20

Ivy

En un instant, il me remet sur mes pieds. Toute la tendresse dont il a fait preuve il y a quelques secondes à peine s’en est allée presque comme si elle n’avait jamais existé et qu’elle n’avait été qu’un produit de mon imagination.

— Santiago.

Sans me lâcher, il s’empare du chapelet se trouvant sur la table de chevet, en me tordant le bras au passage, avant de me faire sortir de ma chambre. Ses pas sûrs d’eux résonnent dans le couloir tandis que des miens ne s’élève pas un son.

— Vous me faites mal, me plains-je.

— Je me montrerai plus patient avec toi lorsque tu obéiras à un ordre aussi simple.

Nous traversons rapidement la maison. J’essaie de le suivre tout en observant mon environnement constitué de couloirs ombragés, d’espaces faiblement éclairés, de tapis et de rideaux richement texturés, et de bois finement sculpté. Cet endroit me semble tout droit sorti d’un vieux film de vampires.

— Ralentissez, le supplié-je après avoir manqué de tomber dans les escaliers.

— Continue d’avancer, rétorque-t-il en m’aidant à me redresser.

Nous ne croisons personne dans les couloirs, et je me demande quelle heure il peut bien être. Tout ce que je parviens à voir, c’est un faible éclat de clair de lune qui tente en vain de percer les ténèbres de la nuit noire.

— Où allons-nous ? demandé-je.

Nous laissons derrière nous une grande cuisine aussi sombre et ancienne que le reste du manoir, dont seuls les appareils électroménagers semblent récents. Il ouvre une porte donnant sur l’extérieur et s’apprête à sortir, avant de s’arrêter et de fixer mes pieds nus.

— Ne portes-tu donc jamais de chaussures ?

Il n’attend pas ma réponse. De toute façon, je pense que ce n’était même pas une vraie question. L’instant d’après, il me soulève par-dessus son épaule. Ma courte chemise de nuit remonte jusqu’au sommet de mes cuisses et le vent frais frappe l’arrière de mes jambes nues. Je rebondis sur son épaule et regarde de nouveau la maison. Elle est encore plus grande que ce à quoi je m’attendais. Hauts de quatre étages, ses murs sont envahis par du lierre rampant. Au centre se trouve une grande fenêtre voûtée, au verre teinté, autour de laquelle s’étendent d’autres segments de fenêtres qui créent une espèce de cercle orné.

Non, pas un cercle. Une rose. Les segments qui en partent forment des pétales.

De La Rosa. Son nom de famille est gravé dans la pierre de cette bâtisse.

Une lumière s’allume à l’une des fenêtres du premier étage dans une aile séparée de la maison. Au travers, je distingue un mouvement, puis la silhouette d’une femme. Quand elle nous voit, elle écarte le rideau et nous observe. Cependant, l’instant suivant, j’entends une porte grincer sur ses gonds, puis l’odeur caractéristique des églises assaille mes narines. Je me tords le cou pour détailler la petite chapelle dans laquelle m’entraîne Santiago. Il ferme la porte et me redépose ensuite sur mes pieds.

Six bancs en bois simple sont placés de chaque côté de l’allée. Des bibles usées se trouvent sur deux d’entre eux. Dans le coin arrière gauche sont installés les fonts baptismaux. Grands et richement ornés, ils sont faits du même matériau que l’autel. Dans le coin opposé trône un confessionnal ordinaire si ce n’est qu’à la place des portes pend un rideau en velours rouge foncé servant à fournir aux pénitents un semblant d’intimité.

Santiago se dirige vers l’autel. Il ne s’arrête pas pour faire le signe de croix. Il ne s’incline pas non plus comme les religieuses nous ont appris à le faire, ce qui me pousse à m’interroger sur son dévouement et sa foi. Il semble entretenir une fascination étrange pour la religion. Je n’arrive pas à le cerner. Mais après ce qu’il m’a fait hier, et la façon dont il m’a penchée sur l’autel de la chapelle, un lieu sacré, avant de verser la cire sur mes hanches... Jamais un homme pieux ne ferait une chose pareille. Et puis, c’est sans compter le chapelet.

Pourquoi m’a-t-il donné un chapelet au cours de notre nuit de noces ? Pourquoi est-il si en colère après avoir découvert que je ne le portais pas ?

Face à l’autel, il ne lève pas la tête pour saluer le Christ crucifié. À la place, il récupère une boîte d’allumettes et allume plusieurs bougies. Je remarque alors que le rouge de la lampe du tabernacle brille. Je me demande qui l’entretient et la maintient allumée. Un prêtre vient-il ici ou est-ce lui qui s’en charge ? Puis je repense à la femme qui se tenait à la fenêtre.

— Votre sœur vit-elle ici ? Je veux dire, dans la maison ? le questionné-je.

Il finit d’allumer les bougies et éteint l’allumette. Soudain, je remarque les deux photos encadrées de part et d’autre de l’autel. C’est un drôle d’endroit pour conserver des photos, et je comprends alors qu’il doit s’agir de son père et de son frère. Je m’approche pour m’en assurer. Je me souviens les avoir vus quelques fois et découvre une nette ressemblance entre eux et mon mari. Ils sont morts dans l’explosion qui l’a défiguré.

Quand je regarde à nouveau Santiago, je le surprends en train de m’observer et décide d’en faire de même. J’examine attentivement ses cicatrices et le tatouage sur son visage, puis contemple à nouveau les photos.

Il s’en est sorti, terriblement amoché, mais vivant.

Eux n’ont pas eu cette chance.

Tout à coup, je ressens un élan de tendresse envers lui que je ne parviens pas à décrire. Je ne sais pas de quoi il s’agit ni pourquoi cela m’importe tant. Et je ne sais pas non plus si c’est à cause de la lueur que je vois dans son regard en cet instant ou de la solitude qu’il semble porter comme un manteau… non, plutôt comme une seconde peau. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut retirer.

Est-ce pour cela qu’il se montre si dur ?

Il sort le chapelet de sa poche et le pose sur l’autel avant de se pencher pour ouvrir le coffre qui se trouve déjà sur sa surface.

— Déshabille-toi, Ivy, m’ordonne-t-il sans même prendre la peine de me regarder.

Les battements de mon cœur s’accélèrent.

— Quoi ?

Il me jette un coup d’œil par-dessus son épaule tout en fouillant dans la poche avant de sa chemise.

— Déshabille-toi et agenouille-toi.

— Mais nous sommes à l’église, souligné-je.

Il se retourne complètement et m’observe en affichant un demi-sourire, avant de secouer la tête et de continuer ce qu’il faisait.

— Fais ce que je te dis. Je ne te le redemanderai pas.

J’observe la porte tout en sachant que personne n’entrera, puis décide de faire face à l’autel et au Christ. Si l’on omet mon mariage, je ne suis pas allée à l’église depuis que j’ai quitté la maison. J’ai menti à mon père en lui assurant que je m’y rendais chaque semaine alors que ce n’était pas le cas. Je ne me suis pas confessée depuis lors. Suis-je encore croyante ? Je n’en suis pas certaine.

— Ivy.

Je cligne des paupières avant de tourner mon attention vers Santiago. Positionné dos à moi, il place des objets sur l’autel. Il ne me regarde pas, mais son attitude m’avertit tout de même de bien me comporter.

Je retire ma chemise de nuit en frissonnant et la pose sur le banc le plus proche de moi. Santiago pivote dans ma direction lorsque je retire ma culotte et la laisse tomber sur ma chemise de nuit. Désormais entièrement nue, je plonge mon regard dans le sien qui s’est assombri. Une faim insatiable brûle dans ses pupilles.

Et c’est comme si mon corps ressentait ce désir ardent qui habite le sien, ou peut-être se souvient-il simplement de son toucher et de l’orgasme qu’il m’a donné. Mes mamelons se tendent et une sorte d’humidité commence à poindre entre mes cuisses.

Je m’agenouille tout en tentant d’apercevoir l’autel derrière lui afin de savoir ce qui se trouve désormais dessus. Mon estomac se tord. Je reconnais la longue canne d’apparence anodine que les nonnes ont utilisée pour me punir durant mes années d’école, ainsi que la pagaie en bois, même si, heureusement, elles ne l’ont jamais employée avec moi. La canne, cependant, était l’objet de remontrances préféré de sœur Mary Anthony.

D’autres objets sont étalés tout autour : une lanière en cuir, une autre canne qui me paraît plus lourde et d’autres pagaies. Ces dernières n’ont pas l’air neuves. En réalité, tous ces objets ont l’air bien usés.

Je déglutis en tournant mon regard vers le sien. Il m’étudie pendant une longue minute et un silence s’abat lourdement entre nous, à l’image de l’air qui me semble de plus en plus pesant.

Comme s’il lisait dans mes pensées, il retourne à sa collection d’objets, choisit la longue canne et ramasse le chapelet avant de s’approcher moi. Il penche la tête sur le côté et tape mes mains jointes du bout de la canne. Je n’avais pas réalisé que je les maintenais en position de prière.

— L’habitude, commente-t-il.

Je hoche la tête, quand bien même il ne s’agit pas réellement d’une question. Ensuite, il fait tomber le chapelet autour de mon cou. Les perles sont froides et lourdes, comme si chacune d’elle représentait un poids que je devais porter.

— Tu ne vas pas à l’église. Tu n’as pas assisté à la moindre messe au cours des six derniers mois.

— Comment le savez-vous ? m’étonné-je.

— Tu penses que personne ne te surveillait ?

Il marche en cercle autour de moi. Je le suis du regard.

— Pourquoi auriez-vous fait cela ?

— Parce que je savais que tu finirais par être à moi, répond-il sans cesser de se déplacer en rond.

— Pourquoi ?

— Je répondrai à cette question un autre jour.

Il s’arrête pour se tenir à nouveau devant moi.

— Est-ce que ça te fait mal de rester agenouillée là ?

Je hoche la tête.

— Ça te plaît ?

Je secoue la tête.

— Es-tu toute mouillée ?

Je ne réponds pas. Il sourit, puis recommence à tourner autour de moi.

— Si vous souhaitez me punir avec ce truc, faites-le et finissons-en, grogné-je.

J’entends alors comme un bruissement et, un instant plus tard, je tombe sur mes mains tandis qu’une vive douleur enflamme la plante de mes pieds. Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il me frappe une seconde fois. Des larmes jaillissent de mes yeux et, pendant quelques secondes, je n’arrive plus à respirer.

Il s’accroupit derrière moi. Mon souffle est encore désordonné quand il enroule la longueur du chapelet autour de son poing et tire ma tête en arrière vers son torse.

— Ne me donne pas d’ordre.

La respiration lourde, j’agrippe son avant-bras. Plus tôt, pendant un court et étrange moment, je l’ai trouvé tendre, presque gentil. Presque. Lorsqu’il a appris que je n’avais pas mangé, il avait l’air bouleversé. Quand il a nettoyé mon tatouage, il s’est montré doux. Et lorsqu’il a glissé sa main sous ma chemise de nuit pour effleurer mon sein, je me suis penchée pour obtenir davantage de contact.

— Ça t’a plu ?

— Non ! m’exclamé-je en secouant la tête.

Il approche l’une de ses mains, celle qui tient la canne, entre mes jambes et m’expose rudement avant de passer ses doigts sur ma féminité. Je n’ose imaginer ce à quoi je dois ressembler à genoux devant l’autel, nue et les jambes écartées.

— Tu es trempée, constate-t-il.

Je ne sais pas s’il fait exprès de laisser la canne reposer contre mon sexe.

— Mais il ne s’agit pas de ton propre plaisir, Ivy, continue-t-il en essuyant sa main mouillée sur mon estomac avant de se relever.

— S’il vous plaît, arrêtez, ne puis-je m’empêcher de sangloter en me penchant en arrière pour couvrir mes pieds.

Je peux déjà sentir des hématomes se former à la surface de ma peau. Je n’ai été battue qu’une seule fois à l’école, et cela ne ressemblait pas du tout à ce qu’il est en train de me faire subir.

— C’est mieux. J’aime t’entendre me supplier. Mets tes mains en position de prière et redresse-toi.

— S’il vous plaît.

Je me tords le cou pour l’observer. Il hausse un sourcil pour me signifier qu’il attend que je m’exécute. Je le fais tout en me préparant à la douleur qui va suivre.

— Tu ressentiras les conséquences de ta désobéissance à chaque pas que tu feras demain.

Silencieuse, je fixe mon regard sur l’autel face à moi alors que mes larmes commencent à brouiller ma vue.

— Sais-tu ce que mon père attendait de moi ? reprend-il en recommençant à tourner en rond autour de moi.

Je secoue la tête en reniflant. Je ne sais pas ce qui est le pire dans ma situation, l’anticipation ou le coup lui-même. Il s’immobilise face à moi, me regarde et glisse son instrument de torture entre mes jambes. Je me crispe.

— Bien plus que ce que je pouvais lui donner, explique-t-il en s’éloignant. J’ai passé d’innombrables heures là où tu te tiens en cet instant, et je peux te dire que je n’ai pas sangloté une seule fois lorsqu’il m’a flagellé le dos. Je n’ai même pas reniflé lorsque la douleur me brûlait la plante des pieds, alors que ma peau s’ouvrait à chaque pas que je faisais.

Sa confession me laisse interloquée. Je relève les yeux vers la photo de l’homme au regard sévère qui se trouve sur l’autel, et reporte ensuite mon regard sur lui. J’essaie de l’imaginer plus jeune, quand il était petit garçon, agenouillé ici même. Je songe alors à mon propre père qui n’a jamais levé la main sur moi. Je repense également aux punitions que je recevais de ma mère, et réalise qu’elles n’ont jamais été calculées. Elle agissait de manière impulsive, comme une femme insatisfaite animée d’une rage passagère et incontrôlée.

— Je suis désolée. Je porterai le chapelet, comme vous me l’avez ordonné, promets-je quand il est à nouveau devant moi.

Il fait le tour de mon corps et se replace derrière moi.

— S’il vous plaît, ne me frappez plus, le supplié-je.

Il me faut mobiliser toute ma volonté pour rester immobile, à genoux, et ne pas me couvrir les pieds.

— Penche-toi en avant et pose tes mains sur le sol, exige-t-il.

Je jette un coup d’œil en arrière et, après un moment d’hésitation, lui obéis. Je pose mes mains sur le sol, lui offrant ainsi tout le loisir de me faire ce qu’il souhaite, et la douleur que je vais sans aucun doute ressentir dans quelques instants l’emporte dans mon esprit sur mon humiliation.

Lorsqu’il glisse la canne entre mes jambes, je crie, mais il ne me frappe pas. Il me tapote simplement les cuisses pour me signaler de les écarter davantage.

— Comme ça. C’est bien, me félicite-t-il quand elles sont suffisamment écartées à son goût, à tel point que je suis sûre qu’il peut tout voir de moi. Ne bouge pas.

Je l’entends s’éloigner et le vois, dans la périphérie de mon champ de vision, se pencher vers un banc afin d’y poser la canne. J’ose un coup d’œil dans sa direction et le surprends, assis, en train de m’observer.

Nous nous dévisageons ainsi pendant plusieurs secondes, et aussi froide que soit la pierre sous mes mains et mes genoux, la sueur coule sur mon front. Avec appréhension, j’attends la suite de ma torture et ai l’impression qu’une éternité s’écoule avant qu’il ne se remette en mouvement. Le voyant se relever, je me tends, mais pousse un discret soupir de soulagement en remarquant qu’il s’avance sans la canne.

Il s’agenouille derrière moi, pose une main sur ma hanche tout en glissant l’autre le long de mon dos, et exerce une pression au moment où il atteint l’espace entre mes omoplates. Il referme ensuite sa main sur ma nuque. Une fois de plus, il se montre délicat avec le tatouage. Ses doigts se faufilent dans mes cheveux pour se refermer derrière mon crâne. Je comprends alors ce qu’il veut. Je m’abaisse donc sur mes avant-bras pour poser mon front sur la pierre froide et, quand je l’entends ouvrir son pantalon, coince mes ongles dans les étroites crevasses entre les grosses pierres pour m’y accrocher.

Il saisit mes deux hanches et enfonce ses doigts dans ma peau. Sentant son sexe se présenter à l’entrée du mien, je ferme les yeux et réalise que j’en ai envie, moi aussi. Je sens mon excitation couler à l’intérieur de mes cuisses, tout comme je sais qu’il peut voir et sentir mon désir. Sans prévenir, il me pénètre d’un seul coup de reins et je ne peux pas m’empêcher de gémir. Je dois me faire violence pour garder mon front plaqué contre le sol pendant qu’il me prend en gardant ses mains fermement ancrées à mes hanches, sans me toucher là où j’ai besoin qu’il le fasse. Je sais qu’il s’agit là de ma punition et qu’il satisfait son désir. Ce soir, il m’utilisera uniquement pour son bon plaisir. Et je vais devoir prendre sur moi pour ne pas broncher.

Nos respirations se déchaînent sous ses coups de reins frénétiques. Je sens son sexe s’épaissir davantage en moi et sa poigne se raffermir à l’arrière de mon cou qu’il tire en arrière avec le chapelet. Toutes ces sensations me perturbent.

D’une main, il m’étrangle avec le chapelet tandis que de l’autre, il enfonce ses doigts dans ma hanche, si près de mon clitoris palpitant, désireux qu’on le touche. Et quand il jouit, il enroule ce même bras autour de ma taille et me serre si fort que pendant quelques secondes, je ne parviens plus à respirer. Il éjacule en moi en m’étouffant à tel point que j’ai du mal à retrouver mon souffle.

Une fois qu’il est redescendu de son orgasme, il desserre sa prise sur le chapelet et enlève son bras qui m’écrasait les côtes. Il prend ensuite le lobe de mon oreille entre ses dents, et je me rends compte que je le désire toujours. Alors même que je le sens se retirer de moi, alors même que son sperme glisse entre mes jambes, j’ai encore envie de lui.

Et lorsqu’il parle enfin, en déplaçant sa main pour la poser sur mon sexe et presser son pouce sur mon clitoris douloureux, je jouis en même temps qu’il m’avertit de ne plus lui désobéir.

Je jouis en sentant son sperme couler hors de mon fourreau et se répandre sur le sol de l’église. Je jouis sous la main qui a manié cette canne punitive et me rappelle ce qu’il m’a fait la nuit dernière.

Je lui appartiens.