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À la fin de novembre 1999, elle est ignorée des critiques, l’expo de Claire Thiercy. Même la très efficace Stéphanie Morand ne peut rivaliser avec les fêtes du nouveau millénaire. Paris ne sait pas qu’une belle Vaudoise lui offre une vision sensible et originale du monde. Paris dîne devant la télé et ne sort que pour se montrer. Claire offre des yeux à Paris Aveugle.

Au vernissage, Stéphanie crée l’illusion du succès. Elle dispose de très précieuses listes de pique-assiettes qui carburent aux petits-fours et au champagne. Pas un journaliste ne s’est présenté. Claire, qui avait craint le contact avec les médias, perd pied. Elle n’ignore pas ce que Thomas vient d’investir dans l’entreprise. Son père a la folie des grandeurs. L’exposition restera en place jusqu’en février, quoi qu’il advienne.

Après tous ces mois de travail intense en chambre noire, Claire dispose de plus de temps libre qu’il ne lui en faut.

Stéphanie affirme que tout n’est pas joué. Il suffira d’une seule bonne critique pour attirer les autres. En janvier, après le bogue de l’an deux mille, la fièvre retombera. Il lui restera encore tout un mois pour allumer Paris Feu-de-paille.

— Il suffit que j’en amène un. Si j’arrive à amorcer la pompe, la Seine va s’engouffrer ici. Il n’y a jamais rien eu d’aussi fort dans cette galerie.

— J’en ai marre de Paris. Je ne savais pas qu’il pouvait pleuvoir autant quelque part. C’est la mousson ou bien?

— Repars dans tes montagnes. Tu es à quatre heures de TGV. Aie confiance dans le jugement de ton père. En louant la galerie pour trois mois, il ne s’est pas fait rouler par une Parisienne fourbe. Il a de l’expérience et connaît le monde.

Le jour de l’ouverture, Claire observe Thomas, Madeleine et Raoul qui se gaussent de tous ces snobs faussement extasiés devant son œuvre. La veille du vernissage, elle a eu la délicatesse d’amener sa famille voir le tout. Devant chaque montage, Raoul se tournait vers Claire et la regardait comme s’il découvrait une extraterrestre. À chaque nouvelle image, lui, que toutes les prétentions artistiques rasaient jusqu’aux parties les plus intimes, recevait crochet de droite sur uppercut et direct au plexus. Claire se révélait bien la fille de Madeleine.

Raoul aimait beaucoup Thomas. Il lui était reconnaissant de tant d’intelligence et de sensibilité. Certes, il admirait son travail à Terre des Hommes. Mais, surtout, il l’avait côtoyé pendant toutes ces années sans découvrir la moindre mesquinerie chez le mari de Madeleine. Il sentait que, pour vivre aussi généreusement, il fallait avoir beaucoup de peine. Il s’était approché de lui en s’arrachant au dernier sujet.

— C’est un génie, cette fille! Ou bien je suis un crétin?

— Console-toi. Si tu es un crétin, nous sommes deux.

Madeleine savait depuis longtemps que Claire serait une femme exceptionnelle. Mais depuis son départ, elle avait toujours eu peur pour elle. En se libérant de sa cage dorée, Madeleine craignait de sacrifier sa fille. L’exposition n’avait rien pour la rassurer. Sa fille, tout comme elle, accouchait l’univers. Aurait-elle le courage de ne pas s’enfuir à la vue de l’eau maculée et du sang... qui précédaient chaque naissance? La solitude de sa fille l’ébranlait. Ses photos manifestaient tellement de force que Madeleine craignait la cassure. Claire avait besoin d’aimer quelqu’un, de voir le monde à travers des yeux amoureux. Dans toute l’œuvre de sa fille, elle n’avait pas découvert un seul brin d’humour. Son désespoir manquait encore de politesse. Il y avait bien deux Claire. Celle qui savait choquer par un peu trop de grivoiseries autour de la table et cette alchimiste qui rhabillait le monde pour mieux le dénuder. Elle était contente que les examens de fin de session aient confiné Ouriel à Saint-Maurice. L’adolescent avait besoin qu’on le prépare à cette exposition.

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— Dommage qu’Ouriel ne soit pas avec nous.

Madeleine regarde Claire.

— Qu’est-ce que tu fais dans ma tête?

Elles rient. Elles vont au Café français, place de la Bastille. Devant elles, Stéphanie marche entre Raoul et Thomas. La reine n’est pas du tout démontée. On ne séduit pas Paris en un soir. On le conquiert en une seconde. Il s’agit de la sentir passer. Pour cela, la patience de Stéphanie ne fait que croître avec l’attente. Elle carbure au défi. Si elle tient une artiste, une vraie, elle ne la lâche jamais.

Quand ils se quittent, en fin de soirée, elle a changé ce non-événement en première étape nécessaire, obligatoire, incontournable et prometteuse.

— N’oubliez pas l’essentiel: maintenant, quelque part dans Paris, Claire est constamment présente. Un jour, quelqu’un va franchir la porte de la galerie. Il verra, le dira et les autres fonceront à sa suite.

Elle monte dans un taxi en répétant : «Patience, patience, patience.»

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La semaine suivante, Claire roule dans le Valais. Elle a dormi dans le Lavaux et revu ce grand livre que Thomas laisse toujours sur le buffet du salon: Regarde, regarde comme tout est beau. C’était l’écrivain vaudois Charles Ferdinand Ramuz qui parlait à son petit-fils de trois ans, en l’appelant Monsieur Paul. Claire a vu ce bouquin des centaines de fois. Elle a levé la tête en direction du lac et des montagnes au bout de la terrasse presque aussi souvent. Oui, c’était beau. Un jour, son père était rentré d’un concert amateur. La chorale Chantecler, formée d’employés des chemins de fer fédéraux, reprenait tous les chants du pays. Il avait offert leur cassette à sa fille.

Claire adore rouler en écoutant Les trois cloches de Gilles et Le ranz des vaches, ce si beau chant des armaillis de la Gruyère. Ces cow-boys fribourgeois la remuent jusqu’aux larmes.

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En revenant de Saint-Maurice, elle a moins le cœur à la musique.

Cette fois, Ouriel lui échappe. Son petit frère, son petit bébé chéri, son petit ange adoré vient de lui révéler son grand secret : il entre à l’abbaye de La Ferté, chez des moines cloîtrés. Il n’a pas choisi Cîteaux par humilité. La célébrité du monastère ne lui convient pas. La discrète abbaye de La Ferté l’attire davantage. Sa famille pourra lui rendre visite trois jours par année. Mais, même là, ils ne partageront plus jamais un repas. Elle connaît Ouriel, sait que toute discussion sera inutile. Cet être d’exception s’avère conséquent. Il aura un destin exceptionnel. Il ne passera pas même les fêtes de fin d’année en famille. Il profitera de ses vacances pour vivre, à La Ferté, ce qu’il appelle «une expérience monastique».

Claire ne veut pas se retrouver seule avec Thomas, Madeleine et Raoul. Ils ne seront là que pour elle. En son absence, sa mère et son amoureux fileront à Barcelone et Thomas veillera sur Edmond Kaiser qui lutte contre la maladie. Paris et sa fin de millénaire sont exclus.

Claire Thiercy est seule au monde.

— J’irai donc sur cette île d’Aix, comme une grande fille.

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Trois jours avant Noël, elle laisse sa voiture dans le grand stationnement de Fouras. Il pleut des cordes et le vent fait des nœuds.

Le bac s’arrime au quai en se tordant… et l’hôte de la Suissesse dépose la valise de son invitée sur un chariot à roulettes.

Ils passent sous les grands arbres de la place d’Austerlitz pour s’engager rue Gourgaud. Un peu avant la rue Marengo, l’ancien vigneron bordelais s’arrête.

— Je vais vous présenter Sylvie.

Claire franchit un porche étroit. Au bout du passage, la porte s’est ouverte sur une immense pièce à plafond bas. Dans l’énorme cheminée, une grosse bûche pète le feu. Des odeurs chaudes chantent des airs bourguignons. Le coq au vin vient de séduire une nouvelle poule.

— Bienvenue! Vous dînez avec nous. Jean-Paul vous emmène à Bois Joly, vous vous installez et, à vingt heures, on vous attend.

Sylvie ne laisse pas le choix. Surtout, elle ne donne pas le goût de refuser.

Deux femmes intègres viennent de se reconnaître.

— Euh! Merci. Je peux apporter quelque chose?

— Un peu de soleil, si possible; le temps est vraiment pourri.

Deux chiens de chasse font connaissance avec Claire pendant qu’elle résiste mal à l’envie de se laisser choir en soupirant d’aise devant le foyer.

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Cinq heures plus tard, son rêve est réalisé.

Assise devant le feu, elle décortique des crevettes apportées par un couple de voisins, venus faire connaissance avec la pensionnaire. Pour Sylvie et Jean-Paul, il n’y a pas de clients. Ce sont des invités qui participent aux frais de la fête, en laissant juste assez de fric pour assurer un profit honnête.

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Le lendemain matin, Sylvie se présente chez Claire avec un vélo et une carte de l’île.

— Voilà. Vous avez maintenant tout ce qu’il faut pour vivre ici. Le mini marché ferme à treize heures. Si vous avez besoin de faire des courses, c’est le matin. Je vous ai réservé un pain.

La Vaudoise franchit la rue des Remparts et opère une véritable razzia dans le petit commerce. Elle aimerait recevoir à son tour quelques-uns de ces Aixois si accueillants.

Puis, Claire fonce à vélo vers Coudepont. Le regard noyé de bleu, elle a longé Les Ormeaux. Pleine de vagues, elle entre dans le bois. Elle se le promet: ce sera son rendez-vous quotidien. Elle dépasse les Sables jaunes, fait une courte halte à Baby Plage et repart sur sa bécane jusqu’à la prochaine station. Stéphanie Morand sait reconnaître les belles choses. La pointe de Saint-Eulard se révèle, en effet, un lieu magique. Assise sur le grand banc, Claire ouvre le dos au soleil et s’abandonne à la vue du large. Après ce séjour parisien prolongé, la fille des montagnes succombe au charme de la mer.

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Quarante-huit heures plus tard, quand, par curiosité, elle entre dans la belle église Saint-Martin pour la messe de Noël sans prêtre, elle connaît tout le monde, ou presque. Un inconnu discute avec le maire. Ce doit être un de ses fils, revenu pour les fêtes de fin d’année.

Olivier est rentré du continent la veille. On lui a déjà parlé de cette Suissesse venue passer Noël parmi eux. Seule. Le Québécois est intrigué. Pourtant, elle ne pourra jamais percevoir le moindre signe d’intérêt de sa part.

Beaucoup d’Aixois réunis dans l’église ne sont là que pour la nostalgie. Pour eux, le père Noël américain et le petit Jésus né dans une étable participent du même folklore. Mais ce n’est pas vrai pour le père Bertrand. Le vieux marin a conservé une foi d’enfant. Cette nuit encore, c’est lui qui remplace le prêtre. Pendant que le maire monte à l’autel, Claire se retire tout au fond. Elle pense à son Ouriel réfugié à La Ferté jusqu’à l’Épiphanie, et pleure doucement. Elle terminera la nuit seule. Ses hôtes sont sur le continent. Jean-Paul et Sylvie passent quelques jours en Gironde avec leur fils.

Quand elle sort de l’église, un marin attend la belle blonde. Après un salut militaire tout à fait bouffon, il articule péniblement.

— Christophe Régnier du Pierre Loti, en service commandé. Vous êtes invitée à réveillonner au quartier général de la marine française stationnée rue Gourgaud.

Il pouffe de rire.

— C’est le Jean-Paul qui ne voulait pas vous savoir seule. Soyez sympa: acceptez! Sinon, il va nous en parler jusqu’à la fin du monde.

Claire voit bien que le marin ne pourra jamais décrocher la croix de tempérance, mais il ne lui fait pas peur avec sa bonne tête d’épagneul alcoolique.

— À vos ordres, mon amiral. Le capitaine Claire Thiercy de la marine suisse accepte votre invitation.

— Ah ben merde! Vous êtes chouette!

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Claire se retrouve dans la petite salle à manger où sont attablés les trois marins de service. Ils n’ont pas mis les pieds à l’église, mais se font raconter, en détail, la messe de minuit.

Noël entonne un tonitruant «Minuit, Chrétiens» sous les rires de ses compagnons.

Ils ont bourlingué pas mal avant de revenir sagement jouer dans l’eau entre l’île d’Oléron et l’île de Ré.

En fatiguant la salade et en coupant le fromage, ils ravivent des impressions d’Afrique et s’amusent comme des gosses.

— Miss Côte d’Ivoire accorde une interview.

Alban imite affectueusement l’accent de là-bas.

— Alors, Miss Côte d’Ivoire, quel est votre passe-temps préféré?

— Mon passe-temps préféré, c’est l’amour.

— Ah! Miss Côte d’Ivoire, pourquoi l’amour?

— Parce que l’amour… c’est bon!

Les mecs rigolent.

Claire la ramène avec une série de ces histoires épicées dont elle semble avoir une réserve inépuisable.

Elle passe un des meilleurs réveillons de sa vie.

En zigzaguant sur son vélo dans le léger brouillard de fin de nuit, Claire chantonne.

— Je viens d’accoster sur l’Île enchantée.

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Deux jours plus tard, des vents de deux cents kilomètres à l’heure s’abattent sur son petit paradis. Les toitures charentaises pleurent leurs tuiles et les grands arbres hurlent en s’arrachant des rochers. Après une nuit passée sous un amoncellement de couettes, Claire se réveille dans une île d’Aix coupée du monde. Seul un modeste groupe électrogène alimente l’armoire frigorifique d’Aix Service. Claire sort du studio, munie du nouvel appareil photo numérique que Stéphanie lui a offert. Elle remonte vers le bourg. Des arbres couchés par la main du géant bloquent la route. Même le vélo n’est plus possible. Il faut serpenter. Elle continue dans la rue Gourgaud, au milieu des tuiles éclatées. Quand elle arrive place d’Austerlitz, c’est le choc: pas un arbre n’a résisté. C’est un paysage de guerre, l’image d’un grand parc après un bombardement. Ses réflexes de photographe vont jouer le reste. Elle a en main une série de clichés surréalistes quand son téléphone portable la sort de l’envoûtement. Stéphanie s’inquiète. La veille, le Bois de Boulogne a été dévasté. Elle sait ce qui s’est passé cette nuit en Charente-Maritime.

— Tu devrais voir, Stéphanie. Ici, c’est Waterloo à Austerlitz. Toute la place est ravagée.

— Tu as des photos?

— Une pleine disquette.

— Fais-moi parvenir ça, que je ne meure pas de curiosité.

— C’est impossible. Nous n’avons plus d’électricité.

— Mais tu as une pile dans ton portable, béotienne!

— Bien sûr!

— J’attends le mail!

Claire rentre au studio, ouvre son ordinateur portable, choisit quelques images et bénit la technologie.

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Le lendemain, de grandes lettres rouges mordent une photo en première page de Libération: «Waterloo à Austerlitz».

Stéphanie ne rate jamais le train. Elle a récupéré le désastre et mis au monde sa Vaudoise.

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Mais l’ampleur de la catastrophe commande la pudeur. Claire laisse tomber les beaux cadrages.

Les deux yeux ouverts, elle se rend à la mairie pour offrir son aide. Comme il n’y a pas de blessés, elle est soulagée de ne pas devoir parler médecine.

— Vous seriez choquée si je vous demandais de nous aider à la cuisine?

— Mais non, pourquoi?

Le père Bertrand plisse les yeux, comme en mer.

— Bon! Comment dirais-je? Vous êtes une jeune femme moderne et ce que je vous demande est tellement stéréotypé! Hum! Hum!

— Non, ça me va très bien, la cuisine.

Claire retrouve Sylvie, Jean-Paul… et rencontre Françoise.

Ils l’accueillent avec réserve et bienveillance. Elle aime tout de suite Françoise. Le couple de Bordelais lui plaît déjà. Jean-Paul a la fin de la cinquantaine souriante. Chez Sylvie, un beau mélange de joie de vivre et de discrétion inspire confiance.

On a choisi de dîner en commun, par plaisir. C’est une idée du Québécois.

Depuis son arrivée sur l’île, Claire est intriguée par ce Québécois solitaire. Elle vit juste à côté du pavillon qu’il habite, face à la mer, dans le jardin de Françoise. Ils se saluent, comme c’est la coutume sur l’île, mais le hasard ne les a pas encore assis à la même table.

Dans la grande salle de l’école, on aligne les tables en fin d’après-midi et à vingt heures, tout le monde oublie le désastre jusqu’au lendemain matin.

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À la mi-janvier, le tout-Paris connaît Claire Thiercy. Elle ne bouge pas de l’île d’Aix. Stéphanie approuve: le mystère ajoute au charme. Elle n’aura même pas à remonter pour le décrochage; tout est vendu.

En saison estivale, elle serait devenue la coqueluche de l’île et aurait dû partir. Mais les vrais Aixois lui font à peine savoir qu’ils sont au courant de ses succès. Il y a déjà ici tellement de personnages; elle n’en est qu’un de plus. Dès les premières heures, elle a participé au nettoyage de l’île; ils l’ont adoptée.

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Au début de février, elle revient de Rochefort avec son trésor. Claire a acheté les vingt tomes des Rougon-Macquart. Elle plonge avec bonheur dans l’histoire de cette famille du Second Empire. Ce n’est pas le pessimisme qui traverse l’œuvre. C’est l’indignation d’un homme qui s’entête à communiquer son amour de la vie pour ne pas mourir de peine. Elle aime Émile Zola comme un grand frère. Pendant près d’un quart de siècle, il a suivi ses personnages de Plassans à Paris, il leur a fait prendre toutes les directions, les a gavés et ruinés. Ils ont été victimes de toutes les illusions et portés par toutes les ambitions. De la trentaine fébrile à la pénétrante cinquantaine, Zola offre son cœur malade. Cent vingt ans plus tard, Claire Thiercy le reçoit, émue.

Le succès de son exposition lui a fait plaisir, mais elle ne poursuivra pas. En regardant la première page de Libé, elle s’est sentie indécente. Elle ne va pas devenir l’un de ces journalistes qui cherchent l’angle parfait pour filmer le malheur… même avec les meilleures intentions. Elle a tout pour réussir et n’a rien envie d’entreprendre. Elle souhaiterait arriver à vivre sans projet. Ça semble difficile. La plupart des gens peuvent se rabattre sur la survie. Elle ne va pas jouer à la fausse pauvre pour étourdir son angoisse.

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Stéphanie a fait vider le beau studio parisien de Claire. Deux grosses valises lui apportent ses petites culottes et tout un dossier de presse trop positif. Elle connaît le processus. Ils l’ont mise sur un piédestal; ils l’attendent pour la déboulonner. Mais Claire sait qu’elle a tout donné d’un seul coup. Elle ne pourra que se répéter en créant l’illusion de se renouveler. Il ne sera plus question que de durer. Elle ne veut pas durer pour durer. Elle a envie de se surprendre. En ce début de millénaire, elle va vivre une lente période de gestation, ici, dans cette île en hibernation.