Qui sait, me suis-je dit, ce que je vais leur conter va peut-être changer les haïsseurs de juifs, arracher les canines de leur âme ? Oui, si je leur explique le mal qu'ils ont fait à un petit enfant, par eux soudain fracassé de malheur, s'ils lisent ce livre jusqu'à la fin, ils comprendront, me suis-je dit, et ils auront honte de leur méchanceté, et ils nous aimeront. De plaisir, je viens de me faire un clin d'œil dans la glace en face de moi. Soudain, j'ai pitié de moi, tout seul dans ma chambre, pitié de ce réformateur des haïsseurs, pitié de ce chimérique qui, de victorieux plaisir, vient de se frotter les mains tout seul dans sa chambre, pitié de mon absurdité, pitié de mon clin d'œil ravi et de ce lamentable frottement des mains.
Mais quoi, si ce livre pouvait changer un seul haïsseur, mon frère en la mort, je n'aurais pas écrit en vain, n'est-ce pas, Maman, mon effrayée ? De quelque étrange part, cette part qui est en moi, ma mère m'approuve, je le sais, ma mère morte au temps de l'occupation allemande, ma mère qui a eu peur des haïsseurs de juifs, ma mère qui était naïve et bonne, et qu'ils ont fait souffrir. Elle était bonne et elle croyait en Dieu. Je me rappelle qu'un jour, pour me dire la grandeur de l'Éternel, elle m'expliqua qu'il aimait même les mouches, et chaque mouche en particulier, et elle ajouta J'ai essayé de faire comme Lui pour les mouches, mais je n'ai pas pu, il y en a trop.