XLVII

La tête basse, j'allais d'un pas traînant, remuant de nouveaux projets et vaguement gesticulant. Aller revoir le camelot et lui parler de Maman ? Lui en parler si bien qu'il me demanderait pardon, les larmes aux yeux, et nous nous serrerions la main, ou même nous nous embrasserions peut-être. Ou plutôt changer de nom ? Oui, changer de nom. Les chrétiens avaient bon cœur, le tout était de ne pas leur dire ce qu'on était. Oui, voilà, changer de nom. Non, impossible, il y avait ma tête. Et tout à coup je compris pourquoi, l'autre jour, la dame de la Plaine n'avait pas voulu me laisser jouer avec son petit garçon. Elle avait regardé ma tête. Ma tête, ma dénonciatrice, mon ennemie. Peut-être qu'un jour j'aurais un accident qui me ferait une tête un peu laide, et on ne me reconnaîtrait plus, et je serais heureux. Ou bien me convertir à leur religion, pour être accepté, pour être aimé ? Si je devenais chrétien, on ne ferait plus attention à ma tête, ou peut-être que ça me la changerait un peu, à force de prier. Brusquement je poussai la porte d'une belle maison et, après m'être assuré que j'étais seul dans l'entrée et à l'abri de tous regards, je fis peureusement le signe de la croix, avec un sentiment de terrible péché trois fois le signe effrayant, signe des autres, mais il ne se passa rien, et je sortis mécréant comme devant. Ou bien apprendre le violon et devenir un violoniste célèbre ? Je jouerais si bien que les gens me pardonneraient d'être juif, ils m'applaudiraient, ils m'aimeraient. Tant pis, il joue si bien, les gens diraient. Non, je ne saurais pas jouer bien du violon, c'était trop difficile, et comment savoir juste sur quel endroit des cordes appuyer les doigts de la main gauche, les doigts qui bougeaient si vite tout le temps ? Non, faire plutôt semblant d'être fou. Ainsi, ils me laisseraient en paix dans mon asile d'aliénés, ils me détesteraient moins puisque je serais enfermé, peut-être même qu'ils m'aimeraient un peu.