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Ivy

Ni Abel ni moi ne parlons en retournant à sa voiture. Je me sens humiliée, mortifiée. La réalité de ce qui vient de se passer dans cette maison s’abat brusquement sur moi, et tout ce que je peux faire, c’est rester assise sur le siège passager, avec mes genoux repliés sous mon menton et mon visage tourné vers la fenêtre pour que mon frère ne puisse pas voir mes larmes.

— Enlève tes chaussures de mon siège.

— Va te faire foutre.

Il laisse tomber. Je suis surprise qu’il n’insiste pas et qu’il ne tende pas la main pour m’obliger à retirer mes pieds de son précieux siège. Il me laisse tranquille. Peut-être que d’une certaine manière, il a également été ébranlé par ce qui vient de m’arriver.

Je m’essuie le visage avec la manche de mon pull oversize en me faisant la réflexion que j’ai bien fait de choisir cette tenue, parce que je me sens en quelque sorte protégée par sa largeur confortable et sa chaleur. Ce n’est qu’au moment où nous arrivons sur le parking de l’hôpital que je me décide à me détourner de la vitre pour étudier le visage de mon frère. Sa mâchoire est serrée, et son front plissé.

Sa haine l’a fait vieillir prématurément et l’a enlaidi.

— Pourquoi m’as-tu obligée à faire ça ? demandé-je.

— C’était l’une de ses exigences.

— Tu aurais pu dire non.

Il arrête la voiture devant les portes coulissantes du bâtiment et tourne la tête vers moi.

— Il fallait que tu passes cet examen. Si tu n’étais pas vierge, ou même si De La Rosa affirmait que tu ne l’étais pas après ta nuit de noces, nous n’aurions eu aucun recours. Toute la famille aurait dû souffrir des conséquences.

— Ressens-tu ne serait-ce qu’une émotion humaine, Abel ? Quelque chose qui ressemblerait à de l’empathie ?

— L’empathie, c’est pour les faibles, Ivy.

Il regarde sa montre comme si je le retenais d’aller quelque part.

— Si tu veux voir père, tu ferais mieux d’y aller, reprend-il.

Je plisse les yeux.

— Tu ne viens pas pour me surveiller ? Pour t’assurer que je ne tente pas de m’enfuir ?

Il secoue la tête et reporte son attention sur la rue pour observer la circulation.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Es-tu contrarié par ce que tu viens de faire ?

— Ne sois pas stupide, répond-il en me regardant de nouveau.

Son regard est aussi dépourvu d’humanité et de chaleur qu’à l’accoutumée.

— Non, tu as raison. Ma question était stupide. Mais je te préviens, si jamais tu lèves la main sur notre sœur ou tentes de lui faire subir la même chose qu’à moi, je te tuerai. Je te tuerai de mes propres mains. Est-ce que tu m’as bien comprise, Abel ?

Il ricane, même si cela ressemble davantage à un reniflement de dédain.

— Une fois que père sera mort, j’aurai sa garde exclusive, rétorque-t-il. Et tu sais ce que je compte faire d’elle ? Je la vendrai au plus offrant.

— Tu ne…

— Ne t’inquiète pas, j’attendrai qu’elle soit majeure. Et lorsque je le ferai, tu ne pourras rien y changer. Alors, va voir père. Dépêche-toi. Peut-être qu’entendre ta voix le ramènera parmi nous.

— Je vais te tuer.

— Si ton mari ne te tue pas en premier.

Ses paroles me surprennent tellement que je ne trouve aucune répartie à lui lancer. Soudain, quelqu’un frappe à ma vitre, me faisant sursauter. Je me tourne pour voir qui est venu nous déranger. Il s’agit d’un grand homme blond habillé d’un manteau foncé. Debout à l’extérieur du véhicule, il fait un signe de tête à Abel.

— C’est James, m’explique ce dernier. Il te ramènera à la maison lorsque tu auras terminé. Tu as une heure.

— Une heure ?

— Je t’aurais bien accordé toute la journée, mais tu n’as pas été très gentille, pas vrai ?

J’ouvre la bouche pour protester, mais il lève la main.

— Non, Ivy. Ne discute pas. Vas-y avant que je ne change d’avis.

Est-ce qu’il compte me voler cela également ?

— S’il te plaît, Abel, le supplié-je.

Je sens mes yeux se remplir à nouveau de larmes.

— S’il te plaît, Abel, m’imite-t-il en prenant une voix plus aiguë.

Je lui fais un doigt d’honneur et commence à sortir de la voiture, mais il me retient.

— Ivy.

Je me tourne vers lui.

— C’est demain soir.

— Qu’y a-t-il demain soir ? demandé-je.

— Ton grand jour.

— Quoi ?

— À minuit.

— Demain ?

Une sensation de froid m’envahit alors. Il consulte sa montre.

— Il te reste 57 minutes.

— Je te déteste, craché-je en m’éloignant de la voiture.

Puis je passe devant James qui m’emboîte le pas et entre avec moi dans l’hôpital.