolitaine et dans une partie du Fezzan où elles conclurent une sorte de condominion avec la confrérie sénoussiste, la Sanûsiya, qui devint de fait le représentant du sultan auprès des tribus488. En 1859, sous le gouvernorat d’Ahmed Izzet Pacha, Istanbul étendit son autorité jusqu’au Tibesti, dans le nord du Tchad actuel, qui fut placé sous protectorat.
En 1864, l’eyalet ottoman de Libye devint un wilayet ou gouvernorat, divisé en cinq sandjaks (Tripoli, Djebel el-Gharbi, Homs, Benghazi et Mourzouk). Même si le contingent turc stationné en Libye ne dépassa jamais les 5 000 hommes, des garnisons furent installées et des forts construits dans les oasis de Tripolitaine et du Fezzan489. La Turquie utilisa l’« écran touareg » (Martel, 1991 : 53) pour tenir les Français et leurs alliés les Arabes Chaamba490, à distance. Le 30 octobre 1881, furent créés les districts de Ghadamès, de Ghat, de Mourzouk et d’al-Qatrum491.
Avec le gouverneur Ahmed Rassim Pacha (1881-1897), puis avec l’Albanais Rejeb Pacha (1904-1908), le Wilayet de Tripoli connut une certaine forme de modernisation. Dans la réalité, les Turcs tinrent la Tripolitaine, abandonnant de fait la Cyrénaique et le Fezzan à la Sanûsiya.
Au point de vue administratif :
« L’originalité du système pratiqué dans le wilayet de Tripoli résulte de la coexistence de deux systèmes, l’un en Tripolitaine d’administration directe, l’autre d’autonomie totale en Cyrénaique. La souveraineté du sultan khalife est partout reconnue. Mais à l’ouest, des fonctionnaires nommés et révocables obéissent à un wali […]. À l’est, c’est le cheikh de la sanussiya qui choisit ses représentants personnels […] Jusqu’en 1909-1910, les deux formules coexistent sans aucun autre contact qu’au sommet : le sultan envoie ses représentants au Sénoussi et reçoit les siens ; le moutessaref de Benghazi ne pénètre pratiquement jamais dans le domaine de la Sanûsiya. La défense du dar al-Islam et de l’empire assure cependant la cohésion de l’ensemble » (Martel, sd).
Ali As-Sanûsi mourut en 1859 et son tombeau (quba) devint un lieu de pèlerinage. Son successeur fut son fils, Mohammed al-Mahdi As-Sanûsi qui résida à Al-Jaghbub. En 1895, le cœur de la Sanûsiya fut transféré à Koufra, afin de rapprocher cette dernière du Waddaï et du bassin du Tchad où son pouvoir était menacé par les entreprises de Rabah (Lugan, 2009), devenu sultan du Bornou en 1893 après de sanglantes conquêtes.
En 1902, alors qu’il se trouvait à Gouro, dans le Borkou, Mohammed al-Mahdi As-Sanûsi mourut et son successeur fut un de ses neveux, nommé Ahmed el-Sharif As-Sanûsi. Ce dernier décida aussitôt de regagner Koufra afin de mettre une grande distance entre le siège de la Sanûsiya et les Français qui, après avoir battu Rabah en 1900 avaient entrepris de contrôler le bassin du Tchad.
Depuis Koufra, encouragée par le sultan turc, la Sanûsiya mena alors une guerre d’une dizaine d’années contre la poussée française. Ce fut ce que l’on appela alors en France la « guerre franco-senoussi ». Cette dernière qui se déroula au début du XIXe siècle fut une véritable guerre indirecte entre Français et Turcs conduite par nomades sahariens interposés. Les Ottomans armèrent ainsi les Touareg Ajjer qui étaient passés sous l’influence de la Sanûsiya et qui furent appuyés par la garnison turque de Ghat. Quant aux Français, ils équipèrent et recrutèrent les Arabes Chaamba, adversaires séculaires des Touareg.
Il fallut dix-sept ans pour conquérir l’Algérie, de 1830 à 1857 mais immédiatement, se posa la question de savoir ce qu’il convenait de faire avec ce qui apparut vite comme une « encombrante conquête ». Fallait-il se contenter d’une occupation restreinte ou bien au contraire occuper toute la façade maritime de l’ancienne Régence turque d’Alger ? De plus, chez certains militaires aussi bien que chez certains civils, l’opinion était qu’il ne fallait pas prolonger la conquête (Guiral, 1992 : 38-41) 492.
Implicitement annexée à la France, l’Algérie fut d’abord administrée selon la Loi du 24 avril 1833 créant les établissements français d’Afrique dont la gestion était prévue par Ordonnances royales. C’était en réalité une colonie militaire dont le régime fut défini par l’Ordonnance du 22 juillet 1834. Rattachée au ministère de la Guerre, elle était alors dirigée par un gouverneur général.
Le nom d’Algérie fut officiellement donné à la conquête française par le général Schneider, alors ministre de la Guerre dans le deuxième gouvernement Soult le 14 octobre 1838 dans une instruction au maréchal Valée gouverneur général de l’Algérie et dans laquelle il écrivit :
« Jusqu’à ce jour, le territoire que nous occupons dans le nord de l’Afrique a été désigné dans les communications officielles soit sous le nom de Possessions françaises dans le nord de l’Afrique soit sous celui d’Ancienne régence d’Alger, soit enfin sous celui d’Algérie. Cette dernière dénomination plus courte, plus simple et en même temps plus précise que toutes les autres […] a semblé dorénavant prévaloir […] je vous invite en conséquence […] à substituer le mot Algérie aux dénominations précédentes » (Cité par Guiral, 1992 : 45).
Le 23 avril 1833, Louis Alexis Desmichels (1779-1845), brillant officier ayant participé à la plupart des campagnes napoléoniennes, prit le commandement de la garnison d’Oran, recevant directement ses ordres auprès du ministre de la Guerre à Paris. À son arrivée, la situation militaire était confuse car plusieurs tribus de la vallée du Sig (région de Mascara), s’étaient soulevées contre les Français. Au début du mois de mai, il pacifia la région mais, quelques jours plus tard, une forte troupe commandée par Abd el-Kader493 marcha sur Oran. Le 27 mai, la ville fut attaquée et les assaillants furent repoussés après avoir subi de lourdes pertes.
Profitant de cette victoire, Desmichels se mit en marche vers Mostaganem qu’il prit fin juillet. Durant les mois suivants les combats furent incessants. Le 4 février 1834, après une nouvelle victoire, le général signa un traité de paix. Connu sous le nom de Traité Desmichels, il reconnaissait l’autorité d’Abd el-Kader sur toute la partie ouest de l’actuelle Algérie à l’exception des villes d’Oran, de Tlemcen et de Mascara.
La signature de ce traité provoqua une forte tension à l’état-major et Desmichels fut relevé de son commandement par le général Théophile Voirol, commandant en chef de l’armée d’Afrique. En effet, alors que Desmichels favorisait le renforcement de l’autorité d’Abd el-Kader, Voirol soutenait au contraire les tribus insurgées contre lui, notamment les Douera, qui venaient de le vaincre et qui avaient même enlevé son camp494.
En 1835, le successeur du général Desmichels, le général Alphonse Trezel, reçut les envoyés des tribus Douera et Smela qui lui proposèrent de se mettre au service de la France comme elles l’avaient été auparavant à celui de l’empire ottoman, ce qui aboutit le 16 juin 1835 à la « Convention du figuier ».
Cet accord provoqua la colère d’Abd el-Kader qui voyait deux tribus qui lui étaient hostiles passer au service des Français. Afin de protéger ses nouveaux alliés menacés par Abd el-Kader, le général Trezel entra en campagne avec 1 700 hommes, soit dix fois moins que les effectifs de l’émir qui remporta deux victoires, l’une le 26 juin 1835, l’autre le 28 juin dans le défilé de la Macta alors que la colonne française marchait vers Mascara, la capitale d’Abd el-Kader495.
Le 7 juillet 1835, le maréchal Clauzel fut nommé commandant en chef de l’armée d’Afrique496 et des renforts commandés par le général Bugeaud furent envoyés. Ce dernier fut également chargé d’une délicate mission par le gouvernement puisque, voulant signer la paix avec Abd el Kader, il lui donna carte blanche et sans avoir à en référer au Gouverneur, le général Damrémont.
Bugeaud débarqua le 5 avril 1837 et dès le 30 mai, le traité de la Tafna fut signé à l’avantage d’Abd el-Kader qui se voyait reconnaître la possession de l’Oranie et de l’Algérois, la France ne conservant qu’Oran et Alger ainsi qu’une petite zone de colonisation dans la Mitidja. Bugeaud avait donc suivi la même politique que Desmichels puisque la convention de la Tafna reconnaissait de fait l’autorité d’Abd el-Kader. Mis devant le fait accompli, Damrémont envoya un rapport à Paris dans lequel il protestait dans les termes suivants :
« Le traité n’est pas avantageux, car il rend l’émir plus puissant qu’une victoire éclatante n’aurait pu le faire et nous place dans une situation précaire, sans garanties, resserrés dans de mauvaises limites ; il n’est pas honorable, car notre droit de souveraineté ne repose sur rien et nous abandonnons nos alliés ; il n’était pas nécessaire, car il ne dépendait que de nous de nous établir solidement dans la Mitidja et autour d’Oran, et de nous y rendre inattaquables en réservant l’avenir » (Cité par Guiral, 1992 : 152).
Par une lettre en date du 29 mai 1837 rédigée au camp de la Tafna et destinée au ministre de la Guerre, Bugeaud justifia quant à lui les importantes concessions faites à Abd el-Kader :
« J’ai cru qu’il était de mon devoir comme bon Français, comme sujet fidèle et dévoué du Roi, de traiter avec Abd el-Kader, bien que les délimitations du territoire fussent différentes de celles qui m’ont été indiquées par M. le ministre de la Guerre. »
En signant ce traité, Bugeaud semble-t-il, n’était pas en désaccord avec les vues du gouvernement puisque, le 22 mai 1837, le comte Louis Molé, président du Conseil, avait écrit au gouverneur général, le général Damrémont :
« Le but que le gouvernement se propose n’est pas la domination absolue ni l’occupation effective de la Régence […] La France a surtout intérêt à être maîtresse du littoral. Les principaux points à occuper sont Alger, Oran et Bône avec leurs territoires. Le reste doit être abandonné à des chefs indigènes. »
De haute taille, vigoureux, l’œil gris clair, le nez légèrement aquilin, ancien officier de la Grande Armée, Thomas Robert Bugeaud, marquis de la Piconnerie, duc d’Isly, maréchal de France, naquit à Limoges le 15 octobre 1784. Engagé volontaire en 1804 dans la Garde impériale, il participa à la bataille d’Austerlitz comme caporal et à celle de Waterloo avec le grade de colonel. Il gagna la plupart de ses grades durant les campagnes d’Espagne où il servit quasiment sans interruption de 1808 à 1813, et où il acquit une grande expérience de la guerre contre les partisans ce qui lui servira en Algérie. Rallié à l’Empereur durant les Cent Jours, il fut mis en demi-solde et se retira en Dordogne avant de reprendre sa carrière sous la Monarchie de Juillet.
Promu maréchal de camp le 2 avril 1831, il se fit élire député de la Dordogne au mois de juillet de la même année. Au mois de mai 1836 il fut nommé à la tête des renforts envoyés en Algérie. Il avait alors cinquante-deux ans et une nouvelle carrière s’ouvrait devant lui.
Dès son arrivée, Bugeaud décida de bousculer les pesanteurs qui faisaient de l’armée d’Algérie un corps lent et peu apte aux combats d’Afrique. La lutte contre la guérilla espagnole ayant été formatrice, il décida de se débarrasser des lourds convois et d’une artillerie qu’il jugeait largement inutile dans ce genre de campagne. Sa première priorité fut d’alléger les hommes qui portaient alors un fourniment composé de sept à huit jours de vivres, de soixante cartouches, de chemises et souliers de rechange, d’ustensiles de cuisine et de couchage, etc.
Sa vision fut clairement définie dans un rapport daté du 10 juin 1836 :
« Il faut […] pour commander […] en Afrique, des hommes vigoureusement trempés au moral et au physique. Les colonels et les chefs de bataillon un peu âgés, chez qui la vigueur d’esprit et de cœur ne soutient pas les forces physiques devraient être rappelés en France, où ils recevraient ou leur retraite ou des commandements de pace. Leur présence ici est beaucoup plus nuisible qu’utile […] Ce qu’il faut aussi pour faire la guerre avec succès, ce sont des brigades de mulets militairement organisés, afin de ne pas dépendre des habitants du pays, de pouvoir se porter partout avec légèreté pour suivre l’ennemi sur tous les points où il se retire, et de ne pas charger les soldats ».
Dans un autre rapport daté du 24 juin celui-là, il préconisait la création d’unités spécialisées, car les régiments de renfort arrivant de France avaient une mentalité qu’il qualifiait de « détestable », leurs officiers servant en Afrique à contrecœur, ce qui avait naturellement pour effet de démoraliser les hommes. Aussi, écrivait-il qu’il fallait « des troupes constituées tout exprès ».
En fin de séjour, il rédigea un Mémoire sur la guerre dans la province d’Oran. Il y reprenait les idées développées dans ses précédents rapports :
« Il ne faut point trop multiplier les postes fortifiés, qui diminuent les ressources disponibles en hommes, sont coûteux et difficiles à ravitailler, et exposent aux surprises. »
Il concluait en préconisant le mouvement, toujours le mouvement et cela grâce à la mise au point d’un « système de colonnes agissantes ». Gouverneur général de l’Algérie du 29 décembre 1840 au 29 juin 1847, Bugeaud quitta l’Algérie le 5 juin 1847 après avoir démissionné. Nommé Maréchal de France le 31 juillet 1843, élu député de la Charente Inférieure du 26 novembre au 10 juin 1849, il mourut à Paris le 10 juin 1849, emporté par le choléra (Guiral, 1992 : 143-183).
Plus tard, à l’Assemblée, certains représentants reprochèrent à Bugeaud les abandons contenus dans les accords de la Tafna et qui faisaient d’Abd el-Kader le souverain de toute la partie occidentale de l’Algérie avec autorité sur les tribus qui s’étaient ralliées à la France.
En 1838, alors qu’il était rentré en France où il avait retrouvé son siège de député de la Dordogne, Bugeaud défendit le traité qu’il avait conclu, répondant aux critiques des parlementaires avec un grand sens politique doublé d’une rare clairvoyance. Il argumenta, expliquant que l’alternative était simple : soit le traité qu’il avait signé, soit une guerre coûteuse en hommes, en moyens et en définitive inutile car le système militaire français étant inadapté, les territoires conquis ne pourraient dans tous les cas pas être conservés. D’ailleurs, quelle était au juste la politique de la France ? Avant toutes choses, il importait de le savoir et Bugeaud déclara alors :
« Vous n’avez pas encore de système ; je vous ai donné par le traité, du temps pour en juger ; et quand ce ne serait que cela, ce serait déjà un très grand service. »
Il ajoutait que si la France voulait conquérir l’Algérie il faudrait d’abord réorganiser l’armée en profondeur et lui donner d’autres moyens que ceux qui y étaient déployés. C’est ainsi que 100 000 hommes seraient nécessaires qu’il faudrait répartir en dix colonnes de 10 000 hommes chacune, 3 000 hommes demeurant au dépôt et les 7 000 autres légèrement équipés et très mobiles, devant sillonner le pays.
Après la signature du Traité de la Tafna, Abd el Kader chercha à constituer un état et un consul de France résida auprès de lui à Mascara. Il ne bougea pas à l’automne 1837 quand la France entreprit l’expédition de Constantine lors de laquelle, le 19 octobre, le général Damrémont trouva la mort.
La rupture se produisit en automne 1839 quand le maréchal Valée497 relia Constantine à Alger par les « Portes de fer des Bibans498», ce qu’Abd el-Kader considéra comme une violation territoriale de la Convention de la Tafna et il proclama alors le jihad, la guerre sainte.
Les régions contrôlées par les Français furent attaquées, notamment les zones de colonisation de la Mitidja où de nombreux colons furent massacrés. Les postes de Koléa et de Blida furent assiégés et l’avant-garde d’Abd el Kader poussa jusque sous les murs d’Alger.
Les nouvelles d’Algérie étant alarmantes, le 15 janvier 1840, à l’Assemblée, le député Bugeaud donna son avis en séance. Après avoir exposé qu’il n’y avait selon lui que trois options possibles : l’abandon pur et simple, l’occupation maritime de « quelques Gibraltar » qui absorberait des effectifs disproportionnés pour des objectifs peu clairs, ou enfin la conquête totale, il déclara :
« […] Je ne serai pas suspect quand je dirai que l’occupation restreinte, me paraît une chimère. Cependant, c’est sur cette idée qu’avait été fait le traité de la Tafna. Eh bien, c’est une chimère […] Messieurs, il ne reste pas trois partis à prendre : l’abandon, l’occupation maritime et la conquête absolue. L’abandon, la France officielle n’en veut pas […]. L’occupation maritime serait bonne si l’on pouvait avoir sur la côte quelques Gibraltar qu’on put garder avec 1 200 ou 1 500 hommes et approvisionner par mer. Mais il n’en est point ainsi ; vous avez des populations considérables à nourrir : 35 000 âmes à Alger, 12 000 à 15 000 à Oran, 8 000 à Bône, etc. Vous ne pouvez étouffer ces grosses populations entre quatre murailles, il leur faut une zone pour leurs besoins et pour la sécurité de ces zones il faut 25 000 ou 30 000 hommes. […] Il ne reste donc, selon moi, que la domination absolue, la soumission du pays […]. Oui, à mon avis, la possession d’Alger est une faute, mais puisque vous voulez la faire499 […], il faut que vous la fassiez grandement. Il faut donc que le pays soit conquis et la puissance d’Abd el-Kader détruite […]. »
En mai 1840, toujours devant les députés, il s’opposa à la stratégie des petits postes suivie par le maréchal Valée :
« Que diriez-vous, d’un amiral qui, chargé de dominer la Méditerranée, amarrerait ses vaisseaux en grand nombre sur quelques points de la côte et ne bougerait pas de là ? Vous avez fait la même chose. Vous avez réparti la plus grande partie de vos forces sur la côte, et vous ne pouvez, de là, dominer l’intérieur. Entre l’occupation restreinte par les postes retranchés et la mobilité, il y a toute la différence qui existe entre la portée du fusil et la portée des jambes. Les postes retranchés commandent seulement à portée de fusil, tandis que la mobilité commande le pays à quinze ou vingt lieues. Il faut donc être avare de retranchements, et n’établir un poste que quand la nécessité en est dix fois démontrée. »
Au mois de décembre 1840 le Maréchal Valée fut rappelé en France et Bugeaud désigné pour le remplacer. Cette nomination par le roi Louis-Philippe provoqua des remous chez les partisans de la conquête car le nouveau commandant en chef était considéré par eux comme un adversaire de ce projet. Or, débarqué à Alger le 22 février 1841, ce fut lui, l’opposant à l’occupation de l’Algérie, qui soumit le pays en prenant Saïda, Boghari, Tlemcen, puis en fondant Orléansville. Tandis qu’il harcelait Abd-el-Kader dans l’ouest de l’Algérie, Lamoricière et Changarnier dispersaient ses lieutenants dans la région d’Alger. Le 16 mai 1843, les cinq cents cavaliers du duc d’Aumale et de Yusuf capturèrent la Smala (camp mobile) d’Abd el-Kader. Les survivants se replièrent au Maroc, base arrière d’autant plus solide pour eux qu’Abd el Kader avait épousé une des filles sultan Moulay Abderramane (1822-1859) et qu’il reconnaissait son autorité religieuse. Les oulémas de Fès décrétèrent alors que sa résistance s’apparentait au jihad, à la guerre sainte (voir plus loin page 339).
Bugeaud fut le père des Bureaux arabes dont le premier commandant fut le général Daumas. Ils naquirent avec l’Arrêté ministériel du 1° février 1844 qui créa le Service des Bureaux Arabes. Il fut composé d’officiers appartenant à toutes les armes, bons connaisseurs des langues et des mœurs des populations dont ils avaient la charge. À sa tête se trouvait un Bureau Politique stationné à Alger et qui commandait à trois directions provinciales territorialement alignées sur les trois divisions militaires. Elles étaient composées de bureaux de « première » et de « deuxième » classe placés auprès des commandants des subdivisions militaires, et subdivisés en postes ou cercles.
À la base, sur le terrain, chaque Bureau Arabe était composé d’un officier chef du Bureau, d’un ou de plusieurs officiers adjoints, d’un interprète, d’un ou de plusieurs secrétaires, généralement des sous-officiers français ; d’un secrétaire indigène ou khodja, d’un chaouch, d’un médecin, d’un détachement de spahis et de moghaznis qui étaient des auxiliaires militaires recrutés localement (Frémeaux, 1993). Les chefs de bureau étaient en même temps administrateurs, médiateurs, juges, officiers d’état civil et gendarmes.
En quelques années, ce service, composé d’un personnel d’élite fut d’une remarquable efficacité. Son autorité morale incontestée en fit l’instrument essentiel de la pacification. Il combattit victorieusement la politique dite du « cantonnement » qui visait à exproprier les tribus de leurs terrains de parcours pour les troupeaux et ils s’attirèrent donc l’hostilité des partisans de la colonisation agricole européenne. Conscients des réalités, soucieux de ne pas déraciner les populations, ils respectèrent la religion musulmane, soutinrent les confréries à travers lesquelles ils exercèrent le contrôle du pays, ainsi que leurs établissements d’enseignement, les zaouias.
Cette politique fut un temps, mise entre parenthèses par le Second Empire quand, de 1858 à 1860, l’administration de l’Algérie fut retirée aux militaires et confiée à un éphémère Ministère de l’Algérie et des colonies qui adopta une politique d’encouragement à la colonisation tout en enlevant la plupart de leurs pouvoirs aux Bureaux arabes.
À la suite de son premier voyage en Algérie (17,18 et 19 septembre 1860500) l’Empereur Napoléon III revint sur cette politique, Ismaïl Urbain501, interprète militaire saint-simonien ayant eu une grande influence sur son évolution. Opposé à l’assimilation républicaine qui avait prévalu durant les années de la seconde République (1848-1852) et qu’il qualifiait de « fusion inintelligente et sommaire », ce dernier prônait au contraire le respect et la « conquête morale502 ».
Le 19 septembre 1860, à la veille de son retour en France, le voyage étant écourté en raison de la maladie de la duchesse d’Albe, la sœur de l’Impératrice, Napoléon III prononça un important discours dans lequel, et pour la première fois, il évoqua le « royaume arabe » :
« Notre premier devoir est de nous occuper du bonheur de trois millions d’Arabes que le sort des armes a fait passer sous notre domination […] La mission de la France consiste à élever les Arabes à la dignité d’hommes libres. Notre colonie d’Afrique n’est pas une colonie ordinaire, mais un royaume arabe. » (Cité par Pillorget, 2008)
Rentré en France, et ayant été convaincu par les militaires, l’Empereur supprima le ministère de l’Algérie le 10 novembre 1860, soit à peine deux mois après son voyage, rendant ainsi l’administration du territoire aux militaires, rétablissant l’entière compétence des Bureaux arabes, et nommant le maréchal Pélissier Gouverneur général de l’Algérie503.
À partir de ce moment, Napoléon III ne cessa plus de s’intéresser à l’Algérie comme le montrent les instructions qu’il adressa au maréchal Pélissier et dans lesquelles l’on retrouve les idées d’Ismaël Urbain504. Dans la lettre-programme datée du 1er novembre 1861, l’Empereur écrivit ainsi :
« Il faut donner une impulsion toute contraire à celle qui existait jusqu’à ce jour. Au lieu d’inquiéter les Arabes par le cantonnement505, il vaut mieux les rassurer en leur concédant des terres. Au lieu de vendre des propriétés affermées par les Arabes, il faut les conserver […] Au lieu d’étendre le territoire civil, il faut le restreindre. »
Le 9 février 1863 dans une autre lettre au général Pélissier, Napoléon III écrivit :
« L’Algérie n’est pas une colonie proprement dite, mais un « royaume arabe506». Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma protection et je suis aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur des Français. »
Concrétisation de cette politique, le sénatus-consulte du 22 avril 1863 sanctuarisa en quelque sorte la propriété territoriale des tribus :
« Article 1°- La France reconnaît aux tribus arabes la propriété des territoires dont elles ont la jouissance permanente et traditionnelle […] à quelque titre que ce soit. »
Cependant, les ordres de l’Empereur ne furent pas exécutés car les colons continuèrent à empiéter sur les terres tribales, ce qui provoqua des tensions et même, en 1864, un soulèvement dans une partie de la Kabylie.
Afin de juger par lui-même de la situation, Napoléon III fit alors un second voyage en Algérie, mais seul cette fois. Le 2 mai 1865, il débarqua à Alger où il prononça un premier discours adressé aux Européens auxquels il demanda de « traiter les Arabes au milieu desquels vous devez vivre, comme des compatriotes ». Puis, de discours en discours, sa politique algérienne fut précisée. Le 5 mai 1865, il s’adressa aux musulmans en ces termes :
« [Ne suivez pas] les conseils du fanatisme et de l’ignorance […] Toute nouvelle insurrection serait vaine […] Vous connaissez mes intentions. J’ai irrévocablement assuré dans vos mains la propriété des terres que vous occupez […] J’ai honoré vos chefs, respecté votre religion, je veux augmenter votre bien-être, vous faire participer de plus en plus à l’administration de votre pays. »
À l’issue de cette visite achevée le 7 mai, l’Empereur précisa sa politique algérienne. Le 20 juin, il adressa ainsi une lettre-programme au maréchal de Mac-Mahon, Gouverneur général de l’Algérie dans laquelle il définit des vues précises quant au statut de l’Algérie. Sensible aux arguments des militaires, eux-mêmes soucieux du sort des musulmans, et qui ne voulaient donc pas d’une colonisation massive, Napoléon III écrivait qu’il n’avait pas l’intention de sacrifier « deux millions d’indigènes à deux cent mille colons ».
Sa politique originale reposait sur l’idée d’un double statut et elle fut illustrée par le senatus-consulte du 14 juillet 1865 prévoyant que les natifs deviennent des « sujets français » sans perdre pour autant leur statut civil musulman. Ils eurent donc accès à tous les emplois civils et militaires sous réserve de compétence et obtinrent d’être représentés dans les conseils municipaux et généraux. Quant aux tribus, elles se voyaient reconnaître la propriété de leurs territoires.
Voyant encore plus loin, Napoléon III pensa à doter d’Algérie d’une Constitution qui, selon les termes de Pillorget (2008) :
« […] devrait conduire à la création d’un État algérien lié à la France par la communauté du souverain, par une union personnelle, comme bientôt la Grande-Bretagne et le Canada, l’Autriche et la Hongrie. »
Cette politique généreuse et réaliste dont la paternité revenait largement au Bureau arabe fut farouchement combattue par les colons qui devinrent à partir de ce moment de fermes opposants à l’Empire507. Par réaction, ils se rallièrent à l’opposition républicaine afin d’en finir avec un régime qui protégeait les indigènes des tentatives de spoliation. Le nombre des Européens était en effet passé de moins de 600 à la fin de 1830 à 160 000 en 1856 et à plus de 200 000 en 1870.
L’ordonnance royale du 22 juillet 1834 avait fait de l’ancienne régence ottomane une possession française avec pour résultat que tous les habitants du territoire étaient devenus des sujets français.
« Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 « sur l’état des personnes et la naturalisation en Algérie » précise, dans son article premier, que “L’indigène musulman est Français ; néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane ”.
Autrement dit, et cela est également vrai pour les Juifs résidant sur le territoire de l’ancienne régence d’Alger, le sénatus-consulte opère une distinction entre la nationalité et la citoyenneté – au demeurant moins étanche qu’on ne le prétend généralement, la nationalité conférant, de fait, certains éléments de citoyenneté – celle-ci pouvant être acquise à la suite d’une démarche volontaire entraînant l’abandon des statuts personnels.
C’est d’ailleurs cet abandon que le décret Crémieux du 24 octobre 1870 imposa aux Juifs du nord de l’Algérie lorsqu’il leur accorda collectivement la citoyenneté française, et non pas la nationalité dont ils jouissaient déjà508».
Le neveu de Moulay Slimane, Moulay Abderrahmane ben Icham (1822-1859), monta sur le trône au mois de novembre 1822. Au cours de son long règne de trente-sept ans, malgré sa clairvoyance et son intelligence, il eut à faire face au dynamisme conquérant des puissances européennes cependant que ses successeurs furent directement confrontés à la France et à l’Espagne. L’outil militaire marocain qui était encore performant dans le premier quart du XIXe siècle fut surclassé par l’armée française d’Algérie à partir des années 1835. Ne réussissant pas à suivre la rapidité des évolutions techniques européennes, tant sur terre que sur mer, le Maroc entra alors en décadence.
Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau sultan, contrairement à son prédécesseur, tenta d’ouvrir le Maroc à des partenaires commerciaux en signant des conventions avec le Portugal en 1823, avec l’Angleterre en 1824, avec la Sardaigne et avec la France en 1825.
Parallèlement, il essaya de rétablir la puissance maritime de son empire en favorisant la reprise de la Course, ce qui, en juillet 1828, provoqua une grave crise internationale. Des corsaires de Salé s’emparèrent en effet au large des côtes portugaises de deux bateaux anglais et d’un autrichien, après avoir épargné deux bâtiments français. Les Anglais, qui avaient alors un consul à Tanger, voulurent obtenir réparation. Les deux navires, intacts, furent relâchés le lendemain, mais Londres exigea des garanties pour l’avenir. Sans réponse du makhzen, la marine anglaise bloqua le port de Tanger pendant deux mois.
L’Autriche n’ayant pas de représentant officiel au Maroc, les choses furent plus compliquées. Tout le corps consulaire se mêla de l’affaire, sans succès, puisque le makhzen fit attendre sa décision de rendre l’équipage, si bien qu’en février 1829, une escadre de quatre bâtiments s’approcha des côtes marocaines et y débarqua, mais ce fut un échec. Un mois plus tard, l’escadre se présenta à nouveau et chercha à négocier par l’intermédiaire du consul du Danemark. Les Autrichiens exigèrent la libération de l’équipage ainsi que la restitution du navire et de sa cargaison. Les marins furent rendus, mais la cargaison avait été dispersée. En représailles, les ports de Larache, d’Arsila et de Tétouan furent bombardés. À Larache, les Autrichiens mirent à terre un petit corps de débarquement, mais l’opération tourna au désastre, une centaine d’hommes fut tuée et leurs têtes coupées puis salées, furent exposées aux portes de Fès. Les prisonniers furent relâchés et, finalement, en 1830, un accord fut signé.
L’armée marocaine au début du XIXe siècle509
Au début du XIXe siècle, le Maroc était une puissance militaire invaincue. Depuis Moulay Ismail (1672-1727) et nous l’avons vu, le pays s’était en effet doté d’une armée moderne composée de quatre grandes catégories de troupes510 :
1- les tribus militaires ou tribus guich fournissaient les contingents réguliers en échange d’avantages divers.
2- les abids, qui pouvaient être soit d’origine sud-saharienne, les abids noirs, soit d’origine marocaine, les abids blancs généralement recrutés parmi la tribu arabe des Ouadaya511.
3- les contingents fournis par les tribus naïba ou tribus payant l’impôt et fournissant de faibles nombres de recrues.
4- en cas de péril extrême, le sultan pouvait faire appel aux Moujahidin ou combattants de la foi qui fournissaient des levées massives.
« L’armée proprement dite se recrutait dans chaque tribu qui doit, en principe, fournir un tabor de 500 hommes portant son nom d’origine. Ces bataillons représentaient 20 000 fantassins réguliers, avec une avant-garde de cavaliers et une section de tabja ou artilleurs.
Quant à l’infanterie irrégulière […] elle était numériquement plus importante (25 000). Parfois le tabor tribal ne contient que 300 hommes ou même moins, selon l’importance de la tribu dont les conscrits étaient choisis un par famille […] le tabor de 500 est commandé par un caïd er-Raha, que d’aucuns assimilent à un colonel et qui n’est en réalité, qu’un maître de camp ; il est assisté d’un khalifa. Chaque reha (unité de 500 hommes) se subdivise en mia de 100 hommes commandés par un caïd el mia, assimilé à un capitaine. Le mia se décompose à son tour en 8 escouades de 12 hommes commandées par des mokaddem (sous-officiers).
En juin 1845, Moulay Abd-er-Rahman décida de se donner une armée à l’européenne. Il désigna d’abord 500 hommes destinés, après un sérieux entraînement, à devenir instructeurs et à commander, chacun un groupe de 100 recrues, de manière à former une armée régulière de 50 000 hommes. Ces soldats étaient habillés comme les troupes turques, coiffés du fez et armées de fusils à silex de fabrication anglaise. Ils étaient au nombre de 2 000 en juillet 1845 et, en mars 1846, de 2 700, répartis en trois bataillons de huit compagnies chacun. Mais ce fut là l’effectif maximum » (Benabdallah, 1994 : 54).
Ce fut contre son gré que le Maroc se trouva engagé dans une confrontation avec la France.
Dès 1832, et afin d’obtenir la neutralité du sultan dans les affaires algériennes, Paris y envoya une mission512. Le comte de Mornay qui la dirigeait obtint satisfaction, cependant, les oulémas de Fès décrétèrent que la résistance d’Abd el Kader s’apparentait au jihad, à la guerre sainte. Or, lié par les accords de 1832, le sultan marocain Moulay Abderrahmane, ne pouvait l’aider trop ouvertement. Néanmoins, les Marocains se sentant solidaires de lui, Abd el Kader fut alors, comme l’avait été son père avant lui, considéré comme le khalifa du sultan et le Maroc le soutint par l’envoi d’armes et de vivres.
Après l’arrivée du général Bugeaud, nommé en 1840 gouverneur général de l’Algérie, le Maroc se trouva impliqué dans un conflit dont il se serait bien passé. Par l’abandon de la politique statique jusqu’alors suivie, et l’adoption résolue d’une guerre de mouvement, Bugeaud mena à bien un plan simple et cohérent : repousser Abd el Kader hors du Tell, c’est-à-dire de la plaine littorale, vers les plateaux, puis vers le Sahara, afin de l’acculer à la reddition ou à la disparition. L’envoi de colonnes mobiles amena très vite la soumission des tribus de l’Algérois, de l’Oranie et du Constantinois, lesquelles, devant l’attitude résolue de la France, abandonnèrent Abd el Kader.
Le 16 mai 1843, et comme nous l’avons également vu, après que le duc d’Aumale se fut emparé de sa Smala, son camp, Abd el Kader s’était réfugié au Maroc. Moulay Abderrahmane fut alors dans une situation embarrassante car il ne contrôlait pas toutes les initiatives du jeune émir, ni même les choix de toutes les tribus frontalières.
Le 8 mai 1844, en territoire algérien, une troupe marocaine attaqua ainsi une unité militaire française et le roi Louis-Philippe décida une opération de représailles limitée en raison des conseils de prudence de Guizot, alors ministre des Affaires étrangères513. Cette opération fut à la fois maritime et terrestre.
Le 8 juin 1844, le roi confia au prince de Joinville514 une division navale composée de quinze navires à bord desquels embarqua un corps de débarquement fort de plusieurs milliers d’hommes. En territoire marocain, Lalla Maghnia fut occupée et un poste militaire y fut construit et le 17 juin, Bugeaud occupa provisoirement Oujda (carte page LII) où les troupes françaises attendirent durant deux mois le résultat des négociations franco-marocaines.
Une armée marocaine marcha alors en direction d’Oujda. Une entrevue eut ensuite lieu entre le caïd de la ville et le général Bedeau, mais les plénipotentiaires français furent attaqués, ce qui déclencha une vive émotion en France où le prétexte de l’intervention contre le Maroc fut désormais trouvé. Un ultimatum fut alors adressé au Maroc par l’intermédiaire du consul de France, mais le sultan qui pensait pouvoir compter sur le soutien de la Grande-Bretagne refusa les conditions françaises ; d’autant plus que le Maroc vivait :
« […] sur une réputation d’invincibilité presque trois fois séculaire […] Selon le prince de Joinville, des souvenirs glorieux comme la défaite des Portugais à Ksar el-Kebir (1578), des échecs français à Larache (1766) et plus récemment des Autrichiens à Larache et Tétouan (1828) nourrissent l’orgueil et l’intransigeance des partisans de la guerre » (Frémeaux, 1987 : 23).
Le 23 juillet, l’escadre commandée par le prince de Joinville se présenta devant Tanger pour en évacuer la totalité de la colonie française. Après un nouvel ultimatum au sultan demeuré sans réponse, la flotte croisa de nouveau devant Tanger et, le 6 août, elle en bombarda les forts. Puis, le 14 août, la bataille d’Isly, à l’ouest d’Oujda, fut un désastre pour l’armée marocaine.
La bataille de l’oued Isly (Frémeaux, 1987)
La bataille qui se livra sur l’oued Isly, le 14 août 1844, mit en présence une armée de 11 000 hommes bien équipés d’armes modernes et 40 000 cavaliers armés de fusils à pierre.
Se jetant contre la formation en triangle, chère à Bugeaud, les cavaliers des tribus, sous les ordres de Sidi Mohammed, le fils du sultan, furent vite décimés. Le colonel Voinot rapporte ainsi les événements :
« Un grand fourrage est exécuté dans l’après-midi du 13 août, de manière à ne pas éveiller l’attention de l’adversaire. Le 14, au petit jour, l’armée se remet en route ; après la traversée de l’Isly, au pied du Djorfel Akhdar, elle prend la formation de combat au son des musiques. On repousse d’abord les éclaireurs, puis l’action s’étend ; la mitraille disperse des masses énormes de cavalerie. Bientôt, les Marocains ne peuvent plus résister à la poussée continue des Français ; c’est le dernier épisode de la bataille ; l’ennemi en déroute abandonne près de mille cinq cents morts ou prisonniers. Le maréchal remporte une victoire complète au prix de pertes assez faibles (27 tués et une centaine de blessés). La grande chaleur et l’extrême fatigue des hommes arrêtent la poursuite ; l’armée rallie Maghnia le 25 août » (Voinot, 1939).
Cette défaite causa un véritable traumatisme au Maroc. Ahmed Alaoui a trouvé les mots justes pour l’exprimer :
« 28 Rajab 1260… Jour funeste : de mémoire d’historien, jamais le Maroc n’avait perdu une bataille sur son territoire. Il avait résisté aux Turcs, aux Portugais, aux Espagnols… Mais dès lors, le Maroc n’a plus été qu’un artichaut dont les puissances coloniales arrachaient les feuilles » (Alaoui, 1991).
Après la bataille de l’oued Isly515 et l’occupation de Mogador516 le 10 septembre 1844, le Maroc et la France signèrent le traité de Tanger. Les Français obtinrent le licenciement des troupes stationnées à la frontière algéro-marocaine, et surtout la mise hors-la-loi d’Abd el Kader. Celui-ci devait être soit expulsé du Maroc, soit être interné dans une ville de l’ouest, loin de ses partisans.
Une partie de l’opinion française protesta contre des conditions de paix considérées comme trop généreuses (Cosse Brissac, 1931). Cependant, contraindre plus durement le sultan aurait eu l’inconvénient de l’affaiblir, donc de renforcer la position d’Abd el Kader. Le gouvernement français en était bien conscient et le prince de Joinville s’en fit l’écho dans une lettre au ministre de la Marine :
« Par cette journée, nous avons obtenu plus que le gouvernement ne demandait et plus que nous n’avions jamais obtenu du Maroc, et cela sans le concours d’aucune influence étrangère et sous le canon de nos vaisseaux. Moulay Abderrahmane, après avoir senti le poids de notre épée, a reçu une preuve de notre générosité ; ses intérêts sont les nôtres. C’est un ami que nous nous ferons, il pourra nous être utile517. »
Le 18 mars 1845, Français et Marocains signèrent le traité de Lalla Maghnia qui prévoyait, entre autres, le maintien de la frontière maroco-algérienne dans ses limites de l’époque de suzeraineté ottomane sur l’Algérie. Cependant, la nouvelle frontière était aussi incomplète qu’artificielle puisqu’elle partait de la mer pour courir jusqu’à la hauteur de Teniet Sassi, au sud-est d’Oujda (carte page LIV). Tribus, villages et ksours furent séparés de la manière la plus artificielle, ouvrant ainsi la porte à tous les conflits ultérieurs. Le traité donnait également à la France un droit de suite sur les territoires du sud, en cas d’attaque sur les frontières ou de révolte des Algériens soumis à la France, ce qui eut de graves conséquences sur l’intégrité du Maroc.
Pendant que le sultan essayait de résister à la pression de la France à propos de ce traité, Abd el Kader défia à la fois le Maroc et la France. Le 22 septembre 1845, en Algérie, il attaqua et extermina un détachement français retranché dans le marabout de Sidi Brahim à une quinzaine de kilomètres de Djemaa Ghazaouet, puis il parcourut le pays en y soulevant les tribus. Ces opérations qui avaient été décidées sans tenir compte des intérêts du Maroc, firent que le sultan Moulay Abderrahmane porta une oreille de plus en plus attentive aux agents français qui l’approchaient. Parmi ces derniers, Léon Roches, un personnage mystérieux qui parlait l’arabe et qui avait vécu deux ans aux côtés d’Abd el Kader en se faisant passer pour musulman, et qui joua son rôle avec efficacité518.
Léon Roches (1809-1901)
« Peu d’existences furent aussi aventureuses que celle de ce Français venu en Algérie en 1832, à l’âge de vingt-trois ans. Il s’y éprit d’une Mauresque appelée Khadidja et apprit l’arabe pour pouvoir correspondre avec elle. Nommé ensuite interprète-traducteur assermenté, il prit part, en avril 1836, à l’expédition de Médéa, puis poussé par le désir de retrouver Khadidja que son mari avait prudemment éloignée, il se rendit auprès d’Abd el Kader qui venait de signer le traité de la Tafna et pour lequel il professait une grande admiration. Pendant deux ans, il se fit passer pour musulman et vécut dans son camp sous le nom d’Omar ould Roches ; il quitta toutefois l’Émir en 1839 lorsque celui-ci recommença la guerre avec la France et fut attaché comme interprète à l’état-major du général Bugeaud. Sa connaissance de la langue arabe le fit également désigner pour remplir des missions délicates à Kairouan, au Caire, à La Mecque. Revenu en Afrique en 1843, il participa à toutes les opérations militaires et notamment à la campagne du Maroc, en 1844. Envoyé dans ce pays en 1845 pour obtenir l’envoi d’un ambassadeur à Paris, il y retourna l’année suivante avec le titre officiel de secrétaire de la mission de France à Tanger » (Cosse Brissac, 1931 : 157).
Le sultan Moulay Abderrahmane changea donc peu à peu d’attitude envers Abd el-Kader. D’autant plus que ce dernier ne respectait guère son autorité et que, jouant la politique du pire, il était prêt à susciter une guerre entre le Maroc et la France, ce dont le sultan ne voulait à aucun prix. Aux yeux de ce dernier, Abd el-Kader était devenu un dangereux agitateur, une menace pour l’unité nationale et pour le trône. Moulay Abderrahmane l’écrivit clairement à son fils, alors gouverneur de Fès, dans une lettre en date du 8 août 1846 :
« […] déployez tous vos efforts contre l’agitateur et employez toute votre énergie pour faire cesser ses agissements et ceux de ses partisans… de telle sorte que son expulsion vienne mettre fin aux propos que tiennent les ennemis de la Foi. Les tribus seront alors délivrées de sa tyrannie car il a voué une haine mortelle à notre gouvernement et il épie les occasions de lui nuire. Dieu nous délivre par sa grâce de cet homme et qu’il fasse échouer ses entreprises519. »
Les Français suivirent cette évolution avec intérêt et ils déployèrent de grands efforts pour faire admettre au sultan que la perte d’Abd el-Kader représentait un intérêt commun. Philippe de Cossé Brissac résuma bien la situation quand il relata la réception par le sultan Moulay Abderrahmane, du consul Chasteau, envoyé par Louis-Philippe en 1846 :
« La faveur marquée avec laquelle Moulay Abderrahmane avait accueilli M. de Chasteau valut encore à celui-ci deux audiences pendant la durée de son séjour à Marrakech. Une première fois, le 17 décembre, sous prétexte de faire montrer au sultan par nos artilleurs la manœuvre de la batterie que Louis-Philippe lui avait envoyée, Chasteau profita d’un entretien plus intime avec lui pour le rassurer sur nos prétendus projets de conquête et le mettre en garde contre l’ambition et les intrigues d’Abd el-Kader.
Abderrahmane manifesta avec violence sa haine à l’égard de l’émir, mais il exprima formellement le désir que nous le laissions agir seul et à sa guise contre son adversaire, afin de ne point provoquer par notre intervention des complications qui ne profiteraient qu’à notre ennemi et dont nous serions les premières victimes. Une seconde fois, avant son départ, notre consul revint au palais impérial pour y prendre congé de son hôte ; à cette occasion, celui-ci lui renouvela l’expression de ses sentiments d’amitié520».
Au printemps 1847, les troupes du sultan tentèrent, mais sans succès, d’attaquer et de neutraliser Abd el-Kader qui s’était réfugié dans le Rif. L’échec de cette entreprise eut tout pour inquiéter Moulay Abderrahmane ; aussi, une vaste opération militaire fut-elle décidée, précédée d’un travail de propagande parmi les tribus soutenant l’émir. Seuls, les Anglais continuèrent à lui fournir des armes en secret, par Melilla où les bateaux étaient déchargés.
À la fin du mois de novembre, Abd el-Kader envoya l’un de ses fidèles, Bou Hamedi, à Fès pour demander au sultan de le laisser partir vers le désert. Mais celui-ci, instruit par l’expérience d’autres promesses non tenues, refusa et il exigea qu’Abd el Kader vienne se rendre à Fès.
Pendant ce temps, forte de 30 000 hommes, l’armée du sultan avançait. Abd el-Kader qui ne pouvait en aligner que 3 000 chercha à passer la Moulouya, mais l’armée marocaine le rattrapa. Lui ayant échappé et cherchant à rejoindre le sud, il fut intercepté par le général de La Moricière et le 23 décembre 1847, il se rendit aux Français contre la promesse de pouvoir s’exiler à Acre ou à Alexandrie avec ses fidèles. Les honneurs de la guerre lui furent rendus et le duc d’Aumale s’engagea à lui rendre sa liberté afin qu’il puisse se retirer au Levant521.
Le sultan marocain sortit donc victorieux mais non pas indemne de l’épisode Abd el-Kader. D’autant plus que, pendant que la France le pressait sur sa frontière orientale, la Grande-Bretagne prenait des gages.
En 1856, après trois années de discussions, sous la pression des compagnies de navigation et des négociants il fut ainsi obligé de signer un traité inégal, Londres obtenant le droit de propriété pour ses ressortissants, l’exemption de tout impôt, sauf les droits de douane, le principe d’exterritorialité en matière de justice, ainsi que des avantages purement commerciaux. Des consuls anglais furent nommés dans tous les ports ouverts au commerce et, à partir de 1863, ces représentants étrangers eurent le rang de ministres résidents.
Le sultan Moulay Abderrahmane mourut en 1859 en ayant désigné son fils Sidi Mohammed pour lui succéder. Ce dernier régna sous le nom de Mohammed IV (1859-1873). Jouissant d’un grand prestige en raison de sa piété et de sa pondération, il tenta de reconstituer l’unité du royaume en menant de nombreuses expéditions destinées à ramener les tribus dans la fidélité.
Dès son accession au trône, il dut affronter une guerre avec l’Espagne. La tribu Anjra (groupe Djebala) vivant dans la région montagneuse comprise entre Tanger, Tétouan et Ceuta s’était soulevée et elle avait attaqué la redoute espagnole de Ceuta, détruisant une borne frontière sur laquelle figuraient les armes espagnoles522. En représailles, au mois de novembre 1859, l’Espagne déclara la guerre au Maroc et lança une expédition militaire de plus de 40 000 hommes placée sous les ordres du général Juan Prim. Le 5 février 1860 Tétouan fut occupée 523 mais l’Espagne ne put prendre possession de Tanger car l’Angleterre qui craignait une installation espagnole de part et d’autre du détroit de Gibraltar fit pression sur Madrid.
Dans le traité de paix de Ceuta (26 avril 1860), signé par le sultan, le maréchal Leopoldo O’Donnell524 fit insérer une clause qui permit à l’Espagne d’amputer le Maroc de sa partie saharienne :
« […] sa Majesté marocaine s’engage à concéder à perpétuité à sa Majesté Catholique, sur la côte de l’Océan, près de Santa-Cruz la Pequeña, le territoire suffisant pour la formation d’un établissement de pêcherie, comme celui que l’Espagne y possédait autrefois… »
Le Maroc était en outre condamné à verser une indemnité de vingt mille douros (environ cent millions de francs-or). Incapable de payer cette somme, le makhzen, affolé par les révoltes sporadiques que suscitait cette nouvelle humiliation, accepta l’argent avancé par les banques anglaises et qui était garanti par les droits de douane525.
À partir de ce moment, la crise politique et économique fut aggravée par une crise monétaire et les emprunts succédèrent aux emprunts, anémiant les finances de l’empire et portant des coups répétés à l’indépendance du pays. Étranglé, impuissant militairement, réputé faible, le Maroc vit alors tous les consuls étrangers profiter de la situation et imposer leurs exigences. N’ayant plus de recours que dans l’isolement et l’inertie, le makhzen mit de l’espace et du temps entre les officines diplomatiques européennes de Tanger et la capitale, Fès. Ainsi un intermédiaire fut-il installé à Tanger et toutes les relations avec les autorités soumises à une correspondance aux délais arbitraires. Ce fut là une solution dérisoire et désespérée.
Le sultan Mohammed IV mourut en 1873.
472. Il mourut avant son père qui s’éteignit le 2 août 1849.
473. Le canal de Suez fut inauguré le 17 novembre 1869 en présence de l’impératrice Eugénie. Dans sa Réponse au discours de réception de Ferdinand de Lesseps à l’Académie française prononcé en 1895, Ernest Renan avait déclaré : « Un seul Bosphore avait suffi jusqu’ici aux embarras du monde ; vous en avez créé un second, bien plus important que l’autre, car il sert de couloir de communication à toutes les grandes mers du globe. En cas de conflit, il serait le point pour lequel tout le monde lutterait de vitesse. Vous aurez ainsi marqué la place des grandes batailles de l’avenir. » Cité par Lefebvre (1996 : 39-40).
474. Ses frères, ses oncles et ses neveux ne pouvaient donc pas hériter de ce titre. Le titre de khédive qui ne servit à désigner que le monarque égyptien était, dans la hiérarchie ottomane, situé entre le sultan et les ministres. En 1873, Ismail imposa l’existence de l’Égypte en tant qu’État, ce qui marqua une nouvelle étape vers la souveraineté. Au fur et à mesure de la réalisation de ces étapes, l’évolution se fit donc vers l’idée d’État-nation, ce qui écartait donc le concept ancien d’une supranationalité des croyants au sein d’un califat présentement incarné par l’Empire ottoman.
475. Ce qui avait favorisé la coupure en deux du pays. C’est ainsi que la Basse-Égypte, en partie intégrée à l’économie européenne, avait vu naître une bourgeoisie dirigeante nationale qui était son relais, tandis que la Haute-Égypte était demeurée totalement rurale.
476. Les actions détenues par des Français l’étaient essentiellement par des petits porteurs et non par l’État.
477. Cette revendication nationale était largement portée par un renouveau islamique et par l’émergence d’un courant intellectuel qui marqua très fortement les élites égyptiennes. Il fut largement incarné par Abdullah al-Nadim (1843-1896), propriétaire de plusieurs journaux.
478. En 1901, il fut autorisé à revenir en Égypte où il mourut dans l’oubli en 1911.
479. Rappelé en Angleterre, il fut à nouveau nommé à ce poste en 1884.
480. Rabah, un des adjoints de Soliman réussit à s’échapper et, vers 1885-1886, il fonda un royaume esclavagiste à l’est du lac Tchad où il se maintint jusqu’en 1900, date à laquelle il trouva la mort dans un combat contre les troupes françaises.
481. Il était à la tête d’une secte dont le nom était Ansar ce qui signifie « les victorieux ».
482. Littéralement « le bien guidé par Dieu ».
483. En 1854, ayant réussi à s’échapper, il revint en Libye avant d’être définitivement battu en 1858.
484. En 1811, sous les Karamanli, le dernier sultan Awlad Muhammad avait été tué et la région du Fezzan rattachée à Tripoli. Après le retour ottoman de 1835, la tribu arabe des Awlad Sulayman se souleva contre la Porte sous les ordres d’Abd al-Galil Sayf an-Nasir. La répression turque fut impitoyable et, jusqu’en 1841, le Fezzan fut ravagé. Finalement, les Turcs furent vainqueurs et une partie des Awlad Sulayman quitta l’actuelle Libye pour se réfugier dans la région du lac Tchad. Une partie de la tribu fera son retour en Libye à la suite de la colonne Leclerc en 1941-1942, et elle voudra réoccuper un territoire qui, entretemps, était passé sous contrôle toubou. Nous avons ici une partie de la clé d’explication des actuelles tensions entre Arabes et Toubou dans le sud libyen comme nous le verrons plus loin page 620 de la VIIIe partie.
485. Pour tout ce qui concerne la Sanûsiya, voir Pritchard (1963).
486. Sur la « légende noire » de la Sanûsiya, voir Triaud (1995).
487. La Sanûsiya se développa sur l’axe Benghazi-Abéché, profitant de l’ancienneté des réseaux caravaniers et marchands qu’elle revivifia et modernisa en leur donnant une unité et une continuité (Ciammaichella, 1987).
488. En Libye, en 1835 dans le cas de La Porte et en 1842 dans celui de la Sanûsiya : « […] deux pouvoirs, l’un temporel, l’autre spirituel, ont au même moment voulu contrôler un même espace soumis depuis 1551 à la souveraineté ottomane : celui qui s’étend entre la Tunisie et l’Égypte d’une part, la Méditerranée et les immensités saharo-soudanaises d’autre part. » (Martel, 1991 : 10)
489. Ghat fut occupé en 1875.
490. La discussion subsiste concernant l’origine des Chaamba (ou Chaamba). S’agit-il d’Arabes hilaliens ou bien de Berbères arabisés ?
491. Cette présence dans le désert libyen fit qu’au moment des partages coloniaux, les Ottomans revendiquèrent la possession d’une grande partie du Sahara depuis le sud-est de la Tunisie jusqu’à l’ouest de Ghadamès et le nord Cameroun, et vers l’est du lac Tchad (carte page LI).
492. A ce propos, le général de Lamoricière fit une remarque frappée de bon sens : « Jamais on n’obtiendra que les Arabes fassent le vendredi leur prière pour le roi Louis-Philippe. À Oran, ils le font pour le roi du Maroc ; à Constantine, pour le sultan de Constantinople ; à Alger, afin de ne pas se compromettre, pour celui qui marche dans la bonne voie. Leur en demander davantage, ce serait comme si on demandait aux catholiques d’Irlande de reconnaître la reine d’Angleterre pour leur souveraine spirituelle » (cité par Guiral, 1992 : 116).
493. Né à Mascara en 1808, Abd el-Kader appartenait à la tribu arabe des Beni Hachem (les Hachémites) elle-même apparentée à la lignée des Idrissides, les fondateurs du premier État marocain au IXe siècle. Il descendait donc du Prophète, comme le sultan alaouite qui était sur le trône du Maroc. Mahi ed Dine, le père d’Abd el-Kader avait d’ailleurs été son khalifat (ou représentant) à Tlemcen. Opposant au pouvoir turc, il avait par deux fois été condamné à la prison, en 1818 et en 1824.
494. En réalité, Abd-el-Kader voulut utiliser la présence française qu’il pensait provisoire pour faire éliminer par l’armée française les tribus opposées à son pouvoir et devenir ainsi « sultan des Côtes d’Alger, d’Oran et de Tlemcen jusqu’à la frontière de Tunis ». Comme ils détestaient Abd el-Kader, les Turcs, les Kouloughli de Tlemcen ainsi que les anciennes tribus maghzen de l’Oranie, à savoir les Douera (Douairs) et les Smela qui étaient dirigées par Mustapha ben Ismaïl s’étaient soulevées. En application du traité qu’il avait signé avec Abd el-Kader, le général Desmichels avait fait remettre à ce dernier 400 fusils et de la poudre cependant que la cavalerie française avait appuyé son offensive contre les Douera qui durent battre en retraite le 13 juillet 1834.
495. Les pertes françaises furent de 300 morts.
496. Bertrand Clauzel fut commandant en chef de l’armée d’Afrique du 12 août 1830 au 31 janvier 1831. Il fut remplacé dans ce poste par Berthezène le 6 décembre 1831 ; Savary succéda à ce dernier jusqu’au 29 avril 1833 date à laquelle Théophile Voirol le remplaça. Le 27 juillet 1834, Jean-Baptiste d’Erlon lui succéda comme dernier commandant en chef de l’armée d’Afrique puisque, le 7 juillet 1835, son successeur, Bertrand Clauzel fut nommé gouverneur général. Il exerça cette fonction jusqu’au 12 février 1837, date à laquelle il fut remplacé par Charles Damrémont tué le 12 octobre 1837 devant Constantine et remplacé le 13 octobre par le général Sylvain Valée puis par le général Thomas Bugeaud le 22 février 1841 auquel succéda le duc d’Aumale le 5 octobre 1847.
497. Le comte Sylvain-Charles de Valée commandait l’artillerie lors de la prise d’Alger en 1830. Il fut ensuite nommé chef de l’Artillerie et du Génie. Il prit le commandement après la mort du général Damrémont et c’est lui qui réussit l’assaut de Constantine. Il fut ensuite nommé gouverneur général de l’Algérie.
498. Il s’agit de la première ride montagneuse de la petite Kabylie séparant la région côtière des plateaux et dont le nom vient des défilés par lesquels passe la route d’Alger à Constantine. Biban est le pluriel de Bab qui signifie porte.
499. Le 15 janvier 1840 encore, il déclara : « Tout le monde sait que j’ai toujours considéré l’Algérie comme le plus funeste présent que la Restauration ait fait à la Révolution de Juillet ».
500. Sur les deux voyages de Napoléon III en Algérie, voir la mise au point de René Pillorget (2008).
501. Sur IsmaŸl Urbain (1812-1884), voir Michel Levallois (2001).
502. En 1861, sous le pseudonyme de Georges Voisin, il publia L’Algérie pour les Algériens. Cet ouvrage provoqua la colère des colons et des républicains assimilationnistes, tous partisans d’une administration civile directe permettant l’application des lois françaises qui auraient permis la spoliation des tribus en supprimant la propriété collective au profit de la propriété individuelle. En 1862, il publia une brochure intitulée « L’Algérie française, indigènes et immigrants » qui eut une grande influence sur l’empereur Napoléon III.
503. Il avait déjà occupé ce poste en 1851 durant quelques mois.
504. Les développements concernant cette question s’inspirent largement de Pillorget (2008).
505. Le 9 mai 1865 dans une conversation privée, il déclara, iconoclaste, qu’il fallait « cantonner les Européens et non les Indigènes » (Pillorget, 2008).
506. Sur le concept de « royaume arabe », voir la thèse d’Annie Rey-Goldzeiguer (1977).
507. Le capitaine Peltingras, polytechnicien, officier des bureaux arabes qui décrivit les premiers immigrants comme ayant une allure déplorable et n’étant des modèles ni de « vertu » ni de « probité », « estimait qu’il était injuste de dépouiller le peuple arabe de biens dont il jouissait depuis un temps immémorial, pour en doter des déclassés faméliques » (Guiral, 1992 : 246).
508. Daniel Lefeuvre, « Réponse à Catherine Coquery-Vidrovitch », dans Études coloniales, vendredi 18 mai 2007, en ligne.
509. « Deux types de structures sociales, partant deux modes de guerres en partie contradictoires pouvaient être utilisés. La tribu (ou fraction de tribu) comme entité guerrière déjà constituée, menant sa vie propre et allant au combat sous ses chefs naturels. La bande armée, soldée, le « régiment » susceptible lui-même de diversification : troupe réglée d’esclaves ou de mercenaires musulmans ou néo-musulmans, troupes légères d’irréguliers, racolés en cas de péril, contingents de volontaires. Stratégiquement cette dichotomie s’est reflétée dans les tactiques » (Miège, 1994 : 24).
510. Dans ces catégories ne figurent pas les mercenaires étrangers souvent, mais pas toujours, convertis à l’islam. À la mort de Moulay Ismail, les renégats étaient plus de 2 000 à servir le sultan mais leur nombre décrut par la suite et dans les années 1830 ils n’étaient plus que 200 environ (Miège, 1994 : 25).
511. Afin d’équilibrer son pouvoir, le sultan pouvait opposer sa garde noire et sa garde blanche. En 1831, la première écrasa la seconde.
512. Delacroix se rendit au Maroc avec cette mission diplomatique. Ses carnets de dessins sont un « reportage » et l’admiration qu’il exprima à son retour pour les Marocains et leur civilisation reste un témoignage, enrichi par un regard d’artiste.
513. François Guizot occupa ce poste de la fin du mois d’octobre 1840 au 23 février 1848.
514. François-Ferdinand, prince de Joinville était le troisième fils du roi Louis-Philippe. Ayant déjà une grande expérience maritime, il fut nommé vice-amiral à l’âge de 26 ans.
515. La littérature consacrée à cette bataille étant immense et de valeur inégale, le mieux est de se reporter à la synthèse de Jacques Frémeaux (1987).
516. « On s’est posé la question de savoir laquelle des deux campagnes, navale ou terrestre, avait déterminé le sultan à traiter. Il semble que, de manière différente, les deux démonstrations aient eu une importance comparable. Le bombardement de Tanger, effectué […] en vue de Gibraltar et d’une flotte anglaise, démontre à Moulay Abderrahmane que l’Angleterre n’entend pas empêcher le gouvernement français de faire valoir ses revendications. L’occupation de Mogador, débouché du commerce transsaharien, et principale source de revenus des douanes de l’empire chérifien, signifie que les Français sont en mesure de ruiner les finances du makhzen déjà chancelantes. Mais la bataille d’Isly n’a pas moins d’importance. Elle manifeste en effet l’inadaptation à la guerre moderne du vieux système militaire chérifien » (Frémeaux, 1987 : 22).
517. Prince de Joinville, lettre au ministère de la Marine, cité par Ph. de Cosse Brissac (1931).
518. Léon Roches a publié ses Mémoires en 1884 sous le titre Dix ans à travers l’Islam (1834-1844) par Léon Roches, Interprète en chef de l’armée d’Afrique. Ancien secrétaire intime de l’émir Abd el-Kader. Ministre plénipotentiaire.
519. Lettre du sultan à son fils Sidi Mohammed, cité par Cosse Brissac (1931).
520. Récit de l’ambassadeur Chasteau (Cosse Brissac, 1931 : 201).
521. La II° République bientôt triomphante ne tint pas les engagements de la Monarchie de Juillet et Abd el-Kader fut enfermé à Toulon, ensuite à Pau et enfin au château d’Amboise. Libéré par Louis Napoléon, il fut officiellement reçu à Paris, visita la cathédrale de Notre-Dame de Paris et s’y recueillit. Il demanda et obtint de pouvoir se retirer au Moyen-Orient. Après un séjour en Turquie, il s’installa à Damas où, en 1860, lors d’une émeute, il protégea avec sa garde plusieurs milliers de chrétiens que les Turcs voulaient massacrer. Il mourut à Damas en 1883.
522. En 1848, l’Espagne avait pris possession des îles Chafarines (ou Jafarines) trois îlots situés à l’est de Melilla.
523. Les Espagnols évacuèrent la ville le 2 mai 1862.
524. Né en 1809 et mort en 1867, Leopoldo O’Donnell descendait d’émigrés irlandais catholiques réfugiés en Espagne. Militaire et homme politique, il était à la tête du gouvernement quand, en 1859, l’Espagne déclara la guerre au Maroc. Il prit le commandement des opérations et entra à Tétouan au mois de février 1860.
525. Par la Convention Béclard du 19 août 1863, la France obtint à son tour des privilèges douaniers et consulaires démesurés.