Mes yeux tombent sur mon carnet à dessin. Il est ouvert sur un croquis de ma mère que j’ai fait le jour de son enterrement. Je n’avais pas pu y assister parce que j’étais encore à l’hôpital, mais Mercedes s’est assurée de l’enregistrer pour moi sous la forme d’une vidéo que j’ai visionnée plus d’une fois. Cette image obsédante de ma mère si brisée s’est gravée dans mon esprit. C’est un souvenir qui n’a jamais été destiné à être vu par qui que ce soit, et encore moins par une putain de Moreno.
Sentant la rage bouillonner en moi, je me dirige vers ma femme. Elle tremble déjà et se recroqueville en tentant de reculer. Mais elle n’a nulle part où aller. Ne s’en rend-elle pas encore compte ? Elle ne m’échappera jamais.
Mes doigts glacés se referment autour de sa mâchoire et l’obligent à lever la tête pour me regarder droit dans les yeux.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je… je…
Elle bégaie en secouant la tête pour essayer de se libérer de ma poigne. Ses yeux écarquillés par la terreur me fixent avec appréhension, mais c’est l’odeur de mon scotch que je sens dans son haleine qui attise ma colère.
— Tu fouines dans mes affaires. Tu bois mon scotch. Y a-t-il d’autres péchés que tu voudrais expier ce soir ?
— Santi, s’il te plaît.
— Ne m’appelle pas comme ça.
Mes doigts s’enfoncent dans sa peau et elle tremble encore plus en percevant la menace qui perce dans ma voix. Je ne sais pas si elle pense m’atteindre d’une quelconque manière en se comportant d’une manière si familière avec moi, en tentant de me faire oublier qui je suis et qui elle est. Pense-t-elle réellement avoir le droit de toucher à mes affaires ou de découvrir mes souvenirs les plus sombres ? Prend-elle plaisir à parfumer les couloirs du manoir de son odeur, afin de me rappeler constamment que mon ennemie vit sous mon propre toit ? Même maintenant, alors que je la tiens entre mes griffes, elle m’observe avec tant de fausse innocence que ça me met les nerfs en pelote. Elle agit comme si elle pouvait me faire oublier la raison de sa présence ici, comme si en battant simplement des cils et en parlant d’une voix douce, elle pouvait me faire oublier le sang de traître qui coule dans ses veines. Sauf que je n’oublierai jamais à qui j’ai affaire.
— Tu penses que je ne sais pas ce que tu essaies de faire ? grondé-je.
Elle cligne des paupières, confuse. Peut-être suis-je un peu ivre, moi aussi. Ma visite chez le Juge a duré plus longtemps que prévu et le scotch a coulé à flots durant toute la durée de cette dernière. C’est peut-être pour cela que je ne retiens pas mes paroles.
— Je sais ce que tu es, craché-je
Je fixe ses yeux étranges et décide de l’obliger à me voir comme le monstre que je suis.
— Une putain de tentatrice qui essaie de m’envoûter avec sa voix douce et ses prunelles innocentes. Mais je sais que tu es une putain de menteuse.
— Je ne suis pas une menteuse, proteste-t-elle d’une voix tremblante.
— Ferme les yeux.
Elle ne m’obéit pas. Ses bras se lèvent pour se poser sur les miens et elle me supplie en s’accrochant à moi.
— S’il te plaît, ne te mets pas en colère.
— Sache que la colère est très loin ce qui m’habite en cet instant.
Elle se débat lorsque je la fais pivoter entre mes bras. Je penche sa tête sur le côté pour lui mordre la gorge.
— Je suis ton pire cauchemar, chérie. Il est temps que tu t’en rendes compte.
Elle prend une profonde inspiration tandis que mes dents font rougir sa peau et y laissent des marques. Je me bats ensuite avec ses vêtements. Je lui arrache son pull et essaie de remonter sa chemise de nuit sur ses hanches, mais la soie continue de glisser vers le bas. Dans un accès de frustration, je la conduis à mon bureau et la penche par-dessus avant d’ouvrir le tiroir du haut pour récupérer des ciseaux.
— Non ! se débat-elle.
D’une main, je la force à rester immobile, la tête penchée vers le bas et la joue pressée contre la surface en bois, tandis que de l’autre, je découpe le tissu. Mes gestes sont désordonnés et frénétiques. Elle se tortille sous mon corps, mais bientôt, les restes de sa chemise de nuit et de sa culotte en lambeaux gisent sur le sol.
Nos respirations lourdes sont les seuls sons qui brisent le silence de la pièce alors que je sors une règle de mon tiroir et la glisse sur la peau de ses fesses nues. Elle se tord le cou pour essayer de voir ce que je fais, mais je repousse ses cheveux sur ses yeux.
— Tu as perdu le droit de voir, grogné-je.
La règle claque sur ses fesses. Le bruit résonne contre les murs du bureau. Toutefois, il est rapidement masqué par la force de son cri.
— Santiago !
— Ça, c’est pour avoir fouiné là où tu n’avais rien à faire.
J’abats une nouvelle fois la règle et un autre cri me transperce les tympans.
— Ça, c’est pour avoir bu alors que tu sais très bien que je compte te mettre enceinte.
Une claque supplémentaire retentit. Cette fois-ci, un gémissement étranglé s’échappe d’entre ses lèvres tandis que ses larmes dégoulinent sur mon bureau.
— Et ça, c’est pour être une putain de Moreno.
— Arrête !
Elle lutte contre moi pour se dégager et se contorsionne suffisamment pour enfoncer ses ongles dans mon bras. Je grogne en sentant ma chair être meurtrie. Et cette faiblesse momentanée de ma part lui donne le courage dont elle a besoin pour frapper mon tibia de son talon nu.
— Putain !
Le mot s’échappe d’entre mes lèvres. Je frappe la règle contre ses fesses une fois de plus.
— Tu vas te soumettre à moi.
— Jamais !
Je la gifle encore et encore, la force de mes coups se répercutant à travers ma paume. Ivy ne cesse pas un instant de me résister et essaie désespérément d’exercer sa propre volonté dans cette lutte. Cependant, elle n’est pas de taille contre moi et finalement, la règle finit par se casser sous le poids de ma colère.
Des larmes brûlantes coulent le long de son si joli visage lorsque je jette l’instrument désormais inutile par terre. Le souffle court, je la fixe. Je voulais la briser, mais il semblerait que ce ne soit pas encore le cas. Même maintenant, alors qu’elle pleure sur mon bureau et refuse de croiser mon regard, je peux voir que sa détermination persiste. Peu importe ce que je peux lui faire d’autre à présent, elle ne compte pas craquer. Comme si elle avait le choix.
Ce constat ne fait qu’attiser le feu de ma rage et un besoin de quelque chose que je ne parviens même pas à identifier naît en moi. Je ne sais pas ce que je veux d’elle exactement. Alors, du bout des doigts, j’effleure les lignes écarlates qui strient ses fesses. Elles me paraissent si belles sur sa chair. En réalité, j’oserais même dire que je n’ai jamais créé pareille œuvre d’art.
Elle ne s’incline plus sous mon poids, ne se cambre plus inconsciemment à mon contact. Elle ne me combat plus non plus. Elle paraît simplement… déconnectée. Son regard vide demeure fixé sur le mur. Elle ne s’est jamais montrée aussi impénitente. Je ressens brusquement le besoin douloureux de la toucher tendrement, pour la ramener à la vie. Mais je ne peux pas m’y résoudre.
— Implore mon pardon, exigé-je à la place.
Elle ne répond pas. Je serre l’une de ses fesses dans ma paume et répète mon ordre en employant un ton sans équivoque. Encore une fois, je n’obtiens pas la moindre réponse de sa part. Et je me rends compte que son silence m’irrite plus que toute autre chose, révélation qui ne fait qu’ajouter à ma frustration de n’avoir pas réussi à la faire plier face à moi.
Il semble que je me sois montré trop tendre avec ma femme et qu’elle soit dans l’illusion de pouvoir réellement choisir d’ignorer mes demandes. Elle a perdu de vue son objectif, qu’elle a accepté en devenant ma femme, ainsi que la raison pour laquelle elle est ici. Je compte bien les lui rappeler ce soir.
Quand je la hisse sur mon épaule et la transporte dans le couloir pour monter à sa chambre, elle ne proteste pas. Elle pense que je me suis calmé et que sa punition est terminée. Je peux l’entendre dans la façon dont son souffle s’apaise et le voir à sa manière d’observer avec nostalgie le sanctuaire que représente son lit. Lorsque je m’arrête sur le tapis et la remets sur ses pieds au lieu de la poser sur le matelas, ses muscles se contractent une fois de plus.
Je récupère les objets dont j’ai besoin et que je garde dans la petite commode. En me voyant revenir vers elle avec des cordes et m’agenouiller à ses côtés, elle reprend son activité préférée qui consiste à essayer de me défier. Mais elle n’est pas de taille et bientôt, son corps est entravé par des liens que j’ai placés à ses poignets et ses chevilles. Au moment où j’ai fini de la préparer, elle porte son masque, qui la prive de sa vue, ainsi que le collier et la chaîne de sa cérémonie de marquage. Je la laisse là à prier silencieusement pour que je l’épargne tandis que je pars récupérer ma cape et mon propre masque.
Dix minutes plus tard, nous sommes à l’arrière de la Rolls Royce avec Marco au volant. Il ne nous faut pas longtemps pour atteindre le complexe de notre organisation. Je retire les attaches des poignets et des pieds d’Ivy, la fais sortir de la voiture puis, après avoir drapé une couverture autour d’elle, la force à avancer. Ce soir, quelques hommes sont rassemblés dans la cour en train de boire, mais en remarquant où nous nous rendons, ils comprennent qu’ils ne doivent pas nous observer trop longtemps. Nos identités sont rendues anonymes par nos masques et lorsque nous entrons dans le couloir faiblement éclairé qui mène à l’endroit qui m’intéresse, nos apparences nous permettent de nous fondre dans la masse.
Un garde ouvre la lourde porte et s’efface sur le côté pour nous laisser entrer. Ivy hésite et ralentit alors que les nombreux bruits qui nous entourent commencent à submerger son ouïe. Des bruits de fouets et de chaînes, des grognements, des gémissements féminins ainsi qu’une musique douce et sombre remplissent l’espace.
— Santiago ?
Tout en prononçant mon prénom, elle presse son corps contre le mien et s’agrippe à moi comme si je pouvais encore représenter son salut alors que bien au contraire, je suis l’homme qui la conduit vers sa destruction, celui qu’elle devrait fuir.
Je ne parviens pas à sonder ses pensées, mais j’ai l’impression qu’elle essaie encore de me tromper avec son innocence feinte. Ignorant ses suppliques, je l’entraîne plus profondément dans la salle de jeu tandis qu’elle s’accroche à ma cape. Nous passons devant des scènes de dépravation sexuelle. Les grognements masculins d’un dominant partageant son soumis avec un autre membre font apparaître de la chair de poule sur la peau d’Ivy. Quand elle s’immobilise entièrement, ma frustration l’emporte.
Après avoir arraché et jeté sa couverture sur le sol, je la force à se mettre à quatre pattes en saisissant la chaîne attachée autour de son cou. La seule marque d’identification sur son corps nu n’est autre que mon tatouage, mais il est dissimulé par ses cheveux en cet instant. Je peux sentir le regard des autres membres sur elle. Cependant, à l’heure actuelle, mon besoin d’exercer ma domination l’emporte sur tout le reste.
— Avance, aboyé-je.
Elle s’exécute en tremblant et luttant pour soutenir le poids de son masque. Plus d’une fois, elle doit faire une pause pour baisser la tête. Néanmoins, elle n’abandonne jamais. Elle n’admet à aucun instant sa défaite. Et peut-être est-ce cette volonté obstinée qui m’attire tellement chez elle. Ma femme veut croire qu’elle est une battante, qu’elle est déterminée à supporter n’importe quelle punition qui me viendrait en tête. Toutefois, elle n’a pas vu le pire en moi. Pas encore.
Lorsque nous arrivons dans une alcôve déserte, elle s’effondre dans mes bras alors que je la hisse sur le banc en bois en pressant le haut de son corps contre le coussin central. Je l’attache rapidement pour la maintenir en place. Elle se retrouve ainsi à quatre pattes, les jambes et les bras écartés, ces derniers étant posés sur des lattes de bois devant elle. Dans cette position, Ivy est obligée de lever la tête et déjà, je la vois lutter pour la garder haute.
— Bonjour, Monsieur, murmure une voix féminine derrière moi. Je vois que vous avez déjà une camarade de jeu ce soir. Désirez-vous en obtenir une autre ?
J’ai les yeux résolument fixés sur Ivy qui tend le cou dans ma direction. Peut-être s’agit-il d’un tour de mon imagination, mais j’ai l’impression que ses muscles sont plus contractés qu’ils ne l’étaient il y a un instant. Elle s’est figée et semble dans l’attente de ma réponse.
Un sourire cruel étire mes lèvres. Je ne me suis même pas retourné pour examiner la courtisane employée par I.V.I. Elles sont ici pour notre plaisir, et celle qui m’a accosté ne fait que son travail. Mais je sais qu’Ivy n’en a pas conscience.
— Qu’as-tu à offrir ? demandé-je.
La femme tourne lentement autour de moi et s’agenouille face à moi en baissant la tête.
— Tout ce que vous voudrez pour votre bon plaisir, Dominus et Deuce.
J’observe brièvement son corps nu. L’organisation a des normes élevées quant aux femmes qu’elle emploie. Elles doivent être enivrantes, belles, et représenter le plus beau spectacle qu’un homme ait jamais vu. Je mentirais si j’affirmais n’avoir jamais visité cet endroit et pris du plaisir avec plusieurs de ces femmes. Cependant, voir cette femme agenouillée devant moi ne me procure pas le moindre plaisir en cet instant.
Je me rends compte que je n’ai d’yeux que pour ma femme puisque ceux-ci se relèvent d’eux-mêmes pour la regarder. Elle n’en sait rien, étant donné qu’elle est aveugle en ce moment même. Immobile, elle attend toujours ma réponse avec une certaine appréhension.
— Peut-être pourriez-vous donner une leçon à ma camarade de jeu, déclaré-je. Pouvez-vous lui montrer comment plaire à un homme ? Il semble que cet art ne lui soit pas évident.
Un sourire amusé prend vie sur le visage de la femme qui hoche la tête.
— Ce serait un honneur, opine-t-elle.
Ivy tire sur ses entraves dont les cordes mordent la peau de ses poignets.
— Non.
Il ne s’agit que d’un murmure, mais c’est tout ce dont j’ai besoin de sa part. Elle est jalouse. Elle ne veut pas partager le monstre que je suis. Cela fait maintenant deux occasions lors desquelles j’ai eu un aperçu de cette petite bête possessive qui semble vivre en elle. La première a été quand elle a découvert le surnom affectueux que me donne Mercedes. Et maintenant, l’idée que je puisse prendre du plaisir avec une autre qu’elle la dérange.
La femme devant moi se relève lentement et saisit le nœud de ma cape dans l’intention de le défaire. J’attrape sa main en secouant la tête avant de me pencher pour lui chuchoter mes instructions à l’oreille. Elle m’écoute attentivement, acquiesce et s’en va rapidement. Quelques minutes silencieuses s’écoulent, pendant lesquelles je me contente d’observer la forme tremblante d’Ivy. Elle murmure mon prénom une fois, et je dois étouffer le gémissement de plaisir que son désespoir provoque en moi. Il n’est pas logique qu’elle veuille me posséder comme je le fais avec elle. Elle devrait savoir à quel point ce désir est dangereux pour elle. Et encore une fois, je me retrouve à me questionner sur son attitude. Essaie-t-elle de jouer avec moi, même en cet instant ? Essaie-t-elle de prétendre qu’elle pourra un jour vouloir réellement de moi ?
— Ne fais pas ça, s’il te plaît, me supplie-t-elle. Tu as juré de m’être fidèle. C’est le seul vœu que tu as fait.
Elle baisse la tête. Son corps tremble. Elle n’a jamais été aussi belle qu’en cet instant et je ressens plus que jamais le besoin de la toucher. Mais d’abord, je dois voir jusqu’où elle ira avec cette mascarade.
Comme je le lui ai demandé, la femme revient accompagnée d’un autre membre de l’organisation. Lui aussi porte une cape et un masque. Il m’adresse un signe de tête et rejette sa cape sur ses épaules, avant d’ouvrir son pantalon tout en aidant la femme à se mettre à genoux devant lui. En quelques secondes, nous entendons les bruits de succion de la jeune femme en train de lui prodiguer une fellation. Des larmes silencieuses coulent sur le visage de ma femme caché par son masque et éclaboussent le sol en dessous. Je suis assez proche pour pouvoir l’étudier comme jamais je ne l’avais fait auparavant. Je peux voir ses muscles se tendre et sa poitrine se soulever tandis qu’elle se bat pour garder la tête haute. Même en étant plus qu’humiliée, elle continue de se battre et refuse de laisser son corps s’effondrer.
L’autre membre retire sa queue de la bouche de la femme et lui caresse le visage silencieusement. Sans échanger une seule parole, ils passent à l’étape suivante. Il l’aide à se relever et la conduit à la petite table près d’Ivy. Il soulève ensuite ses fesses, lui attrape les hanches, et la fait glisser vers lui jusqu’à ce qu’elle soit exactement là où il la veut. Puis un gémissement féminin rompt le silence quand il s’enfonce en elle. Ivy redouble d’efforts, lutte contre ses entraves et irrite ses poignets et ses chevilles en tentant désespérément de se libérer. Je continue de penser qu’à tout moment, l’illusion va éclater, qu’elle mettra fin à cette mascarade et cessera d’agir comme si elle se souciait réellement de qui je pouvais posséder. Pourtant, cela n’arrive pas. Cela n’arrive même jamais.
Le bruit de ses sanglots déchirants atteint mes oreilles tandis que je tourne autour d’elle. Je finis par poser mes mains sur son dos et elle se fige.
— Qui est là ? murmure-t-elle.
— Qui d’autre que moi ? lui chuchoté-je à l’oreille tout en me penchant sur son corps.
Elle soupire et incline sa tête avec confusion en écoutant les sons que produit l’autre homme en baisant la courtisane à moins d’un mètre cinquante d’elle. Je lui mordille l’oreille et grogne en faisant glisser mes paumes vers ses seins pour pincer ses mamelons entre mes doigts.
— Quel goût à cette jalousie ? susurré-je en taquinant son lobe avec mes dents. Je veux t’entendre le dire.
— Non, gémit-elle.
— Cela te mettrait-il en colère ?
Mes doigts se déplacent jusqu’au sommet de ses cuisses et courent sur sa peau douce. Mais Ivy continue de lutter pour contenir ses émotions.
— Je me fiche de ce que tu fais, rétorque-t-elle.
Sa tête penche vers l’avant et, lentement, elle la force à se relever en combattant le poids de son masque.
— Menteuse.
Elle prend une inspiration. Au même moment, l’homme et la femme qui se trouvent avec nous deviennent de plus en plus frénétiques. Ivy se tortille contre moi autant que son corps entravé le lui permet en cet instant et cambre le dos lorsque, sans prévenir, je gifle son clitoris. Elle siffle et je le frappe une nouvelle fois, puis la caresse avec une tendresse qu’elle ne mérite pas et la taquine jusqu’à la rendre folle.
— Personne d’autre ne te possédera jamais, lui soufflé-je.
Je fais glisser mes dents le long de sa colonne vertébrale et m’agenouille derrière elle pour admirer son sexe.
— Et qu’en est-il de toi ? À qui appartiens-tu ? m’interroge-t-elle.
— Cela ressemble à un aveu de jalousie.
Je plonge mon visage entre ses cuisses et mon premier coup de langue la fait sursauter. Un gémissement s’échappe de sa gorge quand je recommence. Je veux me régaler d’elle. Je veux la baiser toute la nuit jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus marcher sans se rappeler la façon dont je l’ai prise. Mais y céder serait une preuve de faiblesse. Cela prouverait qu’elle a une sorte d’emprise sur moi, ce qui ne doit jamais arriver.
Je la lèche à nouveau. Elle gémit et essaie de se frotter contre moi quand je m’éloigne.
— Tu ne le mérites pas. Seules les bonnes épouses ont le droit de jouir. Et tu ne m’as pas encore demandé pardon.
Elle gémit en signe de protestation. Je me relève et ouvre mon pantalon.
— S’il te plaît, enlève-moi simplement le masque. Il est tellement lourd. Je ne peux pas…
— Je le retirerai quand tu auras compris la leçon, interromps-je ses suppliques.
Je libère ma queue et frotte mon gland contre son clitoris sensible. Un frisson parcourt son corps alors même qu’elle ploie sous le lourd fardeau que constitue son masque. Je soupçonne sa jouissance d’être proche, quand bien même je lui ai dit qu’elle n’était pas autorisée à éprouver du plaisir.
D’un mouvement rapide, je la pénètre et un gémissement jaillit de ma gorge une fois que je suis enfoncé en elle jusqu’à la garde. Ivy laisse échapper un bruit étranglé avant de gémir à son tour. J’enfreins mes propres règles et me penche sur elle pour la taquiner tout en remuant mes hanches. Puis, alors que les coups de reins de l’autre homme commencent à devenir frénétiques, je me laisse aller en elle. La femme hurle son orgasme après une énième poussée de son partenaire et jouit violemment, ce qui ne fait que renforcer davantage mon propre désir.
— Es-tu prête à demander pardon ?
Je lui octroie un coup de reins plus puissant que les précédents, la faisant frissonner.
— Non ! Je te déteste.
— Tu me détestes ? répété-je en ricanant. Nous verrons bien si tu diras encore ça dans quelques instants.
Je commence à déplacer mes doigts contre sa féminité gonflée pour moi à un rythme effréné et bouge de plus en plus vite à l’intérieur de son corps. Du coin de l’œil, je peux voir nos deux camarades nous regarder avec intérêt. Ivy s’accroche à sa résolution de ne pas se laisser briser, mais c’est désormais son corps qui est aux commandes, et non plus son esprit.
Sa tête s’abaisse à mesure que ses muscles se contractent. Et puis, brusquement, elle atteint l’extase en un puissant orgasme qui me comprime la queue tellement fort qu’il me tire ma propre jouissance. Pendant des secondes interminables, mon sperme semble se déverser à l’intérieur d’elle alors que mes doigts s’enfoncent dans ses hanches. Sûrement gardera-t-elle leur trace pendant quelque temps. Mes yeux se ferment et il me faut une minute pour reprendre mon souffle.
Bon sang, que vient-il de se passer ? Je ne pense pas avoir jamais joui aussi violemment de toute ma vie.
Après avoir rouvert mes paupières, je suis interpellé par l’inclinaison de la tête d’Ivy. Ses cheveux tombent si bas que leurs pointes effleurent désormais le sol, et son cou forme un angle étrange. Lorsque je me retire d’elle et relâche ses hanches, son corps s’écroule mollement contre le seul coussin qui la soutient.
La panique brouille les bords de ma vision alors que je me précipite pour l’aider.
— Elle va bien ? me demande la courtisane.
— Détache ses chevilles, ordonné-je en attrapant la tête d’Ivy.
Elle est lourde entre mes mains, et je sais que c’est la faute du masque. Je l’enlève aussi rapidement que je le peux et dissimule son visage contre mon corps pendant que je m’affaire à la débarrasser des liens que j’ai mis à ses poignets. Dans le même temps, la femme parvient à libérer ses chevilles. Je lui demande ensuite, à elle et son camarade, de nous laisser seuls tout en soulevant le corps inerte de mon épouse.
— Ivy, appelé-je en la déposant délicatement sur un banc.
Ma voix me semble désespérée, à tel point que je ne la reconnais pas.
— Ivy, s’il te plaît, réponds-moi.
Après quelques secondes, elle commence à remuer et cligne des yeux en revenant lentement à elle. Je serre ses mains entre les miennes en me penchant sur son visage pour tenter d’examiner ses yeux.
— Ivy, dis-moi ce qui ne va pas.
Il lui faut plus de temps que je ne l’espérais pour parler. Elle se lèche les lèvres et me lance un regard confus.
— J’ai dû m’évanouir.
Elle ferme à nouveau les yeux et une larme s’en échappe pour rouler sur sa joue. Une seconde suit rapidement, et la rage qui coulait dans mes veines lorsque j’ai décidé de l’amener ici s’évapore instantanément. Je ne me suis jamais senti aussi mal qu’en étant témoin des dommages que je viens de causer à ma femme. Elle m’a l’air pâle, terriblement faible, et à peine capable de bouger ou de parler. Ses cheveux sont emmêlés, ses joues humides de larmes, et ses poignets et ses chevilles sont rougis à cause du frottement des cordes. Elle m’apparaît misérable, et cela me touche de façon inattendue, parce que c’est moi qui suis responsable de sa perte de conscience.
— Ivy…
— Ramène-moi à la maison.
Elle s’est détournée et refuse de me regarder. Me sentant encore plus mal à cause de son rejet, je dénoue ma cape pour l’enrouler autour de son corps afin de la maintenir dans un cocon sécurisé tout en la berçant contre mon torse. Elle ne proteste pas quand je la porte jusqu’à la cour et la ramène à la voiture qui nous attend, mais ne me regarde toujours pas.
À l’instant où je la dépose sur la banquette arrière, elle s’éloigne le plus possible, et se détourne une fois de plus de moi alors que des sanglots silencieux recommencent à secouer son corps. La voir dans un tel état me dérange plus que j’aurais pu l’imaginer. Je voulais obtenir ses larmes, mais pas la détruire entièrement. C’était ce que j’avais prévu, non ?
— Dis-moi ce qui s’est passé, l’imploré-je.
Elle se tourne à peine dans ma direction. Ses dents sont serrées et la colère vibre en elle.
— Ce qui s’est passé ? Tu es sérieux ? Tout est de ta faute, Santiago ! Tu as poussé mon corps au-delà de ce qu’il pouvait endurer avec tes punitions et ton foutu masque. Tu savais exactement ce que tu faisais. Ne me dis pas le contraire.
Me reviennent alors en mémoire ses problèmes vestibulaires. C’est certainement de cela qu’elle parle. Bien sûr, au fond de moi, j’ai toujours supposé qu’il y aurait des limites à ce qu’elle pourrait supporter. Mais je n’avais pas réalisé la gravité de sa maladie jusqu’à aujourd’hui où j’ai pu en voir les effets de mes propres yeux.
Je n’avais pas les idées claires. Or, ça aurait dû être le cas.
Le docteur Chambers m’a envoyé son dossier médical comme je le lui avais demandé. Pas seulement ses notes, mais son dossier complet contenant toutes ses précédentes visites chez des médecins de la Société. J’ai pu y lire qu’elle avait des problèmes d’équilibre et de coordination, notamment des vertiges, et que ses crises sont provoquées par le stress. Dans sa jeunesse, son père l’a emmenée chez un médecin, mais n’a rien fait d’autre pour l’aider après obtention de ce diagnostic. Des choses auraient pu être faites pour atténuer ses troubles. Des choses auraient dû être faites. À présent, je me demande pourquoi cela n’a pas été le cas. Pourquoi sa famille n’a-t-elle pas engagé le meilleur physiothérapeute du monde pour l’aider ? Pourquoi Eli semble-t-il ne pas se soucier suffisamment de sa fille pour faire cet effort au profit de sa santé ?
— Ivy.
J’essaie de prendre sa main, mais elle me repousse.
— Non. Je ne veux pas te manquer de respect, mais si tu me touches maintenant, je me débattrai, me prévient-elle. Je te grifferai jusqu’à que te faire saigner, ne serait-ce que pour me prouver que tu es humain.
Ses paroles me font plus de mal qu’elles ne le devraient. Ce n’est pas mon genre d’accepter de recevoir des ordres de qui que ce soit, et encore moins de mon ennemie. Pourtant, en cet instant, dans la pénombre de l’habitacle de la voiture, elle ressemble moins à mon ennemie qu’à ma prisonnière. Je reconnais bien l’expression grave qu’elle affiche, car j’ai vu mon propre reflet l’adopter à maintes reprises. Je pensais que c’était ce que je voulais, mais maintenant que j’ai été témoin de sa douleur, je comprends que je n’aurais pas pu me tromper davantage.
Ma main repose sur le siège entre nous, suffisamment près d’elle pour sentir la chaleur de son corps, mais assez loin également pour qu’un froid arctique envahisse mes doigts.
J’ai merdé dans les grandes largeurs.
Si seulement elle pouvait entendre les pensées qui agitent mon esprit. J’aimerais qu’elle perçoive les mots que je suis incapable de prononcer, car mon ego semble les empêcher de traverser la barrière de mes lèvres.
Je suis désolé de t’avoir fait du mal. Plus que je ne l’ai jamais été.