XXIII

Ils me demandent mon nom, mais j’attends d’eux qu’ils me le révèlent. Je te jure que je ne sais pas encore qui je suis. Je ne peux leur dire que ce que je ressens. Je crois en regardant mes bras comme des troncs de vieux manguiers et mes jambes comme des troncs de baobabs que je suis un grand destructeur de vie. Je te jure que j’ai l’impression que rien ne peut me résister, que je suis immortel, que je pourrais pulvériser des rochers rien qu’en les serrant dans mes bras. Je te jure que ce que je ressens ne peut pas être dit simplement : les mots pour le dire sont insuffisants. Alors j’appelle à la rescousse des mots qui pourraient sembler étrangers à ce que je veux dire pour qu’au moins, par hasard, malgré ce qu’ils signifient d’ordinaire, ils puissent traduire ce que je ressens. Pour l’instant je ne suis que ce que mon corps ressent. Mon corps essaie de parler par ma bouche. Je ne sais pas qui je suis, mais je crois savoir ce que mon corps peut dire de moi. L’épaisseur de mon corps, sa force surabondante ne peuvent signifier dans l’esprit des autres que le combat, la lutte, la guerre, la violence et la mort. Mon corps m’accuse à mon corps défendant. Mais pourquoi l’épaisseur de mon corps et sa force surabondante ne pourraient pas signifier aussi la paix, la tranquillité et la sérénité ?

Une petite voix venue de très, très loin me dit que mon corps est un corps de lutteur. Je te jure que je crois que j’ai connu un lutteur dans le monde d’avant. Je ne me rappelle pas son nom. Ce corps épais dans lequel je me retrouve sans savoir qui je suis est peut-être le sien. Peut-être l’a-t-il déserté pour m’y laisser la place, par amitié, par compassion. C’est ce que me chuchote une petite voix lointaine dans ma tête.