En Algérie le nationalisme678 prit forme durant la décennie 1920-1930 avec l’émergence de nouvelles élites urbanisées. Produites par l’école de la République, ces dernières furent confrontées à une grande contradiction entre les principes autant généreux qu’utopiques de l’assimilationnisme républicain et une réalité sociale inégalitaire.
Les élites traditionnelles, souvent passées par l’armée, demeurèrent quant à elles généralement fidèles à la France. Elles en payèrent chèrement le prix car elles furent particulièrement visées par le FLN qui les élimina physiquement et politiquement.
En Algérie, aucun leader charismatique n’émergeant, à l’exception toutefois de Messali Hadj que le FLN marginalisa et combattit, ce fut le parti FLN qui incarna le nationalisme à travers de violentes luttes de clans. Ce fut un nationalisme arabo-musulman.
Nous avons vu qu’à la veille du second conflit mondial, les Algériens se retrouvaient dans quatre grands courants :
- Les intégrationnistes avaient pour leader Ahmed Ferhat Abbas679. Leur parti était l’UDMA (Union démocratique du Manifeste algérien680) qui revendiquait l’égalité des droits dans le cadre de la souveraineté française. Ferhat Abbas était partisan du républicanisme et, pour lui, la religion relevait du domaine privé681.
- Les religieux étaient regroupés dans l’Association des Oulémas musulmans algériens, mouvement créé en 1931 à Constantine par Abdelhamid Ben Bâdis, un descendant de la dynastie ziride qui prôna constamment des idées réformistes. En 1936, l’association se prononça pour le rattachement à la France, puis, en 1945, elle condamna les initiateurs du soulèvement de Sétif. Les Oulémas attendirent l’année 1956 pour se rallier au mouvement indépendantiste.
- Le PCA (Parti communiste algérien) fondé en 1936.
- Les nationalistes du PPA (Parti du peuple algérien), mouvement fondé par Ahmed Messali Hadj (Simon, 2005).
Ahmed Messali Hadj (1898 - 1974)
Né en 1898 à Tlemcen et mort à Paris en 1974, Messali Hadj (Stora, 2004), fut longtemps le chef incontesté du nationalisme algérien, courant qui naquit moins en Algérie qu’en France, et essentiellement au sein de l’émigration kabyle. Messali Hadj adhèra au PCF en 1925, mais, dès 1927, il rompit avec les communistes. En 1928, il fonda l’ENA (Étoile nord africaine)682 et en 1936, ce fut avec enthousiasme qu’il accueillit la victoire du Front populaire ; il fut cependant vite déçu car l’ENA fut dissoute au début de l’année 1937. Il la reconstitua au mois de mars 1937 sous le nom de PPA, l’organisant en cellules clandestines à l’image du Parti communiste. Au mois de juillet 1937, Messali Hadj s’installa à Alger. En 1939, le PPA fut à son tour interdit et ses cadres entrèrent en clandestinité.
Au lendemain du second conflit mondial, le nationalisme fut incarné par les Messalistes du PPA et le 25 avril 1945, Messali Hadj fut arrêté et déporté à Brazzaville. En 1946 le PPA se reconstitua en parti politique qui prit pour nom Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et il se dota d’une antenne clandestine, l’Organisation spéciale (OS) à laquelle adhéra un jeune militant nommé Ahmed Ben Bella683. Hocine Aït Ahmed, un Kabyle, en fut le premier chef.
Le 8 mai, dans le nord constantinois, des militants du PPA, parti interdit, décidèrent de profiter des commémorations de la capitulation allemande pour faire une démonstration de force. À Sétif, une marche nationaliste dégénéra quand des manifestants arborèrent les drapeaux algériens interdits.
Le problème était que les administrateurs locaux, bons connaisseurs de la région et qui auraient su contrôler le cortège, avaient été épurés car jugés trop « vichyssistes » et remplacés par de nouveaux venus ignorant tout de la situation locale. Le jeune sous-préfet, juste débarqué de France voulut ainsi faire preuve d’autorité et il ordonna aux quelques gendarmes dont il disposait – à Sétif, les effectifs de la gendarmerie s’élevaient à 20 hommes à peine (Jauffret, 1987) –, d’arrêter les porteurs de drapeaux.
Cette tentative tourna au drame et la manifestation dégénéra en massacre, les civils français étant pourchassés et massacrés par une foule déchaînée. La première victime fut une fillette juive de huit ans tuée à coups de couteau. Au total, près de cent Européens furent assassinés.
Vide de troupes, la région fut durant plusieurs jours sous le contrôle des insurgés. Des milices d’autodéfense se constituèrent avec les vieillards et les permissionnaires car les Européens en âge de porter les armes étaient tous sous les drapeaux sur le front d’Europe. Puis des renforts, notamment des unités sénégalaises, furent envoyés. Au bout d’une semaine, appuyés par l’aviation, ils réussirent à reprendre le contrôle de la situation (Vétillard, 2008).
La répression fut brutale, mais elle n’eut pas l’ampleur que lui donnèrent les nationalistes algériens avec un bilan de 40 000 victimes, chiffre lancé sans vérification par une source diplomatique américaine favorable aux indépendantistes (Vétillard, 2008). Les historiens s’accordent aujourd’hui sur le chiffre de 7 000 à 10 000 morts, ce qui est encore une estimation « haute » (SHD, 1990 ; Vétillard, 2008).
Ce qui s’est passé à Sétif est en effet bien connu. Le dernier livre faisant le point sur la question est celui du docteur Roger Vétillard (2008), lui-même natif de Sétif. Au terme d’une longue et minutieuse enquête, il montre qu’il s’est agi d’une véritable tentative de soulèvement organisé avec le soutien ou les encouragements des États-Unis, mouvement qui était destiné à mettre la France devant le fait accompli indépendantiste. Ce soulèvement devait d’ailleurs être suivi d’une insurrection dans toute l’Algérie, mais la coordination étant mal assurée, il ne toucha que la région de Sétif. Ce fut en quelque sorte une répétition des événements de la Toussaint 1954 que la IVe République fut incapable d’anticiper.
Sétif, une artificielle controverse historique
Dans les années 1990, les autorités algériennes s’engagèrent dans une vaste entreprise de re-écriture de l’histoire officielle de la lutte pour l’indépendance présentée comme le soulèvement d’un peuple unanimement dressé contre le colonisateur. La surenchère nationaliste entraîna alors un véritable recul de l’état des connaissances historiques alors que, depuis des années, les historiens des deux rives de la Méditerranée en étaient presque arrivés à une « subjectivité équilibrée ». En effet, à la suite de nombreux travaux publiés entre les années 1965 et 1990, les chercheurs commençaient à quitter les tortueux chemins de la mémoire pour emprunter ceux, plus dégagés, de l’Histoire.
Leurs efforts furent réduits à néant durant la terrible décennie 1990 quand l’Algérie, alors en pleine guerre civile fut au bord de l’implosion et que ses dirigeants, à la recherche de thèmes d’union nationale, pensèrent les trouver dans la dénonciation de la France. La manœuvre trouva son point d’orgue en 1995 lors de la célébration du cinquantenaire des événements de Sétif qui furent présentés comme l’illustration des massacres perpétrés par la France en Algérie. La campagne fut orchestrée en France où, en 1995, un colloque fut consacré à la question à l’occasion de la projection sur la chaîne Arte d’un film de Mehdi Lallaoui et Bernard Langlois intitulé Le massacre de Sétif.
Tirant argument des « massacres de Sétif », Olivier Le Cour Grandmaison (2005), publia un livre dans lequel il soutenait que la colonisation de l’Afrique en général – et celle de l’Algérie en particulier –, fut une entreprise d’extermination annonçant la Shoa. Cette thèse outrancièrement radicale fut sévèrement dénoncée par Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet (2005) qui écrivirent à son propos :
« Assimiler peu ou prou le système colonial à une anticipation du IIIe Reich, voire à un « précédent inquiétant » d’Auschwitz, est une entreprise idéologique frauduleuse, guère moins frelatée que l’identification, le 6 mai 2005 à Sétif, par le ministre des Anciens moudjahidines, porte-voix officiel du président Bouteflika, de la répression coloniale aux fours crématoires d’Auschwitz et au nazisme […] Ou alors, si les massacres coloniaux annoncent le nazisme, on ne voit pas pourquoi la répression sanglante de la révolte de Spartacus, ou encore la Saint-Barthélemy, ne l’auraient pas tout autant annoncé En histoire, il est dangereux de tout mélanger. […] Le texte d’Olivier Le Cour Grandmaison, comporte nombre de schématisations idéologiques, de jugements tranchés, voire d’outrances inadmissibles pour un historien […] À le lire, on ne peut s’empêcher de poser la question : un sottisier peut-il tenir lieu d’œuvre de réflexion et de synthèse historique ? […] L’air du temps de la dénonciation médiatique ne suffit pas à arrimer à la science des convictions et à faire d’Olivier Le Cour Grandmaison un historien plausible. Le contexte social, économique et politique actuel est encore fécond qui continuera à générer de telles tonitruances idéologiques à vocation surtout médiatique » (Meynier et Vidal-Naquet, 2005 : 167-168, 176684).
Dès le lendemain du second conflit mondial, la question berbère divisa le courant nationaliste. En 1947, lors du premier congrès du PPA/MTLD, quatre Kabyles entrèrent au Comité central du parti dont Hocine Aït-Ahmed. À partir de ce moment, les Kabyles tentèrent d’introduire la revendication berbère dans la lutte pour l’indépendance. En vain, car en 1948, le MTLD, dans son appel à l’ONU, inscrivit la phrase suivante : « La nation algérienne, arabe et musulmane existe depuis le VIIe siècle », ce qui provoqua la fureur de sa composante kabyle.
En 1949, au sein de la section de métropole du PPA-MLTD éclata la « crise berbériste » qui opposa les Kabyles voulant faire reconnaître la « berbérité » comme partie intégrante du nationalisme algérien à la direction arabo-islamique du mouvement685.
Tout partit d’un vote quand le Comité directeur de la Fédération de France du PPA/MTLD, largement dominé par les berbéristes, vota à une écrasante majorité une motion rejetant le postulat d’une Algérie arabe. Après ce vote, les deux camps en vinrent aux mains et plusieurs militants kabyles furent arrêtés par la police française, ce qui fit croire à certains que leurs adversaires « arabistes » les avaient dénoncés686. Mis en accusation pour régionalisme et antinationalisme, les cadres kabyles furent ensuite écartés de la direction du parti puis exclus, cependant que certains étaient assassinés, comme Ali Rabia en 1952.
À travers cette « crise berbériste » qui divisa le mouvement nationaliste algérien en pleine phase de constitution, se posa en réalité la question de l’identité algérienne : était-elle exclusivement arabo-musulmane ou bien berbère et arabo-musulmane avec une antériorité berbère ?
Pour Messali Hadj, arabisme et islamisme étaient les éléments constitutifs sans lesquels l’Algérie algérienne ne pourrait pas faire « coaguler » ses populations. Pour la direction du PPA/MTLD, la réponse était donc évidente : l’Algérie était une composante de la nation arabe, sa religion était l’islam687 et le berbérisme était un moyen pour le colonisateur de diviser les Algériens. Le Berbère Abdelhamid Ben Badis688 qui signait pourtant Badis al-Sanhaji (le Sanhajien) disait à ce propos que « le peuple algérien est musulman et à l’arabisme le rattachent les liens du sang » (Kaddache, 1972).
Les berbéristes étaient quant à eux divisés en deux grands courants :
- Le premier donnait la priorité à la lutte pour l’indépendance, considérant que la question berbère serait posée ensuite, dans le cadre d’une Algérie algérienne.
- Le second voulait qu’avant de déclencher l’insurrection il y ait accord sur les définitions futures.
Les membres du second courant furent écartés de la direction du PPA/MTLD et ce fut alors que le Kabyle Hocine Aït-Ahmed perdit la direction de l’Organisation Spéciale (OS), au profit de l’« Arabe » Ben Bella.
Cette guerre interne au courant nationaliste laissa des traces et l’opposition entre berbéristes et arabo-islamistes se prolongea :
« […] durant la guerre de libération, mais la nécessité de l’union va pousser les dirigeants à atténuer leurs divergences et il y a une sorte de consensus à mettre entre parenthèses les problèmes algériens jusqu’à l’indépendance. Aucun grand texte de la révolution – Proclamation du 1er novembre, Plate-forme de la Soummam, Charte de Tripoli –, ne fait allusion à la langue berbère. À l’inverse, la langue arabe est à chaque fois définie comme l’un des éléments de la personnalité algérienne […] » (Haddadou, 2003 : 133).
Tout cela explique pourquoi, durant la période de la guerre d’indépendance :
« […] l’un des soucis lancinants des responsables arabes […] aura été de marginaliser les chefs politiques kabyles : à leurs yeux […] à peu près tous suspects de berbérisme et leur loyalisme arabe n’est pas assuré. La liquidation physique d’Abane Ramdane, puis le lent processus d’encerclement et de marginalisation de Krim Belkacem, peut-être même la mort d’Amirouche, s’inscrivent dans ce contexte de rivalité Arabes/Kabyles. Par-delà leurs divergences et les conflits d’ambitions personnelles, les principaux chefs arabes (Ben Bella, Boussouf, Bentobbal, Boumedienne, Bouteflika) se sont tous retrouvés sur la nécessité de briser l’hégémonie kabyle sur le FLN-ALN.
Trente ans après les événements, l’ancien président Ahmed ben Bella (considérait) encore le Congrès de la Soummam (1956) et l’action d’Abane Ramdane – en particulier son laïcisme – comme « entachés de berbérisme et tournant le dos à l’Islam. Il explicite ainsi l’un des motifs qui ont amené ses pairs et ennemis politiques au sein du FLN à organiser sa liquidation physique » (Chaker, 1987 : 18).
D’autant plus que, sur le terrain, la guerre contre la France fut essentiellement menée par des Berbères dont les chefs étaient Abane Ramdane, Amirouche Aït Hamouda, Krim Belkacem ou encore Hocine Aït Hamed. Les Berbères revendiquaient même l’antériorité du combat nationaliste car ils :
« […] avaient opté pour l’indépendance à une époque où le courant arabo-musulman était encore loin d’avoir, dans toutes ses composantes, remis en cause la souveraineté de la France ! » (Chaker, 1987 : 23).
En définitive, le berbérisme fut évacué de la revendication nationaliste au profit de l’arabo-islamisme qui devint la doctrine officielle du FLN, laquelle fut ensuite reprise à leur compte par les militaires qui prirent le pouvoir en 1965.
Nous avons dit qu’après la « crise berbère », l’« Arabe » Ben Bella succéda donc au Kabyle Hocine Aït Hamed. Arrêté, il s’évada en 1952 et trouva refuge au Caire où il fut bientôt rejoint par Hocine Aït Ahmed et Mohammed Khider avec lesquels il fonda la Délégation extérieure du MTLD.
Le mouvement éclata ensuite en factions. Au mois de mars 1954, fut ainsi créé le Comité révolutionnaire pour l’Unité et l’Action (CRUA), puis, au mois d’octobre 1954, le CRUA se transforma en FLN (Front de libération nationale)689 lequel déclencha neuf jours plus tard l’insurrection du 1er novembre (Harbi, 1999). Une partie des militants du MTLD le rejoignit ensuite.
Entre 1945 et 1954, la politique française vis-à-vis de l’Algérie fut caractérisée par l’immobilisme.
Par une ordonnance de 1944, le général De Gaulle avait pourtant accordé le droit de vote à ceux des musulmans qui remplissaient un certain nombre de critères, essentiellement militaires, mais, les incohérences administratives interdirent toute mise en place d’une politique libérale.
Les contradictions françaises apparurent lors des débats devant l’Assemblée constituante et notamment le 9 août 1946 quand Fehrat Abbas déposa un projet de Constitution pour une République algérienne fédérale membre de l’Union française. La majorité du Parlement refusa cette option fédéraliste qui avait pour but de construire une Algérie nouvelle « sous l’égide de la France », comme entité certes séparée, mais fédérée à elle.
Le débat reprit en 1947 avec une nouvelle fois le refus par les députés du projet de République fédérale. La Loi du 20 septembre 1947 qui fut votée prévoyait un embryon de parlement local avec la création de l’Assemblée algérienne élue au double collège, un collège européen élisant 60 députés pour une population de 800 000 habitants et un collège indigène élisant également 60 députés, mais pour 7 millions de membres.
Les élections municipales du mois d’octobre 1947 virent la victoire de Messali Hadj devant Ferhat Abbas, les communistes obtenant la troisième place, cependant que les notables étaient battus.
La guerre d’indépendance algérienne dura officiellement du mois de novembre 1954 au mois de mars 1962691. Elle se termina par une victoire militaire française et par une victoire politique algérienne, le général De Gaulle ayant voulu libérer la France du « fardeau algérien ».
À la différence des conflits de décolonisation que connurent la Grande-Bretagne ou le Portugal, cette guerre se déroula à la fois en Algérie et en métropole.
Dans cette guerre, trois grandes périodes peuvent être distinguées : de 1954 à 1957, de 1958 à 1960 et de 1960 à 1962.
La guerre d’indépendance algérienne692 éclata dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954693 quand, à Boufarik et à Blida, des commandos respectivement dirigés par Amar Ouamrane et par Rabah Bitat attaquèrent des casernes françaises. Dans la région d’Alger, une coopérative d’agrumes, une usine de transformation de l’alfa, un relais téléphonique et un dépôt de carburant furent mitraillés et à Alger même, trois bombes explosèrent. Dans l’Oranais la gendarmerie de Cassaigne fut mitraillée et deux fermes attaquées. En Kabylie, Krim Belkacem lança plusieurs attaques contre des dépôts de liège, des mairies ou des gendarmeries.
Ce fut cependant dans les Aurès et les régions voisines que le mouvement fut le plus significatif. Mostafa ben Boulaïd qui disposait de plusieurs centaines d’hommes y lança de véritables opérations militaires, à Batna, à Kenchela et jusqu’à Biskra. La ville d’Arris fut coupée de l’extérieur durant deux jours et dans les gorges de Tighanimine, sur la route de Biskra, une embuscade tendue à un car de voyageurs, coûta la vie à un instituteur, Guy Monnerot, ainsi qu’au caïd de M’Chounèche, Hadj Sadok, qui s’était interposé.
L’insurrection algérienne déclenchée, le gouvernement de Pierre Mendès-France affirma que la défense de la souveraineté française n’était pas négociable et que la « pacification » était un préalable :
« Qu’on n’attende de nous aucun ménagement à l’égard de la sédition, aucun compromis avec elle. On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la Nation et l’intégrité de la République. Les départements d’Algérie font partie de la République française, ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable. […] Cela doit être clair pour toujours et pour tout le monde, en Algérie, dans la métropole et aussi à l’étranger. Jamais la France, jamais aucun Parlement, jamais aucun gouvernement, ne cédera sur ce principe fondamental […] L’Algérie c’est la France, et non un pays étranger que nous protégeons » (Mendès-France, déclaration du 12 novembre 1954 à la tribune de l’Assemblée nationale).
Pierre Mendès-France résumait bien l’opinion qui était alors celle de l’immense majorité des Français : l’Algérie était la France. Quant à François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, il déclara : « la seule négociation, c’est la guerre. » La gauche française campait donc toujours sur une ligne de grande fermeté concernant l’Algérie française. Cette position n’était pas nouvelle car le gouvernement de Front populaire avait en son temps réprimé le nationalisme algérien. De même, en 1945, la répression dans le Constantinois avait été décidée par un gouvernement issu de la Résistance et qui était très majoritairement de gauche avec participation communiste. À ce moment-là, le PCF avait eu une position dénuée de la moindre ambiguïté puisqu’il avait qualifié les nationalistes impliqués dans les événements de Sétif et de Guelma de « provocateurs à gages hitlériens » et réclamé que « les meneurs soient passés par les armes » (Harbi, 2006 : 61).
Des renforts furent envoyés en Algérie et des rafles organisées dans les milieux nationalistes. Parallèlement, Pierre Mendès-France voulut s’attaquer aux racines du problème qui, pour lui, étaient économiques et sociales.
Dès le début, l’erreur d’analyse des dirigeants français fut donc totale car la question algérienne ne se posait à l’évidence pas en termes d’équipements sociaux, mais selon l’éclatante réalité d’incompatibilité des cultures exacerbée par le renouveau du nationalisme arabe. Face à la guerre révolutionnaire menée par les partisans de l’Indépendance, tout ce qui fut tenté par la France fut donc à la fois insuffisant et en décalage avec les aspirations des nationalistes algériens. C’est ainsi que, ni l’amélioration du sort des travailleurs algériens en métropole, ni la politique de mise en valeur des terres incultes, ni la création d’emplois industriels, ne mirent un terme aux affrontements armés. D’autant plus que les élus d’Algérie firent tout ce qui était en leur pouvoir pour saboter ces timides avancées en les dénonçant comme une « prime donnée à la rébellion ». La question algérienne était insoluble.
Au mois de janvier 1955, Jacques Soustelle, ancien ministre des Colonies du dernier gouvernement De Gaulle (24 novembre 1945 - 20 janvier 1946), fut nommé Gouverneur général de l’Algérie, ce qui provoqua une crise parlementaire. René Mayer, député de Constantine, qui avait été brièvement Président du Conseil du 9 janvier 1953 au 21 mai 1953, avait en effet été renversé par les gaullistes dirigés par le même Jacques Soustelle. En représailles, le 5 février 1955, il entraîna avec lui 20 députés radicaux, ce qui provoqua la chute du gouvernement Mendès-France. Les événements d’Algérie commençaient donc à peser sur la vie politique française.
Le 23 février 1955, après deux semaines de consultation, de crise et d’immobilisme de l’État, Edgar Faure constitua un gouvernement qui fut renversé au mois de décembre suivant, mais qui confirma la nomination de Jacques Soustelle. Ceci déplut aux partisans de l’Algérie française au motif qu’il avait été nommé par Pierre Mendès-France que la droite qualifiait de « bradeur » en référence à sa politique indochinoise.
Grand résistant, humaniste, ethnologue de renom pour ses travaux sur les Aztèques, Jacques Soustelle pensait qu’il était possible de faire des Algériens des Français à part entière. Mais, pour cela, il soutenait que l’Algérie devait évoluer encore plus étroitement dans le cadre français en devenant une province à l’égal de l’Alsace, de la Provence ou de la Bretagne. Sa politique était donc l’intégration et pour la mener à son terme, il définit un plan reposant sur trois piliers :
1- intégration financière allant jusqu’à la fusion des économies et passant par l’industrialisation de l’Algérie « selon un plan commun métropole-Algérie ».
2- intégration politique car l’Algérie devait être considérée « comme la Bretagne » et c’est pourquoi il lui fallait une représentation de 70 députés au sein du Parlement français.
3- intégration administrative au moyen de véritables entités départementales, collège unique et réforme du régime foncier.
Le plan Soustelle fut combattu de toutes parts. D’abord par le général De Gaulle qui voyant dans l’intégration : « […] un danger pour les Blancs, (et) une arnaque pour les autres », développa à maintes reprises son opposition à cette idée qui, selon lui, menaçait l’identité même de la France :
« Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont les Arabes, les Français sont les Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de Musulmans, qui demain seront peut-être vingt millions et après-demain quarante ! » (Cité par Stora, 1999).
De son côté, le gouvernement pesait le coût politique et économique de l’intégration, car il était impossible, sans ruiner la métropole, de prétendre mettre à niveau les économies et les réalités sociales de la France et de l’Algérie. Les élus libéraux européens du premier collège de l’Assemblée algérienne redoutaient quant à eux l’aspect jacobin du projet et ils étaient en faveur d’une solution fédérale.
Les partisans de l’Algérie française soutenaient en revanche l’intégration. Ceux qui venaient de la gauche le faisaient sans réserve car elle rejoignait les postulats intégrationnistes des pères fondateurs de la république coloniale. Ceux qui étaient issus de la droite voyaient certes les dangers d’une telle politique au plan de la démographie et donc de l’identité même de la France, mais, faute d’autre solution, ils s’y rallièrent afin de sauver ce qui, à leurs yeux était l’essentiel, c’est-à-dire l’Algérie française. Quant aux musulmans, ils étaient partagés entre une minorité assimilationniste à l’image du notaire Abderrahmane Farès, ancien président de l’Assemblée algérienne et une autre minorité nationaliste, tandis que la grande masse demeurait attentiste694.
Au mois d’avril 1955, la situation sécuritaire se dégrada et le Parlement français vota l’état d’urgence. Après les élections législatives du 2 janvier 1956, Guy Mollet leader de la SFIO forma un gouvernement de Front républicain avec participation de Pierre Mendès-France, tandis que François Mitterrand en était le garde des Sceaux. Au mois de février 1956, le président du Conseil promit de reconnaître la personnalité algérienne et l’égalité politique totale de tous ses habitants et il nomma le général Catroux en remplacement de Jacques Soustelle. Le 6 février 1956, Guy Mollet se rendit à Alger où éclata une émeute européenne.
Cédant devant la rue, il annula la nomination du général Catroux qu’il remplaça par Robert Lacoste qui fut nommé ministre résidant et non plus Résident général, en Algérie. Cette capitulation donna aux Européens d’Algérie l’illusion que désormais rien ne pourrait être fait sans eux.
Puis, la situation se radicalisa. Le 16 mars 1956, l’Assemblée nationale accorda les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet. Et au mois d’avril, l’envoi du contingent fut décidé. Le 21 avril, les nationalistes « modérés » qui étaient groupés autour de Ferhat Abbas se rallièrent au FLN et ils partirent pour Le Caire. Au mois d’août, dans le douar d’Ighbal, dans la vallée de la Soummam, en pays kabyle, se tint le premier congrès du FLN qui décida de la création du Comité national de la révolution algérienne (CNRA).
Pierre Mendès-France, ministre d’État, démissionna le 23 mai 1956 car il estimait que le gouvernement était trop sensible aux arguments des Européens d’Algérie et pas assez à ceux des musulmans. Il demandait donc des mesures politiques destinées à empêcher que la population musulmane rejoigne le FLN.
Le 22 octobre 1956, l’avion marocain qui transportait de Rabat à Tunis cinq membres de la Délégation extérieure du FLN695 fut détourné par les services français et tous furent emprisonnés jusqu’à la fin de la guerre. Le même jour, à Meknès, au Maroc, éclatèrent de violentes manifestations anti-françaises parties du quartier algérien de la médina et des dizaines d’Européens furent massacrés696.
Durant l’automne 1956, le FLN, constata qu’il ne pouvait l’emporter sur l’armée française dans le bled. Il décida alors de mener la bataille sur un terrain qui lui était plus favorable, à Alger même, depuis le cœur de l’ancienne citadelle turque, la casbah, où l’enchevêtrement des rues permettait une facile dissimulation. De là, de sanglants attentats furent organisés dans la ville européenne.
La police étant impuissante, le 7 janvier 1957, le gouvernement du socialiste Guy Mollet donna ordre à la division parachutiste commandée par le général Massu de démanteler les réseaux du FLN. Ce fut la « bataille d’Alger » qui se déroula de janvier à septembre 1957. La manière forte fut employée, et cela à la hauteur du défi que l’armée avait été chargée de relever par le pouvoir civil : 24 000 personnes furent arrêtées, des suspects furent torturés afin de leur faire révéler les lieux où étaient entreposées les bombes qui tuaient des civils et les réseaux terroristes furent démantelés (Massu, 1971 ; Léger, 1983 ; Schmitt, 2002). La victoire de l’armée fut aussi totale que sa défaite politique. Cette dernière fut organisée depuis Paris par les alliés du FLN, qui déclenchèrent une puissante campagne contre la torture697.
La victoire française durant la « Bataille d’Alger » provoqua une grave crise au sein du FLN. Après la mort de Larbi Ben M’Hidi, exécuté au mois de février 1957 par l’armée française (Aussaresses, 2001), Abane Ramdane qui avait déclenché l’opération fut mis en accusation par la direction militaire du FLN. Organisateur du Congrès de la Soummam au mois d’août 1956, il avait eu un rôle essentiel dans le ralliement au mouvement de modérés comme Ferhat Abbas et il avait réussi à regrouper divers courants politiques. Cependant, comme il avait imposé le leadership des militants de l’intérieur sur les exilés, il s’était fait de nombreux ennemis parmi ces derniers (Abane Belaïd, 2015). La branche extérieure du FLN se vengea en le mettant en accusation pour avoir déclenché la bataille d’Alger d’une manière inconsidérée et donc pour avoir donné une victoire à la France. Larbi Ben M’Hidi se défendit en accusant plusieurs chefs militaires ainsi que Ben Bella, alors emprisonné en France. Il fut assassiné au Maroc en 1957 sur ordre du colonel Abdelhafid Boussouf chef de la willaya V, celle d’Oranie.
En 1956, dépassé par le radicalisme du FLN, Messali Hadj créa le MNA (Mouvement national algérien). Les militants des deux mouvements se livrèrent ensuite une lutte sans merci, tant en Algérie que sur le territoire métropolitain, illustrée entre autres, le 28 mai 1957, par le massacre du douar messaliste de Mélouza où des centaines de femmes, d’enfants et de vieillards furent massacrées. Cette tuerie s’inscrivait dans la stratégie du FLN qui était d’éliminer le courant messaliste afin d’apparaître comme le seul représentant du nationalisme algérien. À l’issue de cette lutte fratricide, les réseaux du MNA furent au sens propre liquidés par le FLN (Harbi, 1980, 1998 et Simon 2006).
Guy Mollet fut renversé le 21 mai 1957 et remplacé par Pierre Bourgès-Maunoury qui fut à son tour renversé au mois de septembre 1957. Puis en novembre 1957, Félix Gaillard forma un gouvernement de centre-droit.
Au début du mois de janvier 1958, la situation se tendit sur la frontière algéro-tunisienne. Depuis leur sanctuaire installé en Tunisie, les combattants du FLN lançaient en effet des opérations de plus en plus meurtières en territoire algérien avant de se replier de l’autre côté de la frontière où ils étaient hors de poursuite de la part de l’armée française.
Le 2 janvier 1958, quatre soldats français furent ainsi faits prisonniers et emmenés en Tunisie, puis le 11 janvier, une patrouille tomba dans une embuscade tendue par plusieurs centaines de combattants venus du village de Sakhiet Sidi-Youssef et appuyés par la garde nationale tunisienne. Le 8 février, un avion de reconnaissance français fut touché par un tir venu de ce même village tunisien de Sakiet Sidi-Youssef (carte page LXIII).
En représailles, un puissant bombardement aérien français eut lieu le même jour, détruisant l’artillerie anti-aérienne et le camp de l’ALN, mais plusieurs bombes touchèrent des objectifs civils, faisant plusieurs morts. La France fut alors l’objet d’une violente campagne américaine et contrainte d’accepter une mission de « bons offices » anglo-américaine.
Le 15 avril 1958, le gouvernement Félix Gaillard fut renversé ; pour lui succéder, le président Coty désigna Pierre Pfimlin qui constitua une coalition de socialistes, de radicaux et de MRP. Le nouveau président du Conseil étant partisan de négocier avec le FLN, la tension monta à Alger.
Le 9 mai le FLN-ALN annonça l’exécution de trois soldats français gardés prisonniers en Tunisie698. À Alger, une immense manifestation eut lieu en leur hommage et les autorités perdirent le contrôle de la situation. Le 13 mai, l’armée créa des Comités de salut public. Dépassé par les événements, René Coty, Président de la République, fit appel au général De Gaulle. Le 28 mai le gouvernement Pfimlin démissionna (Winock, 2006). Le 1er juin, le général De Gaulle reçut l’investiture du Parlement, puis il constitua un cabinet de large coalition avec participation socialiste, dont Guy Mollet, qui demeura au gouvernement jusqu’au 21 décembre 1958.
Le référendum du 28 septembre 1958 approuva la Constitution de la Ve République. Le 19 septembre 1958, De Gaulle699 proposa la « paix des braves ». Le FLN qui se transforma en GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne), refusa toutes les ouvertures françaises, exigeant l’indépendance immédiate de l’Algérie tandis que, pour l’opinion, il était clair que le général allait maintenir l’Algérie française. D’autant plus qu’entre 1958 et 1960, la victoire militaire française fut obtenue en deux étapes, la « bataille des frontières » et le plan Challe.
Cette bataille fut livrée à l’époque où le général Salan était Commandant supérieur de la région Algérie (1er décembre 1956 - 12 décembre 1958).
Le 26 juin 1957, André Morice, ministre de la Défense nationale dans le gouvernement de Maurice Bourgès-Maunoury, prit la décision de rendre hermétiques les deux frontières est et ouest de l’Algérie afin d’éviter de devoir lancer des opérations aux lourdes conséquences diplomatiques contre les bases de l’ALN situées en Tunisie et au Maroc. Ce fut la ligne Morice. Elle fut complétée par la ligne Challe, du nom du nouveau commandant en chef qui succéda au général Salan au mois de décembre 1958, et qui était un « barrage de l’avant » destiné à prendre dans une nasse les unités de l’ALN qui auraient réussi à franchir la première ligne. Le barrage eut deux grands buts : empêcher les franchissements et déclencher le plus rapidement possible l’alerte en cas de passage afin de boucler la zone et prendre au piège les combattants de l’ALN.
Le barrage était composé d’une clôture électrifiée sous haut voltage continu avec des postes de contrôle permettant de signaler les coupures signifiant un passage. Cette clôture était doublée par un réseau de fil de fer barbelé miné, et par une piste parcourue jour et nuit par des unités de cavalerie désignées sous le nom de « herse ». Sur la frontière tunisienne, le barrage avait une longueur de 460 km et sur la frontière marocaine 700 km700 (carte page LIV).
Dans la zone de l’est Constantinois qui était commandée par le général Vanuxem, tous les passages en force échouèrent et les katibas qui les tentèrent furent toutes détruites. Dans la partie centrale de la ligne Morice, dans la région de Montesquieu (carte page LXIII), là où le barrage était le plus faible, ce furent les unités de la « herse » qui empêchèrent les franchissements.
Le résultat fut que les maquis de l’intérieur se trouvèrent dans une situation critique faute de ravitaillement, notamment en munitions701. L’état-major de l’ALN tenta alors une manœuvre consistant à attaquer la ligne Morice sur toute sa longueur, en lançant à l’assaut des milliers de combattants afin de saturer les unités d’intervention et les contraindre à se disperser.
Une opération fut ainsi lancée dans la nuit du 29 au 30 avril 1958 dans le secteur de Souk Ahras où le principal choc fut supporté par le 9° RPC (Régiment de parachutistes coloniaux, un régiment composé d’appelés du contingent) commandé par le colonel Buchoud. Lors des combats, la 3e compagnie du régiment fut encerclée par des fellaghas ayant fait mine de se rendre et mitraillée à bout portant. Son chef, le capitaine Beaumont et 28 hommes furent tués et 28 autres blessés. Mais la katiba fut détruite. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, une seconde katiba força le barrage au même endroit, mais le 2e REP (Régiment étranger de parachtistes) l’intercepta et la détruisit.
En six jours, du 28 avril au 3 mai, l’ALN perdit 620 tués et les Français 33702. Du 21 janvier au 28 mai 1958, la bataille des frontières fit au total 2 400 morts et 300 prisonniers dans les rangs de l’ALN et 279 morts et 758 blessés du côté français.
À partir de ce moment, les maquis de l’intérieur ne reçurent plus de renforts et ils connurent de gros problèmes de ravitaillement703. L’ALN de l’extérieur n’étant plus en mesure de les aider, ils ne furent bientôt plus que résiduels (Yaha, 2012 : 221), avant d’être éliminés par le plan Challe.
Le plan Challe, du nom du commandant en chef qui succéda au général Salan au mois de décembre 1958, fut mis en pratique de 1959 à 1961. Les populations qui étaient sous le contrôle des nationalistes furent regroupées et les zones qui étaient les bastions de l’ALN systématiquement ratissées, puis quadrillées. Les maquis de l’intérieur furent asphyxiés et contraints de se disperser pour ne pas être détruits. Obligés de sortir de la clandestinité pour se ravitailler, ils furent alors à la portée des commandos de chasse.
Le plan Challe permit d’éliminer à la fois les unités militaires de l’ALN opérant à l’intérieur du territoire algérien et de détruire l’organisation politico-administrative du FLN. Son bilan fut de 26 000 combattants tués et de près de 11 000 prisonniers, ce qui eut un effet considérable sur le moral de l’ALN isolé de ses bases tunisiennes et marocaines par les barrages de la ligne Morice. Dans son livre (1997 : 37), Benyoucef Benkhedda dernier président du GPRA, écrit qu’à la fin de la guerre, les maquis de l’intérieur comptaient 35 000 combattants, à savoir 7 000 pour la wilaya I, 5 000 pour la II, 6 000 pour la III, 12 000 pour la IV, 4 000 pour la V et 1 000 pour la VI. Au même moment, plus de 200 000 Algériens servaient officiellement dans l’armée française (voir plus loin page 489). L’estimation de Benyoucef Benkhedda est considérée comme très exagérée par les services français.
La guerre d’indépendance algérienne se déroula également en métropole, y provoquant des milliers de morts704. Pour la période du 1er janvier 1956 au 23 janvier 1962, 10 223 attentats y furent ainsi commis. Pour le seul département de la Seine, entre le 1er janvier 1956 et le 31 décembre 1962, 1 433 Algériens opposés au FLN furent tués et 1 726 autres blessés (Valat, 2007 : 27-28). Au total, de janvier 1955 au 1er juillet 1962, en Métropole, le FLN assassina 6 000 Algériens705 et en blessa 9 000 autres. La police, grâce en partie aux « calots bleus », les harkis de la préfecture de police de Paris706, démantela les réseaux et réduisit à néant l’appareil opérationnel clandestin du FLN en France707.
Face aux actes de terrorisme visant à prendre le contrôle de la population algérienne vivant en France, le 5 octobre 1961, un couvre-feu fut imposé à cette dernière. Le 17 octobre 1961, le FLN décida alors une action médiatique708 qui surprit les autorités françaises comme le montre le rapport Mandelkern709.
Assaillis de toutes parts, les 1 658 hommes des forces de l’ordre rassemblés en urgence, et non les 7 000 comme cela est trop souvent écrit, firent preuve d’un sang-froid se traduisant par un bilan des pertes « insignifiant » dans de telles circonstances. Policiers, gendarmes mobiles, CRS et harkis engagés le 17 octobre 1961 à Paris dans une opération de maintien de l’ordre, sont pourtant, sous la plume de militants auto-baptisés « historiens », accusés d’avoir massacré 300 manifestants, d’en avoir jeté des dizaines à la Seine et d’en avoir blessé 2 300.
La fabrication d’un massacre
L’histoire officielle du « massacre » du 17 octobre 1961 à Paris repose sur trois livres :
1- Celui d’Ali Haroun publié en 1986. Il s’agit d’un recueil de souvenirs rédigés par d’anciens responsables de la fédération du FLN en France sous forme d’un plaidoyer militant et valorisant.
2- Celui de Jean-Luc Einaudi publié en 1991 porte sur la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. L’auteur, un militant marxiste, ancien maoiste, n’avait pas de formation historique, ce qui explique ses nombreuses errances méthodologiques.
3- S’appuyant sur Haroun et Einaudi, deux universitaires britanniques, House et MacMaster publièrent en 2008 un livre passant totalement sous silence la guerre FLN-MNA et attribuant aux forces de police la totalité des Nord-Africains tués en France710.
Des auteurs de second rang paraphrasèrent ensuite ces trois ouvrages, répétant les mêmes arguments pourtant réduits à néant par les travaux historiques.
Dans ces publications, l’on retrouve en effet les mêmes chiffres, les mêmes cadavres inventés et une constante inflation du nombre de morts (jusqu’à 325 manifestants tués), des dizaines jetées à la Seine et noyés, près de 12 000 arrêtés, etc.
Les auteurs de ces livres jouent sur les dates car ils ajoutent aux morts « avérés » du 17 octobre, ceux des jours précédents, ce qui n’a aucun rapport avec la manifestation et sa répression. Ces auteurs additionnent ainsi les décès postérieurs au 17 octobre, sans chercher à voir s’ils sont la conséquence de blessures reçues ce jour-là ou d’autres causes. Pour eux, tout Algérien mort de mort violente durant le mois d’octobre est une victime de la répression policière.
Ils parlent aussi de cimetières clandestins et de charniers dont nulle trace n’a jamais été retrouvée711.
Autre élément du dossier, les « noyades712 » dans la Seine dont nous savons qu’elles furent « inventées » postérieurement à la manifestation, le 31 octobre, dans un tract du FLN repris et popularisé par le parti communiste qui en fit une « vérité » devenue histoire officielle.
L’histoire « officielle » des « massacres » du 17 octobre 1961 fut déconstruite en trois grandes étapes :
1- En 1998, le Premier ministre de l’époque, le socialiste Lionel Jospin, constitua une commission présidée par le conseiller d’État Dieudonné Mandelkern et chargée de faire la lumière sur ces événements. Fondé sur l’ouverture d’archives jusque-là fermées, le rapport remis par cette commission fit largement litière des accusations portées contre la police française713.
2- En 1999, Jean-Paul Brunet, universitaire spécialiste de la période contemporaine, publia un livre très documenté qui fit voler en éclats la thèse de Jean-Luc Einaudi (1991). Après inventaire dressé par la commission Mandelkern, Jean-Paul Brunet fut en effet autorisé à travailler sur les archives de la préfecture de police se rapportant aux événements du mois d’octobre 1961 et sans devoir attendre le délai légal de soixante ans.
En 2003, Jean-Paul Brunet publia un nouveau livre dans lequel il acheva de réduire à néant l’argumentaire et la méthodologie de Jean-Luc Einaudi (1991, 2001). Reprenant à la source les éléments sur lesquels repose l’histoire « officielle » du 17 octobre 1961 :
- Il démontre que le rapport de police faisant état de 140 morts le 17 octobre, document qui sert de point de départ à Einaudi et consorts n’a jamais existé.
- Il reprend la liste des morts que publie Einaudi, montrant que la majorité des décès cités remonte à des dates antérieures à la manifestation du 17 octobre.
- Il montre comment Einaudi a manipulé les chiffres en additionnant les cadavres non identifiés reçus à l’IML (Institut médico-légal, la Morgue) au nombre des disparus et à celui des Algériens transférés administrativement en Algérie après qu’ils eurent été arrêtés le 17 octobre.
- Il établit qu’Einaudi a compté plusieurs fois les mêmes individus dont il orthographie différemment les noms.
- Il réduit à néant le postulat des dissimulations de cadavres.
- Il pulvérise le mythe entourant la jeune Fatima Bedar, cette « enfant martyre »retrouvée noyée dans le canal Saint-Denis et présentée comme la victime des bourreaux policiers alors que, selon lui, elle se serait suicidée (2003 : 36 et 68).
Sa conclusion concernant Einaudi est particulièrement sévère :
« […] quand à ces déficiences se joint une passion militante débridée, un esprit de « repentance » » aveugle qui aboutit à mettre au compte de la police française tous les crimes du FLN et à multiplier par huit ou dix le nombre des Algériens tués le 17 octobre 1961, la catastrophe est totale » (2003 : 40).
3- Il n’y a pas eu de cadavres de manifestants déposés à la morgue les jours qui suivirent la manifestation du 17 octobre 1961.
Le Graphique des entrées de corps « N.-A. » (Nord-africains) par jour, octobre 1961, à l’Institut médico Légal de Paris nous apprend en effet que du 1er au 30 octobre 1961, 90 corps de « NA », ont été enregistrés, la plupart étant d’ailleurs des victimes du FLN. Plus exactement encore, entre le 18 et le 21 octobre, soit dans les jours qui suivirent la manifestation du 17 octobre, « seuls » 4 cadavres de « NA » furent admis à la Morgue, et ils n’avaient pas de lien avec la manifestation du 17 octobre :
- le 18 octobre, deux cadavres furent accueillis à l’IML, celui d’Achour Belkacem, tué par un policier invoquant la légitime défense et celui d’Abdelkader Benhamar mort probablement (?) dans un accident de la circulation à Colombes.
- le 20 octobre, un seul cadavre fut déposé à l’IML, celui d’Amar Malek tué par balles par un gendarme.
- le 21 octobre celui de Ramdane Mehani, mort dans des circonstances inconnues.
- du 17 au 21 octobre, 7 cadavres de « NA » furent admis à l’IML dont deux ou trois peuvent être imputés aux forces de police, mais qui, dans tous les cas, ne sont pas liés à la manifestation du 17 octobre.
Ces chiffres prennent toute leur signification quand nous apprenons que pour toute l’année 1961, 308 cadavres de « N.-A. » furent admis à l’IML. Or, les investigations menées par la police ont permis d’établir que la plupart étaient des victimes de la guerre inexpiable que le FLN menait contre ses opposants partisans de l’Algérie française ou du MNA de Messali Hadj (Valette, 2001714). Pour les trois seules journées des 1er, 2 et 3 octobre 1961, 24 corps de « N.-A. » entrèrent à l’IML. Ces chiffres sont à comparer avec ceux de l’IML pour la plage chronologique correspondant à la manifestation du 17 octobre 1961 dont on nous dit qu’elle aboutit à un massacre.
En définitive, il est aujourd’hui établi que :
1- Le 17 octobre, alors que se déroulait dans Paris un « massacre », l’Institut Médico Légal n’a enregistré aucune entrée de corps de « NA715 ».
2- Le 18 octobre, à 04 heures du matin, le bilan qui parvint à Maurice Legay le directeur général de la police parisienne était de 3 morts716 (Brunet, 2008b). Cependant, sur ces trois victimes, une seule avait été relevée dans le périmètre de la manifestation et il ne s’agissait pas d’un Algérien, mais d’un Français nommé Guy Chevallier, tué vers 21 heures devant le cinéma REX, crâne fracassé. Quant aux deux autres morts, il s’agissait d’Abdelkader Déroues, tué par balle à Puteaux et de Lamara Achenoune lui aussi tué par balle puis étranglé et dont le corps fut retrouvé dans une camionnette, également à Puteaux. Rien ne permet de dire que ces deux hommes furent tués par les forces de l’ordre ou que leur mort ait eu un lien avec la manifestation du 17 octobre.
Ce fut alors que l’armée française était victorieuse sur le terrain que le général De Gaulle, revenu au pouvoir pour maintenir l’Algérie dans le giron français, entama au contraire le processus qui allait conduire le pays à l’indépendance.
Une lettre qu’il écrivit au général Ely le 17 janvier 1959 montre que, huit mois après avoir accédé au pouvoir, le général De Gaulle avait déjà pris la décision de donner l’indépendance à l’Algérie :
« […] il nous faut tuer mille combattants adverses par mois et […], néanmoins, nous trouvons devant nous l’insurrection active et intacte depuis plus de quatre ans. Et cela, bien que nous ayons en Algérie 400 000 hommes, plus que Napoléon n’en avait pour conquérir l’Europe. Il faut donc bien reconnaître que l’intégration n’est actuellement qu’un vain mot, une espèce de paravent derrière lequel se cachent […] les impuissances. La seule politique acceptable consiste à désamorcer la guerre en suscitant la transformation et, par conséquent, la personnalité de l’Algérie » (Lettre au général Ely, 17 janvier 1959. Cité par Lacouture et Chagnolaud, 1993 : 252).
Neuf mois plus tard, le 16 septembre 1959, lors d’une allocution radiotélévisée, le général De Gaulle créa la surprise en parlant pour la première fois d’autodétermination, avec trois options possibles : francisation, association ou sécession.
Le 26 décembre 1959, il eut une discussion « orageuse » avec un membre de son cabinet militaire auquel il livra le fond de sa pensée :
« Il est parfaitement vrai que notre écrasante supériorité militaire finit par réduire la plus grande partie des bandes. Mais moralement et politiquement, c’est moins que jamais vers nous que se tournent les musulmans algériens. Prétendre qu’ils sont français ou qu’ils veulent l’être, c’est une épouvantable dérision. Se bercer de l’idée que la solution politique, c’est l’intégration ou la francisation, qui ne sont et ne peuvent être que notre domination par la force – ce que les gens d’Alger et nombre de bons militaires appellent « l’Algérie française » – c’est une lamentable sottise » (Cité par Pervillé, 1991 : 230).
C’était pourtant sur cette promesse faite à « nombre de bons militaires », que le général était revenu au pouvoir. Mais, comme il l’expliqua cyniquement plus tard, il lui avait fallu tenir compte du rapport des forces :
« Avant que je revienne au pouvoir et lorsque j’y suis revenu, j’ai toujours su qu’il faudrait donner à l’Algérie son indépendance. Mais imaginez que j’aie dit sur le Forum qu’il fallait que les Algériens prennent eux-mêmes leur gouvernement. Il n’y aurait plus eu de De Gaulle. Immédiatement ! (Alors il a fallu que je prenne des précautions pour y aller progressivement ») (Entretien avec André Passeron du journal Le Monde, sd.)
À partir de 1960, le général De Gaulle commença à préparer l’opinion française. De conférence de presse en discours, il passa ainsi de la solution « la plus française » à « l’Algérie algérienne ». Or, sur le terrain, et nous l’avons vu, les nationalistes algériens avaient perdu la guerre puisque, après le « plan Challe », les unités de l’ALN avaient été quasiment rayées de la carte et réduites à de petits groupes d’hommes pourchassés, sur le qui-vive, et dans l’incapacité de monter des opérations significatives.
Cette nouvelle politique française provoqua bien des remous au sein de l’armée et le 22 janvier 1960, le général Massu, chef du corps d’armée d’Alger, et qui avait critiqué la politique algérienne du général De Gaulle dans un entretien donné à un hebdomadaire allemand, fut relevé de son commandement.
Son rappel déclencha l’insurrection des Européens d’Alger qui élevèrent des barricades le 24 janvier. Dans les affrontements qui suivirent avec les forces de l’ordre, 14 gendarmes mobiles furent tués et 123 blessés contre 8 morts et 24 blessés chez les manifestants. Durant plusieurs jours, quelques centaines d’insurgés armés se retranchèrent dans le centre d’Alger ; ce fut la « semaine des barricades » (24 janvier – 1er février 1960).
Le 29 janvier, dans une allocution radiotélévisée, le général De Gaulle confirma que son option était l’autodétermination et il rappela l’armée à son devoir d’obéissance. Trois jours plus tard les insurgés se rendirent aux parachutistes.
Après les événements de janvier 1960, le général De Gaulle éloigna des affaires et de son entourage ceux qui étaient trop ouvertement engagés pour l’Algérie française et il sanctionna les officiers qui s’étaient ouvertement prononcés pour les insurgés. Toute ambiguïté étant désormais levée, il donna ensuite une accélération aux événements afin d’en finir avec :
« […] cette affaire (qui) nous absorbe et nous paralyse, alors que nous avons tant de choses à réaliser chez nous et ailleurs717 ».
Ainsi, pour le chef de l’État, l’Algérie n’était plus qu’une « affaire » qu’il convenait de terminer au plus vite afin de pouvoir redéployer les moyens de la France sur d’autres terrains.
Par le référendum du 8 janvier 1961718, les Français entérinèrent la politique décidée par le général De Gaulle au sujet de l’Algérie. Tout alla ensuite très vite avec le putsch d’avril 1961, le début des négociations au mois de mai 1961, la lutte désespérée de l’OAS (Organisation armée secrète)719 qui représenta le dernier espoir des Européens d’Algérie720.
En Algérie, l’OAS ne fut active qu’une année. Créée le 10 février 1961 à Madrid, par Jean-Jacques Susini et Pierre Lagaillarde, sa première apparition publique date du 1er mars avec la distribution des premiers tracts en Algérie ; fin juin 1962, ses derniers commandos quittèrent l’Algérie.
Ce mouvement qui n’exista donc que durant la phase finale de la guerre d’Algérie rassembla des militants venus d’horizons très différents et qui avaient décidé de prendre les armes afin de casser le processus de remise de l’Algérie au FLN décidé par le général De Gaulle en créant une situation insurrectionnelle.
L’OAS qui fut primitivement dirigée par le général Raoul Salan était divisée en trois branches :
- L’ORO était chargée du renseignement et des opérations et elle était dirigée par le colonel Yves Godard, le docteur Jean-Claude Perez et le lieutenant Roger Degueldre,
- L’APP avait en charge l’action politique et psychologique et elle était placée sous les ordres de Jean-Jacques Susini et du colonel Joseph Broizat,
- L’OM, chargée de l’organisation des masses était sous les ordres du colonel Jean Gardes.
Durant toute sa phase active, l’OAS fut minée par des rivalités internes ou des conflits de personnes et l’opposition entre ses branches d’Alger, de Madrid et de Paris l’affaiblit considérablement.
Le 18 mars 1962, à 17 h 40, la France et une délégation du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) signèrent les « accords d’Évian » (voir page 469 note 691). Le même jour, le général Ailleret, commandant en chef en Algérie donna l’ordre de cessez-le-feu aux unités françaises ; puis, le 8 avril, par référendum, les Français ratifièrent les « accords d’Évian » par 90,80 % de « oui ».
La population de souche européenne fut ensuite l’objet d’une véritable persécution de la part de certaines unités de la gendarmerie mobile, tandis que les musulmans pro-Français étaient massacrés par les nouveaux maîtres de l’Algérie.
Côté FLN, les Accords d’Évian ne furent pas acceptés par l’armée des frontières commandée par Houari Boumedienne. Pour ce dernier, il s’agissait d’un compromis alors qu’il aurait voulu une victoire qu’il aurait d’ailleurs été bien incapable d’obtenir. Le fond du problème était l’opposition totale entre le GPRA et l’EMG (état-major général) ou armée des frontières, dont la force était intacte car elle n’avait pas combattu l’armée française ; ce fut d’ailleurs elle qui profita du vide politique laissé par le départ de la France et qui s’imposa aux survivants des maquis de l’intérieur.
Le 1er juillet par 99,72 % des voix, les Algériens se prononcèrent pour l’indépendance. Le 2 juillet Paris reconnut les résultats de ce vote et remit tous les pouvoirs à Abderahmane Farès, chef de l’exécutif provisoire. Jean-Marcel Jeanneney fut désigné comme premier ambassadeur de France en Algérie.
Le bilan humain de la guerre721
200 000 Algériens combattirent dans les rangs de l’armée française (tirailleurs, spahis, harkis, moghaznis etc.), ce qui constitua des effectifs au moins quatre fois supérieurs à ceux des maquisards de l’intérieur ou des membres de l’ALN stationnés en Tunisie ou au Maroc.
En 1960, il y avait dans l’armée française, 202 842 Algériens se répartissant ainsi :
Réguliers (tirailleurs, spahis, etc.) : | 61 500 |
Harkis : | 57 900 |
GAD (Groupes d’autodéfense) : | 55 702 |
SAS (Sections administratives spécialisées) : | 19 120 |
Divers : | 8 620 |
Pour la « Régulière », en 1961, on comptait 60 000 musulmans appelés, 27 700 engagés, 700 officiers dont 250 appelés et 4 600 sous-officiers.
Au total cumulé, et concernant les troupes d’origine européenne, 317 545 militaires d’active et 1 101 580 appelés ont servi en Algérie, et non 2 à 3 millions comme il est souvent écrit.
Les pertes furent les suivantes :
ALN : | 143 500 |
Armée française : | 24 614722 |
Le nombre des harkis et autres supplétifs assassinés après le 19 mars 1962 est compris entre 60 000 et 80 000 (Faivre, 1995 et 1996).
Les pertes civiles causées par le FLN de novembre 1954 au 19 mars 1962 furent de 33 337 personnes :
Européens : 2 788 tués | 875 disparus | 7 541 blessés |
Musulmans : 16 378 tués | 13 296 disparus | ? |
Après le 19 mars 1962, plusieurs milliers d’Européens furent enlevés et la plupart assassinés (Monneret, 2001 et 2006).
Au début du mois de juillet 1962 eut lieu la première grande épuration ethnique d’après le second conflit mondial avec l’exode de la quasi-totalité de la population de souche européenne, soit 1,1 million de personnes. Elle fut menée avec méthode par ceux des nationalistes algériens qui considéraient que les Français vivant en Algérie n’étaient que des résidents occasionnels et qu’une présence de plus de cent trente ans ne légitimait pas un droit définitif à l’installation. Pour la plupart des dirigeants nationalistes algériens, l’indépendance véritable ne pouvait en effet se concevoir avec le maintien sur place de plus d’un million d’Européens majoritaires dans les deux principales villes du pays, dont la capitale.
Comme il leur avait fallu apparaître « raisonnables » lorsqu’ils avaient négocié avec les émissaires français, ils avaient accepté des clauses de garanties pour ces derniers. Cependant, par une politique de terreur parfaitement organisée à travers de nombreux enlèvements, notamment à Oran723 et dans la périphérie d’Alger724, le FLN réussit à rendre caduques les clauses des « accords d’Évian » qui prévoyaient que les « pieds-noirs » pouvaient rester en Algérie.
À Oran, le général Katz, abrité derrière un dérisoire paravent juridique et par les accords passés avec le FLN, demeura sourd aux appels de détresse qui lui parvenaient de toutes parts725.
Le résultat fut qu’en quelques semaines, la quasi-totalité des Européens quitta l’Algérie puisque ceux qui étaient chargés de les protéger étaient devenus soit des spectateurs indifférents, soit même les complices de fait de leurs bourreaux.
Les disparus européens de la guerre d’Algérie (Jordi, 2011)
Plus de cinquante ans après les faits, la vérité sur un épisode particulièrement horrible de la guerre d’Algérie est désormais attestée et cela, grâce aux recherches de deux historiens qui ont pu exploiter des archives officielles françaises jusque-là fermées.
Après avoir dépouillé 12 000 documents classés « secret » et « secret confidentiel », Jean-Jacques Jordi (2011) décrit les enlèvements, viols, tortures et massacres de civils européens – le plus souvent sous les yeux des forces françaises –, par le FLN. Il montre que cette politique de terreur parfaitement organisée eut pour but de vider l’Algérie de sa population française et que ce fut la première épuration ethnique de l’après Seconde Guerre mondiale.
De son côté, Grégoire Mathias (2014) révèle la fin atroce de quarante Européens enlevés pour être utilisés comme « donneurs de sang ».
L’enlèvement par le FLN de ces civils européens entre les mois de mai et de juillet 1962, de ces femmes et jeunes filles enfermées dans des bordels, était connu grâce aux témoignages de certains survivants évadés et dont les témoignages n’avaient jamais été jugés crédibles. Les documents produits par Jean-Jacques Jordi et Grégoire Mathias montrent qu’ils disaient vrai.
L’exode des Européens et le massacre des harkis clôturaient l’histoire de l’Algérie française, le général De Gaulle ayant « soulagé » la France du « fardeau algérien » (Lefeuvre, 2005) avec une totale froideur de sentiments à l’égard des Français d’Algérie et des musulmans qui avaient fait confiance à la parole de la France726.
Daniel Lefeuvre (2005) a démontré que l’Algérie fut un fardeau pour la métropole. En 1959, toutes dépenses confondues, celle qu’il baptisa la « Chère Algérie » engloutissait ainsi à elle seule 20 % du budget de l’État français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Éducation nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce !
À partir de 1945, chaque année 250 000 naissances nouvelles étaient comptabilisées en Algérie, soit un doublement de la population tous les 25 ans. Or, depuis les années 1930 les ressources locales stagnaient et depuis 1935 le territoire n’était plus en mesure de nourrir sa population727.
En 1953 les recettes locales ne permettant plus de faire face aux dépenses de fonctionnement, l’Algérie fut en faillite. Au mois d’août 1952, anticipant en quelque sorte la situation, le gouvernement d’Antoine Pinay (8 mars 1952 - 23 décembre 1952), demanda au parlement le vote de 200 milliards d’impôts nouveaux, tout en étant contraint de faire des choix budgétaires douloureux. Pour aider encore davantage l’Algérie il fallut alors faire patienter la Corrèze et le Cantal.
L’implication du budget national dans les déséquilibres algériens alla sans cesse en augmentant. C’est ainsi que, de 1949 à 1953 le volume des investissements sur fonds publics en francs courants atteignit 305 milliards dont les 4 mai° assurés par l’État français. De 1952 à 1956 les ressources d’origine métropolitaine affectées au financement du 2e plan d’équipement passèrent de 50 % à plus de 90 %.
Quels intérêts la France avait-elle donc à défendre en Algérie pour s’y ruiner ainsi avec une telle obstination, l’on pourrait presque dire avec un tel aveuglement ? La réponse est claire : économiquement aucun ! Qu’il s’agisse des minerais, du liège, de l’alpha, des vins, des agrumes etc., toutes les productions algériennes avaient en effet des coûts supérieurs à ceux du marché. En 1930 le prix du quintal de blé était de 93 francs en métropole alors que celui proposé par l’Algérie variait entre 120 et 140 F, soit 30 à 50 % de plus. C’est parce que la France payait sans discuter que l’Algérie pouvait pratiquer ces prix sans rapport avec les cours mondiaux.
Résultat d’une telle politique, l’Algérie qui avait vu se fermer tous ses débouchés internationaux en raison de ses prix, n’eut bientôt plus qu’un seul client et un seul fournisseur : la France. Cette dernière qui continuait d’acheter à des cours largement supérieurs au marché des productions qu’elle avait déjà largement payées puisqu’elle n’avait jamais cessé de les subventionner !
Daniel Lefeuvre démontre également que, contrairement aux idées reçues, la main-d’œuvre industrielle algérienne était plus chère que celle de la métropole. Un rapport de Saint-Gobain daté de 1949 en évaluait même le surcoût :
« […] pour le personnel au mois, la moyenne des (rémunérations versées) ressort à 27 000 F pour la métropole contre 36 000 F en Algérie […] Par comparaison avec une usine métropolitaine située en province, l’ensemble des dépenses, salaires et accessoires est de 37 % plus élevée » (Lefeuvre, 2005).
L’industrialisation de l’Algérie était donc impossible, sauf à rembourser le surcoût qu’elle impliquait aux industriels. Pour survivre, l’industrie algérienne devait donc, non seulement disposer d’un marché local protégé, mais encore être subventionnée par l’État français.
Voilà qui explique le discours radiotélévisé que le général De Gaulle prononça le 29 décembre 1961. C’est au « tonneau des Danaïdes » algérien qu’il pensait quand il déclara que si l’engagement français en Algérie :
« […] restait ce qu’il est, (il) ne saurait être pour (la France) qu’une entreprise à hommes et à fonds perdus, alors que tant de tâches appellent ses efforts ailleurs. »
Chronologie de la question algérienne
1945 :
– Mai, troubles et répression dans la Constantinois, Ferhat Abbas crée l’UDMA (Union démocratique du Manifeste algérien).
– 20 septembre, adoption du statut de l’Algérie.
– Octobre, Messali Hadj crée le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques)
– Décembre, formation au Caire du Comité de Libération du Maghreb (CLM).
1948 :
– 11 février, E. Naegelen succède à Y. Chataigneau comme Gouverneur général de l’Algérie.
– R. Léonard succède à E. Naegelen comme Gouverneur général de l’Algérie.
1954 :
– Fondation du CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’action) en Algérie (mars).
– Début de l’insurrection algérienne (1er nov.).
– Dissolution du MTLD (5 nov.).
1955 :
– Jacques Soustelle est nommé Gouverneur général de l’Algérie (1er fév.).
– Chute du gouvernement Mendès France (5 fév.).
– Promulgation de la loi sur l’état d’urgence en Algérie (3 avril).
– Accrochages dans le Constantinois (20 août).
– Dissolution du Parti communiste algérien (12 sept.).
1956 :
– Investiture de Guy Mollet (1er fév.).
– Voyage de Guy Mollet à Alger (6 fév.).
– Robert Lacoste est nommé Ministre résidant à Alger (9 fév.).
– Vote des pouvoirs spéciaux sur l’Algérie (12 mars).
– Envoi de renforts en Algérie (avril).
– Congrès de la Soummam (août).
– Capture de Ben Bella et des chefs historiques du FLN (22 oct.)
– Le général Salan est nommé commandant en chef en Algérie (15 nov.).
1957 :
– Le général Massu reçoit la plénitude des pouvoirs de police à Alger (7 janv.).Début de la « Bataille d’Alger ».
– Chute du gouvernement Guy Mollet (21 mai).
– L’armée française remporte la « Bataille d’Alger » avec la capture de Yacef Sāadi (24 sept).
– Chute du gouvernement de Maurice Bourgès-Maunoury (30 sept.).
1958 :
– Bombardement du village de Sakhiet sidi Youssef en Tunisie par l’armée française (8 fév.).
– Chute du gouvernement Félix Gaillard (15 avril).
– Création à Alger d’un Comité de salut public présidé par le général Massu (13 mai).
– Investiture du gouvernement de Pierre Pflimlin (14 mai).
– Investiture du général De Gaulle (1er juin).
– De Gaulle à Alger (4 juin).
– Formation du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) (19 sept.).
– Le général De Gaulle présente le plan de Constantine (3 oct.).
– Le général De Gaulle offre la « paix des braves » (23 oct.).
– Le général Challe est nommé commandant en chef en Algérie (décembre).
1959 :
– Discours du général De Gaulle sur l’autodétermination algérienne (16 sept.).
1960 :
– Semaine des barricades à Alger (24 janv.-1er fév.).
– Echec des pourparlers de Melun (juin).
– De Gaulle évoque l’existence d’une « République algérienne » (4 nov.).
– Voyage du général De Gaulle en Algérie (9-13 déc.).
1961 :
– Référendum sur la politique algérienne (8 janv.).
– De Gaulle envisage un « État algérien souverain » (11 avril).
– Putsch des généraux en Algérie (22 au 25 avril).
– Manifestation FLN à Paris (17 oct.).
1962 :
– Rencontre franco-FLN aux Rousses (10-19 fév.).
– Signature des accords d’Evian (18 mars).
– Mise en place de l’Exécutif provisoire en Algérie (29 mars).
– Référendum ratifiant les accords d’Evian (8 avril).
– Référendum d’autodétermination en Algérie (1er juillet).
– Proclamation de l’indépendance algérienne (3 juillet).
– Exode massif des Français d’Algérie (été).
678. Pour tout ce qui concerne le nationalisme algérien, on se reportera, entre autres, à Mahfoud Kaddache (1980), à André Nouschi (1995), à Zakia Daoud et à Benjamin Stora (1995).
679. Pour tout ce qui concerne Ferhat Abbas, voir Benjamin Stora (1995).
680. Au mois de mars 1944 la rédaction d’un manifeste demandant un nouveau statut pour l’Algérie donna naissance aux Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) qui, au départ ne prôna pas la rupture avec la France mais qui se radicalisa par la suite.
681. L’UDMA évolua ensuite vers la revendication d’une indépendance progressive mais sans rupture avec la France.
682.. Ce mouvement avait une vocation maghrébine, même si l’écrasante majorité de ses membres étaient des Algériens. Paris fut alors le creuset dans lequel s’élaborèrent les stratégies nationalistes nord africaines.
683.. Né à Marnia en 1916, sous-officier dans un régiment de tirailleurs, sa conduite durant la guerre de 1939-1945 lui valut la croix de guerre, la médaille militaire et quatre citations.
684. Un point final à l’artificielle controverse concernant l’affaire de Sétif a été mis par Roger Benmebarek (2010).
685. Amar Ouerdane (1987) et (2003).
686. En 1950-1951, la police ayant démantelé l’OS, ses membres accusèrent le PPA, notamment ceux qu’ils désignaient sous le nom de « centralistes », à savoir les membres du comité central du PPA/MTLD, « arabistes », de les avoir abandonnés ou même trahis, ce qui amplifia encore les oppositions.
687. Dans les années 1930, l’opposition Berbères-Arabes s’était faite à travers deux définitions, celle des « nationalistes-révolutionnaires » berbères et celle des « nationalistes arabo-musulmans » (Chaker, 1987 : 16).
688. Né en 1889 et mort en 1940, il fut le fondateur en 1931 de l’Association des oulémas musulmans algériens.
689. Ce fut le « Groupe des six » qui était composé de Rabah Bitat, Krim Belkacem, Larbi Ben M’Hidi, Mohammed Boudiaf, Didouche Mourad et de Mostafa Ben Boulaïd.
690. En France on parle de « guerre d’Algérie » quand il faudrait parler de « guerre en Algérie », cependant qu’en Algérie, est employée l’expression « guerre de libération nationale ». Nous parlerons de « guerre d’indépendance algérienne ».
691. Depuis 1963, la FNACA, association d’anciens combattants proche du Parti communiste français militait pour que la date du 19 mars 1962 soit retenue pour commémorer la fin des combats en Algérie. Cette revendication a été satisfaite avec l’adoption par le Sénat, le 8 novembre 2012, d’une loi précédemment votée par l’Assemblée nationale en 2002. Dix ans plus tard, cette loi fut défendue devant le Sénat par le sénateur socialiste Alain Neri, provoquant de très nombreuses réactions de la part de la principale association d’Anciens combattants, l’UNC (Union nationale des combattants) et de trente autres associations comptant au total plus d’un million de membres. Le 19 mars 1962 est en effet le premier jour d’entrée en vigueur des accords d’Évian, mais cette date ne marque pas pour autant la fin des combats et des atrocités. Plusieurs milliers d’Européens et plusieurs dizaines de milliers de harkis furent tués, assassinés, enlevés ou torturés après cette date. De plus, ce fut après le 19 mars 1962 que le FLN mit au point son plan d’épuration ethnique destiné à vider l’Algérie de sa population européenne, et cela, en violation de la lettre même des « accords d’Évian » (voir plus loin pages 487-489).
692. Sur la guerre d’Algérie, la bibliographie est considérable, de qualité très inégale et le plus souvent partisane, c’est-à-dire qu’elle reprend pour l’essentiel la vision du FLN et celle de la gauche ainticoloniale française. Pour une approche plus objective, on retiendra particulièrement les ouvrages de Pierre Montagnon (1984), de Jean-Louis Gérard (2001), de Jean Charles Jauffret (2002) et de Jean Monneret (2008).
693. Le 1er novembre 1954, un communiqué de la radio La Voix des Arabes émettant depuis Le Caire annonça : « la lutte grandiose pour la liberté a commencé. »
694. Le 26 septembre 1955, 61 élus musulmans des diverses assemblées françaises et de l’Assemblée algérienne se prononçèrent contre l’intégration dans laquelle ils voyaient une forme déguisée d’assimilation alors que, selon eux, l’heure était désormais à « l’idée nationale algérienne ».
695. Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Hamed, Mohamed Boudiaf, Mostefa Lacheraf et Mohamed Khider.
696. Paris avait donné ordre aux troupes françaises de ne pas intervenir pour faire cesser la tuerie. De fait, elles demeurèrent dans leurs casernes. Commencé au mois de novembre 1960, le retrait militaire français fut achevé le 31 décembre 1963.
697. Pour un état de la question, il sera utile de se reporter à Aussaresses (2001) et à Branche (2001) qui présentent les faits d’une manière à la fois opposée et partisane et à Puy-Montbrun (2002) pour sa hauteur de vue. Sur Yacef Saâdi, voir Algeria-Watch du 12 avril 2016 (en ligne) « Révélations sur le rôle de Yacef Saâdi, héros de la bataille d’Alger de 1957 », et Ted Morgan (2016). Ce dernier écrit qu’Ali la Pointe, le chef des poseurs de bombes du FLN aurait été donné aux parachutistes du général Massu par Yacef Saâdi.
698. Ces appelés du contingent étaient le sergent Robert Richomme et les soldats René Decourteix et Jacques Feuillebois. Pour ce qui concerne la question des prisonniers du FLN, voir Raphaelle Branche (2014).
699. Pour une perspective nouvelle concernant le bilan historique du général De Gaulle, on se reportera à Dominique Venner (2005).
700. Pour tous les détails concernant le barrage, voir Guy Pervillé (2004).
701. L’ALN avait divisé l’Algérie en six régions militaires ou wilaya, subdivisées en secteurs ou mintaqa. La wilaya I était celle des Aurès, la wilaya II celle du nord constantinois, la wilaya III celle des Kabylies, la wilaya IV celle de l’Algérois, la wilaya V celle de l’Oranie et la wilaya VI celle du sud algérien. La wilaya VII était celle de France métropolitaine. Sur la wilaya III voir Abdelhafidh Yaha (2012). Sur les six wilaya d’Algérie, voir, entre autres, Gilbert Meynier (2003) et Jean-Louis Gérard (2001) et sur la wilaya VII, voir Ali Haroun (1986).
702. Pour tous les détails concernant ces combats, voir le site internet Promotion Capitaine Beaumont (192° promotion de l’École Spéciale de Saint-Cyr, 2005-2008).
703. Une ultime tentative de franchissement en force eut lieu en novembre-décembre 1959 quand 2500 combattants se lancèrent à l’assaut du barrage ; 800 d’entre eux réussirent à le franchirent mais tous furent tués par les unités d’intervention qui les interceptèrent.
704. Pour l’histoire de la Fédération de France du FLN, on se reportera à Linda Amiri (2014).
705. Certaines victimes furent égorgées, d’autres tuées par balles et nombreuses furent celles qui furent noyées dans la Seine ou dans la Marne.
706. Ces policiers auxiliaires qui furent assimilés à la gestapo par les « Frères des Frères » payèrent un lourd tribut au terrorisme.
707. On se reportera pour le bilan des opérations et à leurs détails au livre de Rémy Valat (2007).
708. « […] en pleine connaissance de cause, il décida de lancer 20 000 manifestants sur le pavé parisien pour protester contre le couvre-feu […] L’itinéraire des cortèges qui vise des lieux symboliques de la capitale, dont la préfecture de police et les Champs Élysées en raison de leur proximité avec le palais présidentiel, est prémédité de manière à susciter une réaction optimale des forces de l’ordre (Valat, 2009 : 11).
709. « Rapport sur les archives de la Préfecture de police relatives à la manifestation organisée par le FLN le 17 octobre 1961 ». Rapport établi à la demande du Premier ministre, M. Lionel Jospin et remis au mois de janvier 1998 par M. Dieudonné Mandelkern président de section au Conseil d’État, président ; M. André Wiehn, Inspecteur général de l’administration ; Mme Mireille Jean, Conservateur aux Archives nationales ; M. Werner Gagneron, Inspecteur de l’administration. En ligne sur le site de la Documentation française.
710. Comme l’a montré Jean-Luc Brunet (2008) rarement un livre à prétention scientifique et écrit par des universitaires aura à ce point dérogé aux règles élémentaires de la déontologie historique.
711. Des insinuations assassines sont faites à la manière de Benjamin Stora dans un entretien au Nouvel Observateur (Grand reporters.com janvier 2003) quand il cite Omar Boudaoud, un des responsables de la manifestation du 17 octobre 1961 qui parle de « pendaisons dans le Bois de Vincennes et (d’) une Seine remplie de cadavres ». Benjamin Stora ne fait certes que reprendre des déclarations qu’il n’assume pas, mais qu’il ne rectifie pas non plus.
712. Du 1er au 31 octobre 1961, sur 90 cadavres de « N.A » (Nord-africains selon la terminologie de l’époque), conduits à l’Institut Médico Légal, 34 furent retirés de la Seine ou de la Marne, notamment aux barrages de Suresnes et de Bezons. Les enquêtes policières ont montré qu’il s’agissait pour la plupart de meurtres commis par le FLN.
713. Voir plus haut la note infrapaginale n°709.
714. « […] de nombreux cadavres de Nord-Africains, parmi les 140 qui ont été enregistrés à l’Institut médico-légal en septembre et en octobre 1961, n’ont aucun rapport avec la police parisienne. Certains sont ceux de harkis ou d’anciens harkis, de membres ou d’anciens membres du Mouvement national algérien, de « traîtres » divers refusant d’obéir aux directives du FLN ; anciens combattants de l’armée française, maris de métropolitaines refusant de le rejoindre ; Algériens n’acceptant pas le payer la capitation mensuelle exigée par le Front ; Algériens rétifs à la loi coranique, par exemple s’adonnant à la boisson et refusant de s’amender, ou faisant appel aux tribunaux français pour régler un litige, etc. » (Brunet, 2008).
715. NA= Nord Africains dans la terminologie de l’époque.
716. Plus 12 00 blessés et 11 538 arrestations (Brunet, 2008).
717. Lettre du général De Gaulle à son fils, 21 janvier 1962. Citée par Lacouture et Chagnolaud (1993 : 252).
718. En métropole, le « oui » obtint 75,25 % et le « non » 24,74 %. En Algérie, le « oui » recueillit 69,09 % des suffrages et le « non » 31 %.
719. Pour une vision de l’OAS depuis l’ « intérieur » voir www.algerie-francaise.org, chapitre OAS.
720. La bibliographie concernant l’OAS est aussi importante que partielle. Pour l’histoire d’ensemble du mouvement, on se reportera, entre autres, à Collectif (1964), Sergent (1972), Harrison (1989), Duranton-Crabol (1996), Déroulède (1997), Fleury (2002), Kauffer (2002), Dard (2005), Perez (2008), et Le Gendre-Susini (2012). Pour les commandos Delta, voir Guibert (2000) ; pour les divers réseaux de l’OAS ou pour des études régionales, on consultera Reimbold (1966), pour la ville d’Oran, Micheletti (2003) et pour l’OAS-Métro, Lehmann (2004) et Brun (2008). Pour ce qui est des connexions internationales de l’OAS, voir Dard et Pereira (2013).
721. Les chiffres détaillés des effectifs et des pertes avec la référence aux sources tirées des fonds d’archives milutaires et diplomatiques sont donnés par le général Maurice Faivre (1996).
722. Dont 7917 par accident et 1 114 par maladie donc 15 583 au combat.
723. Durant le mois d’avril 1962, 316 Européens furent enlevés dans le seul Algérois. Ce chiffre atteignit le millier à la fin du mois de juin. À Oran, durant la journée du 5 juillet 1962, plusieurs dizaines d’Européens furent massacrés et des dizaines d’autres enlevés. Le « pire » fut évité uniquement parce que certaines unités appartenant notamment aux 8e RIMA (Régiment d’infanterie de marine), aux 2e et 4e Zouaves et au 5e RI intervinrent sans ordres afin de tenter de sauver les Européens.
724. Monneret (2006) et Jordi (2011).
725. Il a tenté de se justifier dans un livre intitulé L’honneur d’un général, mais, ses arguments sont battus en brêche par le JMO (Journal des Marches et Opérations) du secteur-groupement d’Oran et des multiples témoignages. Le 4 août 1962, soit un mois après les massacres, le général Katz fit l’objet d’une citation à l’ordre de l’armée avec attribution de la croix de la Valeur militaire avec palme pour : « […] avoir su rétablir et préserver avec force et dignité l’autorité légale et l’ordre public. »
726. Dès le 19 mars 1962, des harkis furent massacrés, notamment à Saint-Denis-du-Sig et dans les Kabylies. À Saïda, plusieurs membres du Commando Georges furent enlevés, torturés et assassinés. Certains d’entre eux étaient des gradés de l’armée française. Dans le cas des harkis, les crimes commis par le FLN furent rendus possibles en raison de la complicité ou de la passivité de nombre de responsables militaires français qui, sur ordre, laissèrent massacrer, après les avoir désarmés, des hommes qui s’étaient battus à leurs côtés. La littérature est très abondante et nous renvoyons à ce sujet aux travaux du général Faivre.
727. La France devait donc y importer grains, pommes de terre, viande, laitages, etc., même l’huile produite localement ne suffisait plus à la consommation. L’image d’Épinal de l’Algérie « grenier » de la France s’envole ainsi sous le froid scalpel de l’économiste.