33

Santiago

Angelo sort un flacon de la poche de sa veste et le porte à ses lèvres avant de me le tendre. Quand je sens l’odeur du scotch, j’en bois aussi une gorgée, puis le lui rends.

— Je ne m’attendais pas à ce que ton séjour dure si longtemps. Es-tu resté ici tout ce temps ?

— Non, répond-il en secouant la tête. J’ai été dans le Nord pour recueillir des informations qui m’ont amené à revenir. J’aimerais que tu jettes un œil à quelques comptes pour moi. J’ai besoin de savoir qui les a ouverts. Il n’y a personne d’autre en qui j’ai confiance.

— Tu n’as même pas besoin de demander. Ma loyauté envers toi n’a pas changé, lui assuré-je. Donne-moi les détails, et je vais essayer de tracer tout ce que je peux.

Il hoche la tête avec raideur.

— Je te les livrerai personnellement avant que mon avion décolle, au lever du soleil.

— Je suppose que tu ne comptes pas rester pour les festivités de ce soir ? questionné-je.

Tout en secouant la tête, il scrute la pièce du regard.

— Non. Je suis simplement venu ici pour te voir.

— Très bien. Alors, je vais te laisser t’échapper. Je t’attendrai au petit matin, conclus-je.

Il baisse le menton, retourne se mêler à la foule des convives aussi vite qu’il est arrivé, et disparaît en quelques instants seulement. Je me détourne pour partir à la recherche de mon épouse et de ma sœur. Mais avant que je puisse le faire, Ivy me trouve.

Elle s’approche de moi avec un sourire félin avant de me pousser dans l’obscurité en plaquant fermement sa main contre mon torse.

— Qu’est-ce que tu fais ? m’étonné-je.

Pour toute réponse, elle fait glisser ses doigts le long de ma nuque, puis saisit une poignée de mes cheveux tout en se dressant sur la pointe de ses pieds pour poser ses lèvres contre les miennes. Son baiser inattendu me laisse temporairement paralysé par la stupeur, et elle profite de mon état de choc pour étaler son rouge à lèvres sur mes lèvres et insinuer sa langue entre elles. C’est agressif, violent et étrange.

Je l’embrasse en retour sans réfléchir davantage et songe à ce que j’aimerais lui faire ce soir. Cependant, quelque chose à propos de son changement d’humeur soudain me fait douter de ses motivations. Cela commence par une petite irritation et évolue rapidement vers une paranoïa totale. Lorsque je l’attrape par les cheveux et l’éloigne de mon visage pour l’examiner, la pièce semble tanguer. Je cligne lentement des yeux, essayant de comprendre ce que je vois, mais elle n’est désormais guère plus qu’une silhouette floue lorsque je m’éloigne d’elle.

Tout autour de moi tangue de plus en plus alors que je tente de retrouver mon équilibre, et sans comprendre ce qui m’arrive, je porte une main à ma poitrine dans laquelle mon cœur martèle douloureusement mes côtes. Je trébuche en arrière en essayant de reprendre mon souffle. La sueur perle sur mon front. Puis brusquement, une douleur lancinante me transperce le crâne et me fait tomber à genoux, à bout de souffle.

Je ne peux plus respirer.

Quelqu’un crie, puis je perçois de nombreux murmures en m’effondrant sur le dos tandis que mon corps convulse sur le marbre dur. Le dernier effort conscient que je suis capable de faire est de forcer mes lèvres à se séparer pour tenter désespérément d’aspirer de l’air.

Mais mes poumons ne semblent plus capables de se remplir d’oxygène.

Ma tête tombe sur le côté. Je sens la vie commencer à me quitter. Une dernière pensée fugace me vient alors. Ma femme est véritablement une Moreno, et elle vient de me donner le baiser de mort.