Lawson Montgomery se penche sur le portefeuille financier se trouvant sur mon bureau et l’étudie avec son regard de faucon. Lawson était le témoin de mon mariage, mais il est également un vieil ami et la seule personne au sein de la faction de La Nouvelle-Orléans en qui j’ai entièrement confiance.
Il est surtout connu en tant que juge par son entourage, étant donné le poste auquel il a été promu au sein du système judiciaire de la Louisiane. Il est un atout précieux pour l’organisation, et ce, pour des raisons évidentes, mais il est aussi l’une des rares personnes avec qui je peux parler librement.
— Tout m’a l’air correct, annonce-t-il.
Il ferme le dossier et m’observe attentivement.
— Comment se passe ta vie de jeune marié jusqu’à présent ?
En réaction à son sarcasme, les coins de ma bouche se relèvent. Le Juge possède un sens de l’humour bien à lui, et vraiment détonnant.
— Aussi bien qu’attendu, confirmé-je.
— J’espère que ta justice sera rapide et douloureuse.
Constatant que je ne réponds pas, il hausse un sourcil interrogateur à mon attention. Je nous verse à tous les deux un verre de scotch et, pendant un instant, laisse mon regard dériver vers les chiffres en constante évolution qui s’affichent sur les écrans d’ordinateur derrière lui.
— Est-ce ta façon de me dire que tu ne l’as pas encore marquée ?
— Elle a été marquée, comme tu le sais bien.
Je fais tournoyer le verre sous mon nez et inhale l’arôme fumé de la boisson.
— Mais pas entièrement, termine-t-il à ma place.
Son observation me dérange. Je n’ai pas l’habitude d’exposer mes plans aux autres, mais le Juge est l’un des hommes les plus implacables que je connaisse. Il a la réputation d’être sévère, tant dans les tribunaux qu’au sein de la Société. Du moins, quand la situation le justifie. Il croit dur comme fer au vieil adage « œil pour œil, dent pour dent ». Et lorsque j’étais ivre un soir et que je lui ai avoué ce que je prévoyais de faire à Ivy, il m’a fait une suggestion évidente.
Quelle serait la pire des punitions pour la famille responsable de mon apparence physique actuelle et de la mort de plusieurs membres de la mienne ? « Des cicatrices, avait-il simplement répondu. Il faut que tu leur laisses des cicatrices si tu choisis de leur laisser la vie sauve. »
À l’époque, cela m’avait semblé si simple et évident. Bien sûr, Ivy devrait avoir des cicatrices qui correspondraient plus ou moins aux miennes. Cela lui servirait de rappel constant et inévitable des péchés que son père a commis, chose à laquelle elle penserait chaque fois qu’elle se regarderait dans un miroir.
Pendant des mois, j’ai fantasmé sur toutes les façons possibles de passer à l’acte. Je me suis imaginé en train de la brûler, d’ouvrir sa peau avec des lames, de graver mon nom dans sa gorge. Peut-être même pourrais-je tatouer un crâne sur le côté droit de son visage afin qu’elle me ressemble. Une telle punition serait sans aucun doute à même de la hanter à tout jamais.
Mais maintenant qu’elle est ici, dans ma maison, je n’ai pas donné suite à ces plans. Je ne suis pas plus près qu’avant de finaliser les détails de ma vengeance, et je ne veux pas non plus admettre que j’hésite à la concrétiser pour des raisons que je ne comprends pas très bien.
— Elle a un joli visage, commente le Juge en faisant tourbillonner la boisson dans son verre avant d’en avaler une gorgée. Je suppose que ce serait une honte de l’abîmer.
Quelque chose dans son ton et la façon dont ses sourcils se sont froncés me fait penser qu’il est amusé par ma faiblesse la concernant.
— C’est uniquement parce qu’elle est belle que j’ai hésité.
Mes paroles ne sont pas convaincantes, même à mes propres oreilles. Mais je suis certain qu’avec le temps, je serai en mesure de tenir cette promesse silencieuse que je me suis faite à moi-même. Quand le moment sera venu, j’exécuterai mon plan comme prévu.
— Les cicatrices qu’elle aura ne seront pas ses seules préoccupations. Je peux t’assurer qu’elle souffrira.
— Je suis sûr que c’est déjà le cas, acquiesce-t-il. Je n’en doute pas.
Ses paroles s’installent entre nous et nous finissons nos boissons en silence. Je dois lui poser une question qui fait partie de l’objet même de notre réunion de cet après-midi. Idéalement, j’aurais dû le lui demander avant le mariage, mais j’étais trop occupé à remettre Abel à sa place.
— Des nouvelles de son père ? demande-t-il.
— Non. Rien de nouveau. Mes hommes sont encore en train d’enquêter, mais il n’y a pas eu de nouvelles informations. J’ai une réunion avec le Tribunal pour discuter des progrès de l’enquête au début du mois prochain.
Le Juge demeure calme et pensif, puis me dévisage avec cette intensité qui fait de lui un adversaire redoutable pour les hommes plus faibles que moi.
— As-tu déjà pensé qu’il pourrait ne jamais y avoir davantage d’informations ? Dans ce cas, que feras-tu ?
— J’y ai pensé, admets-je avant de hausser les épaules. Mais je ne l’accepterai pas.
— Il te faut prendre en compte que ce sera peut-être le cas. Mais j’imagine qu’il ne sert à rien que je te dise cela. C’est à peu près aussi utile qu’un homme qui dirait à mère Nature qu’il n’accepte pas de subir l’une de ses tempêtes.
Ignorer le point qu’il soulève est la seule option que j’ai à ce stade. Je ne peux pas accepter l’idée de ne pas avoir de certitudes ou de réelle preuve de la culpabilité d’Eli. C’est quelque chose que j’ai analysé sous tous les angles, mais je reconnaîtrais uniquement l’évidence que je ressens au fond de mes tripes. Il est responsable de ce qui s’est passé ce jour-là. Je refuse de croire le contraire jusqu’à ce qu’il y ait des preuves indéniables de son innocence.
— Je ne t’ai pas demandé de venir seulement pour que nous parlions des rêveries philosophiques de ma vengeance. Ta présence ici relève d’une autre raison.
— Je m’en doutais, ricane-t-il.
— J’ai une demande à te faire.
Je me racle la gorge pour m’éclaircir les idées et me donner le courage de me lancer.
— Je souhaiterais invoquer le pacte sacré, pour ma femme. J’aimerais t’accorder le rite coutumier, au cas où il devait m’arriver quelque chose.
— J’espère que rien ne t’arrivera, répond-il calmement. Mais j’accepte que tu m’accordes le rite.
Une partie de la tension qui habitait mes épaules se dissipe. Je récupère un autre dossier dans mon tiroir et le fais glisser dans sa direction.
— Mes souhaits sont tous renseignés là-dedans. Tu y trouveras chaque détail de ce qui devra arriver à Ivy et à sa famille.
Il hoche la tête et ses yeux dérivent vers le portrait de ma sœur accroché au mur.
— Je commence à devenir le collectionneur d’un grand nombre de responsabilités. D’abord Mercedes, et maintenant ta femme.
Quelque chose brille dans son regard alors qu’il étudie le portrait de ma sœur, mais je ne parviens pas à identifier cette lueur étrange.
— Pour ta peine, je crois que je devrais aussi te laisser le gros de mes finances pour avoir accepté de t’occuper de Mercedes s’il devait m’arriver quelque chose, plaisanté-je.
— Ce ne sera pas nécessaire, sourit-il. Ce serait un plaisir d’apprivoiser une jument aussi sauvage.
Son insinuation me fait hausser les sourcils de surprise. Qu’il est étrange de l’entendre parler de Mercedes de cette manière. Il a toujours été froid avec elle. Respectueux, mais froid.
— Tu auras du pain sur la planche, je peux te l’assurer. Elle est difficile, même dans ses meilleurs jours. J’ai bien peur qu’elle ait été trop gâtée et que cela ne puisse être défait.
— Tout peut être défait, si on se montre assez ferme, me fait remarquer le juge un peu plus sèchement. Si tu as besoin d’aide pour la discipliner, je suis disponible. Comme tu le sais, c’est l’une de mes spécialités, et dans des cas comme celui-ci, il n’est pas rare qu’une tierce personne intervienne. En tant que frère, tu as une faiblesse pour elle que je ne possède pas. Aucune affection familiale ne fera obstacle à mon cœur noir.
Je considère sa suggestion. Il soulève tout de même un argument valable. Mercedes est sur la voie de la destruction, et ce, depuis un certain temps. Avec Ivy dans mes pattes et mon travail au sein de la Société, j’ai peu de temps à consacrer à ma sœur afin de la maintenir dans le droit chemin. Je décide de garder sa proposition à l’esprit, au cas où elle continue de me poser problème.
— Comment se porte le petit démon ? s’enquiert ensuite le Juge. Toujours en train de traquer Van der Smit ?
— Van der Smit ? ris-je. Je ne savais pas que tu étais si bien renseigné sur les affaires de cœur de Mercedes.
— On en parle largement dans les commérages, explique-t-il en agitant la main avec dédain. Tout le monde au sein de l’organisation est au courant de la façon dont il a laissé tomber la grande Mercedes De La Rosa au profit d’une autre femme. Les rumeurs disent que toute cette histoire l’a beaucoup énervée.
— Oui, je suppose que cela l’a énervée, opiné-je avant de froncer les sourcils. Mais Mercedes ne semble pas trop s’attacher à qui que ce soit. Je pense que c’est simplement sa fierté et son ego qui ont été blessés.
Le Juge hoche la tête, comme si cette perspective le satisfaisait.
— Je suppose qu’elle est de retour au manoir ?
— Pour l’instant, nuancé-je. Je l’ai chargée d’encadrer Ivy dans son rôle d’épouse de haut rang. Cela devrait normalement la tenir occupée pendant un certain temps au moins.
— Eh bien, ce n’est pas rien. Les mains oisives sont l’œuvre du diable.
— C’est ce qu’on dit.
Un coup retentit contre la porte qui s’ouvre sans attendre, nous surprenant tous les deux. Il s’agit justement de Mercedes. Elle entre dans le bureau, mais s’immobilise presque instantanément en voyant le Juge assis en face de moi.
— Je ne savais pas que tu avais de la compagnie, s’excuse-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine et en le regardant avec curiosité. Juge, c’est toujours un plaisir de vous voir.
— Plaisir partagé.
Il penche la tête dans sa direction, et je ne rate pas la façon dont ses yeux s’attardent sur elle quelques instants de plus par rapport à ce qui serait considéré comme approprié.
— Comment supportez-vous la vie palpitante du système judiciaire ? lui lance-t-elle. Vous avez condamné à mort de pauvres âmes pendant votre déjeuner aujourd’hui ?
— Seulement ceux qui le méritent, rectifie-t-il. Et vous, comment la vie d’une princesse pourrie gâtée vous sied-elle ? Avez-vous laissé un peu de votre vanité dans les grands magasins afin que les autres mondains puissent en profiter également ?
Les yeux de ma sœur s’assombrissent et ses lèvres rouges s’entrouvrent de stupeur. Elle est sans voix pour la première fois depuis une éternité. Elle écarte une mèche de ses cheveux noirs de son visage et essaie de reprendre contenance ainsi que ses esprits. Je décide alors de la sauver de cette étrange interaction qui vient d’avoir lieu entre eux.
— Qu’est-ce que tu veux, Mercedes ?
— Te rendre ta femme, crache-t-elle avec venin. Bien sûr, pas un cheveu sur sa tête n’a été touché. Je suis ici pour te faire un rapport complet, comme tu me l’as demandé.
Le Juge sourit face à son irritation évidente et se lève en récupérant le dossier qui repose sur mon bureau pour prendre congé.
— Dans ce cas, je suppose que je ferais mieux de m’en aller.
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Une fois son rapport effectué, ma sœur quitte mon bureau après avoir reçu de ma part des instructions pour trouver quelque chose de productif à faire de son temps. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer qu’elle semblait énervée et irritée tout au long de son rapport sur ce qu’elle et mon épouse ont fait aujourd’hui, et je ne parviens pas à savoir si c’est à cause d’Ivy ou de la pique que lui a lancée le Juge.
Quoi qu’il en soit, je repousse ces pensées au fond de mon esprit et termine mon travail de la journée avant de partir à la recherche d’Antonia. Je la trouve en train de faire la poussière sur les étagères de la bibliothèque et manque de peu de la faire sursauter lorsqu’elle se rend compte de ma présence.
— Oh ! s’exclame-t-elle, une main sur le cœur. Je ne vous ai pas entendu arriver, Maî… je veux dire, Santiago. Monsieur.
Elle semble de mauvaise humeur aujourd’hui, et un peu fatiguée. Je me demande souvent combien de temps je vais pouvoir encore la garder au sein de mon personnel. Bien qu’elle ait eu de nombreuses occasions de partir, ce qui lui aurait été accordé si elle l’avait souhaité, cette femme semble déterminée à rester au manoir jusqu’à son dernier souffle. Je suis trop fier pour admettre que je lui suis reconnaissant pour son dévouement, parce que cette maison ne serait plus la même sans elle.
— Puis-je faire quelque chose pour vous ? me demande-t-elle.
J’hésite, ne sachant pas comment formuler ma proposition. Elle attend patiemment. Son regard aimable, sans aucun signe de dégoût apparent, reste fixé sur mon visage pendant que je cherche mes mots.
— Comment va Madame de la Rosa cet après-midi ? l’interrogé-je.
— Elle va bien, me répond-elle avec une certaine confusion. La dernière fois que je l’ai vue, elle lisait. Je lui ai suggéré de faire une sieste parce qu’elle me semblait un peu fatiguée. Mais à part cela…
— J’aimerais que vous l’informiez qu’elle doit dîner avec moi ce soir, la coupé-je.
Un léger sourire illumine son visage.
— Oh, oui, bien sûr. Voulez-vous quelque chose de spécial ? Je peux changer le menu, si vous le désirez.
— Ce que vous avez prévu fera parfaitement l’affaire. Merci, Antonia. Pourriez-vous dire à ma femme de me rejoindre dans la salle à manger à dix-neuf heures trente, s’il vous plaît ?
— Ce sera fait avec plaisir, acquiesce-t-elle en inclinant la tête.
Cette affaire réglée, je quitte le domaine. Je n’ai pas l’habitude de m’aventurer au-dehors avant l’obscurité totale, mais une autre situation mérite mon attention et aurait déjà dû être réglée il y a plusieurs jours.
Mon Aston Martin DB11 AMR de couleur argent magnétique traverse les rues bondées avec une facilité étonnante tandis que je roule vers le quartier de Lakewood. La circulation peut être un véritable cauchemar à cette heure de la journée, c’est la raison pour laquelle Marco a proposé de m’y conduire, mais me trouver moi-même derrière le volant m’aide à me calmer. Mon chauffeur se trouve donc sur le siège passager à côté de moi et demeure silencieux pendant toute la durée du trajet, jusqu’à ce que je m’arrête devant le manoir colonial sur Garden Lane.
— Je vous accompagne, Monsieur.
Refusant d’accepter un « non » comme réponse, il a déjà défait sa ceinture de sécurité. Marco est mon garde du corps personnel et prend très à cœur sa mission, comme si c’était la chose la plus importante de sa vie. Il m’a été assigné par l’organisation, car tous les Fils Souverain ont besoin d’une garde personnelle, mais sa loyauté et son dévouement sont inébranlables et sans égal. Il est à mes côtés depuis mon adolescence et a exprimé plus d’une fois son regret de ne pas avoir été avec moi la nuit de l’explosion. Je lui avais demandé d’attendre dehors, ce qu’il a fait. C’est lui qui s’est précipité dans le bâtiment et qui a traîné mon corps à moitié mort à l’extérieur alors que je tentais d’en sortir en rampant. S’il n’avait pas réagi aussi rapidement, je ne serais certainement pas ici aujourd’hui.
— Merci, Marco.
J’ouvre ma portière et sors de la voiture, puis marche rapidement jusqu’à la véranda qui se trouve à l’avant du bâtiment. Marco se tient derrière moi et scrute la rue à la recherche d’une éventuelle menace. Je sonne et attends. Un instant plus tard, la femme de ménage du docteur Chambers m’accueille avec un hoquet de surprise.
— Oh, bonjour.
Elle parvient à peine à prononcer ces mots et baisse précipitamment les yeux.
— Je vous en prie, entrez. Je vais appeler le docteur Chambers.
Nous la suivons à l’intérieur. Elle nous laisse patienter dans le salon et s’enfuit aussi vite qu’elle le peut. Quelques minutes s’écoulent, puis finalement, le médecin apparaît avec une expression méfiante sur le visage.
— Santiago, me salue-t-il d’un signe de tête. Je ne m’attendais pas à votre visite.
— Ce n’est pas étonnant puisque vous évitez mes appels, soulevé-je en penchant la tête pour l’examiner.
— Absolument pas, réfute-t-il comme si cette idée était ridicule. J’ai été très occupé. En fait, je viens juste de rentrer d’une conférence. Je n’ai pas encore eu le temps de lire mes messages, j’en ai bien peur.
— Vous en avez, là, lui fais-je remarquer.
Il se dandine d’un pied sur l’autre et jette un coup d’œil à Marco, avant de reposer son regard sur moi.
— Puis-je vous offrir un verre ?
— Non.
Il s’installe dans un siège en face de moi. Visiblement, ma présence le met mal à l’aise.
— En quoi puis-je vous aider ?
— Vous pouvez m’expliquer ce qui s’est passé pendant que ma femme se trouvait dans votre bureau ?
Une goutte de sueur perle sur son front.
— Vous parlez du test de pureté ?
— Oui, lui confirmé-je, à moins que vous ne l’ayez vue lors d’une autre occasion dont je n’ai pas été informé.
— J’ai supposé que c’était vous qui l’aviez demandé.
— Et vous trouvez raisonnable d’accéder à une telle demande sans m’en parler directement ?
— Il n’est pas rare qu’un jeune marié fasse une telle demande, se défend-il. Comme vous le savez sans aucun doute, c’est une pratique très répandue au sein de la Société. Les hommes qui doivent se marier veulent souvent des assurances. Ce test est également fréquemment demandé par les mariées elles-mêmes. C’est une façon subtile d’atténuer les doutes, s’il y en a.
— Peut-être d’autres hommes acceptent-ils cette explication, mais pas moi. Alors, permettez-moi de clarifier ma position, docteur Chambers. Vous n’auriez jamais dû toucher ma femme sans mon consentement explicite. Je ne pense pas que ce soit quelque chose qui nécessite beaucoup de réflexion. En fait, je crois que mes sentiments à ce sujet sont assez évidents. Je m’interroge donc sur les motivations qui vous ont conduit à un acte aussi déloyal.
— Cela n’a pas été fait avec de mauvaises intentions.
Il tire sur le col de sa chemise. La sueur fait désormais briller son cou.
— Je peux vous l’assurer. Si vous remettez en question l’éthique de ma pratique…
— Ce que je remets en question, c’est votre loyauté, le coupé-je. Vous êtes conscient que j’ai le pouvoir de faire révoquer votre licence médicale. Avec seulement quelques paroles de ma part, vous pourriez être banni ou pire encore… être vidé de votre sang. Alors, pourquoi prendriez-vous ce risque ?
— Je ne sais pas ce que vous imaginez qu’il s’est passé à l’examen, mais…
— C’est précisément ce que j’aimerais savoir. Comment ma femme s’est-elle retrouvée avec des bleus sur le corps ? Était-ce vous ou quelqu’un d’autre ?
Ses yeux se posent sur son téléphone, comme s’il voulait appeler quelqu’un pour l’aider à se sortir de cette situation. Pourtant, il sait très bien qu’il n’a pas la moindre échappatoire. Dans la hiérarchie de la Société, il n’est absolument personne. Il n’est pas un Fils Souverain et ne le sera jamais.
— Pardonnez-moi, Santiago, répond-il d’un ton bourru. Si votre femme s’est sentie blessée de quelque manière que ce soit, permettez-moi de vous présenter mes plus sincères excuses. Ce n’était pas mon intention. Je faisais simplement mon travail, rien de plus.
Quelque chose dans son regard nerveux me fait croire le contraire. Mais il a toujours été comme ça en ma présence, il m’est donc difficile d’en être certain. Si Ivy ne me donne pas elle-même les détails explicites de ce qu’il s’est passé ici même, je ne pourrai pas faire grand-chose à ce sujet pour le moment.
— Il n’y a rien de plus que je devrais savoir ? Rien de plus que vous souhaitez me dire ? le questionné-je.
Il essuie les paumes de ses mains sur son pantalon et secoue la tête avec véhémence.
— Non. Rien à quoi je puisse penser pour le moment.
— Très bien.
Je me relève et lui jette un regard noir.
— Quant à ma femme, vous n’existez plus pour elle, continué-je. Je ne veux plus que vous la regardiez, ni que vous lui parliez, ni même que vous prononciez son nom. Plus jamais. C’est compris ?
— Oui, bien sûr, acquiesce-t-il en hochant la tête. Tout ce que vous voudrez.
Alors que je me dirige vers la porte, une dernière pensée me vient à l’esprit.
— Je veux le compte-rendu de ses examens. Envoyez-le-moi. Maintenant.