Que cette épouvantable aventure des humains qui arrivent, rient, bougent, puis soudain ne bougent plus, que cette catastrophe qui les attend ne les rende pas tendres et pitoyables les uns pour les autres, cela est incroyable. Mais non, pensez-vous, voyez-les se haïr les uns les autres, et dans toutes les villes et tous les villages chaque homme a un ennemi qui veut lui nuire, et chaque homme est un Abel, et un Caïn aussi. Voyez-les en leurs guerres se tuer les uns les autres depuis des siècles, se tuer abondamment malgré leur loi d'amour du prochain, loi qui est d'ailleurs de ma race, inscrite en premier dans le Lévitique au chapitre dix-neuf, verset dix-huit, voyez-les, ces singes rusés, voyez-les depuis des siècles avec successivement leurs flèches, leurs haches, leurs francisques, leurs lances, leurs piques, leurs hallebardes, leurs arbalètes, leurs javelots, leurs framées, leurs masses d'armes, leurs marteaux d'armes, leurs nobles épées, les petits salauds, leurs arquebuses, leurs mousquets, leurs fusils, leurs baïonnettes troueuses de ventres, leurs canons, leurs mitrailleuses, chéries de leur odieuse progéniture inutilement gavée de vitamines, leurs torpilles, leurs bombes à billes, leurs bombes au napalm, leurs gaz innervants, leurs chères bombes thermonucléaires, leurs vénérées bombes super-sales au cobalt, leurs sous-marins nucléaires lanceurs d'engins à tête multiple, leurs fusées intercontinentales à charges mégatonniques, leurs missiles sol-sol et sol-air et mer-sol et bientôt lune-terre et, délice et fierté, leurs missiles anti-missiles à tête chercheuse. Telle est leur voie, telle leur folie.
De cette immense folie des singes savants, de cette incroyable folie je n'en reviens pas et n'en finis pas de n'en pas revenir. Et tout en clamant depuis des siècles leur amour du prochain, tout en s'en délicieusement gargarisant, ces singes vêtus continuent à adorer la force sous tous ses masques, l'horrible force qui est capacité de nuire et dont l'ultime racine et sanction est l'antique et auguste pouvoir de tuer, et ces carnassiers adorent la guerre qui leur est exaltante et sacrée, et ils en parlent avec pompe et respect, et ils se rengorgent de leurs batailles et de leurs victoires militaires dont ils suçotent les chères dates, et ils admirent et adorent leurs héros et grands meurtriers, leurs conquérants, leurs dictateurs, leurs maréchaux et amiraux, compétents tueurs entourés de révérence, et tout en jouant à aimer leur prochain, ils continuent à haïr, et déjà sur les murs d'Aix-en-Provence, en l'an de grâce mil neuf cent soixante-dix, ont été inscrites ces nobles paroles Que crève la charogne juive et revienne l'heureux temps du génocide ! O amour du prochain.