INTRODUCTION
J'ai choisi la justice, pour rester fidèle à la terre. Je continue à croire que ce monde n'a pas de sens supérieur. Mais je sais que quelque chose en lui a du sens, et c'est l'homme, parce qu'il est le seul être à exiger d'en avoir.
Albert Camus, L'Homme révolté
La justice est chère au cœur des hommes. Son absence afflige et révolte ; sa conquête paraît sans prix ; on la range parmi les idéaux suprêmes. Les révolutions historiques y aspirent, les religions la révèrent comme qualité divine, et la philosophie tout entière depuis Socrate l'inscrit au cœur de ses plus pressantes interrogations.
Toutefois, la nature de la justice ne se laisse pas aisément saisir. Nous nommons ainsi « justes » des réalités sans connexion évidente : les hommes et leurs actions, mais aussi les lois et les tribunaux, ou encore l'état des sociétés. Tantôt objet du sentiment, tantôt concept théorique, la justice semble se dérober aux approches unifiées. Ses versants se rejoignent-ils ? Existe-t-il un fil, réel ou notionnel, liant la vertu de l'homme bon, la justice politique et la justice sociale ?
Bien qu'elle soit estimée par tous, la justice ne semble pas posséder de contenu net. Dans leurs désaccords et leurs conflits, les individus font appel, chacun de leur côté, à des notions du juste qui ne se recouvrent pas toujours : ce fait même révèle qu'ils ne l'entendent pas tous d'une semblable façon. Les enfants pour leurs disputes peuvent certes s'en remettre aux jugements des parents ; les particuliers peuvent se référer aux règles communes du droit et aux avis des juges. Mais sommes-nous jamais assurés que ces instances supérieures, autorités en matière de justice, sont elles-mêmes légitimes ? Comment savoir si les normes et les lois sont bien fondées, si les règles ont vraiment la valeur qu'elles prétendent avoir ?
Car parfois la justice n'est qu'un titre d'honneur, une série de symboles dissimulant les intérêts privés et les luttes de pouvoir. Les tyrans nomment « justice » ce qui les favorise ; nombre de procès abritent de terribles abus ; et les lois ne sont parfois rien que les chaînes d'une puissante servitude. Comment se prémunir contre de telles dérives ? Que faire pour s'assurer que la justice soit réelle, et non un simple mot ? Nul doute qu'il faudra la comprendre et identifier ses principes, si nous souhaitons la faire progresser.