Chapitre IV

Le second conflit mondial en Afrique du Nord

Comme cela avait été le cas durant le premier conflit mondial, l’Afrique du Nord fut d’abord un enjeu pour les belligérants, d’abord en raison de la position stratégique du canal de Suez ; d’où la campagne de Libye. Après le débarquement anglo-américain de novembre 1942 au Maroc et en Algérie, l’armée française stationnée au Maghreb, l’Armée d’Afrique, entra en guerre aux côtés des Alliés. Partout, les années de guerre furent celles de l’essor du nationalisme626.

I- Les années 1940-1942 : le blitzkrieg à l’est, le statu quo au Maghreb

De 1940 à 1942, la quasi-totalité des combats se déroula en Libye et dans l’ouest de l’Égypte dans un gigantesque mouvement d’aller-retour au gré des offensives et des contre-offensives lancées par les belligérants (carte page LX).

Militairement, l’Égypte se retrouva en première ligne, comme durant le précédent conflit mondial. Or, les Égyptiens souhaitaient majoritairement la victoire de l’Allemagne627, ce qui explique pourquoi les relations ne cessèrent de se tendre entre le palais royal et les autorités britanniques.

À la fin de l’année 1941, le gouvernement de Hussein Siry appliqua à la lettre les clauses du traité d’alliance du 26 août 1936 en acceptant d’envoyer des troupes égyptiennes renforcer les Britanniques sur le front de Tripolitaine, mais le roi Farouk refusa de déclarer la guerre à l’Axe. Son principal adversaire politique fut alors le Wafd qui s’était clairement rangé dans le camp des Alliés.

Au début de l’année 1942, quand le général Rommel passa à l’offensive en direction du canal de Suez, Hussein Siry, Premier ministre égyptien, s’engagea encore davantage dans le camp des Alliés. Il alla jusqu’à rompre les relations diplomatiques avec la France de Vichy mais sans en informer le roi Farouk qui le limogea avant de constituer un gouvernement ayant des sympathies pour l’Axe.

La crise fut donc ouverte car Londres qui exigeait au contraire la désignation d’un gouvernement issu du Wafd, adressa un ultimatum au souverain qui le repoussa. Le roi Farouk fut alors sommé de choisir entre l’abdication et la nomination de Nahas Pacha, le chef du Wafd. Le monarque céda et il accepta de désigner un cabinet Wafd avec Nahas Pacha à sa tête.

Le Wafd qui apparut alors paradoxalement comme pro-Anglais perdit une partie de son influence dans l’opinion, ce qui créa un vide politique dans lequel s’engouffreront ultérieurement plusieurs petits partis dont le Parti communiste, le Parti de la Jeune Égypte et les Frères musulmans.

Le 28 juin 1940, le maréchal Italo Balbo, gouverneur de la Libye, trouva la mort aux commandes de son avion abattu par erreur par la défense anti-aérienne italienne. Il fut remplacé par le maréchal Rodolfo Graziani qui reçut ordre de lancer une offensive en direction du canal de Suez (carte page LX).

Le 15 septembre 1940, les Italiens s’élancèrent en direction de l’Égypte et de Sidi Barrani, mais ils furent arrêtés par les forces du général britannique Archibald Wavell. Le 9 décembre, une contre-attaque dirigée par le brigadier général Richard O’Connor enfonça les lignes italiennes sur 600 kilomètres et 130 000 prisonniers restèrent aux mains des Britanniques qui prirent Benghazi628.

Au mois de mars 1941, l’Allemagne intervint en envoyant en Libye un corps expéditionnaire moderne, l’Afrika Korps, placé sous les ordres du général Erwin Rommel, spécialiste des opérations blindées qui s’était distingué lors de la campagne de France en 1940.

L’objectif allemand était une opération de type blitzkrieg en direction du canal de Suez et au-delà, pour s’assurer le contrôle des puits de pétrole du Moyen-Orient. Cependant, pour mener à bien cette guerre du désert, l’Afrika Korps avait besoin d’énormes quantités de carburant, de matériel de rechange et de ravitaillement. La maîtrise de la navigation entre l’Europe et la Libye étant donc impérative, Berlin comptait sur la puissante marine italienne pour l’aider à la garantir. La supériorité aéronavale britannique l’en empêcha.

Au mois d’avril 1941, Rommel lança une offensive foudroyante. Le 15 du mois, les positions perdues par les Italiens quelques mois auparavant furent reconquises. La marche vers le canal de Suez fut cependant stoppée le 30 juin à El-Alamein629, à 100 kilomètres à peine du Caire où les nationalistes se préparaient à accueillir triomphalement les troupes allemandes.

Une double opération alliée fut ensuite lancée :

– à l’ouest, le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 en Afrique du Nord ouvrit un front sur les arrières de Rommel ;

– à l’est, le 13 novembre le général Bernard Montgomery lança une puissante offensive en Égypte. Ce fut la bataille d’el-Alamein qui se déroula sur un front étendu sur une soixantaine de kilomètres, depuis l’intérieur jusqu’à la mer, et sur une profondeur de plus de dix kilomètres. Deux fois supérieurs en hommes et en moyens puisqu’ils alignèrent 200 000 combattants, 1 030 chars, 1 200 pièces d’artillerie et 750 avions, pouvant de plus être facilement ravitaillés, les Britanniques en furent les vainqueurs. Rommel qui fut contraint de replier ses troupes vers Benghazi fut sur la défensive.

Le 23 janvier 1943, les Britanniques entrèrent à Tripoli où les rejoignirent les hommes de la colonne Leclerc qui, partis du Tchad, avaient conquis le Fezzan au mois de novembre 1942.

L’Afrique du Nord française jusqu’en 1942

Le 22 juin 1940 fut signé l’armistice franco-allemand et le 3 juillet les Britanniques attaquèrent par surprise la base navale française de Mers el-Kébir, en Algérie, y détruisant une partie de la flotte qui s’y était réfugiée, tuant 2 000 marins français630.

Au mois de septembre 1940, le général Weygand fut nommé Délégué général du gouvernement en Afrique française avec pour mission de défendre l’Empire africain contre toute menace ou tentative de sécession. Le 23 septembre 1940 un débarquement anglo-gaulliste fut ainsi repoussé à Dakar.

Le second conflit mondial n’entraîna pas une poussée particulièrement forte du nationalisme indépendantiste.

Au Maroc631, le vendredi 3 septembre 1939, jour de prière, le sultan Mohammed ben Youssef fit lire dans toutes les mosquées un message dans lequel il demandait que, durant toute la durée du conflit, les Marocains fassent taire leurs revendications nationalistes. Lu dans les tribunes (minbars) des mosquées du royaume, ce message impliquait donc les obligations d’obéissance et de soumission aux ordres de l’Imam (Benmansour, 1999 : 90 et 2001). En conséquence de quoi, de 1940 à 1942, la revendication indépendantiste fut quasi inexistante. Le sultan demeura loyal au gouvernement du maréchal Pétain, tout en refusant d’avoir le moindre contact avec les Allemands ou avec les Italiens. Pourtant, en application des clauses de l’armistice, des commissions de contrôle avaient été chargées de vérifier si l’armée française ne se reconstituait pas clandestinement au Maroc.

Aidé par les généraux Juin et de Lattre, le général Weygand réussit à constituer une force armée composée officiellement de 137 000 hommes plus 60 000 camouflés, et disposant de 400 avions. Parallèlement, il échafauda un plan secret de mobilisation de 100 000 hommes supplémentaires632.

Plusieurs unités militaires furent camouflées, et à travers tout le pays, des dépôts clandestins d’armement furent constitués. De 1940 à 1942, de nombreuses unités marocaines furent transformées en supplétifs de police et, dans tout le royaume, armes et munitions furent mises en lieu sûr. Ces mesures permirent à la France de disposer, dès 1942, de ces unités marocaines (tirailleurs, goumiers et spahis) qui s’illustrèrent en Tunisie, durant la campagne d’Italie et qui eurent l’honneur, après avoir percé les défenses allemandes de Cassino, d’entrer les premières dans Rome.

En Algérie où le décret Crémieux fut aboli dès 1940, la revendication nationaliste fut très minoritaire et au mois d’avril 1941, Ferhat Abbas fut reçu en audience à Vichy par le maréchal Pétain.

Ce fut en Tunisie que le courant nationaliste fut le plus pugnace. Moncef Bey y prit la tête du mouvement et il présenta au Résident français, l’amiral Jean-Pierre Esteva, un plan de très large autonomie en 12 points. Considéré comme une provocation par l’amiral, il n’obtint pas de réponse. Les rapports ne cessèrent plus de se tendre entre l’amiral Estéva et Moncef Bey pris entre les pressions italo-allemandes, vichyssistes et américaines.

II- Le débarquement de 1942 et ses conséquences

Le 7 décembre 1941, l’entrée en guerre des États-Unis changea les données de la défense de l’Afrique du Nord, l’amiral Darlan ayant déclaré que si les Américains y débarquaient avec une division, il les combattrait, mais que s’ils le faisaient avec vingt, il les « embrasserait ».

Le débarquement au Maroc et en Algérie (cartes pages LXI et LXII)

Le plan allié de débarquement en Afrique du Nord fut secrètement décidé au mois de juillet 1942 entre le président Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill.

Les positions des deux alliés étaient différentes, les Britanniques étant partisans d’un débarquement le plus à l’est possible, entre Bône et Bizerte, afin de prendre à revers les troupes de Rommel. Pour leur part, les Américains souhaitaient une opération limitée au Maroc atlantique.

Finalement, un moyen terme fut adopté. Ce fut l’« Opération Torch » dont la finalité était double : affaiblir l’offensive de Rommel en direction du canal de Suez en ouvrant un front sur ses arrières et appuyer les Soviétiques alors en mauvaise position sur le front du Caucase en attirant des divisions allemandes en Italie. Au total, 107 000 soldats anglo-américains embarquèrent à bord de 650 navires.

Cependant, le 8 novembre 1942, quand le débarquement eut lieu, la situation militaire avait considérablement évolué car la bataille d’el-Alamein engagée depuis le 23 octobre tournait à l’avantage des Britanniques qui avaient enfoncé les lignes allemandes, tandis qu’à Stalingrad, l’étau russe se refermant sur l’armée allemande, cette dernière commençait à refluer dans le Caucase.

En application des clauses de l’armistice de 1940, et comme nous l’avons dit, la France s’était engagée à défendre ses colonies et ses possessions contre toutes les agressions, d’où qu’elles vinssent. C’était d’ailleurs à cette seule condition que l’Allemagne avait consenti à laisser au gouvernement français la souveraineté sur son Empire633.

Le général Noguès, commandant en chef au Maroc, donna donc l’ordre aux troupes françaises de s’opposer au débarquement américain. Durant trois jours, les forces le composant eurent alors à combattre sur terre, sur mer et dans les airs, une Armée d’Afrique particulièrement pugnace634. À Casablanca, les 35 000 hommes du général Patton durent livrer une rude bataille. La flotte française fut détruite, 462 marins et officiers furent tués et 600 blessés. L’armée de terre perdit 1 400 tués et blessés et 20 avions furent détruits. Les pertes humaines américaines furent du même ordre et l’aviation perdit plusieurs appareils abattus par la chasse française.

À Alger, la résistance permit que le débarquement allié se fasse sans incidents majeurs. Le 8 novembre dans l’après-midi, le cessez-le-feu y fut appliqué, cependant que les combats se poursuivirent à Oran jusqu’au 10 novembre à midi.

Le 10 novembre, depuis Alger, l’amiral François Darlan qui venait de quitter Vichy, transmit au général Noguès l’ordre du cessez-le-feu. Le 11 novembre, ce dernier signa l’« armistice de Fédala » qui mit un terme aux combats franco-américains.

À Oran, les 39 000 Britanniques de la force de débarquement essuyèrent de lourdes pertes puisque 300 hommes furent tués et plusieurs centaines faits prisonniers. Une opération de parachutage sur les bases aériennes de la Sénia et de Tafaraoui destinée à mettre hors d’état de vol l’aviation française fut un sanglant échec : 550 parachutistes anglais furent en effet tués ou faits prisonniers. Le 8 novembre, une forte contre-attaque du 2e Zouaves tenta de repousser les forces débarquées sur les plages, à Saint-Cloud le 16e Régiment de Tirailleurs et deux bataillons de la Légion bloquèrent la progression britannique et le 9, une contre-attaque du 20e Régiment de Tirailleurs fut lancée à la Macta (carte page LXII).

Côté français, le bilan des combats était également lourd : 300 morts et 150 blessés cependant qu’à Mers el-Kébir les navires qui avaient échappé à l’attaque anglaise du 3 juillet 1940 furent détruits. L’armée de l’air perdit également 15 avions détruits au combat ou au sol.

Le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 en Afrique du Nord précipita les événements. Pour éviter d’être attaqués sur deux fronts à la fois, les Allemands lancèrent une puissante offensive vers l’ouest, depuis la Libye et à travers la Tunisie, en direction des forces alliées débarquées en Algérie. Parallèlement, le 9 novembre 1942, une noria d’avions allemands achemina une force d’intervention en Tunisie. Le 14 novembre, Tunis et toutes les grandes villes du pays étaient entre les mains des Allemands. Le plan de Rommel était clair : attaquer les forces alliées à revers et prendre le port de Bône. En Tunisie, dès le 19 novembre 1942, afin de couvrir les troupes américaines commandées par le général Llyod Fredendal et qui perdirent 150 chars et 2 000 prisonniers, les Français engagèrent 76 000 hommes.

Au mois de mars 1943, l’armée française qui s’était lancée au-devant des troupes allemandes remporta coup sur coup deux victoires à Medjez El-Bab dans le nord de la Tunisie et à Sbeitla, dans le sud. Le 22 mars, sur le front de Libye, Rommel recula face aux Britanniques et il se replia vers le nord de la Tunisie. Le 7 mai les Alliés entrèrent dans Tunis et le 13 mai, les forces allemandes d’Afrique capitulèrent.

L’armée d’Afrique était donc rentrée dans la guerre, fournissant à la France combattante des unités qui participèrent à la campagne de Tunisie, puis aux débarquements de Corse, de l’île d’Elbe, de Provence, à la campagne d’Italie, à l’épopée de Rhin et Danube et à celle de la 2e DB635.

Les conséquences politiques du débarquement

Le 3 juin 1943, le CFLN (Comité français de libération nationale) fut créé à Alger et le général De Gaulle s’y imposa face au général Giraud (Cointet, 2005). Le 4 juin 1943, le général Noguès démissionna de son poste de Résident général au Maroc avant de partir pour l’exil. Dans la zone espagnole du Maroc, il fut pris en charge par le Khalifa du sultan à Tétouan qui organisa son départ pour Lisbonne où il arriva le 20 juin. Gabriel Puaux lui succéda comme Résident général.

Charles Noguès (1876-1971)

Proche collaborateur de Lyautey, Charles Noguès avait été nommé Inspecteur général des troupes d’Afrique du Nord en 1936, puis Résident général au Maroc. Au mois de septembre 1939, il devint Commandant en chef du théâtre d’opérations d’Afrique du Nord.

En juin 1940, il affirmait être en mesure d’y continuer la guerre et le 18 juin, il adjura le général Weygand de venir le rejoindre à Alger pour y poursuivre le combat. Après l’armistice, il veilla à maintenir en état l’outil de combat constitué par l’armée d’Afrique en créant des arsenaux clandestins et en levant des recrues supplémentaires à la barbe de la commission allemande d’armistice qu’il fit étroitement surveiller.

Le 7 décembre le général Noguès fut nommé au Conseil impérial créé par l’amiral Darlan et il présida la séance du 27 décembre 1942 au cours de laquelle, après l’assassinat de l’amiral le 24 décembre, le général Henri Giraud fut nommé commandant en chef civil et militaire en Afrique636.

Le 28 novembre 1947, la Haute Cour de justice française le condamna par contumace à 20 ans de travaux forcés et à l’indignité nationale. À l’occasion de ce procès, le sultan marocain qui avait le général Noguès en haute estime et auquel il avait accordé son amitié, répondit au colonel Kettani qui lui demandait l’autorisation d’aller témoigner en faveur de l’inculpé : « Pour le général Noguès, je ne t’autorise pas, je t’ordonne. » (Benmansour, 1969).

En juin 1954 l’ancien Résident-général rentra en France où il se constitua prisonnier. Mis en liberté provisoire, à nouveau jugé et condamné à la même peine, il en fut aussitôt relevé. Quelques mois plus tard, sous le gouvernement Edgard Faure, la IVe République enlisée dans le bourbier marocain lui demanda d’intervenir auprès du sultan déposé et exilé à Madagascar, afin de sortir la France de l’impasse dans laquelle elle s’était elle-même placée. Justice était ainsi indirectement rendue à ce « grand seigneur » de l’époque de Lyautey.

Le débarquement américain au Maroc agit comme un révélateur de la situation réelle de la France et les nationalistes marocains le comprirent immédiatement ainsi qu’AbdeIwahhab Benmansour l’a bien expliqué :

« Cette seconde défaite, après celle enregistrée devant les Allemands, a eu un profond effet sur les Marocains qui ont vu leurs protecteurs à leur tour protégés et ont constaté que les Français ne jouaient plus qu’un rôle d’exécutants : ils recevaient leurs ordres des Américains et les exécutaient sous leur contrôle. Pour le Roi, ses ministres et ses agents d’autorité, le champ d’activité s’est relativement étendu, puisque les responsables américains à tous les niveaux ont commencé à prendre contact avec eux, à les consulter, à les inviter et à se faire inviter par eux » (Benmansour, 1969).

Au mois de janvier 1943, à Anfa, dans la banlieue résidentielle de Casablanca, se tint une conférence aux termes de laquelle les Alliés décidèrent que l’objectif final de la guerre était la capitulation sans conditions de l’Allemagne et du Japon.

La Conférence d’Anfa fut un encouragement donné au mouvement nationaliste car, au cours de deux entretiens qu’il eut en tête à tête avec le sultan et le prince héritier, le futur Hassan II, le président Roosevelt promit l’aide américaine afin de hâter l’indépendance du Maroc637.

Le président américain reçut longuement le souverain marocain avec lequel il parla de la prochaine et nécessaire indépendance du pays quand la guerre aurait pris fin. Il s’engagea même à faire pression sur la France.

Au mois d’avril 1943 Ahmed Balafrej, qui venait juste de rentrer d’exil, regroupa les divers courants nationalistes au sein du Parti de l’indépendance (Hizb al-Istiqlal connu sous le nom d’Istiqlal) qui succéda au Comité d’action marocaine.

Le 13 janvier 1944, le sultan prit fait et cause pour le mouvement dont le manifeste demandant la fin du protectorat avait été rendu public deux jours plus tôt, le 11 janvier, et il désigna trois négociateurs afin d’entamer des discussions avec le Résident général Puaux. Les autorités françaises d’Alger étant opposées à tout compromis, de violentes émeutes éclatèrent au mois de février, notamment à Fès et à Rabat. Le général Leclerc les réprima avec une grande vigueur638.

En Algérie, le Manifeste du peuple algérien qui fut rendu public le 10 février 1943 fut publié au mois de mai. Il revendiquait la totale égalité entre Algériens et Français. Ce texte était en réalité un document que Fehrat Abbas avait fait signer par 28 élus algériens et qu’il avait transmis aux Américains. Le CFLN le rejeta. Le 14 mars, les nationalistes se regroupèrent dans une structure souple, Les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML).

Le 7 mars 1944, le général De Gaulle supprima le code de l’indigénat et accorda la citoyenneté française à 65 000 Algériens.

En Tunisie, après le débarquement allié du mois de novembre 1942, la position du Bey fut d’autant plus difficile à tenir que le pays fut occupé par les troupes germano-italiennes et que certains nationalistes furent alors tentés de s’appuyer sur elles pour arracher l’indépendance à la France. Tel ne fut pas le cas d’Habib Bourguiba qui ne croyait pas à une victoire de l’Allemagne. Il fut très clair à ce sujet comme le montre une lettre qu’il écrivit le 10 août 1942 à Habib Thameur président par intérim du Neo-Destour et que cite Tahar Belkhodja (1998 : 9) :

« L’Allemagne ne gagnera pas la guerre et ne peut la gagner [)] L’Allemagne sera broyée comme dans les mâchoires d’un étau irrésistible […] L’ordre vous est donné, à vous et aux militants d’entrer en relation avec les Français gaullistes en vue de conjuguer notre action clandestine […] Notre soutien doit être inconditionnel. »

Le 7 mai 1943, à la veille de l’entrée des Alliés à Tunis, il déclara :

« Tunisiens, mes amis, faites bloc autour de la France. Hors la France, il n’est pas de salut, car la France, une fois libérée n’oubliera pas ses vieux amis. »

Le 13 mai, le général Alphonse Juin, Résident général à titre temporaire demanda à Moncef Bey d’abdiquer, ce que ce dernier refusa de faire. Le 14 mai le général le déposa et le remplaça par Lamine Bey, un de ses cousins qui lui succéda dès le 15 mai 1943.

626. Pour tout ce qui concerne l’Afrique du Nord durant le second conflit mondial, voir Christine Levisse-Touzé (2000). Pour les opérations en Libye, voir Pinta (2006 : 241-254).

627. Plusieurs officiers prirent même des contacts avec les Allemands, dont le futur président Anouar el Sadate qui fut envoyé en prison par les Anglais de 1942 à 1944. Au début de l’année 1945, le Premier ministre, Ahmed Maher fut assassiné au moment où il lisait la déclaration de guerre de l’Égypte à l’Allemagne.

628. Durant la guerre, Benghazi changea cinq fois de mains.

629. Au sud du dispositif britannique, à Bir Hakeim, le général Koenig avait résisté à la poussée allemande du 28 mai au 19 juin avant de réussir à percer les lignes de Rommel pour rejoindre la VIIIe armée britannique.

630. Voir à ce sujet Couteau-Bégarie et Huan (1994), Rochas (2006) et Valla (2007).

631. Pour la contribution du Maroc à la France durant le second conflit mondial, il sera utile de se reporter à Christine Levisse-Touzé (1999). En dépit de son titre, l’article est quasi exclusivement consacré à la Seconde Guerre mondiale.

632. Voir à ce sujet le numéro spécial de la revue L’Algérianiste, n°60, décembre 1992, consacré au débarquement du 8 novembre 1942.

633. Au mois de mai 1941, l’amiral Darlan signa avec le général allemand Walter Warlimont des accords ouvrant le port de Dakar aux sous-marins allemands et celui de Bizerte à l’Afrika Korps en échange de la libération de prisonniers. Le général Weygand s’opposa à cette politique ; relevé de son commandement il fut interdit de retour en Afrique du Nord.

634. Afin de mettre un terme à ces combats inutiles, le sultan Mohammed ben Youssef fit venir le général Noguès au Palais et lui déclara : « Le sang français et le sang marocain des soldats et des populations civiles coulent. Le président Roosevelt et le général Eisenhower ont proclamé que les forces alliées venaient en amies. Vous savez mieux que moi, à présent, que ces forces sont invincibles. Il faut arrêter le combat. Souverain de la nation marocaine, mon premier devoir est d’épargner son sang » (Cité par Hassan II, 1976).

635. En 1939-1940, la France eut 4 700 000 hommes sous les armes. Tous les territoires d’outre-mer confondus lui fournirent environ 400 000 hommes, soit environ 8 % des effectifs. Parmi ces derniers, on comptait 123 000 Algériens et 93 000 Français d’Algérie.

En 1942-1945, il y eut 700 000 Français sous les drapeaux. En Algérie, pour une population européenne d’un million de personnes, il y eut 176 500 hommes sous les drapeaux et 28 600 en appel différé, soit 16 % de la population, taux exceptionnel, qui donnerait près de 7 millions s’il était rapporté à la population métropolitaine. Pour une population musulmane de près de 15 millions pour les trois pays de l’AFN, les effectifs furent de 244 000 hommes, soit 1,60 % dont 132 000 Algériens, 90 000 Marocains et 22 000 Tunisiens.

Le total des pertes de soldats nord-africains fut de 20 000, dont 5 400 en 1940, 3 750 au Levant, 3 458 en Tunisie, 4 019 en Italie et en Corse, et enfin 3 716 durant les campagnes de France et d’Allemagne. Les Français d’Algérie eurent quant à eux, 2 700 morts en 1939-1940 et 10 000 en 1942-1945. (Faivre, 2006 : 6).

636.Sur la politique marocaine du général Noguès, voir Hoisington (1995b).

637. Pour ce qui concerne les relations entre Mohammed ben Youssef et les États-Unis d’Amérique, voir l’article de Mostafa Azzou (2004).

638. La gauche française vit la revendication nationaliste marocaine comme l’expression d’une 5e colonne nazie et elle cautionna la politique répressive (Oved, 1984).