KEES VAN DONGEN
1877-1968

 

 

 

« La bombe des fauves a été fabriquée par les littérateurs, et elle n’est devenue une bombe qu’après cinquante ans de souvenirs. C’était alors tout au plus un pétard »[63], avait dit Van Dongen. L’ironie était l’un des moyens picturaux essentiels du peintre et lui servait également de défense. Louis Chaumeil, le plus savant des biographes de Van Dongen, partagea toute sa création en deux périodes : la « période fauve » et la « période mondaine ». Notons toutefois que cette dernière n’a en somme aucun trait stylistique spécifique car l’art de Van Dongen appartient corps et âme au Fauvisme.

Cornells Van Dongen naquit le 26 janvier 1877 à Delfshaven, près de Rotterdam, dans la famille d’un brasseur hollandais. Il s’initia à la peinture à l’Académie royale des beaux-arts de Rotterdam qu’il fréquenta durant quatre ans. En 1897, ayant en poche l’argent que son père lui avait offert, il se dirigea à Paris pour assister aux réjouissances du 14 juillet. « Paris m’attirait comme un phare »[64], avouera-t-il plus tard. Par la suite, ayant regagné la Hollande, il ne revint à Paris qu’en 1899 en compagnie de sa jeune femme Augusta Preitinger. Il racontait : « Bien entendu, j’étais dans la mouise, je vadrouillais, je faisais toutes sortes de petits métiers. Je m’installais dans un square et je dessinais le portrait des gens qui le voulaient bien [...] Avec d’autres artistes de Montmartre, Picasso par exemple, souvent nous essayions de vendre dans les environs du cirque Médrano. Nous étalions nos tableaux par terre. On les vendait cent sous »[65]. À Montmartre, il se trouva mêlé à un groupe de jeunes gens qui étaient tout aussi anarchistes, jeunes et audacieux que lui : les futurs fauves. L’année 1905 s’avéra un tournant décisif dans la vie de Van Dongen et le fameux Salon d’automne ne présenta que deux de ses œuvres, les autres étant déjà exposées chez Druet. C’est précisément chez ce dernier que Vauxcelles fut enthousiasmé par l’art du peintre : « Ce paysagiste se grise de soleil et de reflets, – il peint à midi en plein août, d’où ses orgies torrentielles de lumière, de chaleur, de couleur. » [66]À partir de 1906, Van Dongen exposa en Hollande qui reconnut ainsi le travail de son compatriote vivant en France. Les affaires du peintre marchèrent si bien par la suite que Van Dongen, attiré par des destinations exotiques (notamment, l’Espagne et le Maroc), se permit beaucoup de voyages. Son style pictural subit des modifications : des lignes allongées et raffinées apparurent, en même temps qu’un goût bien prononcé pour le grotesque. Les personnages qu’il peignit appartiennent à l’élite de la société : diplomates, vedettes de cinéma, rois. En 1921, Van Dongen divorça pour faire entrer dans sa vie la créatrice Jasmy Jacob, ce qui ne fit qu’encore plus outrager le public. Ses amis fauves furent les seuls à lui rester fidèles. Le secret du phénomène de Van Dongen ne repose surtout pas sur les changements qui s’opéraient dans la vie du peintre mais au contraire sur sa constance. Ses succès mondains n’avaient rien à voir avec sa manière impitoyable, quelquefois même grotesque, de représenter ses modèles. Dans son essence, il resta toujours le même, depuis le début de son œuvre et jusqu’à sa fin.