28

Santiago

Mes yeux tentent de faire une mise au point tandis que j’étudie les écrans d’ordinateur sur mon bureau. Un flux constant de nombres m’inonde. Des modèles émergent. L’argent fluctue. Ces données sont mon seul refuge, la seule chose que je connais sur le bout des doigts et dans laquelle je peux trouver du réconfort. Pourtant, ce réconfort semble m’échapper depuis vingt-quatre heures.

J’ai passé toute la journée enfermé dans cette pièce à essayer de ne pas penser à ma femme et à ce qu’elle pourrait être en train de faire. Antonia est entrée plusieurs fois pour m’offrir tout ce que mon cœur noir pourrait désirer, mais ses menus du jour ne correspondent pas à ce dont j’ai vraiment envie.

J’attrape ma bouteille de scotch et ouvre le bouchon machinalement. Cette énergie agitée qui s’accumule en moi m’est inconnue. Je ne la reconnais pas et je ne sais pas quoi en faire.

— Putain ! m’emporté-je en balayant d’une main tout ce qui se trouve sur mon bureau.

Mes affaires volent à travers la pièce. La bouteille de scotch se brise par terre et les papiers pleuvent tout autour comme mes pensées fragmentées. Je suis tenté de rappeler Antonia pour qu’elle me fasse un autre rapport sur l’état actuel de ma femme, mais crains que même elle ne soit épuisée par mes demandes incessantes d’informations qui, jusqu’à présent, se sont révélées inutiles et stériles.

Elle me dit ce qu’elle pense que je veux entendre. Ivy a mangé. Elle s’est douchée et habillée. Elle s’est reposée. Mais ce ne sont pas ces détails que je veux et dans mon exaspération, je ne sais pas comment exprimer ce dont j’ai besoin, parce que je ne peux même pas l’identifier moi-même.

— Tu te sens mieux ? me demande une voix familière.

Mercedes entre dans la pièce en faisant claquer ses talons rouges sur le sol et lorgne la preuve de ma crise de colère en fronçant les sourcils.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Ma voix claque dans l’air. Elle tressaille, mais, comme toujours, se ressaisit rapidement et redresse les épaules avant de croiser les bras sur sa poitrine pour me fixer.

— Qu’est-ce que tu as ? Tu as boudé dans ton bureau toute la journée. Ça ne te ressemble pas.

— J’ai du boulot. C’est un concept que tu pourrais comprendre si tu avais une autre motivation dans la vie que celle de dévorer les âmes des innocents.

Un rire sec jaillit de sa gorge et elle secoue la tête avec incrédulité.

— Es-tu sérieux, mon frère ? Penses-tu vraiment être en droit de me faire la morale ?

Je ne sais pas pourquoi je me comporte comme un véritable connard avec elle en cet instant. Mais je ne peux pas m’en empêcher, et je ne suis pas d’humeur à me disputer avec elle, ce qui semble pourtant être la raison de sa venue.

Elle s’assoit sur la chaise vacante en face de mon bureau et croise les jambes en penchant la tête sur le côté pour m’étudier. Mercedes a toujours eu la capacité d’observer les gens comme si elle était capable de lire dans leur âme. C’est une qualité déconcertante, et elle l’utilise pour attirer l’attention de nombreux hommes. Mais lorsqu’elle n’y parvient pas, sa fureur se déchaîne.

— Je déteste te le dire, Santi…

Ses lèvres s’étirent en un sourire mauvais et elle se penche en avant tout en baissant la voix.

— … mais toi et moi, nous sommes exactement pareils.

En temps normal, j’aurais été d’accord avec elle. Nous sommes pareils. Ou tout du moins, nous l’étions. Mais avec ce qui s’est passé au cours de ces derniers jours, j’ai l’impression que ma soif de vengeance a pris de courtes vacances, cédant la place à la confusion dans mon esprit. C’est la seule explication logique que j’ai trouvée après avoir passé toute la journée ici à réfléchir aux sentiments que j’éprouve envers mon épouse. J’ai tenté de comprendre les émotions humaines comme jamais auparavant.

Je me sens tellement déboussolé que je peine à rester assis plus de quelques secondes. J’ai envie de détruire quelque chose, mais pour une fois, ce n’est pas elle. Je veux la forcer à être à nouveau gentille et douce avec moi. Mais je sais que je me berce d’illusions. Je dois être en train de devenir fou.

— Elle t’embrouille l’esprit.

Les mots de Mercedes reflètent mes pensées.

— Non.

Ma réponse ne contient pas la moindre émotion, et je ne peux pas même prétendre que le semblant de conviction qui perce dans ma voix est réel. Ma sœur plisse les yeux comme un serpent cracheur de feu tout droit sorti des profondeurs de l’enfer. Si la jalousie avait un visage, ce serait sans aucun doute le sien en ce moment. Je sais que c’est ce qui la fait remettre en question ma détermination. Elle a toujours été le bébé de la famille, la princesse chérie, adorée par notre mère et protégée par ses frères coûte que coûte. Mais notre relation a tellement changé depuis l’explosion. Elle a perdu la moitié de sa famille en un instant, puis sa mère par la suite. Nous ne sommes tous les deux plus que des fantômes qui vivent dans cette maison, hantés par leurs souvenirs.

Depuis, elle me regarde m’éloigner lentement, même si elle essaie de toutes ses forces de me retenir près d’elle. C’est à cela que cette situation se résume. Elle craint de me perdre au profit d’Ivy, comme elle a perdu toutes les autres personnes qu’elle aimait.

— J’ai vu l’effet qu’elle a sur toi de mes propres yeux, siffle-t-elle. Je t’ai vu la porter dans tes bras à travers les couloirs du manoir comme si elle n’était qu’une petite poupée brisée. C’est pathétique, Santiago. Si tu n’as pas le courage d’aller jusqu’au bout de notre vengeance, dis-le-moi maintenant. Je ferai ce qui est nécessaire.

Je me lève d’un bond en envoyant ma chaise s’écraser contre le mur derrière moi, puis me penche sur le bureau pour cracher ma rage au visage de Mercedes. Comment ose-t-elle mettre en doute mon autorité ?

— Ne remets jamais en question mes capacités, grondé-je. Tu feras exactement ce que je te dis de faire, rien de plus. Et ne pense même pas à faire une autre connerie, sinon je te punirai si vite que ta putain de tête va tourner. Mes intentions sont-elles suffisamment claires pour toi désormais ?

Les lèvres tremblantes et les yeux remplis de larmes, elle repousse sa chaise. Ce n’est pas le genre de ma sœur de montrer ses émotions et pendant un court instant, je me demande si elle a raison.

— Tu penses que tu as tout sous contrôle, ricane-t-elle. Pourtant, tu n’es même pas au courant que ta douce et parfaite épouse est allée parler à son frère juste sous ton nez.

Cette information me prend au dépourvu. Mercedes secoue la tête en remarquant ma surprise.

— C’est une traîtresse, continue-t-elle. Tu ferais mieux de ne pas l’oublier, pas même une seconde, Santi. Elle te détruira si tu la laisses faire.

Sur ce, elle disparaît, me laissant seul avec mes pensées. Quelques secondes plus tard, je me retrouve à parcourir les enregistrements des caméras de surveillance et à consulter les bandes vidéo montrant l’entrée du manoir jusqu’à trouver la preuve indéniable de ce qu’elle affirme. Abel était bel et bien ici. Il a pénétré dans ma putain de maison sans que je le sache. Et Ivy va payer pour sa traîtrise.

Je suis au milieu du couloir menant à sa chambre lorsqu’Antonia apparaît avec un plateau dans les mains. Elle sursaute en me voyant, puis ses sourcils se froncent quand elle reconnaît l’expression orageuse qu’affiche mon visage.

— Santiago ? m’appelle-t-elle avant de s’arrêter devant moi. Elle dort, Monsieur.

— Je m’en fiche.

Je continue mon chemin, mais Antonia se place en travers de ma route en me dévisageant avec une expression que je ne lui ai jamais vue.

— Peut-être que ce soir, vous devriez la laisser se reposer.

Mon regard dérive vers la porte de la chambre de ma femme et mes poings se serrent.

— Non.

Ce n’est pas dans les habitudes d’Antonia de me défier de la sorte. Je ne sais pas quoi penser de son comportement étrange. Cependant, lorsqu’elle baisse les yeux, j’ai l’impression qu’elle éprouve des remords. Je ne comprends pas pourquoi.

— C’est de ma faute, Monsieur.

— De quoi parles-tu ?

— Son frère, explique-t-elle doucement. C’est de cela qu’il s’agit, n’est-ce pas ?

Sa réponse me surprend et m’embrouille.

— Comment ça, c’est de ta faute ?

— Je sais que tous les visiteurs sont censés être approuvés par vous, répond-elle, la voix étranglée par l’émotion. Mais je me suis dit que comme il fait partie de sa famille, cela n’était pas nécessaire. Je ne pensais pas à mal, et certainement pas que cela allait vous contrarier.

Je soupire en sentant ma colère refluer quelque peu.

— Ivy n’a pas demandé à ce qu’il vienne ici ?

— Non, Monsieur. Il est venu de son propre chef, m’assure-t-elle.

Je me passe une main dans les cheveux et jette un nouveau coup d’œil par-dessus son épaule. J’aurais dû savoir que l’intention de Mercedes était de me faire sortir de mes gonds. Mais le cas d’Abel devra attendre. Je m’en occuperai plus tard. Pour l’instant, je suis content d’apprendre que l’initiative n’était pas du fait d’Ivy. Du moins, pas cette fois.

— Il ne remettra plus jamais les pieds dans ce manoir sans ma permission explicite. Est-ce bien compris, Antonia ?

Elle acquiesce et baisse la tête.

— Oui, Monsieur. Je suis désolée.

— Savez-vous de quoi ils ont discuté lors de sa visite aujourd’hui ?

— Non. Je crains de ne pas avoir été présente, si ce n’est pour l’escorter jusqu’à lui.

C’est un fait dont j’ai déjà connaissance, étant donné que c’est exactement ce que j’ai vu sur les enregistrements des caméras. Mais j’avais quand même espéré qu’elle pourrait me donner quelques informations utiles, car je sais qu’Abel n’a pas rendu visite à sa sœur par bonté de cœur.

Antonia reste là, incertaine de savoir ce qu’elle doit faire à présent. Elle attend que je la congédie. J’essaie de trouver mes prochains mots, et lorsque j’y parviens, ma voix est plus raide qu’à l’accoutumée.

— A-t-elle demandé à me voir aujourd’hui ?

Ses sourcils se haussent de surprise avant qu’elle ne commence à se dandiner d’un pied sur l’autre, visiblement gênée.

— Non, Monsieur.

— Je vois.

J’envisage de faire demi-tour. C’est ce que je devrais faire. Mais j’en suis incapable.

— Vous pouvez y aller, Antonia. Passez une bonne soirée.

Elle hoche la tête et s’éloigne à pas rapides, me laissant avec une solitude étrange pour seul compagnon. Je la regarde disparaître, puis m’approche de la porte d’Ivy. Lorsque ma paume se pose sur la poignée, j’essaie encore de trouver une raison de ne pas entrer. Je n’ai pas le moindre doute quant au fait qu’elle est toujours en colère contre moi. Je vais devoir affronter son amertume ainsi que sa haine. Et pendant un instant, je ne suis pas certain de vouloir voir ces émotions se refléter dans ses yeux. Pas ce soir.

Le front posé contre la porte, je réfléchis à ce qui doit être fait. Je suis encore en train d’essayer de me rattacher à ma colère quand finalement, je me décide à abaisser la poignée et à entrer dans sa chambre. Surprise, Ivy pousse un petit cri en me voyant et se retourne aussitôt pour s’enfuir vers le sanctuaire que représente pour elle son lit. Mais le prédateur en moi la saisit par la taille avant même qu’elle ne fasse deux pas. Je l’attire à moi et la force à pivoter entre mes bras avant de glisser mes doigts sur la matière soyeuse de sa chemise de nuit. Tremblante, elle laisse tomber sa tête en avant et ses cheveux viennent masquer son visage à ma vue alors qu’elle tente de se cacher de moi.

— Ou pensais-tu aller comme ça, Madame De La Rosa ? murmuré-je contre ses cheveux.

— Nulle part.

Elle essaie de se libérer de mon étreinte, en vain.

— J’ai entendu un bruit dehors, se justifie-t-elle. Je n’avais pas réalisé que c’était toi. Si je l’avais su, j’aurais simplement barricadé la porte.

Je ferme les yeux et inspire le doux parfum de son shampooing.

— Est-ce une façon de saluer ton mari ?

— Tu n’es mon mari que de nom, rétorque-t-elle.

— Il y a tant de combativité en toi.

J’écarte les cheveux de son visage et attrape sa mâchoire entre mes doigts pour l’obliger à me regarder.

— Je suis heureux de voir que tu n’as pas encore été brisée.

Mes mots résonnent comme un trop grand aveu, et je peux distinctement voir la confusion briller dans ses yeux alors qu’elle me dévisage.

— Je pensais que c’était justement ce que tu voulais.

— Ce n’est qu’une partie de ce que je veux, rectifié-je en la faisant reculer jusqu’à ce que ses jambes touchent le lit derrière elle.

— Je suis fatiguée.

Ses paupières se ferment et elle frémit quand je me penche pour effleurer son cou de mes lèvres.

— S’il te plaît, je ne veux pas me battre, insiste-t-elle.

— Alors, ne le fais pas.

Je profite que ses yeux soient clos pour poser mes lèvres sur les siennes, ce qui la fait sursauter. Ses lèvres s’écartent et ses yeux se rouvrent alors que j’explore l’intérieur de sa bouche en enroulant mon bras autour de sa taille et en serrant le tissu de sa chemise de nuit dans mon poing.

Mon autre main se lève pour couvrir ses yeux et obscurcir sa vision. Je penche sa tête vers l’arrière et cède à la tentation de dévorer ses lèvres, ne serait-ce qu’un instant. Elle respire fort contre mon torse. Ses mamelons frottent contre le tissu de sa chemise de nuit, et son corps se cambre si joliment que je pourrais l’observer ainsi pendant une éternité sans jamais m’en lasser.

Alors que j’approfondis le baiser, ses mains se placent sur les miennes et ses ongles s’enfoncent dans ma peau. Elle veut me faire croire qu’elle n’aime pas ça, mais tout son corps me crie le contraire. Et lorsque je relâche ma prise sur sa taille pour glisser mes doigts entre ses cuisses, elle sursaute. Elle est déjà à bout de souffle et haletante. Je tire davantage sa tête vers l’arrière pour avoir un meilleur accès à sa gorge sur laquelle je fonds pour embrasser et mordiller sa peau fragile.

— Santiago, croasse-t-elle.

Je la taquine, quand bien même elle essaie de serrer ses cuisses autour de mes doigts. La prendre ce soir est hors de question, mais je souhaite la toucher simplement pour son propre plaisir, notion que je ne veux pas examiner trop attentivement pour l’instant. Ce n’est qu’une faiblesse momentanée. C’est donc ce que je me dis tout en hissant son corps sur le lit pour la mettre à quatre pattes, le visage contre les couvertures, puis en soulevant ses hanches pour m’agenouiller derrière elle.

— Santiago, répète-t-elle avant de se taire brusquement et d’inspirer profondément lorsque mon nez glisse le long de sa vulve.

Je maintiens ses hanches en place et la goûte véritablement pour la toute première fois. Mon premier coup de langue fait naître de la chair de poule sur sa peau, et au second, elle serre ses poings autour des couvertures.

Elle retient ses cris, essaie de les ravaler, mais je force ses jambes à s’écarter davantage et prends plaisir à voir son sexe humide et dégoulinant largement ouvert pour moi. D’une main, j’agrippe la chair de ses fesses et la tiens pour qu’elle reste immobile tandis que de l’autre, je remonte le long de son buste pour partir à la recherche de sa poitrine à travers la soie. Elle est déjà trempée pour moi. Ses faibles gémissements de plaisir, qu’elle contient à grand-peine, sont étouffés par le matelas tandis que je la dévore comme un homme affamé.

Soudain, il me vient à l’esprit que ce n’est pas juste. Ce n’est pas à moi de lui procurer du plaisir. Cependant, je ne peux pas me résoudre à m’arrêter maintenant que j’ai commencé. Je veux qu’elle hurle. Ses cuisses tremblantes se resserrent petit à petit autour de mon visage. Ses suppliques presque silencieuses la rapprochent de plus en plus d’un autre type de destruction qui constitue un danger pour nous deux.

Elle tente de lutter contre l’inévitable, alors même que son corps dépasse le point de rupture et que la première vague de plaisir commence à gronder sur ma langue. Finalement, lorsque son orgasme la submerge totalement, ses épaules s’affalent sur le lit et des spasmes se répercutent dans tout son corps. Je continue à la taquiner sans relâche jusqu’à ce qu’elle commence à secouer la tête.

— S’il te plaît, me supplie-t-elle.

Je souris contre elle et goûte une dernière fois son plaisir avant de tourner la tête vers l’intérieur de sa cuisse pour y presser un doux baiser. Elle frissonne puis s’effondre complètement sur le lit en me regardant par-dessus son épaule.

Son visage affiche un mélange d’émotions qui me sont inconnues. Je redescends la chemise de nuit sur ses hanches et caresse ses cuisses du bout des doigts. Ce faisant, je constate qu’elle ne me lâche pas des yeux et me fixe. Il semble qu’elle ne puisse pas s’en empêcher.

— Je te déteste toujours, marmonne-t-elle.

Je ferme les yeux en ressentant un intense tourment. Je n’en ai jamais connu de tel auparavant.

— C’est dans l’ordre naturel des choses.

Un silence s’installe entre nous, seulement brisé par le bruit de nos respirations. Ses paupières s’alourdissent. Je n’ai plus la moindre raison de rester. Cependant, je réalise que je ne suis pas encore prêt à m’en aller. Alors, je m’assois à ses côtés en continuant de caresser ses cuisses. J’étudie les courbes de son corps, tout en essayant de comprendre ce conflit émotionnel qui grandit en moi.

Je veux savoir si elle porte déjà mon enfant. Je veux la posséder corps et âme. Je la désire plus que je n’ai jamais désiré quelque chose ou quelqu’un, et cela me dérange.

Mes pensées se tournent vers le gala. Ce sera notre première apparition publique commune depuis notre mariage. J’ai chargé Mercedes de l’aider à se préparer. Dans mon esprit persistent encore quelques doutes quant à la capacité de ma sœur à se tenir à carreau et à ne pas faire de vagues lors de cette occasion, malgré ma mise en garde, d’ailleurs.

— Demain aura lieu le gala, annoncé-je. J’espère que je n’ai pas besoin de t’expliquer à quel point c’est important pour nous d’y aller.

Elle m’observe par-dessus son épaule.

— Je suis bien consciente que c’est un événement important.

Je plonge mon regard dans le sien et envisage de lui dire que pendant cette soirée spéciale, Mercedes pourrait avoir besoin d’elle en tant que distraction bienvenue, même si elle ne l’admettrait jamais. Ma sœur va se retrouver face à Van der Smit et sa nouvelle épouse, ce qui va indubitablement l’affecter et lui causer des ennuis. Mais je sais également que Mercedes ne me pardonnerait jamais d’avoir raconté un détail aussi intime de sa vie à Ivy. Elle n’aime pas paraître humaine aux yeux des gens.

Il me faudra m’occuper d’elle plus tard dans la soirée, mais seulement une fois que j’aurai terminé ma conversation avec Ivy. Alors que le silence s’éternise, je comprends que je dois prendre l’initiative d’aborder le sujet qui m’a poussé à me déplacer jusqu’ici. Toutefois, je soupçonne que si je me mets à parler de son frère, elle va se refermer complètement sur elle-même.

Juste au moment où je m’apprête à ouvrir la bouche pour me lancer, quelqu’un frappe à la porte de sa chambre. Il est tard. Or, mon personnel sait mieux que quiconque qu’il ne faut pas me déranger à moins d’avoir une très bonne raison impliquant quelque chose de vraiment important.

Ivy s’assoit en fixant la porte. Quant à moi, je me lève pour aller voir qui ose nous déranger à une heure pareille. Je l’ouvre et tombe nez à nez avec une Antonia en pyjama.

— Je suis désolée de vous déranger, Monsieur, déclare-t-elle avec un épuisement évident. Mais l’un de vos hommes vous attend dans votre bureau. Il dit que c’est urgent.

Je hoche la tête et la congédie avant de reporter mon attention sur ma femme. Notre conversation devra attendre une autre fois.

— Va te coucher, Ivy.

Elle soulève sa couverture pour se mettre dessous et croise mon regard pendant une seconde avant de se détourner.

— D’accord.