Je n’arrive pas à dormir correctement. Mon vieux lit me semble étranger, trop petit, trop rose et enfantin. Je tends la main pour toucher ma couverture, me souvenant de la façon dont je l’aimais autrefois. Je prétendais être une princesse dans sa tour.
Le vent siffle à travers la fenêtre que j’ai ouverte pour aérer la pièce. Le rideau flotte, laissant entrer la lumière de la lampe présente dans le jardin. J’observe les ombres qui dansent sur le mur et je me souviens avoir fait ça lorsque j’étais petite. J’y vois des figures inquiétantes, les branches d’arbres ressemblant à quelque chose de terrifiant à mes yeux, que je ferme brusquement.
Je pense réussir à dormir une heure ou deux, mais lorsque je me réveille à nouveau, la pluie frappe contre ma vitre. Je dois fermer, ou maman sera en colère. Comme si elle se souciait réellement de l’état de la maison.
Je frotte mon visage et me découvre pour m’asseoir. Je suis momentanément étourdie, mais c’est toujours le cas lorsque je m’assois pour la première fois, alors je ferme les yeux jusqu’à ce que la vague passe. Ensuite, j’entends un bruissement peu familier, suivi d’une fenêtre qui s’ouvre et se referme.
Confuse, j’ouvre les yeux et sursaute.
Là, à ma fenêtre, se trouve une silhouette. Grande et sombre, portant une robe comme la Faucheuse.
Mais la Faucheuse n’aurait pas peur qu’un peu de pluie entre dans ma maison. Je crie pratiquement lorsqu’elle se redresse et se tourne vers moi. Je me colle dos au mur il me semble très grand. La silhouette est drapée d’un manteau noir avec un large capuchon ramené sur sa tête afin que le peu de lumière venant de l’extérieur n’éclaire pas son visage. Son manteau touche le sol, il me semble très grand. Bien plus grand qu’un mètre quatre-vingt.
Je veux crier. Je veux ouvrir la bouche et hurler à l’aide, mais lorsque je le fais, rien ne vient. Un son pathétique, rien de plus. Suis-je en train de rêver ? Est-ce un rêve, un cauchemar dans lequel je suis piégée ?
Une partie de mon cerveau se souvient de connaître ce genre de robes. Cérémoniales. Mon père en avait porté une, une fois. J’avais été terrifiée lorsque je l’avais vu ainsi vêtu.
Nous restons comme cela, ni lui ni moi ne bougeons, je ne respire même pas. Il a un avantage. Il peut voir mon visage. Apercevoir ma terreur. Alors que moi, je suis incapable de distinguer le sien.
Lui.
C’est un homme. Sa taille et son ossature me le confirment. Raison de plus pour hurler pour que quelqu’un vienne m’aider. Où se trouve mon frère maintenant que j’ai besoin de lui ?
Je l’observe avec des yeux écarquillés lorsqu’il s’avance vers moi d’un pas, c’est alors que la lumière éclaire son visage. Ce qui me terrifie davantage, parce qu’il porte une moitié de masque noir, et que ce que j’aperçois de son visage me paraît impossible.
— Qu… Quoi…
— Ivy Moreno.
Des doigts froids et osseux semblent ramper le long de ma colonne vertébrale en entendant le ténor profond de sa voix, et je frissonne. Le toucher du diable. C’est ce que disait sœur Mary Anthony lorsqu’une telle chose arrivait. Je fais le signe de croix par habitude.
Ça semble le faire rire. Son rire est affreux. Froid et calculateur.
Je me frotte les yeux, en espérant me réveiller, pourtant il est toujours là lorsque j’ouvre à nouveau les paupières. Plus près encore.
— Comment connaissez-vous mon nom ?
— Tu ne te souviens pas de moi, Ivy ? Je ne t’ai pas fait bonne impression ? J’en suis offensé.
— Je… je ne…
— Tu seras bientôt ma femme, poursuit-il comme si je n’avais pas bégayé ma faible tentative de réponse. Ce serait étrange si je ne connaissais pas ton nom, ne penses-tu pas ?
Sa femme ?
Je l’observe plus attentivement. S’agit-il de Santiago de la Rosa ? Pourquoi porte-t-il ce manteau ? Ce masque ? Ils sont habituellement portés uniquement à des fins cérémonielles. Par des membres masculins des familles fondatrices, et uniquement lorsque la tradition l’exige. Ils avaient prêté à mon père un manteau similaire lorsqu’il avait dû assister à un tel événement. Je me souviens encore de son excitation, alors même que ma sœur et moi avions pu percevoir sa peur.
Une question plus importante me tenaille. Que diable fait Santiago de la Rosa dans ma chambre en plein milieu de la nuit ?
Je me souviens alors avoir entendu Abel dans le couloir ce soir. Je me souviens avoir été irritée lorsqu’il avait fait tant de bruit que ça m’avait réveillé. Abel l’a-t-il laissé entrer ?
— Que voulez-vous ? lui demandé-je.
Je parviens à voir la façon dont ses yeux errent sur mon corps. Je porte un T-shirt et une culotte, j’ai un pied sur le lit, l’autre qui pend dans le vide. Je relève les yeux et replace les couvertures sur mon corps.
— Tu n’as pas besoin de te cacher, dit-il en se rapprochant davantage pour écarter la couverture. Je suis venu te donner quelque chose.
Je m’appuie contre le mur lorsqu’il monte sur le bord du lit. Il prend un moment pour regarder son cadre orné et tout le rose présent dans cette pièce.
— C’est un peu puéril, pas vrai ?
— Que me voulez-vous ?
Il m’observe, et je ne sais pas si je vois ou imagine un sourire orner son visage. Je ne sais pas si je rêve le squelette qui se rapproche encore de moi.
— Oh, ce n’est clairement pas une façon de te comporter avec ton futur mari, ma douce Ivy.
Il s’assoit sur le bord du lit, et s’approche davantage.
— Que voulez-vous ?!
Je hurle, en pensant qu’Abel viendra. Que quelqu’un m’aidera. Mais rien. Personne ne vient. Je suis seule avec cet homme.
Il soupire comme s’il est déçu, puis tend la main, et touche ma joue du bout des doigts avant de les glisser vers mon cou, là où mon pouls bat sauvagement. Je garde l’arrière de ma tête pressée contre le mur.
Je rêve, c’est obligé. Pourtant, ça semble si réel.
— Que voulez-vous ?
Je reformule ma question, cette fois-ci d’une voix un peu plus calmement, moins effrayée.
— Je te l’ai déjà dit, commence-t-il, sa voix basse et profonde.
Il s’empare de ma main, et l’attire vers lui. Sa peau est glaciale. Peut-être qu’il est la véritable Faucheuse, après tout.
— J’ai quelque chose pour toi.
Il étire ma main, et récupère quelque chose dans sa poche. Je le contemple dans un silence choqué, alors qu’il place un anneau sur mon doigt.
— Que…
C’est trop serré, mais il ne s’arrête pas tant qu’il ne me l’a pas entièrement passé.
— Voilà.
Il me relâche.
Je tire ma main en arrière et l’observe. Elle arbore désormais une grande pierre sombre en forme de larme. Il y a comme des doigts squelettiques qui maintiennent la pierre en place. Le besoin de l’arracher me gagne instantanément.
— Ça ne sert à rien, dit-il.
J’essaye encore. Je n’en veux pas. Je ne veux rien de tout ça. Et lorsqu’il se lève, je jure de le voir sourire à nouveau. Son sourire est semblable à celui d’un mort.
Je sens le sang s’écouler de ma tête, et ma vision s’estomper alors que la pièce commence à tourner autour de moi.
— Tu m’appartiens désormais, Ivy Moreno, pour le meilleur et pour le pire. Jusqu’à ce que la mort nous sépare.