Durant l’été 1962, l’Algérie juste indépendante faillit être déchirée par une guerre civile quand toutes les contradictions contenues durant les sept années de guerre contre la France éclatèrent au grand jour entre le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) et l’ALN (Armée de libération nationale). Cette dernière ne tarda pas à imposer son candidat, Ahmed Ben Bella contre ceux du GPRA et des combattants de l’intérieur. Soutenu par le colonel Houari Boumediene, Hamed Ben Bella accèda au pouvoir et Houari Boumediene s’attribua le ministère de la Défense. Le FLN (Front de libération nationale) devint parti unique et l’Algérie s’engagea dans la voie du socialisme.
Après la création du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) à Tunis, en 1958, les conflits s’étaient exacerbés entre, d’une part le « noyau dur » de cet organisme807 et les cinq prisonniers détenus en France depuis le détournement de leur avion le 22 octobre 1956, et d’autre part entre le GPRA et l’armée des frontières, l’ALN (Armée de libération nationale), cantonnée au Maroc et en Tunisie et commandée à partir de 1960 par Houari Boumediene.
Dans les semaines qui précédèrent l’indépendance, deux entités issues du mouvement nationaliste revendiquaient le pouvoir : les survivants des maquis de l’intérieur et l’armée des frontières. Cette dernière était intacte car, réfugiée en Tunisie et au Maroc, elle n’avait quasiment pas combattu les forces françaises. Le président du GPRA, Ben Khedda ne craignit pas de dire à ce sujet que : « Certains officiers qui ont vécu à l’extérieur n’ont pas connu la guerre révolutionnaire comme leurs frères du maquis […] ».
Les premiers reconnaissaient l’autorité du GPRA et les seconds celle de l’EMG (État-major général) dirigé par le colonel Boumediene. La prise de pouvoir de ce groupe, dit « groupe d’Oujda » se fit en plusieurs étapes :
Le 27 août 1961, Ferhat Abbas fut écarté de la présidence du GPRA au profit de Benyoucef Benkhedda.
Ahmed Ben Bella et Houari Boumediene débutèrent leur coup de force au mois de mai 1962 quand le GPRA fut sommé de convoquer le CNRA (Conseil national de la révolution algérienne) en congrès (Meynier, 2003 et Haroun, 2005). Leur but était de doubler le GPRA par la constitution d’un Bureau politique qu’ils contrôleraient.
Le 28 mai, dès le début de la réunion, l’atmosphère fut extrêmement tendue entre Benyoucef Benkheda, le nouveau président du GPRA, et son vice-président, Ben Bella qui s’invectivèrent. La direction collégiale explosa alors et au lieu de débattre des « accords d’Évian », ce fut du pouvoir que l’on parla.
Autour de Ben Bella, un groupe de pression réussit à faire adopter le modèle socialiste et le parti unique.
À l’issue du vote destiné à élire les membres du bureau politique devant gérer le début de l’indépendance, Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakdar Bentobal, tous trois ministres du GPRA furent mis en minorité, certains délégués les accusant d’avoir été mêlés à l’assassinat d’Abbane Ramdane en 1957 (voir plus haut page 475)
Désavoué, Benkheda quitta la réunion et partit pour Tunis, cependant de Krim Belkacem, pourtant mis en minorité, devint le principal interlocuteur de la France lors des ultimes pourparlers car Paris ne reconnaissait que le GPRA.
Quant à Ben Bella, il se rendit au Caire et, de là, au Maroc où il rejoignit le colonel Boumediène, Ahmed Boumenjel808 et le colonel Chaâbani qui considéraient que le GPRA n’avait pas de légitimité à gouverner l’Algérie indépendante.
Les combattants des maquis tentèrent alors une médiation. Les 24 et 25 juin, les wilayas II, III, IV, la Zone autonome d’Alger et les représentants de la fédération de France se réunirent à Bordj Zemmoura, en Kabylie, et ils annoncèrent la création d’un « comité interwilayas » ; puis ils condamnèrent la « rébellion » de l’EMG (armée des frontières) et demandèrent au GPRA d’en faire autant.
Le 30 juin, le GPRA se réunit et il destitua l’EMG. En réaction, le 2 juillet, Ben Bella et Boumediene demandèrent aux chefs des wilaya de se mettre sous les ordres de l’EMG et ils ordonnèrent à l’armée des frontières de se tenir prête à faire mouvement vers l’Algérie.
Le 11 juillet, les chefs de la wilaya IV empêchèrent Benyoucef Benkheda, le président du GPRA, de tenir une réunion à Blida, cependant que Ben Bella s’installait à Tlemcen. Il y fut rejoint le 16 par le colonel Boumedienne et par Ahmed Ferhat Abbas, lequel avait été le premier président du GPRA avant d’en être écarté le 27 août 1961.
Ferhat Abbas qui était pourtant partisan de l’instauration d’un pouvoir civil se rallia au « clan de Tlemcen » contre le GPRA de Benkhedda. S’agissait-il pour lui de régler un compte avec ceux qui l’avaient évincé quelques mois plus tôt ? Espérait-il, en se ralliant aux plus forts, devenir le premier président de la République algérienne ? Dans son livre L’indépendance confisquée publié en 1984, il a justifié son choix en expliquant qu’il avait voulu éviter la « congolisation » car, selon lui, les ordres donnés par le GPRA aux combattants de ne plus obéir à leurs chefs risquaient de précipiter l’Algérie dans la guerre civile.
Désormais, deux coalitions existèrent, le « groupe d’Alger » et le « groupe de Tlemcen ». Le second constitua un bureau politique809 qui annonça qu’il prenait en mains les destinées de l’Algérie. Le coup de force était en marche.
Le 23 juillet, Mohammed Boudiaf et Aït Ahmed se séparèrent du « groupe de Tlemcen » qu’ils accusaient de vouloir instaurer une dictature en Algérie et ils s’installèrent en pays kabyle, à Tizi Ouzou, d’où ils lancèrent un appel aux Algériens pour qu’ils s’opposent au coup de force. Le 27 juillet, ils y furent rejoints par Krim Belkacem. Désormais, il y eut donc un troisième groupe, le « groupe de Tizi Ouzou ».
Le 25 juillet, le commandant Larbi Berredejem de la wilaya II prit Constantine et rejoignit le « groupe de Tlemcen ». Des combats eurent lieu dans la ville puis, le 29 juillet, la wilaya IV prit le contrôle d’Alger, enlevant la ville à la ZAA (Zone autonome d’Alger) dont les chefs furent arrêtés. Le 29 août, de violents affrontements se produisirent à Alger puis, le 4 septembre, Ben Bella prit position à Oran d’où il donna l’ordre à ses troupes de marcher sur Alger, ce qui provoqua de violents combats notamment à Boghari, Sidi Aïssa et Chlef.
Le 9 septembre 1962, Ben Bella et le colonel Boumediene entrèrent à Alger à la tête de l’armée des frontières. Les élections à l’assemblée constituante furent fixées au 20 septembre sur listes uniques, Ben Bella ayant déclaré que « la démocratie est un luxe que l’Algérie ne peut encore s’offrir ».
Le 25 septembre, Ferhat Abbas fut élu président de l’Assemblée nationale et il proclama la naissance de la République algérienne démocratique et Populaire, puis Ben Bella fut désigné pour former le premier gouvernement de l’Algérie indépendante.
En 1963, la Kabylie prit les armes contre Ben Bella et contre ce que les survivants des maquis de l’intérieur considéraient comme une « invasion » de l’armée des frontières. Cette « guerre arabo-kabyle » fit plusieurs centaines de morts et elle fut suivie d’une terrible répression (Yaha, 2015).
Installé au pouvoir avec le soutien de Boumediene et sous sa surveillance, Ben Bella engagea l’Algérie sur la voie d’un socialisme autogestionnaire et tiers-mondiste sur le modèle yougoslave. Proche du maréchal Tito, du colonel Nasser et de Fidel Castro, le président algérien devint alors un des leaders du mouvement des « non-alignés ».
Le 19 juin 1965, Ben Bella qui tentait de se dégager de l’emprise militaire fut renversé par le colonel Boumediene président d’un Conseil de la Révolution, qui le fit enfermer à Tamanrasset où il resta emprisonné durant seize années.
Nous avons dit qu’à la différence des combattants de l’intérieur dont les katibas810 avaient été broyées par le « plan Challe », les hommes de l’ALN cantonnés au Maroc ou en Tunisie et contenus par les lignes électrifiées françaises (voir plus haut page 477) ne participèrent pas directement à la « guerre de libération nationale ». Nous avons également vu qu’au moment de l’indépendance, leur force étant intacte, ils profitèrent du vide politique laissé par le départ de la France pour s’imposer aux combattants de l’intérieur survivants. À partir de ce moment, l’armée n’allait plus cesser de détenir le pouvoir en Algérie. Officiellement ou dans l’ombre.
Né en 1927 dans le Constantinois, Houari Boumediene exerça de 1965 à 1977 une dictature inspirée du socialisme stalinien. Apparatchik austère, sans charisme et à l’allure sévère, Mohammed Brahim Boukharouba, devenu Houari Boumediene dans la clandestinité, avait été formé dans les universités islamiques de Tunis et du Caire. C’est dans cette dernière ville qu’il rencontra Ben Bella.
Son passé « militaire » dans la guerre contre la France se limitait à une opération de ravitaillement des maquis de l’ouest algérien menée en 1955 ; il passa le reste de la guerre dans les camps de l’ALN en Tunisie et au Maroc. Ce modeste état de services ne l’empêcha pas de gravir tous les échelons du commandement, veillant avec un soin jaloux à ne pas se trouver impliqué dans les intrigues de clans agitant le milieu nationaliste algérien.
Soutenu par Abdelhafid Boussouf, le chef du renseignement de l’ALN, il prit en 1958 la direction du Comité d’organisation militaire (COM) du front ouest, organisme qui coordonnait et planifiait à partir du Maroc les opérations en Algérie. En 1960, il fut nommé chef de l’état-major général (EMG) qui venait d’être créé par le GPRA. Devenu le chef tout puissant de l’ALN, il transforma cette dernière en un outil politique à sa disposition,
Houari Boumediene imposa sa dictature après la répression d’une tentative de putsch militaire au mois de décembre 1967 et à travers la mise au pas des syndicats. Appuyé sur une équipe de fidèles exécutants, dont son ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika, il précipita l’Algérie dans une politique hâtive et désordonnée d’industrialisation axée sur la production de pétrole et la pétrochimie. Mal gérées et mal encadrées, les nouvelles entreprises connurent de retentissants échecs et devinrent des gouffres financiers tandis que la ruine de l’agriculture plaçait l’Algérie face à une dépendance alimentaire chronique. Le phénomène fut aggravé par un essor démographique proprement suicidaire que le gouvernement encourageait. En 1966, une vague de nationalisations de sociétés étrangères acheva de faire de l’Algérie un État socialiste aligné sur l’URSS et sur la Chine. De République socialiste autogérée, l’Algérie devint un État inspiré du modèle stalinien.
En 1976, Boumediene fut élu président de la République par 99 % des électeurs.
Mort de maladie le 27 décembre 1977, il laissa un pays ruiné et corrompu dont la jeunesse désœuvrée et démoralisée, allait bientôt être la proie des islamistes. Ce courant islamiste fut artificiellement gonflé et encouragé par l’État qui, durant les années 1970, l’utilisa contre son opposition de gauche. En Algérie, les mosquées furent alors les seuls espaces de liberté et elles devinrent de véritables forums de discussion et de contestation du système.
L’armée désigna un successeur à Houari Boumediene en la personne du colonel Chadli Bendjedid (1978-1992), qui prit le contre-pied de la politique suivie par son prédécesseur. Au physique, la différence entre les deux hommes était réelle. À un ascète révolutionnaire longiligne, succédait en effet un jovial bon vivant.
« Officier le plus ancien dans le grade le plus élevé », il était né en 1929 près de Bône dans une famille aisée. Il fut un militant du MTLD avant de rejoindre un maquis sur la frontière tunisienne à la fin de l’année 1955. En 1960, il fit partie de l’état-major de la Zone opérationnelle Nord (ZON) de l’ALN basée en Tunisie, puis il suivit fidèlement Boumediene et Ben Bella alors partenaires. En 1963, il reçut le commandement de la région militaire de Constantine, puis en 1964 celui de la région militaire d’Oran. En 1965 Boumediene le fit entrer au Conseil de la révolution qui était l’instance suprême du régime.
Avec Chadli Benjedid, le « tout industriel » fut mis entre parenthèses et les grands combinats ingérables furent démantelés, tandis que la priorité était donnée à l’autosuffisance alimentaire, donc à l’agriculture et à l’amélioration des conditions de vie des Algériens. La nouvelle politique dépendant d’un ralentissement de la croissance démographique, une campagne de réduction des naissances fut lancée, mais elle déclencha la fureur des islamistes tout en ne parvenant pas à faire baisser la courbe démographique.
Après les « années de plomb » de l’ère Boumediene, les Algériens crurent qu’ils allaient pouvoir revivre. En 1980, Ben Bella fut libéré et un vent de liberté sembla alors souffler sur l’Algérie. Après la féroce dictature de l’époque Boumediene, la période nouvelle apparut donc d’abord comme un relâchement du système. Jusque-là contenues et bridées, les oppositions s’exprimèrent à nouveau dans le monde étudiant et dans celui du travail, mais dans un contexte d’appauvrissement accéléré par l’effondrement des cours du pétrole et du gaz.
Acculé financièrement, le gouvernement fut alors contraint de réduire les importations de biens de consommation et l’Algérie retomba dans la pénurie, doublée d’un taux de chômage proprement effarant. De leur côté, les Kabyles qui luttaient contre l’arabisation forcée qu’ils subissaient depuis 1962 réclamèrent de plus en plus ouvertement la reconnaissance de leur langue dans un mouvement qui prit la forme d’une vague de fond identitaire et qui culmina dans le mouvement dit du « printemps berbère » en 1981811.
Sans espoir, la jeunesse algérienne se tourna peu à peu vers les islamistes qui étaient les seuls à condamner l’insolence de la caste des privilégiés prospérant sur la misère du peuple. Depuis des années, en silence, les organisations islamistes avaient pris le contrôle des masses paupérisées auxquelles elles fournissaient de quoi ne pas mourir de faim. Leur message égalitaire devint de plus en plus mobilisateur et les jeunes prêtèrent une oreille attentive à leurs demandes de constitution d’une République islamique. L’Algérie était prête pour le chaos et toutes les aventures.
Le 4 octobre 1988, des émeutes de la misère éclatèrent dans tout le pays et l’armée tira dans la foule, faisant des centaines de morts. Le pouvoir qui avait repris les affaires en main annonça ensuite une politique de libéralisation politique.
Au mois de février 1989, une nouvelle constitution instaurant le multipartisme fut promulguée et l’armée se retira du comité central du FLN.
Au mois de septembre 1989, Mouloud Hamrouche, un réformateur, fut nommé Premier ministre et le FIS (Front islamique du salut) fut légalisé.
Seule force organisée en dehors de l’armée, le courant islamiste s’enfonça alors dans la brèche politique qui s’ouvrait et il s’organisa en parti, le FIS (Front islamique du salut), dirigé par Abassi Madani et Ali bel Hadj. Le FIS mena une campagne efficace, dénonçant la corruption du régime et, lors des élections municipales et communales pluralistes du mois de juin 1990, il obtint un véritable triomphe. Boycotté par le FFS (Front des forces socialistes) de Hocine Aït-Hamed et par le MDA (Mouvement pour la démocratie en Algérie) d’Hamed Ben Bella, le FIS (Front islamique du Salut) obtint 55 % des suffrages contre 28 % au FLN, l’ancien parti unique.
Au mois de juin 1991, un ordre de grève générale fut lancé par le FIS, à la fois pour exiger un report des élections législatives prévues pour la mi-juin et pour exiger des élections présidentielles. L’état de siège fut instauré, Mouloud Hamrouche démissionna et les élections législatives furent reportées.
Au mois de décembre 1991, lors du premier tour de ce scrutin, le FIS obtint 47,3 % des voix, le FLN 23,4 % et le FFS 7,4 %. Les islamistes étaient donc, et de loin, la première force politique du pays. Assuré d’obtenir la majorité absolue à l’issue du second tour, il allait être en mesure de transformer l’Algérie en République islamique.
Pour l’armée et pour la nomenklatura au pouvoir depuis l’indépendance, le danger était mortel. La réaction fut donc brutale. Le président Bendjedid fut écarté du pouvoir le 11 janvier 1992 et le 12, les élections furent annulées. Un Haut Comité d’État (HCE) de cinq membres fut constitué et sa présidence confiée à Mohammed Boudiaf, un des chefs historiques du FLN qui vivait alors en exil au Maroc.
Le 16 janvier 1992, après vingt-huit années d’exil au Maroc, Mohammed Boudiaf fut donc de retour en Algérie. Né en 1919 à M’Sila, militant du PPA puis de l’OS il fut un des fondateurs du FLN avant d’être arrêté au mois d’octobre 1956 lors de l’interception de l’avion marocain qui le transportait avec les autres chefs du mouvement.
Dès 1962, et comme nous l’avons vu, il s’opposa à Ben Bella, fut arrêté en 1963 puis s’exila au Maroc où, tel un sauveur, les autorités algériennes vinrent le chercher pour qu’il puisse couvrir de sa « légitimité » l’annulation du processus électoral.
Dès son retour, il annonça une rupture avec les anciennes pratiques et une lutte totale contre la corruption.
Au mois de février 1992 l’état d’urgence fut instauré et des camps de détention administrative furent ouverts dans le sud algérien. Les militants du FIS massivement arrêtés y furent internés.
Au mois de mars et d’avril 1992, le FIS ainsi que tous les conseils communaux qu’il détenait depuis les élections municipales du mois de juin 1990 furent dissous et après avoir joué son rôle de caution historique au coup de force politique du 12 janvier 1992, Mohammed Boudiaf apparut à beaucoup comme un gêneur. Il fut assassiné le 29 juin 1992 par un sous-lieutenant des services de renseignements affecté depuis peu à la garde présidentielle.
Coopté par le HCE, le colonel Ali Kafi (1992-1994) succéda à Mohammed Boudiaf812.
À partir du mois d’août 1992, avec une campagne d’assassinats de ressortissants étrangers et de personnalités « laïques », les « troubles » se transformèrent en une véritable guerre civile.
Composant avec les clans politiques algériens, le colonel Kafi nomma comme Premier ministre Belaid Abdesslam, un homme lié à l’époque Boumediene, avant de le remplacer un an plus tard, au mois d’août 1993, par Reda Malek, un démocrate. Pour l’armée, la « ligne rouge » était franchie et au mois de janvier 1994, les plus hautes autorités militaires réunies dans une « Conférence nationale de consensus » décidèrent de la candidature du général Lamine Zeroual comme « Président de l’État »813. Le 31 janvier 1994 ce dernier entra en fonction (1994-1999).
Le FIS qui fédéra les multiples composantes islamistes était à l’origine divisé en deux grands courants :
1- Le courant dit « salafiste » était un fondamentalisme. Pour ses tenants, la démocratie va contre les enseignements du Coran et seul un pouvoir ayant l’autorité divine est légitime.
2- Le courant nationaliste ou « djezarien » (Algérie en arabe = El-Djezair) prônait la définition d’un islam algérien non opposé à la démocratie dès lors que le caractère musulman du pays est affirmé par les institutions et non remis en question par une politique de laïcité.
À la veille des élections de 1992, le FIS était contrôlé par la tendance « djezarienne » mais l’annulation du scrutin justifia les analyses des « salafistes » qui eurent un rôle déterminant dans les débuts de la guerre civile.
La coupure entre les deux branches de l’islamisme s’affirma vite. C’est ainsi que le FIS créa l’AIS (Armée islamique du salut) en juillet 1994. L’AIS n’étant pas implantée partout, les GIA (Groupes islamiques armés) plus radicaux apparurent dans tout l’Algérois et notamment dans la Mitidja.
Créés en 1992, les GIA, dont le noyau fondateur était constitué des « Afghans », ces combattants islamistes qui avaient lutté contre les Russes en Afghanistan, recrutèrent rapidement parmi les petits délinquants en rupture avec la société.
Les GIA déclenchèrent une violence aveugle, l’ensemble de la population algérienne étant suspecte à leurs yeux : le FIS et ses militants étaient ainsi accusés de trahir la cause islamique ; les intellectuels et plus particulièrement les journalistes furent désignés comme « ennemis de l’islam » ; les étrangers devinrent des cibles car leurs gouvernements respectifs soutenaient celui d’Alger et enfin, la population civile dans son ensemble était suspecte car elle manifestait son impiété en ne les soutenant pas.
Cette guerre menée contre tout un peuple explique la cruauté des exactions et notamment le traitement réservé aux femmes et aux jeunes filles, enlevées pour devenir les esclaves sexuelles des terroristes avant d’être égorgées.
En 1995, la tendance « djezarienne » revint en force en signant le « contrat de Rome » sous l’égide de la communauté de Sant’Egidio. Puis, en 1997, la rupture éclata au grand jour entre les deux composantes de l’islamisme. À la suite de la reprise des massacres aveugles de civils, les chefs de l’AIS (Armée islamique du salut), branche armée du FIS se démarquèrent en effet de la politique de terreur et proclamèrent même une trêve unilatérale le 1er octobre 1997. Certains groupes durent alors se réfugier dans les casernes pour échapper aux GIA lancés à leur poursuite.
Avec le général Zéroual, l’armée tenta deux politiques à la fois : ouverture pluraliste et lutte contre les islamistes les plus irréductibles desquels elle réussit à détacher les « modérés » du FIS.
Au mois de janvier 1995, le FLN, le FFS, le MDA et le FIS signèrent à Rome sous l’égide de la communauté catholique laïque de Sant’Egidio une « plate-forme pour une solution politique et pacifique à la crise ». Le général Zéroual qui dénonçait les pressions internationales quant au rôle politique de l’armée en Algérie, décida de mettre un terme à la période de transition en organisant une élection présidentielle pluraliste.
Le 16 novembre 1995, avec plus de 61 % des voix, il fut élu président de la République au suffrage universel contre un candidat islamiste « officiel » et un candidat kabyle, gagnant ainsi une réelle légitimité populaire.
Au mois de juin 1997, le RND (Rassemblement national démocratique), émanation du pouvoir militaire, remporta les élections législatives.
Durant l’été 1997, les massacres de civils firent un millier de morts et au mois d’octobre 1997, l’AIS (Armée islamique du salut) bras armé du FIS proclama une trêve unilatérale.
Afin de faire éclater le front islamiste déjà largement fissuré, le président Zéroual poursuivit le dialogue avec le FIS dont deux leaders, Abdelkader Hachami et Abassi Madani furent libérés. Cette démarche eut pour principal résultat de discréditer le FIS aux yeux de la tendance extrémiste de l’islamisme. Éclatée dans ce que certains observateurs définirent comme la « nébuleuse des GIA » (Groupes islamiques armés), elle s’engagea alors dans une surenchère de l’horreur, massacrant les civils dans des conditions de cruauté indescriptibles.
N’ayant pas réussi à vaincre le terrorisme, et se trouvant dans une impasse politique, le président Zeroual décida de se retirer. Le 11 septembre 1998, dans un discours à la nation, il annonça ainsi la tenue d’une élection présidentielle anticipée pour le mois de février 1999 – alors que le terme de son mandat était l’année 2000 –, tout en déclarant qu’il ne se représenterait pas.
Le 15 avril 1999, Abdelaziz Bouteflika fut élu à la présidence de la République sur un programme de restauration de la paix. Sa marge de manœuvre était alors singulièrement réduite car l’armée ne l’avait fait élire que parce qu’elle était à la recherche d’un alibi civil crédible.
Fidèle compagnon du colonel Boumediene qu’il suivit et accompagna durant vingt années, Abdelaziz Bouteflika naquit le 2 mars 1937 à Oujda au Maroc, mais sa famille était originaire de Tlemcen. À 18 ans, en 1956, il rejoignit l’ALN à Oujda et participa à la direction de la base arrière de la wilaya V, celle de l’Oranie qui y était installée. C’est là qu’il fit la connaissance du lieutenant Houari Boumediene.
Au mois de juillet 1961, deux mois après les débuts de la conférence d’Évian et alors que la rupture était consommée entre le GPRA et l’état-major de Boumediene, politiques et militaires qui s’opposaient sur la manière de conduire les négociations avec la France, le colonel Boumediene voulut connaître les sentiments de certains des prisonniers gardés en France. Abdelaziz Bouteflika fut alors envoyé pour les rencontrer au château d’Aulnoy où ils venaient d’être transférés ; grâce à lui, une alliance fut conclue entre Boumediene et Ben Bella.
En 1963, Bouteflika fut nommé ministre des Affaires étrangères. Il avait à peine 26 ans. Au début du mois de mai 1965, Ben Bella le limogea mais le colonel Boumediene prit le pouvoir et le rétablit dans la fonction.
Dans la réalité, il fut le numéro 2 du régime. Après la mort de Boumediene en décembre 1978, il subit une « traversée du désert », le président Chadli Bendjedid se livrant à une « déboumedienisation » de la société algérienne et en 1981, après avoir été exclu du comité central du FLN, il choisit l’exil en Suisse.
En 2000, l’échec du président Bouteflika parut évident car sa loi sur la « concorde civile » plébiscitée à l’automne 1999 par les Algériens n’avait eu pour seul résultat tangible que d’officialiser la trêve unilatérale décidée par l’AIS en octobre 1997. Quant aux GIA, comme ils ne se sentaient pas concernés, ils avaient redoublé de violence, ce qui entraîna de telles critiques des durs de l’armée que l’on pût alors penser que les jours du président Bouteflika à la tête du pays étaient comptés. Cependant, il redressa la situation et à partir de l’année 2002, le nombre des attentats terroristes baissa et l’on assista même à un retour des étrangers et des investissements.
Abdelaziz Bouteflika fut réélu à la Présidence en 2004 et au mois de septembre 2005, il fit adopter par référendum la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Les actions des groupes islamistes radicaux ne cessèrent pas pour autant, avec une recrudescence à partir du mois de mai 2008. Au mois d’août, plusieurs attentats-suicides qui ensanglantèrent le pays furent revendiqués par l’Organisation Al-Quaïda au Maghreb islamique (Oaqmi) devenue ensuite Aqmi. Puis, grâce à l’option sécuritaire, la militarisation de la société algérienne permit de venir à bout des maquis. C’est ainsi que le recrutement d’environ 200 000 supplétifs, les GLD (Groupes de légitime défense) permit d’encadrer la population et de quadriller le territoire. Les 150 000 hommes de l’armée régulière purent alors se concentrer sur l’éradication des maquis.
807. Composé de Krim Belkacem, d’Abdelhafid Boussouf et de Lakhdar Bentobbal.
808. Avocat défenseur de Messali Hadj, conseiller de l’Union française, il rejoignit ensuite le FLN.
809. Il était composé de MM. Ben Bella, Boudiaf, Aït Ahmed, Mohammed Saïd, Rabah Bitat, Khider soit les anciens prisonniers de France et de Hadj Ben Alla.
810. La wilaya était l’organisation territoriale du FLN, l’équivalent de la préfecture française. À l’intérieur de chaque wilaya, les groupes de combattants étaient organisés en katiba.
811. Le « printemps berbère » de 1980 ou Tafsut Imazighen constitue le retour en force de la berbérité qui fit une intrusion remarquée dans le paysage politique algérien, faisant éclater le mythe de l’arabité plaqué sur le pays depuis 1962. Puis, à partir de 2001, à la suite des émeutes qui secouèrent la Kabylie, les véritables solidarités réapparurent autour des tribus et (ou) des clans (arch) marquant ainsi le retour à la longue histoire, à celle d’avant la colonisation, et même d’avant l’islamisation.
812. Né en 1928 dans le Constantinois, il avait gagné les maquis en 1955 après avoir lui aussi milité au MTLD. En 1957 il prit le commandement de la wilaya II, celle de Constantine, et en 1961, il représenta le FLN au Caire, ce qui lui permit de se tenir à l’écart des intrigues de clans qui déchiraient alors le mouvement. Il poursuivit ensuite une carrière d’ambassadeur en Syrie, au Liban, en Libye et en Tunisie.
813. Né en 1941 à Batna, Lamine Zeroual rejoignit les maquis des Aurès en 1956 alors qu’il n’était âgé que de seize ans. Passé en Tunisie, il fut envoyé en formation en URSS. Devenu général, il exerça d’importants commandements territoriaux avant de prendre la direction de l’Académie militaire de Cherchel puis d’être mis à la retraite en 1991 pour s’être opposé au président Chadli à propos de la réorganisation du commandement militaire.