XII

Et je suis parti, éternelle minorité, le dos soudain courbé et avec une habitude de sourire sur la lèvre, je suis parti, à jamais banni de la famille humaine, sangsue du pauvre monde et mauvais comme la gale, je suis parti sous les rires de la majorité satisfaite, braves gens qui s'aimaient de détester ensemble, niaisement communiant en un ennemi commun, l'étranger, je suis parti, gardant mon sourire, affreux sourire tremblé, sourire de la honte.

 

Mais, au tournant de la rue, j'ai déposé le sourire et, allumons les dix bougies roses, un regard méfiant m'est venu, un regard oblique, un regard de bête malade, et j'ai rasé les murs en ma dixième année, en ce dixième anniversaire de ma naissance, rasé furtivement les murs, chien battu, chien renvoyé. Le juif, c'est sournois, disent les antisémites.

 

Beau et les yeux beaux, et les belles boucles au vent, et plein de dents neuves, j'ai erré dans les rues de Marseille, ne sachant pas pourquoi ils étaient méchants, ne comprenant pas le mal que j'avais fait, que je leur avais fait. Je me suis arrêté devant un mur, mon premier mur des pleurs, pour comprendre. Et mon dos, soudain vieilli devant le mur, mur des pleurs, mon dos devenu juif a commencé à aller d'arrière en avant et d'avant en arrière, a commencé à prendre le balancement rituel de mes pères, le rythme de complainte et de longue tristesse, la séculaire cadence de rumination du malheur, a commencé à se voûter et à devenir un dos méditatif, dos neurasthénique où pousse la bosse des juifs, couronne de leur malheur, bosse des étranges qui pensent trop et remâchent trop, remâchent tout seuls. Cette sale race, c'est précoce, disent les antisémites. Bref, allumons rétroactivement dix bougies roses.