19

Santiago

Ivy est en train de terminer le repas léger qu’Antonia lui a apporté lorsque je reviens dans sa chambre. De nouvelles bougies brûlent à son chevet et illuminent davantage la pièce que lors de ma précédente visite.

L’entaille sur son front n’est vraiment pas belle, et cette blessure me dérange plus que je ne le voudrais.

— Parle-moi de ta coupure. Comment est-ce arrivé ?

Elle s’essuie les mains sur une serviette avant de la plier et de la reposer sur son plateau. Ce faisant, elle garde les yeux baissés, et je comprends qu’elle tente de garder ses secrets. Cependant, je ne le lui permettrai pas. Elle devrait déjà en être consciente.

— Ivy, insisté-je d’une voix pleine d’avertissements tout en frôlant délicatement l’arrière de son cou de mes doigts.

— J’ai trébuché et je suis tombée.

Presque immédiatement, je repense à la faiblesse dont Antonia m’a parlé un peu plus tôt. Puis, je me souviens des nombreux bleus présents sur son corps et de sa réticence à m’en parler. Elle les a imputés au médecin, autre sujet sur lequel je vais devoir la questionner. Néanmoins, je soupçonne que tout cela soit dû à quelque chose d’important qu’elle me cache.

— Pourquoi es-tu tombée ?

Elle joue avec l’ourlet de la chemise de nuit en soie noire que je lui ai achetée.

— Parce que ça m’arrive parfois, répond-elle.

Dans la douce lumière des bougies, elle a l’air plus vulnérable que je ne l’ai jamais vue. C’est peut-être la raison pour laquelle j’incline son visage vers le haut, afin de pouvoir étudier ses émotions et essayer de la comprendre.

— Tu ne peux pas avoir de secrets pour moi.

Je caresse son visage avec la paume de ma main et elle ferme les yeux en étant traversée par un léger frisson.

— Je peux utiliser la manière forte ou la manière douce. Le choix t’appartient.

— J’ai un dysfonctionnement vestibulaire, avoue-t-elle à contrecœur. Parfois, j’ai des vertiges et ma vision devient floue. Cela peut affecter mon équilibre. C’est un défaut que je ne peux pas contrôler.

Je réfléchis à ses paroles en me concentrant sur le mot « défaut » qu’elle a choisi et prononcé avec un mépris évident. Elle croit qu’elle est défectueuse. D’abord son œil, et maintenant ceci. Savoir cela à son sujet m’apporte un étrange sentiment de satisfaction. Et même si cela ne le devrait pas, le fait de connaître ce secret si intime et de prendre conscience qu’elle en a honte appose un baume sur mes propres cicatrices.

Je laisse retomber mes doigts.

— Dans ce cas, nous devrons nous montrer plus prudents avec toi. Je n’avais pas réalisé que tu étais si… fragile.

Son regard se durcit. Je laisse la colère mijoter en elle et me retire dans sa salle de bain pour rassembler les fournitures dont j’ai besoin. Quand je reviens, elle est toujours assise à la petite table et fixe ses mains posées sur ses genoux.

— Il est temps de nettoyer ton tatouage, annoncé-je.

Elle se raidit et relève les yeux vers moi. Je me place à côté d’elle puis repousse ses cheveux sur l’une de ses épaules. Elle frissonne. Je pose ma main sur le dessus de sa tête et la force à l’incliner vers l’avant. Lentement, je retire le film protecteur. J’utilise un chiffon humide et savonneux pour laver l’encre et lutte contre cet étrange désir qui monte en moi de tracer le symbole de ma propriété avec mes doigts. Il s’agit de l’emblème de ma famille : un crâne couronné et des os croisés flanqués de roses et de revolvers. Cette représentation ne laisse aucun doute sur la personne à qui elle appartient, et voir ma marque inscrite dans sa peau me procure un sentiment plus puissant que celui auquel je m’attendais.

Ivy retient son souffle pendant que je la lave avec une douceur à laquelle, j’en suis certain, elle ne s’attendait pas. J’aimerais lui dire que ce n’est pas pour son bien que j’agis ainsi, mais seulement pour m’assurer que son tatouage guérira correctement. Toutefois, je ne l’en informe pas.

Quand j’ai terminé de nettoyer sa nuque, j’applique à nouveau du baume et le frotte sur sa peau jusqu’à ce qu’elle penche davantage la tête comme pour me faire comprendre que ça lui fait du bien d’avoir mes mains de monstre posées sur elle. Je la masse plus longtemps que nécessaire puis m’essuie les mains.

J’ai encore beaucoup de travail à faire ce soir et j’ai l’impression d’être déjà en retard sur mon planning. Pourtant, mon boulot n’est plus à la première place de mes préoccupations dans mon esprit lorsque ma main glisse sur son épaule et plonge sous sa chemise de nuit en soie pour empoigner sa poitrine.

Ivy ferme les yeux et se penche en arrière, ignorant à quel point cela m’affecte qu’elle se laisse ainsi aller contre moi. Je ferme les yeux à mon tour, la détestant de me tenter de cette façon. Je la hais à cause de son nom, de son sang et de sa douceur dont j’aimerais m’imprégner, quand bien même elle m’empoisonne.

Ma main libre effleure alors son cou sur lequel je remarque l’absence du chapelet que je lui ai pourtant ordonné de porter tout le temps. Ses épaules se raidissent et nos regards se croisent. Le mien est sombre et affamé, tandis que le sien est tout bonnement terrifié.

— Santiago, gémit-elle.

Je saisis brusquement sa mâchoire et la serre fermement entre mes doigts. Elle déglutit bruyamment quand que je me penche vers son visage en laissant mes lèvres planer à quelques centimètres des siennes.

— Je commence à croire que tu aimes mes punitions, ma très chère femme.