En Libye, il n’y eut pas de « printemps arabe », mais une guerre civile née en Cyrénaïque, à l’est du pays et renforcée par le soulèvement de la minorité berbère vivant dans le jebel Nefusa, à cheval sur la frontière tunisienne, à l’ouest. Les islamistes vinrent opportunément se greffer sur cette opposition régionale et tribale.
À la différence de la Tunisie et de l’Égypte, ici, le mouvement n’est donc pas parti de la capitale. Toujours à la différence de la Tunisie et de l’Égypte, les causes du soulèvement ne furent pas économiques. Dans ce qui était alors le pays le plus riche de toute l’Afrique, la proportion de jeunes ayant moins de 25 ans était certes de 47,4 % de la population, mais, une fois encore à la différence des autres pays de l’Afrique du Nord, le chômage de cette tranche d’âge était très faible.
Dans un premier temps, ayant l’exemple tunisien à ses frontières, et afin de ne pas écorner l’image positive qu’il avait finalement réussi à construire auprès de la communauté internationale, le colonel Kadhafi hésita à employer les grands moyens pour rétablir son pouvoir en Cyrénaïque. Puis, menacé, il usa de la manière forte, ce qui lui aliéna ses amis de la veille, à commencer par la France. Au nom de l’ingérence humanitaire, cette dernière prit alors la tête d’une coalition destinée à le renverser. Londres, puis l’Otan, emboîtèrent le pas à Paris.
Ce fut donc dans une guerre civile que la France s’immisça pour des raisons officiellement éthiques. Deux conceptions s’affrontèrent alors :
- La France et l’Otan avaient décidé de détruire le régime Kadhafi.
- L’Union africaine voulait faire sortir le colonel Kadhafi du jeu politique libyen par la négociation afin d’éviter les traumatismes consécutifs à son renversement.
L’intervention franco-otanienne donna la victoire aux insurgés. Cette dernière fut proclamée le 23 octobre 2011, date de l’annonce à Benghazi par Mustapha Abdel Jalil, président CNT (Conseil national de transition), de la « libération » du pays.
Au mois de février 2011, après 42 ans de pouvoir, le colonel Kadhafi eut à faire face à un triple soulèvement :
1- En Cyrénaïque. Incontrôlée à l’époque ottomane, rebelle durant l’Impero italien et travaillée par les islamistes depuis les années 1990 (voir plus haut), la Cyrénaïque présentait alors trois originalités :
- elle était le fief des partisans de l’ancienne monarchie arabo-senussiste ;
- le phénomène jihadiste y était fortement ancré en dépit de la répression des années 1990 (voir plus haut page 515) ;
- la contestation y avait reçu le renfort des mafias locales dont les ressources avaient été coupées depuis plusieurs mois à la suite de l’accord italo-libyen concernant notamment la lutte contre les filières de l’immigration africaine clandestine.
2- En Tripolitaine, dans le Djebel Nefusa, les Berbères, avaient juré la perte du colonel Kadhafi lequel n’avait cessé de nier leur identité au profit d’un nationalisme arabe qu’ils combattaient.
3- Misrata, ville située sur le littoral, entre Tripoli et Benghazi, avait un compte personnel à régler avec le colonel Kadhafi depuis la rupture de 1975 (voir plus haut page 506). De plus, la Turquie qui avait décidé de renverser le régime y disposait de solides appuis. Misrata est en effet la « capitale » des Kouloughli qui sont, comme nous l’avons vu, en partie de culture turque et la ville était le fief des Frères musulmans, confrérie placée au cœur du régime turc du président Erdogan.
Le 13 janvier 2011, lors des premières manifestations, le pouvoir libyen ne prit pas la mesure des événements. Pensant qu’il était en présence de mouvements classiques de mécontents dont il allait venir facilement à bout. Il interdit donc les rassemblements, annula les rencontres sportives et prit des mesures d’ordre social comme la suppression des taxes et des droits de douane sur les aliments. Il annonça également le versement d’une prime d’environ 250 dollars par famille.
Son erreur d’analyse fut alors de croire que, comme en Tunisie et en Égypte, la contestation était à base sociale, alors qu’elle était à la fois tribale, régionale, politique et religieuse et que, de plus, elle était puissamment soutenue par la France de Nicolas Sarkozy.
Durant un mois, le régime réussit à contrôler la situation, mais, le 15 février, le mouvement se transforma en une guerre civile qui a comporté quatre grandes phases :
- Du 15 au 28 février 2011, l’avantage fut aux rebelles ;
- Du 1er au 18 mars, les forces du régime réagirent ;
- Du 19 mars au 3 juin, à la suite de l’intervention de la coalition internationale puis de l’Otan, la situation militaire fut renversée au profit des rebelles ;
- Du 4 juin au 24 octobre, les derniers partisans du colonel Kadhafi furent peu à peu éliminés (carte page LXX).
Le 15 février 2011, le régime décida de réprimer les émeutes qui venaient d’éclater dans les villes de Cyrénaïque, notamment à Al-Baïda, Darnah et surtout Benghazi. Au lieu de calmer les manifestants, la répression provoqua au contraire leur durcissement. La protestation se mua alors en révolte armée, puis en sédition régionale, les insurgés de Cyrénaïque formant un Conseil national de transition (CNT).
Le 16 février 2011, en signe de bonne volonté, le colonel Kadhafi fit libérer 110 islamistes emprisonnés à Benghazi, mais son geste fut interprété comme une preuve de faiblesse et les élargis rejoignirent immédiatement l’insurrection.
Le jeudi 17 février, dit « journée de la colère », les manifestations s’intensifièrent à Benghazi où un kamikaze islamiste projeta une voiture bourrée d’explosifs contre le portail de la caserne qui fut investie par les insurgés qui s’y armèrent. Les forces de police ayant déserté le terrain et l’armée étant demeurée passive, les autorités libyennes ordonnèrent aux gardiens de la Révolution, milice aux ordres du pouvoir, d’attaquer les manifestants. Ils le firent avec violence, mais ils furent repoussés puis traqués et massacrés, souvent avec leurs familles. Pendus, lynchés, démembrés, ils laissèrent les insurgés maîtres de la ville.
Pendant que le pouvoir échouait à reprendre le contrôle de Benghazi, toutes les villes de Cyrénaïque se soulevèrent, notamment Al-Baïda où la police se rallia au mouvement et où treize manifestants furent tués par des tirs des gardiens de la Révolution.
À l’ouest du pays, en Tripolitaine, le Djebel Nefusa se souleva et une colonne envoyée par le régime échoua à reprendre le contrôle de la ville de Zentan.
Le 20 février Tripoli fut le théâtre d’émeutes et dans la nuit du 20 au 21, Saïf al-Islam, un des fils du colonel Kadhafi, exigea la fin des manifestations et menaça de faire intervenir l’armée. Il promit également des réformes politiques. Cette intervention télévisée ne calma pas le mouvement et la maison du Peuple (le parlement) ainsi que plusieurs bâtiments officiels de la capitale furent incendiés.
Le 21 février, les villes de Tobrouk, Misrata, Tarhounah (à 80 km au sud-est de Tripoli), Zlitan, Zaouïa et Zouara passèrent partiellement ou en totalité aux mains des insurgés. À Tripoli, plusieurs dizaines de milliers de manifestants affrontèrent les forces de l’ordre. Des commissariats de police furent incendiés ainsi que le siège du gouvernement. Les manifestants tentèrent, mais en vain, de s’approcher de la résidence du colonel Kadhafi. Ces événements firent plusieurs dizaines de morts.
Le 22 février, toute la Cyrénaïque, depuis Benghazi jusqu’à la frontière égyptienne, passa sous le contrôle des insurgés et à partir de cette date la Libye fut coupée en deux853.
Le 23 février, afin de soutenir les insurgés, la France demanda à l’Union européenne « l’adoption rapide de sanctions concrètes » contre le régime libyen.
Le 26 février, Saïf al-Islam, proposa un cessez-le-feu alors que le Conseil de sécurité de l’ONU tentait de définir des sanctions à l’égard du régime libyen. Pour sa part, le président Obama signa un décret gelant les avoirs du colonel Kadhafi, de sa famille et de ses proches aux États-Unis. L’Autriche, la Grande-Bretagne et l’Espagne firent de même quelques jours plus tard.
En moins de 15 jours, le mouvement avait donc touché toutes les régions de Libye, mais, à partir du 1er mars, le régime contre-attaqua. Ses forces reprirent alors l’avantage jusqu’au moment où l’intervention franco-internationale renversa le rapport de forces.
Durant cette période, les fronts présentèrent des situations variées :
- La Cyrénaïque vit se dérouler une guerre de mouvement, avec des allers-retours ;
- Dans la partie côtière orientale de la Tripolitaine, Misrata fut assiégée et dans les villes côtières, les forces régimistes réussirent à écraser les soulèvements ;
- Dans le jebel Nefusa, les insurgés, essentiellement berbères, constituèrent un réduit adossé à la Tunisie après qu’ils eurent pris le contrôle des postes-frontière avec ce pays.
Le 5 mars, le Conseil national de transition (CNT) tint sa première réunion et se proclama « seul représentant » légitime du pays.
Le 10 mars, alors que les forces fidèles au colonel Kadhafi poursuivaient leur offensive, la France reconnut le CNT comme « seul représentant » légitime du pays, ce qui fut un encouragement donné aux rebelles alors en pleine débandade.
Le 15 mars, les forces pro-gouvernementales se rapprochèrent de Benghazi, la capitale des rebelles où siégeait le Conseil national de transition. La ville d’Ajdabiya, à 160 km au sud de Benghazi fut reprise, cependant qu’un fort parti d’insurgés était encerclé dans sa proche banlieue.
Le 17 mars, une force régimiste composée d’une vingtaine de chars déclassés et d’environ mille hommes s’avança vers Benghazi. En France, une énorme mobilisation fut alors orchestrée par le « philosophe » Bernard-Henri Lévy afin de « sauver » la population de Benghazi. Ce même 17 mars, Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, arracha la résolution 1973854 au Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui permit d’ouvrir les hostilités855.
Cette résolution autorisait la création d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye, le gel des avoirs du colonel Kadhafi, ainsi que « les mesures nécessaires » à la protection des civils. Elle prévoyait le déclenchement de frappes aériennes dès le 18 mars. Cette résolution qui excluait l’occupation au sol, fut soutenue par la Ligue arabe, cependant que le Qatar annonça qu’il participerait à son volet militaire.
Qui a provoqué la guerre de Libye ?
À l’occasion des travaux de la commission spéciale du Congrès américain enquêtant sur l’attaque de la mission américaine à Benghazi en septembre 2012, attaque qui coûta la vie à Christopher Stevens l’ambassadeur américain, furent produits des e-mails confidentiels de Sidney Blumenthal, conseiller d’Hilary Clinton, alors Secrétaire d’État.
L’une de ces notes intitulée « Comment les Français ont créé le conseil national libyen » nous apprend que des agents français parlant au nom du président Sarkozy, auraient « donné de l’argent et prodigué des conseils », promettant que la France reconnaîtra l’instance dirigeante de la rébellion « comme étant le nouveau gouvernement libyen » dès sa création.
Selon une autre note datée du 20 mars trois jours après le vote de la résolution 1973 de l’ONU prévoyant l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne autour de la seule ville de Benghazi, le président Sarkozy aurait planifié une guerre totale contre la Libye.
Si les documents produits sont authentiques, l’histoire de la guerre déclenchée contre le régime libyen prendrait un éclairage nouveau. La réalité nous entraînerait en effet loin de la décision « humanitaire» française prise à la suite de la campagne menée par Bernard-Henri Lévy » pour sauver la population de Benghazi menacée par la répression des forces du colonel Kadhafi».
Ce fut donc officiellement pour protéger les civils de Benghazi que la France arracha à l’ONU le droit d’imposer une zone d’exclusion aérienne. Cependant, devant l’incapacité des rebelles à entamer les défenses du régime, Paris s’immisça peu à peu dans la guerre civile, s’engageant même sur le terrain, notamment à Misrata856 et dans le Djebel Nefusa.
La résolution 1973 de l’ONU fut mise en pratique le 19 mars à l’issue du Sommet de Paris qui se tint à l’initiative de la France et du Royaume-Uni. La Belgique, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, l’Italie, le Qatar et le Canada y annoncèrent leur participation à la coalition internationale qui fut alors constituée. L’Italie accorda l’usage de ses bases militaires.
Des raids aériens furent lancés dès l’après-midi du 19 par des avions américains, français, britanniques et norvégiens qui détruisirent les véhicules de l’armée libyenne engagés sur le front de Benghazi. Des tirs de missiles Tomahawk furent également effectués à partir de bâtiments de surface et de sous-marins américains et britanniques.
Les forces loyalistes qui avançaient en direction de Benghazi ayant été détruites, le colonel Kadhafi qui ne pouvait plus espérer reprendre le contrôle de la Cyrénaïque fut alors en sursis. Cependant, en dépit des frappes aériennes, ses forces empêchèrent encore un moment les rebelles d’avancer vers Tripoli. Face à l’aviation occidentale, les loyalistes renoncèrent à l’emploi des chars, trop vulnérables, au profit de véhicules légers et rapides difficiles à détecter ; dans un premier temps, et en dépit de leur infériorité, ils réussirent à stabiliser le front entre Adjabiya et Marsa al-Brega (Brega).
Le 21 mars, l’intervention étrangère dépassa largement le cadre de la résolution 1973 car le complexe résidentiel du colonel Kadhafi fut bombardé au prétexte qu’il servait de centre de commandement cependant que plusieurs bâtiments administratifs situés au cœur de Tripoli furent détruits.
L’Union africaine demanda alors « la cessation immédiate de toutes les hostilités », rejointe le lendemain par la Russie. Quant à la Ligue arabe elle mit en garde contre la déviation des objectifs définis par la résolution 1973 qui étaient l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne limitée à Benghazi, non la guerre contre le régime Kadhafi et la destruction de son armée.
Le 26 mars, l’appui aérien français permit aux rebelles de prendre les villes d’Ajdabiya et de Marsa al-Brega ; dès le lendemain les insurgés pénétrèrent en Tripolitaine où ils prirent le terminal pétrolier de Ras Lanouf ainsi que la bourgade de Ben Jawad, située à 150 km à l’est de Syrte, ville natale du colonel Kadhafi.
Le 31 mars, l’Otan prit le relais de la coalition internationale857 cependant que, par la voix de son fils Saif al-Islam, le colonel Kadhafi proposa qu’un référendum visant à l’instauration d’une démocratie se tienne en Libye. Mais alors que l’Otan se disait prêt à examiner ces propositions, le CNT s’y opposa car il exigeait le départ pur et simple du colonel Kadhafi.
Le 30 avril, Saïf al-Arab, le plus jeune fils du colonel Kadhafi fut tué avec trois de ses enfants dans un bombardement aérien de l’Otan. Puis, prime à l’appui, le CNT lança une véritable chasse à l’homme, « mort ou vif », contre le colonel Kadhafi et ses fils.
À partir du 3 juin, les hélicoptères français furent directement engagés en appui au sol des rebelles. Au même moment, débuta l’offensive des Berbères du jebel Nefusa soutenue et coordonnée par les forces spéciales françaises.
La fin du colonel Kadhafi (4 juin-24 octobre 2011)
Le 14 juillet, un puissant appui de l’Otan permit aux rebelles de lancer la bataille de Marsa al-Brega, ville partiellement reconquise par les régimistes le 31 mars.
Le 18 août, les rebelles s’emparèrent de Gharyan et de Sabratha, coupant ainsi Tripoli de sa voie principale d’approvisionnement depuis la Tunisie. La bataille de Tripoli commença alors, cependant qu’au Fezzan, Mourzouk, important nœud de communication avec le Tchad et le Niger était perdu par les régimistes.
Les 20 et 21 août, Tripoli se souleva et les rebelles lancèrent l’assaut. En l’espace de quarante-huit heures, la majeure partie de la ville fut conquise. Le lendemain 22 août, les dernières poches de résistance à Ras al-Brega furent supprimées par les rebelles et les forces régimistes se replièrent vers Syrte, désormais directement menacée par les insurgés venant de Misrata.
À la fin du mois d’août, la prise de Tripoli entraîna la fuite du colonel Kadhafi ainsi que l’accélération de la reconnaissance internationale du CNT. Les combats se poursuivirent ensuite autour des derniers bastions kadhafistes et le 15 septembre, débuta la bataille de Syrte, ville dans laquelle le colonel Kadhafi s’était retranché avec ses derniers fidèles commandés par son fils Moatassem.
Le 29 septembre, l’Otan annonça avoir effectué 150 sorties aériennes et traité plus de 50 objectifs sur la ville de Syrte.
Le 20 octobre 2011, le colonel Kadhafi qui tentait une sortie en direction du Fezzan fut fait prisonnier et ignominieusement lynché après que son convoi eut été attaqué par des avions de l’Otan. Son fils Moatassem et son ministre de la Défense Abou Bakr Younès Jaber furent massacrés par les miliciens de la ville de Misrata.
Le 22 octobre, à Tripoli, devant une foule enthousiaste, le président du CNT, Mustapha Abdel Jalil, déclara que la charia serait la base de la Constitution ainsi que du droit, que la polygamie, interdite sous le colonel Kadhafi, serait rétablie et que le divorce, autorisé sous l’ancien régime, était désormais illégal.
La guerre pour la démocratie déclarée était terminée et le 23 octobre le CNT annonça officiellement la fin des hostilités858.
Le but de la guerre était-il la mort du colonel Kadhafi ?
Mardi 16 décembre 2014, à Dakar, lors de la clôture du Forum sur la paix et la sécurité en Afrique, acclamé par les participants, le président tchadien Idriss Déby lâcha une véritable bombe quand, en présence du ministre français de la Défense, il déclara qu’en entrant en guerre en Libye : « […] l’objectif de l’Otan était d’assassiner Kadhafi. Cet objectif a été atteint ».
Si ce qu’a déclaré cet intime connaisseur du dossier libyen est fondé, c’est toute l’histoire d’une guerre aux conséquences dévastatrices qui devra donc être réécrite. D’autant plus que ce conflit rationnellement inexplicable fut déclenché au moment où, paradoxalement, le régime libyen était devenu l’allié des Européens, à la fois contre le jihadisme et contre les filières d’immigration.
Revenons donc en arrière : l’intervention décidée par Nicolas Sarkozy ne prévoyait originellement qu’une zone d’exclusion aérienne destinée à protéger les populations de Benghazi. Il n’était alors pas question d’une implication directe dans la guerre civile libyenne. Mais, de fil en aiguille, violant la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité des Nations Unies, la France et l’Otan menèrent, comme nous l’avons vu, une vraie guerre, tout en ciblant directement et à plusieurs reprises le colonel Kadhafi.
L’attaque la plus sanglante eut lieu le 1er mai 2011 quand des avions de l’Otan bombardèrent la villa de son fils Saïf al-Arab alors que s’y tenait une réunion de famille à laquelle le colonel assistait ainsi que son épouse. Des décombres de la maison furent retirés les cadavres de Saïf al-Arab et de trois de ses jeunes enfants. Réagissant à ce qu’il qualifia d’assassinat, Mgr Martinelli, l’évêque de Tripoli, déclara :
« Je demande, s’il vous plaît, un geste d’humanité envers le colonel Kadhafi qui a protégé les chrétiens de Libye. C’est un grand ami. » Telle n’était semble-t-il, pas l’opinion de ceux qui avaient ordonné ce bombardement clairement destiné à en finir avec le chef de l’État libyen.
Les chefs d’État africains qui s’étaient quasi unanimement opposés à cette guerre et qui avaient, en vain, tenté de dissuader le président Sarkozy de la mener, pensèrent ensuite avoir trouvé une issue acceptable : le colonel Kadhafi se retirerait et l’intérim du pouvoir serait assuré par son fils Saïf al-Islam Kadhafi afin d’éviter une vacance propice au chaos. Cette option fut refusée par le CNT, donc par la France, et le colonel Kadhafi se retrouva assiégé dans la ville de Syrte soumise aux bombardements incessants et intensifs de l’Otan.
Une opération d’exfiltration vers le Niger aurait alors été préparée859. Or, les miliciens de Misrata se disposèrent en demi-cercle sur l’axe conduisant de Syrte au Fezzan et de là, au Niger860.
Le 20 octobre 2011, le convoi du colonel Kadhafi composé de plusieurs véhicules civils réussit à sortir de la ville. Bien que ne constituant pas un objectif militaire, il fut immédiatement pris pour cible par des avions de l’Otan et en partie détruit. Capturé, le colonel Kadhafi fut sauvagement mis à mort après avoir été sodomisé avec une baïonnette861. Son fils Moatassem Kadhafi fut émasculé, puis il eut les yeux crevés, les mains et les pieds coupés. Leurs dépouilles sanglantes furent ensuite exposées comme dans la morgue de Misrata862. L’Otan n’avait laissé aucune chance au colonel Kadhafi et à son fils.
Ces faits étant rappelés, les accusations du président Deby prennent donc toute leur valeur. Rétrospectivement, le déroulé des événements peut en effet s’apparenter à un « contrat » mis sur la tête du colonel, aucune issue diplomatique honorable ne lui ayant été proposée et toutes ses propositions ayant été refusées.
Les conséquences de la guerre civile libyenne furent à la fois internes et externes.
À l’intérieur, la mort du colonel Kadhafi, ne marqua pas la fin du conflit car, dans tout le pays, les milices tribales, régionales et religieuses s’opposèrent sur fond de rupture entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine.
À l’extérieur, comme le colonel Kadhafi déstabilisait et contrôlait tout à la fois une vaste partie de la sous région, sa mort bouleversa la géopolitique saharo-sahélienne tout en offrant aux jihadistes de nouvelles opportunités.
Trois périodes doivent être distinguées :
1- La fin de l’année 2011 jusqu’à la fin de l’année 2013 fut le temps des incertitudes, mais également des espoirs et de l’illusion démocratique.
2-L’année 2014 fut celle de l’embrasement anarchique et des tentatives de recomposition.
3-L’année 2015 vit l’entrée en scène de l’État islamique, ce qui bouleversa le tableau politique libyen.
En Libye, « société à deux dynamiques », celle du pouvoir et celle des tribus (Ouannes, 2009 : 25), la constante socio-politique est la faiblesse du premier par rapport aux secondes. Au nombre de plusieurs dizaines, si nous ne comptons que les principales, mais de plusieurs centaines si nous prenons en compte toutes leurs subdivisions, les tribus libyennes sont groupées en çoff (alliances ou confédérations). Comme nous l’avons vu plus haut, ces dernières épousent à peu près les deux grandes unités territoriales de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine.
Traditionnellement, les tribus les plus fortes agissaient en véritables « fendeurs d’horizons863» car elles contrôlaient les immenses couloirs de nomadisation de l’axe Méditerranée-Fezzan. Les tribus les plus faibles pratiquaient quant à elles, un semi-nomadisme régional (Cauneille, 1963).
Le tribalisme libyen présente trois grandes caractéristiques :
1- « L’allégeance des tribus au pouvoir central est contractuelle, fondée sur des négociations permanentes » (Pliez, 2015 : 10). Les événements qui ont suivi la fin du régime Kadhafi le montrent d’une manière très claire.
2- Les bases territoriales des groupes tribaux ont glissé vers les villes mais les liens tribaux ne se sont pas distendus pour autant.
3- Les apparentements tribaux dépassent les frontières de la Libye.
Au lendemain du conflit, la communauté internationale loua les résultats de la « guerre pour la démocratie », mettant en avant la fin de la dictature et l’ouverture de l’ère du multipartisme. Très rapidement cependant, les désillusions succédèrent aux emballements médiatiques et moraux car il apparut que la Libye n’existait plus comme État, le pays n’étant plus qu’une mosaïque territoriale aux mains d’une multitude de milices tribales, citadines et mafieuses864 en guerre les unes contre les autres865.
À la fin de l’année 2011 et au début de 2012, au moment où s’acheva la guerre, plusieurs grandes forces étaient présentes en Tripolitaine et en Cyrénaïque.
1- En Tripolitaine :
-Les milices de Misrata, celles qui capturèrent et lynchèrent le colonel Kadhafi, refusaient toute autre autorité que celle de leurs chefs.
-Au sud de Misrata, autour de Beni Walid la fraction tripolitaine de la tribu des Warfalla, soit environ 500 000 membres, était toujours fidèle à l’ancien régime.
-Dans la région de Tripoli, les combats entre les milices berbères arabophones et berbérophones du jebel Nefusa et de Zintan (Zentan) d’une part, et les islamistes d’autre part, étaient fréquents. Les miliciens de Misrata refusaient de quitter Tripoli et pour tenter de se les concilier, le CNT nomma comme chef d’état-major un originaire de cette ville, le général Youssef al-Mankouch, avec pour mission d’intégrer les diverses milices au sein d’une armée nationale fantôme. Dans l’imbroglio politico tribal qui caractérisait alors la Tripolitaine, la seule marge de manœuvre du CNT était de donner des gages aux uns, tout en essayant de ne pas s’aliéner les autres.
-Les régions de Zintan et du jebel Nefusa, autour de Nalout et de Yefren étaient quasi autonomes. Les miliciens de Zintan détenaient Saïf al-Islam, le second fils du colonel Kadhafi.
2- En Cyrénaïque, deux guerres se déroulèrent après la victoire des insurgés :
- L’une opposa les fondamentalistes musulmans aux « traditionalistes » rassemblés derrière les confréries.
- L’autre vit se dresser contre le pouvoir de Tripoli les partisans d’une Libye bicéphale, fédérale ou confédérale866.
Une fois le colonel Kadhafi renversé, les islamistes de Cyrénaïque tentèrent, par la terreur, de « coiffer » les fédéralistes. Pour cela, il leur fallait auparavant briser les confréries soufies constituant l’armature tribalo religieuse de la région qu’ils considéraient comme hérétiques867.
Impitoyablement pourchassés par le régime du colonel Kadhafi, ces islamistes, dont le fief était la ville de Darnah, cherchèrent à investir Benghazi à partir du jebel Akhdar où ils avaient déjà constitué des maquis dans les années 1990 (voir plus haut page 515).
Le 11 septembre 2012, à Benghazi, l’ambassadeur américain John Christopher Stevens qui avait joué un rôle très actif dans le renversement du colonel Kadhafi fut assassiné lors d’une attaque menée contre les locaux du consulat des États-Unis par le groupe salafiste Ansar al-Charia.
La priorité était donc de reconstruire un État libyen capable de remplir le vide caractérisant le pays. Pressées par les Occidentaux, les nouvelles autorités libyennes définirent alors un calendrier démocratique en deux points :
1- La première étape fut franchie le 31 octobre 2011 avec l’élection d’Abdel Rahim al-Keeb originaire de Tripoli par 26 voix sur 51, comme Premier ministre du gouvernement libyen de transition devant Mustafa al Rajbani, un Berbère du jebel Nefusa avec 19 voix.
2- Des élections législatives se tinrent ensuite le 7 juillet 2012. Elles permirent d’élire le CNG (Congrès national général), une assemblée de 200 membres chargée de remplacer le CNT. Lors de ce scrutin, la coalition dite « libérale » de Mahmoud Jibril, ancien Premier ministre du CNT, obtint 48,8 % des voix et remporta 39 des 80 sièges réservés aux partis politiques868. Le parti des Frères musulmans, Justice et construction totalisa 21,3 % des suffrages et obtint 17 sièges.
Fin 2012, début 2013, à en croire les médias, la Libye était donc sur la voie de la normalisation car l’économie redémarrait avec la reprise des exportations de pétrole et de gaz, cependant que des institutions démocratiques se mettaient en place à la suite des élections législatives du 7 juillet 2012869. Cette nouvelle illusion fut cependant vite dissipée car, en réalité, la Libye n’existait plus.
Les « avancées » démocratiques ne permirent en effet pas d’inventer une nouvelle organisation de l’État libyen avec une grande autonomie reconnue aux régions ainsi qu’aux villes, tout en ne favorisant pas la partition et en permettant de sécuriser les frontières870. D’ailleurs, comment refaire un État quand une loi votée le 5 mai 2013 sous la pression des milices, écarte du pouvoir et des responsabilités tous les cadres ayant servi sous le régime Kadhafi ? Paradoxe d’une révolution qui dévorait ses propres enfants, la première victime de cette loi fut Mohamed el-Magaryef, chef de l’État871. Mahmoud Jibril lui-même fut menacé, lui qui fut pourtant le président du CNT durant toute la guerre872.
Le président tchadien Idriss Déby résuma alors la situation en ces termes :
« Depuis le début des opérations de l’Otan en Libye et jusqu’à la chute de Kadhafi, je n’ai cessé de mettre en garde quant aux conséquences non maîtrisées de cette guerre. J’ai trop longtemps prêché dans le désert […] les nouvelles autorités libyennes ne contrôlent toujours pas leur propre territoire […]. Plus généralement, quand je regarde l’état actuel de la Libye, où chaque localité est gouvernée sur une base tribale par des milices surarmées ou par ce qu’il reste des forces fidèles à Kadhafi, ma crainte a un nom : la somalisation » (Idriss Déby, Jeune Afrique, 23 juillet 2012).
Le vrai pouvoir appartenait donc aux milices ; or, ces dernières se combattaient au grand jour.
Cette anarchie se traduisit par des démissions en série. Ainsi Achour Chwayel ministre de l’Intérieur et adversaire déclaré des milices démissionna-t-il au début du mois de mai pour être remplacé par Mohamed Khalifa Al Cheikh, proche de ces dernières. Le 9 juin 2013, Youssef al-Mankoush, chef d’état-major abandonna ses fonctions après de sanglants affrontements qui déchirèrent Benghazi ; le 27 juin ce fut le tour du ministre de la Défense, Mohamed al-Barghathi. Début juillet, à Tripoli, le ministère de l’Intérieur fut assiégé par une milice mécontente de son sort873.
Le 10 octobre 2013, le Premier ministre Ali Zeidan au pouvoir depuis novembre 2012, fut enlevé par des hommes armés.
Le 2 mars 2014, à Tripoli, le CNG fut pris d’assaut, en partie incendié et plusieurs députés furent blessés, puis, le 11 mars, les islamistes renversèrent le Premier ministre Ali Zeidan.
Entre-temps, le jeudi 6 mars 2014, à Rome, lors de la Conférence internationale sur la Libye, le ministre italien des Affaires étrangères avait considéré que le principal problème qui se posait en Libye était la « surimposition de légitimités ». Cet euphémisme servait en réalité à cacher la vérité de la situation qui était tout simplement l’anarchie.
La première guerre de Libye opposa les forces fidèles au colonel Kadhafi à plusieurs coalotions de forces rebelles et elle s’acheva en 2011. La seconde éclata en 2014 et elle mit aux prises les forces du « gouvernement de Tobrouk » à celles du « gouvernement de Tripoli » qui étaient composées de diverses milices islamistes ou se réclamant du mouvement des Frères musulmans.
Le 20 février 2014, les élections destinées à élire les 60 membres de l’Assemblée constituante chargée de rédiger la nouvelle Constitution n’attirèrent que moins de 15 % des électeurs. Quant au CNG dont le mandat était échu, il se prorogea, arguant du fait qu’il avait été élu par 60 % des électeurs.
La Libye avait donc deux parlements, l’un, siégeant à Tripoli et passé sous le contrôle des islamistes ; le second, reconnu par la communauté internationale et réfugié à Tobrouk, dans l’extrême est de la Cyrénaïque, à proximité de la frontière égyptienne.
En Cyrénaïque, au début du mois de mai 2014, le général Khalifa Haftar874, lança l’opération Dignité contre les milices islamistes, tout en rejetant l’autorité du CNG.
En Tripolitaine, le 18 mai 2014, le colonel Moktar Fernana, commandant de la police militaire, décida de chasser du pouvoir le CGN dominé par Misrata et les Frères musulmans875. Le colonel Fernana était à la tête d’une alliance de plusieurs milices de l’ouest de la Tripolitaine, dont celles de Zenten et du jebel Nefusa, réunies sous son commandement depuis le mois de février 2013876.
Cette double action échoua car les milices ne furent pas mises au pas cependant que les islamistes se renforcèrent.
En 2015, le pouvoir central ayant disparu, plusieurs clans régionaux et tribaux se livraient une guerre aussi confuse qu’impitoyable dans une Libye fracturée en trois grands ensembles eux-mêmes subdivisés :
1- La Cyrénaïque était ensanglantée par les assassinats et ravagée par une guerre confuse et multiforme opposant les fondamentalistes musulmans entre eux et aux forces du général Haftar.
2- La Tripolitaine était coupée en trois :
- La ville de Misrata, État dans l’État, était dirigée par des milices islamistes, bras armé du mouvement des Frères musulmans.
- L’ouest de la Tripolitaine était dominé par la milice berbère arabophone de Zenten, et par celle, berbérophone, du jebel Nefusa.
- Tripoli, « capitale » d’un État qui n’existait plus était aux mains des milices islamistes, notamment Farj Libya.
3- Le Fezzan et le Grand Sud devenus quasiment autonomes étaient déchirés par des combats opposant Touareg, Toubou et Arabes.
La nouvelle géopolitique libyenne
La fin du régime du colonel Kadhafi entraîna une nouvelle définition de la géopolitique régionale et cela, pour trois grandes raisons :
1- Les armes dérobées dans les arsenaux libyens furent éparpillées dans toute la région sahélo saharienne, zone de vieux conflits (nord Tchad, Touareg (Mali), Sahara occidental, Darfour etc.,
2- En Afrique du Nord, l’Égypte, l’Algérie et la Tunisie qui ont des frontières communes avec la Libye furent directement menacées.
3- Alors qu’avec le colonel Kadhafi, la Libye était tournée vers le Grand Sud877, les nouvelles « autorités libyenne», majoritairement issues du littoral, s’en désintéressèrent. Dans cette zone grise, les “pouvoirs” nordistes n’étaient obéis ni des Touareg à l’ouest, ni des Toubou au centre et à l’est. D’autant plus que ces derniers subissaient les raids lancés par des milices arabes878, essentiellement Awlad Soulayman (Ouled Slimane).
« Au milieu du XVIIIe siècle, les Awlad Sulayman879 contrôlaient la partie «libyenne» du commerce transsaharien sur l’axe Syrtes-Fezzan. En guerre contre les Ottomans qui voulurent les soumettre, ils furent vaincus et plusieurs segments de la tribu partirent alors vers le nord du lac Tchad880, prolongeant ainsi vers le sud leur route commerciale traditionnelle. Ayant maintenu des rapports avec les parties de la tribu demeurées dans l’actuelle Libye, ainsi qu’avec les tribus associées, ils contrôlèrent alors la totalité du commerce à travers le Sahara, depuis la région péri-tchadique jusqu’à la Méditerranée » (Cordell, 1985).
Aujourd’hui, les Awlad Soulayman sont en rivalité avec les Toubou qui vivent à la fois en Libye et au Tchad, d’où, là encore, des risques de contagion régionale. D’autant plus que les Awlad Sulayman ont tissé des réseaux dans un espace qui s’étend de la Méditerranée à l’Afrique centrale. Début 2016, au nord de leur axe commercial, se trouvaient les zones contrôlées par les islamistes, notamment par l’État islamique.
« Au Niger, les Arabes libyens contrôlent le grand commerce à travers le Sahara sur l’axe principal Tripoli-Sebha-Agadez » (Pliez, 2003).
La nouveauté de l’année 2015 fut l’intrusion de l’État islamique dont le but était d’engerber toutes les forces islamistes dont Fajr Libya, Ansar Asharia et les diverses sous-marques d’Al-Qaïda dans un futur « État islamique d’Afrique du Nord », et cela, à l’imitation de l’EI d’Irak.
En Cyrénaïque, les islamistes de la ville Derna avaient fait allégeance à Daesh dès le mois d’octobre 2014 en prenant le nom d’EI branche de Barqua. Depuis, chassés de Derna par une coalition de plusieurs milices islamistes alliées à Al Qaïda, les combattants de l’EI s’installèrent dans la région de Syrte à la jonction de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque (carte page LXXI). Dans ce no man’s land situé en dehors des deux grandes zones de confrontation, sur le territoire de la tribu des Kadafdha, dans un premier temps, certains anciens partisans du colonel Kadhafi, afin de se venger, se rallièrent à l’EI avant de s’en séparer.
Cette zone est hautement stratégique car, outre qu’elle contrôle plusieurs terminaux pétroliers, elle est le point de départ de la pénétrante qui, depuis le littoral méditerranéen s’enfonce vers le sud en direction de la région péri-tchadique.
Dans les zones conquises, Daesh, dont la force de frappe était composée de non Libyens, renversa le paradigme tribal en liquidant physiquement les chefs qui ne voulaient pas lui faire allégeance afin de terroriser les autres.
Face à ce danger, Frères musulmans, Al Qaïda et diverses milices islamistes parurent s’allier à la fin de l’année 2015.
Deux nouveautés apparurent à la fin de l'année 2016 :
1-La stagnation de l’État islamique (Daesch) qui paraissait comme « enfermé » dans la zone de Syrte où il était contenu entre les deux ensembles hostiles de Tripolitaine et de Cyrénaïque. La force de Daesch en Irak et en Syrie reposait sur une opposition chiites-sunnites qui n’existe pas en Libye où l’organisation se heurta de plus aux profondes identités tribales.
2-Parrainé par l’ONU, un gouvernement d’union nationale dont le Premier ministre est M. Faïez Sarraj s’est installé à Tripoli au mois d’avril 2016.
853. « Tripoli et ses environs, ainsi que Syrte, contrôlées par les loyalistes ont joué le rôle de verrous stratégiques, de frontières ne permettant pas une coordination entre les insurgés » (Haddad, 2013).
854. Voir à ce sujet le texte de la conférence de presse d’Alain Juppé à New York (www.ambafrance-at.org).
855. À la demande de la France, du Royaume-Uni et du Liban, la résolution 1973 fut adoptée, sous le chapitre VII de la charte des Nations Unies, par le Conseil de sécurité par 10 voix (10 pour, 0 contre, 5 abstentions dont la Russie, la Chine et l’Allemagne). La Russie s’abstint lors du vote à l’ONU, puis Moscou dénonça de graves violations de la résolution 1973. Quant à la Chine qui s’abstint également sur le vote de la résolution 1973, au mois de juillet, elle soutint l’Union Africaine et le médiateur Sud Africain dans leur tentative pour résoudre la crise.
856. Où eut lieu une opération des commandos de la Marine.
857. L’évocation d’un transfert de la direction des opérations de la coalition à l’Otan fit que la Norvège suspendit sa participation à la coalition. L’opération Harmattan fut le volet français de l’opération menée par la coalition internationale qui s’est déroulée du 19 mars au 31 octobre 2011. Le nom de l’opération britannique fut Ellamy, celle des États-Unis eut pour nom de code Odyssey, quant au Canada, il baptisa la sienne du nom de Mobile.
Durant cette opération, l’aviation française largua 950 bombes et tira 240 missiles air-sol dont 15 Scalp et 225 A2SM. Les hélicoptères français lancèrent 431 missiles Hot cependant que la marine nationale tira 3 000 obus de 100 et de 78mm.
858. Le 19 novembre, Saïf al-Islam, fut arrêté au sud de la Libye.
859. Selon des sources sud-africaines, cette opération aurait été coordonnée par des « spécialistes » des forces spéciales de ce pays avec l’aval du président Jacob Zuma qui aurait considéré qu’il avait été berné par la France car son pays avait certes voté la résolution 1973 d’exclusion aérienne de la région de Benghazi, mais pas la guerre. Aussi, aurait-il décidé d’offrir l’asile politique au colonel Kadhafi. Nous en saurons davantage sur la réalité de cette opération quand les langues des témoins se délieront « officiellement ».
860. L’histoire dira comment et par qui ils furent prévenus de la manoeuvre en cours.
861. La video de sa capture est visible sur le net.
862. Dans un hôpital militaire parisien est mort Omran Ben Chaaban Osman, un des assassins du colonel Kadhafi. Célèbre pour avoir paradé, le revolver du colonel à la main, nombreux étaient ceux qui avaient juré sa perte. Après la guerre, enlevé par des fidèles du colonel Kadhafi, il fut torturé avant d’être libéré, mourant, aux termes de ténébreuses tractations.
863. L’expression est de Christiane Souriau.
864. Sur la question des milices, leurs catégories, leur diversité, voir Saïd Haddad (2013).
865. « Gardiennes autoproclamées de la révolution et fortes d’une légitimité issue des combats contre le régime de Kadhafi, les milices révolutionnaires se posent à la fois en concurrentes du pouvoir politique et de son bras armé tout en suppléant aux faiblesses du pouvoir dans le domaine sécuritaire » (Haddad, 2013 : 326).
866. Le 6 mars 2012, à Benghazi, Ahmed Zubair as-Sanûsi, parent de l’ancien roi Idriss et membre éminent de la Sanûsiya, fut élu émir par les chefs des tribus de Cyrénaïque. Cet acte politique était un signal fort envoyé aux autorités de Tripoli car il signifiait que la région se prononçait pour une orientation très fédérale.
867. Le 13 janvier 2012, à Benghazi, ils passèrent ainsi un cimetière au bulldozer, profanant une trentaine de tombes de saints, les marabouts du Maghreb, dont ils dispersèrent les ossements. Comme pour les fondamentalistes du Mali qui détruisirent des lieux saints à Tombouctou, les rassemblements autour des tombeaux ne sont rien d’autre que de l’idolâtrie. À travers ces actes insupportables aux habitants de la Cyrénaïque, les fondamentalistes cherchaient à briser les structures traditionnelles d’encadrement des populations afin d’en prendre le contrôle.
868. 120 sièges étaient réservés à des candidats sans affiliation partisane, mais pas nécessairement indépendants car nombre d’entre eux étaient affiliés à des partis politiques.
869. Dans un texte publié dans l’édition du 5 avril 2012 du Figaro sous le titre : « Libye : l’optimisme de l’ex ambassadeur de France », François Gouyette qui fut ambassadeur à Tripoli de 2008 à 2011 se disait « optimiste sur le moyen terme » pour l’avenir de la Libye. Pour ce diplomate qui dirigeait alors la cellule Libye au Quai d’Orsay, les fondamentaux du pays étaient bons, la situation sécuritaire « globalement maîtrisée ». Il se félicitait aussi de l’affirmation d’un sentiment national « qui se superpose à l’identité tribale toujours très présente », Le Figaro, 5 avril 2012.
870. En mai 2013, l’Union européenne décida la création d’une mission d’aide au contrôle des frontières et l’Otan d’une mission destinée à former la Garde nationale.
871. Son passé de « résistant » aurait dû le mettre à l’abri puisque, après avoir été ambassadeur du régime en Inde, il fit défection dès 1980 pour constituer le principal mouvement d’opposition, le FSNL (Front de salut national libyen). Le 8 mai 1984 il tenta d’assassiner le colonel Kadhafi en lançant une attaque contre sa résidence, mais le coup échoua et des centaines de Libyens furent arrêtés et torturés. Des pendaisons se firent en public. Après la guerre, il rentra en Libye où il fonda le PFN (Parti du front national), et le 9 août il fut élu président du Congrès devenant de fait le chef de l’État. Quittant l’assemblée, amer, il déclara que la Libye était « une nation qui n’apprécie pas ceux qui se sont sacrifiés ».
872. Dans les années 2000, ce membre de la Sanûsiya originaire de Benghazi et proche des Frères musulmans fut un des « barons » du régime Kadhafi puisqu’il présida la cour d’appel de Tripoli qui, par deux fois, confirma la condamnation à mort des infirmières bulgares. En 2007, pour le remercier de son zèle, le colonel Kadhafi l’avait nommé ministre de la Justice, poste dont il démissionna en 2010 pour protester contre la politique anti islamiste du régime. Puis, il rejoignit le soulèvement.
873. Le 23 avril 2013 une voiture piégée explosa contre le mur d’enceinte de l’ambassade de France à Tripoli, blessant deux gendarmes ; le 5 juillet, le consul de France à Benghazi échappa à un attentat.
874. Le général Khalifa Haftar de la tribu Farjan (confédération al-Bahar, et dont le fief est la région de la ville de Syrte, ville natale du colonel Kadhafi, fut, avec ce dernier, un des auteurs du coup d’État militaire qui renversa le roi Idriss en 1969. S’il se brouilla ensuite avec le colonel, il ne rompit en revanche jamais les liens avec sa tribu, ce qui le plaça au cœur d’une alchimie tribale stratégique car située à la jonction de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine.
875. Minoritaires dans le CNG élu au mois de juillet 2012, les islamistes et les Frères musulmans avaient réussi à en prendre la direction par la terreur, nombre de députés « libéraux » ayant préféré fuir.
876. L’intervention du colonel Moktar Fernana était la conséquence de plusieurs événements qui s’étaient déroulés fin 2013 et dans les premiers mois de l’année 2014 :
- Le 15 novembre 2013, à Tripoli, les miliciens originaires de la ville de Misrata avaient ouvert le feu sur une foule réclamant leur départ, faisant plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés.
- Le 7 février 2014, arrivé au terme de son mandat, le CNG élu le 7 juillet 2012 et dominé par les islamistes, se prorogea jusqu’au 24 décembre 2014.
- Le 11 mars, à l’issue d’un scrutin truqué, le CNG retira sa confiance au Premier ministre Ali Zeidan qui s’enfuit en Allemagne. Abdallah Al-Thani fut désigné Premier ministre intérimaire avant de démissionner après une agression dont il fut la victime, mais tout en continuant à assurer les affaires courantes.
- Le 4 mai 2014, le CNG imposa Ahmed Miitig, un Frère musulman originaire de Misrata au poste de Premier ministre.
877. « Nous sommes les fils du désert. C’est pour cette raison que nous craignons la mer, bien qu’il soit dans nos traditions de dresser nos tentes à vingt kilomètres de la mer. Mais je ne l’ai jamais vue pendant mon enfance », colonel Kadhafi, interview du 2 août 1973 (Ouannes, 2009 : 294).
878. Le livre de référence concernant les populations arabes du Tchad et leurs liens avec les régions septentrionales est celui de H.A. MacMichael (1967).
879. Sous le nom générique de Awlad Soulayman, se retrouvent plusieurs tribus ou fractions de tribus bédouines, à l’image des Hassouna, des Magharba, et même d’une partie des Kadhafda, la tribu du colonel Kadhafi, qui s’étaient installées dans le nord Kanem. Des tribus commerçantes originaires de Tripolitaine ont également des segments au Tchad comme les Majabra, les Zouweye et les Massamra (Acheikh Ibn-Oumar, 2011).
880. Parmi les « Libyens » nés au Tchad et qui exercèrent des fonctions importantes du temps du colonel Kadhafi, l’on peut identifier Ahmad Ibrahim qui fut vice-président du Parlement et responsable des Comités révolutionnaires, Grène Saleh Grène, ambassadeur au Tchad, Abdessalam Zadmah, commandant en second de la garde personnelle du colonel Kadhafi, le général Yunus Jaber, chef de l’armée libyenne ou encore Ibrahim Bishari chef des services de renseignements, ces deux derniers étant de mères tchadiennes (Acheikh Ibn-Oumar, 2011).