Je reste allongée dans mon lit presque toute la journée à fixer le rectangle de lumière qui se déplace sur le sol au fil des heures. J’ai jeté une partie de la nourriture qu’Antonia m’a apportée dans les toilettes afin qu’elle pense que j’ai tout mangé et qu’elle me laisse tranquille. Il contrôle cet aspect de ma vie également en demandant probablement des rapports quotidiens me concernant. Peut-être même toutes les heures, vu à quel point il est maniaque.
Je ne suis qu’un corps pour lui, un corps qu’il peut humilier, baiser, et qu’il compte utiliser pour avoir des enfants. Et ensuite ? Que m’arrivera-t-il lorsque je serai trop usée à son goût ?
Non. Il ne faut pas que j’y pense.
Je connais déjà la réponse. Il me l’a dite.
Je me retourne lorsque la porte de ma chambre s’ouvre sans qu’aucun coup ne retentisse au préalable. Mercedes entre dans ma chambre comme si elle était en terrain conquis.
— Quelle paresseuse, commente-t-elle en m’observant avec condescendance.
Je m’assois.
— Que voulez-vous, Mercedes ? Je ne suis pas d’humeur à me disputer avec vous.
Deux femmes la suivent, l’une portant un sac de vêtements, l’autre faisant rouler une petite valise.
Cela me revient alors brusquement. Le gala a lieu ce soir.
Merde.
— Je n’y irai pas, déclaré-je avant qu’elle ne puisse me répondre quoi que ce soit.
Je sors du lit pour me rendre aux toilettes. Bien que mes règles soient plus légères que d’habitude, la contraception qui m’a été injectée n’atténue en rien mes crampes.
— Ce n’est pas à vous de décider, rétorque-t-elle en glissant la pointe de ses talons aiguilles rouge sang dans l’embrasure pour m’empêcher de fermer la porte. Mon frère ne vous en a-t-il pas informée ? Vous devez faire ce qu’on vous dit, sans discuter.
Je rouvre la porte pour lui faire face. Elle est plus grande que moi ainsi hissée sur les échasses qui lui servent de chaussures. Je dois donc lever la tête pour la regarder.
— Vous et votre frère pouvez tous les deux aller vous faire foutre. J’ai des crampes. Foutez le camp, grogné-je.
— Des crampes ?
— Quoi ? Vous ne recevez pas le rapport concernant mes cycles ?
— De quoi parlez-vous ?
Je n’ai pas la force de me battre aujourd’hui. Je suis plus déprimée qu’énervée, et ce n’est pas contre elle que je suis en colère.
— Rien. Partez. Vous pourrez me torturer demain.
— Je ne pense pas, non. Nous n’avons qu’une heure pour vous préparer, alors dépêchez-vous de faire ce que vous avez à faire.
Elle s’éloigne avant de revenir un instant plus tard avec son sac à main pour en tirer un flacon d’aspirine qu’elle pose sur le meuble du lavabo.
— Tenez. Je vous donne même de l’aspirine. Non pas que vous méritiez d’être soulagée de votre douleur.
Ma colère est de retour, et maintenant, elle est dirigée précisément contre elle.
— Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez vous deux ? Je savais à peine que vous existiez avant d’être forcée d’épouser votre frère et de vivre dans cet enfer. Qu’est-ce que je vous ai fait pour que vous me détestiez autant ?
Son regard s’assombrit, sa mâchoire se contracte et je la vois serrer les poings le long de ses flancs. Je sais qu’elle veut dire quelque chose, mais elle se retient en serrant les dents.
— Vous avez de la chance que mon frère se dresse entre vous et moi, Ivy Moreno, parce qu’autrement, je ne me montrerais pas aussi gentille avec vous.
— Gentille ? Parce que vous pensez que lui, il est gentil avec moi ?
Elle renifle avec mépris, mais ne me répond pas.
— Si vous pensez réellement qu’il se montre gentil avec moi, alors laissez-moi vous dire que vous vous trompez sur toute la ligne !
— N’oubliez pas où est votre place.
— Ma place ? Sortez. Foutez le camp de ma chambre !
— Vous êtes dans ma maison. La mienne. Vous ne pouvez pas me demander de sortir.
— C’est la maison de Santiago, souligné-je. Autrement dit, la maison de mon mari !
Je ne sais même pas pourquoi je prends la peine de le préciser.
— Oh ! Votre mari. C’est exact.
Elle penche la tête sur le côté en souriant.
— Avez-vous la moindre idée de la raison pour laquelle il a fait de vous sa femme ? Savez-vous pourquoi un homme comme mon frère s’est intéressé à vous ?
— J’aimerais bien le savoir. Maintenant, sortez, Mercedes. Je suis sérieuse.
— Il vous déteste.
Ses mots parviennent à toucher une corde sensible en moi. Je ne comprends pas pourquoi cela m’affecte. Je me fiche d’elle ou de ce qu’elle peut bien penser. Cependant, avant que je ne puisse ouvrir la bouche pour lui demander une nouvelle fois de s’en aller, elle me coupe l’herbe sous le pied.
— S’il vous plaît, dites-moi que vous le saviez, continue-t-elle alors que son sourire s’élargit.
— Allez-vous-en. S’il vous plaît.
— Mince alors ! Vous ne le saviez pas ? feint-elle de se préoccuper.
Je sens mes sourcils se froncer. Je ne sais même pas pourquoi je réagis ainsi. Après tout, j’étais déjà au courant. Il me déteste. Il me l’a dit lui-même. Ce n’est donc pas une nouvelle pour moi.
— Il aime peut-être vous baiser, mais c’est un homme. Vous n’êtes qu’un jouet pour lui, comme tant d’autres avant vous.
Elle ricane, victorieuse de cette dernière pique visant à me blesser. Je me force à redresser les épaules et à me rapprocher d’elle.
— Qu’y a-t-il, Mercedes ? Vous sentez-vous menacée par quelqu’un d’aussi insignifiant que moi ? Parce que, à vous voir, on pourrait penser que vous êtes jalouse.
Son visage s’empourpre violemment. Les poings serrés, elle me dévisage avec une haine palpable. Et pendant un instant, je pense même qu’elle va me frapper, mais elle finit par tourner les talons.
— Faites venir Nathan ici ! aboie-t-elle.
Le cœur au bord des lèvres, je referme la porte. Quelques minutes plus tard, j’entends une voix d’homme s’exprimer. Je le reconnais, mais jusqu’à présent, je ne connaissais pas son prénom. Nathan est l’un des gardes du corps de Mercedes.
— Assure-toi qu’elle porte la robe que j’ai apportée. Assure-toi aussi qu’elle coopère et qu’elle les laisse faire leur travail exactement comme je l’ai demandé. Et n’oublie pas de m’appeler avant de l’autoriser à sortir d’ici. Fais en sorte qu’elle fasse tout ce qu’on lui dit, quel que soit le moyen employé pour l’y obliger. Suis-je suffisamment claire ?
— Mais votre frère a…
— Je m’occuperai moi-même de mon frère ! le coupe-t-elle sèchement. Fais ce que je te dis ou tu devras te trouver un autre boulot ! Est-ce bien clair ?
— Oui, Madame.
Je m’éloigne de la porte et ouvre le robinet du lavabo. C’est à ce moment-là que je me rends compte que mes mains tremblent. Je me savais déjà détestée dans cette maison. Je n’en ai jamais douté. Du moins, en ce qui concerne Mercedes. Mais avec lui, il y a eu certains moments où… non. Je ne peux pas faire cela. Je ne dois jamais repenser à ces moments étranges. Il est à la fois un monstre et le diable en personne. Et lui et sa sœur m’ont tous deux dans leur ligne de mire, sans même que je sache pourquoi.
Je ne suis pas assez forte pour les combattre. C’est la seule certitude que j’ai.
Je m’asperge le visage d’eau, puis le sèche. Ensuite, je m’empare du flacon d’aspirine et l’ouvre. Il est presque plein. J’en avale deux avant de le reposer et de me préparer à affronter les femmes rassemblées dans la pièce d’à côté. Je vais devoir me plier à leurs ordres et me tenir prête à faire tout ce qu’on me dira, parce que je sais que Nathan suivra à la lettre les ordres de Mercedes, même si cela signifie me blesser.