RAOUL DUFY
1877-1953

 

 

 

Le plus fauve de tous les fauves, Vlaminck était plein d’admiration envers Dufy : « L’œuvre de Dufy est plus évidente et plus originale que celle de Henri Matisse. Dufy ne tente pas comme Matisse de résoudre des problèmes plastiques. Tout simplement, il pense à sa peinture. Tel que le chiromancien qui se sert des lignes de la main pour découvrir le caractère de la cliente, Raoul Dufy se sert des traits de son dessin pour traduire sa vision des choses, décrire le geste et le mouvement de ce qu’il voit vivre et bouger [...] Tout lui est permis ; il jouit d’une entière liberté et il en profite. Le sujet ne l’embarrasse pas. » [51]

L’art de Dufy est très proche de celui de Vlaminck par sa liberté d’expression. Dans le monde qui l’entourait, Dufy voyait d’abord la couleur, et tout comme Vlaminck, il était passionné de fleurs, d’arbres, d’oiseaux et de papillons. Ne ressemblant à nul autre peintre, il adhéra au futur groupe des fauves dès 1900 car à vingt-trois ans, il avait déjà développé les traits qui deviendront communs à tous les membres du groupe : il reniait toute théorie et toute attache, savait rester fidèle à l’amitié jusqu’au dernier soupir et conserva durant toute sa vie les attachements profonds de sa jeunesse. Dufy se passionna pour Cézanne, tout en s’essayant timidement dans le Cubisme sous l’influence de Pablo Picasso. Par la suite, il s’en détourna d’une manière décisive.

L’une des plus grandes performances des fauves fut vraisemblablement leur grande capacité à résister aux tentations que leur offrait la vie, ce qui leur permit d’exploiter au maximum la force créatrice que la nature leur avait donnée. Bernard Dorival notait à propos de Dufy : « Primitif et ingénu à force d’intelligence, de culture et d’esprit, Dufy ressemble à un enfant, à un enfant qui décrirait le monde à sa manière, et avec tant de charme que les grandes personnes lui passaient toutes les infidélités de sa narration. Et c’est là que réside le secret de sa poésie. » [52]

Le peintre était autant attiré par les tapisseries que par la recherche de la manière d’appliquer les couleurs à l’huile qui leur permettait de conserver le même éclat durant de nombreux siècles (comme, par exemple, celle des frères Van Eyck). Il est également fort vraisemblable que c’est précisément le travail dans les genres les plus variés des arts appliqués qui forma le sens exceptionnel de la surface picturale de Dufy, que ce soit la surface d’une feuille de livre, celle d’une tapisserie ou celle de l’énorme peinture murale (La Fée électricité) pour l’Exposition internationale de 1937 (Musée d’art moderne de la ville de Paris).

Mais Dufy possédait une autre particularité qui le distinguait des autres fauves : les arts appliqués. Son amitié avec le couturier Paul Poiret engendra toute une série de tissus qui charmèrent les Parisiennes et qui trouvèrent une large diffusion dans l’industrie des vêtements, des rideaux, des paravents, des tapisseries pour fauteuils et divans et même dans la peinture murale. Fleurs, papillons, épis de blé, oiseaux et coquilles se percevaient sur la soie d’une manière tout aussi naturelle que sur la panse d’un vase ou sur la feuille d’une gravure. La fantaisie inépuisable de Dufy créa tout un ensemble de jardins de salon, décorés sur céramique, de tapisseries et de décors de théâtre où l’on peut reconnaître les mêmes motifs que dans sa peinture. Et personne n’oserait affirmer d’une manière précise qui des deux – la peinture de Dufy ou les arts appliqués – aurait subi l’influence de l’autre dans une plus grande mesure.

Raoul Dufy naquit au Havre le 3 juin 1877. La famille comptait neuf enfants, dont deux devinrent musiciens et deux – Raoul et Jean – peintres. Raoul commença à dessiner dès l’âge de cinq ans tout en conservant un amour particulier pour la musique. À partir de 1892, Dufy suivit des cours du soir à l’École municipale des beaux-arts auprès de Charles Lhuillier où il se lié d’amitié avec Othon Friesz. En 1900, après son service militaire et nanti d’une bourse annuelle de mille deux cents francs, Dufy se dirigea vers Paris pour entrer à l’École des beaux-arts dans l’atelier de Léon Bonnat où son ami Othon Friesz travaillait déjà. Là, il fit la connaissance des peintres regroupés autour de Matisse. En 1901, Dufy fut reçu au Salon des artistes français, où il exposa une Fin de journée au Havre. En 1902, il vendit son premier pastel à Berthe Weill ; à partir de 1903, il exposa aux Indépendants, puis chez Berthe Weill. En 1905, ayant participé au Salon des indépendants et au Salon d’automne, il reçut, tout comme ses amis, le titre de « fauve ». En 1906, Berthe Weill organisa la première exposition particulière de ses œuvres.

Entre temps, Dufy s’était fixé à Montmartre, en face du fameux Bateau-Lavoir dans un atelier que Friesz lui avait cédé. Mais rapidement, la chance se détourna du peintre : ses tableaux ne furent plus demandés et la pauvreté le poursuivit avec insistance. C’est Paul Poiret qui le sauva définitivement de la misère en 1911 en lui proposant de se lancer dans la peinture sur étoffe. Par la suite, Dufy continua ce genre d’activité chez Bianchini-Férier. Durant la Première Guerre mondiale, le peintre travailla un certain temps au Musée de la Guerre à Paris, pour lequel il acquit des tableaux auprès de différents peintres.

Dans les années 1920-1930, Dufy voyagea beaucoup, notamment en Italie, au Maroc et aux États-Unis. En 1921, il exposa pour la première fois ses étoffes au Salon des artistes décorateurs. À partir de cette année, Bernheim-Jeune organisa presque chaque année des expositions particulières de ses œuvres. Entre-temps, Dufy travailla beaucoup pour le théâtre, exécuta des céramiques et des illustrations de livres, décora les intérieurs de l’appartement du docteur Viard, créa des cartons pour tapisseries pour la manufacture de Beauvais, projeta le décor pour les bains du paquebot Normandie et, enfin, créa l’énorme peinture murale pour le pavillon de l’Électricité à l’Exposition internationale de 1937. De nombreuses expositions furent organisées en Europe et en Amérique (avant et après la Seconde Guerre mondiale). Dufy échappa à l’occupation allemande en se réfugiant dans le Midi. À cette époque, il souffrait déjà d’arthrite. En 1951, Dufy créa une variante du Bal du Moulin de la Galette de Renoir ce qui était presque symbolique : tout comme lui et ne se laissant pas vaincre par la maladie, Dufy fut toujours un peintre heureux qui, jusqu’à la fin de sa vie, indépendamment des événements, chanta la joie de vivre. Dufy mourut le 23 mars 1953 à Forcalquier.