Oh, je le sais, je le sais, Papa et Maman sont gentils, ils sont mes chéris, et moi aussi je suis gentil ! protestai-je soudain en ce cabinet de gare, debout et frappant du pied pour convaincre des foules, pour me convaincre. Je suis très gentil, je suis très gentil, sanglotai-je, le front contre le mur et le corps ridiculement secoué, ce n'est pas juste, c'est vous qui êtes méchants, c'est vous qui êtes des juifs ! eus-je la folie d'ajouter. Je vous déteste, je veux que vous m'aimiez puisque je vous aime, sanglotai-je sans nul souci de logique et me mouchant à tire-larigot. Puis, sur le mur du cabinet payant, j'écrivis, tout reniflant, avec mon bout de crayon j'écrivis d'enfantines bêtises telles que Soyez bons, et même Aimez-vous les uns les autres, ce qui était peu convaincant et n'arrangeait rien. Ensuite, je pris dans ma poche un bonbon qui me restait, et je le portai à ma bouche pour avoir moins de peine.
Puis, las et vieux et mon foie déjà me faisant mal, je m'étendis, Albert de dix ans, je m'étendis tout du long par terre, sur le ciment sale, et je restai longtemps, les yeux maintenant secs, en compagnie de mes dix années de vie, la bouche hébétée, en compagnie de mes petites années juives. De temps à autre, ainsi gisant, je prononçais un mot puissant, Salomonus ou Glix, dans le sceptique espoir messianique, un espoir neurasthénique et désabusé, que ce mot aurait une action et supprimerait mon malheur, ferait que le malheur ne serait pas arrivé, ferait que le camelot ne m'aurait pas chassé et que je serais maintenant content à la maison, avec mon trésor de Maman. Parfois, dans le même but, je faisais des gestes magiques avec la main happant le malheur, l'attrapant comme une mouche et l'écrasant. Mais je restais juif et misérable, étendu sur le ciment froid de mon petit camp de concentration. Un youpin, quoi. Un youpin par terre. Aucune importance. Ça ne souffre pas, les youpins.
Et la révélation me vint soudain que plus tard, oui, plus tard, lorsque je serais grand, je me vengerais plus tard d'une manière illustre et délicate. Je jurai que, lorsque je serais grand, je leur dirais, du haut d'une montagne, je leur dirais ce qu'ils m'avaient fait quand j'étais un enfant sans défense. Oui, je leur raconterais tout, et ils pleureraient de remords, et je leur pardonnerais avec une immense bonté souriante quoique majestueuse, et nous nous embrasserions, gentils à jamais. Pauvre petit imbécile.
C'est pour tenir ma promesse à l'enfant de dix ans que morosement j'écris ces pages sans espoir. Car je sais que les hommes ne pleureront pas après m'avoir lu et qu'ils ne m'aimeront pas plus qu'avant. Au contraire, ils trouveront mon histoire assez antipathique, et certains feront de l'ironie. Je les connais, je connais l'espèce, et je sais que le vieux souhait m'attend toujours sur les terribles murs, le vieux souhait de mort.