Je ne peux pas lever la tête. Le masque qu’il m’a mis est bien trop lourd. Il se retire. Sa jouissance s’est écoulée en moi… non, notre jouissance. Moi aussi, j’ai eu un orgasme. Et je sens nos fluides mélangés s’échapper le long de l’intérieur de mes cuisses.
Mes jambes pendent sur le bord du lit. Je suis allongée, le visage contre le matelas, incapable de bouger. Pour dire vrai, je suis tout juste capable de respirer.
Il ne parle pas, mais j’entends sa respiration. Elle est tout aussi anarchique que la mienne. Il est essoufflé. Me priver de ma vue a accru la sensibilité de mes autres sens. Ils ont dû prendre le relais et m’ont fait comprendre qu’il fallait que je reste sur mes gardes avec cet homme.
Cet homme.
C’est ton mari, me corrigé-je mentalement.
Il faut que je m’en souvienne.
Je crois qu’il se rhabille. J’entends le bruit d’une fermeture éclair. Je ne bouge toujours pas. Mes yeux sont ouverts, mais je ne vois que du noir. Et la seule chose que je ressens, c’est une douleur lancinante entre mes jambes.
Il m’a prise violemment.
Et tout comme lui, j’ai joui… violemment.
Il passe ses mains dans mon dos et sous mes genoux, me soulève et me déplace afin de m’allonger plus haut sur le lit. Ma tête tombe sur le côté. Je n’arrive plus à supporter le poids du masque. Je pose mes mains dessus avec l’intention de l’enlever, mais il s’empare de mes poignets à vif et démêle la corde pour me libérer avant de poser mes bras de chaque côté de mon corps.
— Ne bouge pas.
— S’il vous plaît.
— Ne me force pas à t’attacher à nouveau.
— Je ne peux pas respirer, me plains-je.
— Bien sûr que si, tu le peux. Détends-toi.
Il place quelque chose sous mon corps, puis ouvre l’une de mes jambes. Je halète et tente de m’éloigner, mais ses doigts s’enfoncent dans ma cuisse pour m’immobiliser.
— Je me demande si Eli serait heureux de voir comment j’ai fait saigner sa fille, murmure-t-il tout en m’essuyant l’entrejambe.
— Quoi ?
Je ne suis pas certaine d’avoir bien entendu. Est-il satisfait à l’idée d’avoir fait couler mon sang ? Ses mots me poussent à m’interroger. S’il veut mon sang, il en reste encore beaucoup dans mes veines. Et je réalise qu’il serait également heureux de voir couler mes larmes, et que je les lui offrirais avec plaisir s’il consentait à me retirer cette fichue chose qu’il me force à porter.
— Reste immobile, m’ordonne-t-il comme s’il parlait à un chien.
Je suppose qu’il termine de me nettoyer, alors je ne bouge pas. De toute façon, je ne peux pas bouger. Plongée dans l’obscurité, je prends conscience de chaque douleur qui irradie dans mon corps. J’entends ses pas, une porte s’ouvrir, de l’eau couler. Il est de retour un instant plus tard et enroule ses mains autour de mes bras pour me soulever. Je m’accroche à ses biceps, sentant ses muscles gonflés sous mes doigts, et mon front tombe pratiquement sur son épaule.
— Tu apprendras à porter ce masque quand tu seras à genoux.
Il me dépose sur le sol à même le tapis rugueux. Je m’assois sur mes talons et pose une main sur le sol pour me soutenir. Que souhaite-t-il encore obtenir de ma part ?
— Ferme les yeux.
Une fois de plus, j’obtempère. Je ne sais même pas pourquoi je lui obéis. De toute façon, ce n’est pas comme s’il pouvait voir mes yeux. Mais je suis fatiguée, tellement fatiguée. Cette journée et cette nuit m’ont terriblement épuisée.
Il soulève le masque. Je tends alors la main pour toucher mon visage et sécher mes larmes avec le dos de mes mains.
— J’ai vu votre visage, déclaré-je.
Lorsque je le sens s’éloigner, je rouvre mes paupières pour l’étudier.
Sa chemise est ouverte et sa veste est posée sur le dossier d’une chaise. Je le regarde ranger le masque dans une vitrine comme si c’était quelque chose de sacré, et il me faut un moment pour réaliser qu’il m’observe dans le reflet de la vitre. Nos regards se croisent, mais il fait si sombre et les murs sont si noirs, éclairés par la simple lueur des bougies, que je ne parviens pas à le voir clairement.
— Tu aimerais le revoir ? J’en doute. Baisse la tête et ferme les yeux. Maintenant.
— Vous ne me connaissez pas, protesté-je en m’exécutant malgré tout.
— Ah oui ?
Il traverse la pièce jusqu’à la porte. Je le suis du regard sous mes cils.
— Ce sera ta chambre. Tu y resteras jusqu’à ce que je vienne te chercher, m’informe-t-il.
— Quand viendrez-vous me chercher ? Quand vous aurez à nouveau besoin de me baiser ?
La main posée sur la poignée, il penche la tête sur le côté avant de se tourner légèrement dans ma direction. Je lève la tête et constate qu’il m’offre la vue de son tatouage. J’ai du mal à supporter la vision des ombres que la lueur vacillante des bougies projette sur son visage.
— Tu devrais faire plus attention, Ivy.
— Sinon quoi ? Vous allez me remettre ce truc ? Me tatouer encore ? Me marquer comme une bête cette fois ? Me forcer à vous épouser encore et encore ? Vous m’avez tout pris. J’ai fait tout ce qu’il y avait à faire.
— Pourtant, nous ne faisons que commencer.
Je renifle. Il s’éloigne de la porte et s’avance rapidement vers moi. Instinctivement, je me penche en arrière. Le voir venir dans ma direction, le visage à découvert, est assez terrifiant. On dirait celui d’un homme à moitié mort, à moitié vivant.
— Baisse les yeux. Je ne le répéterai pas.
— Non.
Mon cœur tambourine dans ma poitrine comme s’il préférerait s’éjecter de ma cage thoracique avant qu’il m’inflige ma prochaine punition.
— Non ?
Je secoue la tête. Il hausse un sourcil.
— Je ne sais pas si c’est de la bravoure ou de la stupidité.
— Je n’ai pas peur de votre visage, si c’est ce que vous sous-entendez.
Il rit franchement.
— Tu penses que j’ai peur que tu n’aimes pas mon visage ?
Il s’accroupit, et il me faut rassembler toute ma volonté pour soutenir son regard quand il se penche plus près en voyant mon mouvement de recul.
— Tu veux me voir, Ivy ?
Je déglutis en essayant de me focaliser sur ses yeux. Juste sur ses yeux. Mais c’est trop dur. Je cligne des paupières et me détourne.
— C’est bien ce que je pensais, commente-t-il en se remettant debout avant de traverser la pièce en sens inverse.
— Ce n’est pas… je ne…
Je ne sais pas trop ce que j’essaie de lui dire. Je sais qu’autrefois, il était très beau. C’est une évidence. Mais aujourd’hui, il est tout simplement métamorphosé. Il arbore un visage que la plupart des gens moqueraient ou fuiraient.
— Tu resteras dans ta chambre jusqu’à ce que je vienne te chercher, annonce-t-il en ouvrant la porte.
— Non.
Il s’arrête.
— Non ? Tu comptes te rebeller ? me questionne-t-il en se retournant.
Il attend que je réponde, mais je n’en fais rien.
— Regarde-toi, toujours à genoux devant moi, avec ma marque gravée dans ta peau et mon sperme qui coule de toi. Je pense que tu feras exactement ce que je te dirai de faire. Tu peux essayer de me prouver que j’ai tort, si ça te chante. Mais sache que dans ce cas, je me ferai un plaisir de te punir.
Il sort dans le couloir.
— Pourquoi ? le rappelé-je avant qu’il ne s’en aille. Pourquoi m’avez-vous choisie si vous me détestez autant ?
Je dois encore m’essuyer les yeux. Il s’immobilise à nouveau. Pendant un long moment, un silence s’installe entre nous, et je me rends alors compte que cette maison, qui est désormais la mienne, est affreusement calme. L’ambiance qui règne en ces lieux est presque lugubre. Est-ce que quelqu’un d’autre habite ici ? Il me fixe. Ses yeux perçants sont rivés sur moi. Et soudain, je réalise qu’il n’agit pas au hasard. Il a un objectif à atteindre et se sert de moi pour ce faire. Cette révélation me rappelle douloureusement à quel point je suis loin de ma famille.
— Tes larmes ne m’émeuvent pas. Je pensais que tu le saurais.
— Dites-moi au moins pourquoi vous m’avez choisie.
— Est-ce que tu aimes ton père ? me demande-t-il en me prenant au dépourvu.
— Quoi ?
— Est-ce que tu l’aimes ?
— Oui, bien sûr.
— Et il t’aime, lui aussi.
Ce n’est pas une question.
— Mon père n’a rien à voir avec tout ça.
— Tu crois ?
Mes larmes se transforment en sanglots. Tout devient trop. Trop étourdissant, et surtout trop lourd pour mes épaules, comme ce chapelet que je porte encore. J’ai l’impression que ses mains sont toujours autour de mon cou et qu’elles m’étouffent.
— Pour l’amour de Dieu, ressaisis-toi, s’exclame-t-il.
— Allez vous faire foutre.
Prononcée à travers mes sanglots, ma répartie n’a pas autant de force que je l’aurais souhaité et je réalise brusquement que je n’aurais jamais dû dire ça. Je crains qu’il ne revienne dans la pièce pour me punir une nouvelle fois. Je sais que mon corps ne pourra pas en supporter davantage, pas ce soir.
Toutefois, malgré mon irrespect, il ne fait pas demi-tour. À la place, ses lèvres s’étirent. Je sens mes épaules s’affaisser, tandis que mon corps se recroqueville et s’écarte instinctivement de lui.
— Tu m’appartiens.
— Non.
Mais je sais qu’il a raison. Dans notre monde, je suis sa propriété.
— Comprends-tu ce que cela signifie pour toi ? reprend-il comme si je n’avais rien dit.
Ne sachant pas quoi répondre, je me tais.
Il secoue la tête et soupire comme s’il s’ennuyait.
— Tu es faible, Ivy. Et tu ferais mieux de t’endurcir, parce que tu auras besoin de toutes tes forces pour survivre.