DÉCOR.– La tour Saint-Jacques où Kyriano retient prisonnière Clémentine. Décor à voir sur place car je ne sais pas du tout comment est l’intérieur de la tour Saint-Jacques.
Elle est en train de faire les cent pas d’une fenêtre à l’autre, fiévreuse. Les deux tueurs sont enfoncés dans de confortables fauteuils et la surveillent, vigilants.
Mais ça ne se passera pas comme ça, vous savez. On viendra me chercher. On me délivrera. Et vous, vous serez guillotinés, tous les deux ; sur une guillotine à deux places. On la construira pour vous. J’en fais mon affaire. C’est moi qui endors le Garde des Sceaux.
Dites pas des trucs comme ça… c’est désagréable !
Laisse tomber… Qu’est-ce que ça peut nous faire.
On vous guillotinera ! Vous serez en prison, un beau matin…
Vous appelez ça un beau matin, vous, en prison ?
Vous serez en prison depuis sept ans et des hommes tout noirs viendront, ils vous diront, monsieur, préparez-vous à vous faire couper la tête, et toc !…
Et toc… ils nous filent un verre de rhum du tonnerre !
Bon, et moi je paierai le gardien pour qu’il y mette de la mort-aux-rats !
Alors, si on est clamecés23, qu’est-ce que vous voulez que ça nous fasse, votre guillotine en tandem…
Pourquoi vous êtes désagréable comme ça avec nous ?… Nous, on obéit…
Bon ! Eh bien je sais ce que je vais faire. Attendez un peu mes amis, attendez un peu ! Où est Kyriano ?
Il n’est pas là, Kyriano !
Je veux le voir tout de suite !
Vous le verrez bien assez tôt comme ça !…
Qu’est-ce que vous lui voulez, à Kyriano ?
Ça, vous le verrez ! Mais je vous réserve une surprise ! Et elle ne sera pas précisément agréable.
Écoutez… on va tout de même pas chercher à se faire des vacheries… On est tous dans le même bateau…
D’abord, c’est pas un bateau ! C’est une ignoble chambre moche !
Une chambre moche ! Un machin classé ! En haut de la tour Saint-Jacques…
T’as la langue un peu longue, vieux. Tu peux pas la boucler et laisser cette tordue faire sa crise ?
Vous, d’abord, vous y passerez en premier…
Où ça je passerai, hein ? Tu commences à me courir, la môme !
Bon ! Bon ! Attendez un peu que je voie Kyriano et que je lui fasse du charme… vous allez voir si vous n’y passez pas par la fenêtre… Je vais vous faire une répétition, si vous voulez…
Ah ! Cause toujours !…
MUSIQUE : chanson de la séduction du gangster.
(Fin de la chanson.)
Dites… vous allez pas lui demander ça, quand même, c’est pas humain…
Si vous croyez que c’est humain d’enlever une pauvre fille au moment où elle se couche pour l’amener à un horrible gangster qui tue les petits enfants ?
Ah ! Kyriano, il n’a jamais tué les petits enfants de sa vie… i tue que les poulets… et vous pouvez pas dire que ça les empêche de se reproduire…
Tu causes trop, je te dis…
Ah ! C’est pas humain.
Vous ne perdez rien pour attendre.
Kyriano, il est pas humain, d’accord, mais nous on est humains. Même que je lis Les Temps modernes.
Eh ben, ça ne vous réussit pas.
Je m’assume moi. Qu’est-ce que vous voulez, peut-être que je deviendrai aussi un saint, comme Jean Genet, si je m’assume assez.
En attendant, je vais crier au secours.
Vous gênez pas…
Comment, vous gênez pas ?
(On commence à entendre une grande rumeur en bas, l’aube pointe par les fenêtres.)
Dis donc, qu’est-ce que c’est ?
T’occupe ! C’est le bruit des Halles.
Tu crois ?
(Il va à la fenêtre et se penche.)
Dis donc… Y a du monde qui vient par ici…
Comment veux-tu ?
Je te jure !
Tu finiras par voir des gars à deux têtes en plein midi, si tu continues à taper dans le litre comme ça.
Enfin, quoi, je ne suis pas fou, non ?… On est repérés.
De toutes façons, on risque rien ! Jamais ils n’oseront tirer.
Et pourquoi ?
I peuvent pas… c’est un monument historique. La tour Saint-Jacques !
(La porte s’ouvre, entre Kyriano.)
Le patron !
Patron, vous entendez ?
Oui… et alors ?
(Il va à la fenêtre.)
Max ! L’hélicoptère sera là dans trois minutes. Ficelle la petite…
Je proteste avec la dernière vigueur…
Allez, discutez pas.
Oh, je pensais bien que vous alliez nous tirer de là, Patron… Mais comment nous ont-ils repérés ?
Ça… Y a sûrement quelqu’un qui a mangé le morceau…
(Le 1er tueur regarde le second – Portent ensemble la main à la poche revolver.)
Allons ! Vous avez fini !
(Les mains retombent.)
(À Clémentine :)
D’ailleurs leurs revolvers ne sont pas chargés.
Comment, pas chargés !
C’est beaucoup trop dangereux…
(Coups rapides à la porte. Kyriano y va – Entre Robert.)
Tout est prêt ? Salut, Philippe.
(Il serre la main à Kyriano.)
Tout est paré !
(Clémentine paraît suffoquée.)
Robert ! Vous connaissez ces sauvages ?
Comment, ces sauvages !
Enfin, je sors de Sciences Po, quand même !
Y a pas de quoi t’en vanter, eh, ramenard24 !
Mais enfin… et vous les laissez m’enlever… M’attacher ! Assommer André…
Patience, patience…
(À Kyriano :)
L’hélicoptère ?
Il est là.
(Il regarde par la fenêtre.)
À 50 mètres…
Les photographes sont arrivés, et la télé aussi.
(Coups à la porte, il fait entrer deux photographes et un reporter, puis dix techniciens de la télé.)
Allez… mettez-vous là… et vous, là…
Je m’installe ici ?
(Robert approuve.)
Alors tout ça, c’est de la blague ?
Vous vous arrangez naturellement pour qu’ils ne me tirent pas dessus…
Ne vous inquiétez pas, André n’est pas armé.
Voulez-vous me détacher ! Mais voulez-vous me détacher !
Une minute encore, ma chérie…
(Il va à la porte.)
Les voilà qui montent.
(Au reporter :)
Vous notez l’ambiance, hein ?
Enfin… je fais un papier de fond… L’ambiance, c’est plutôt France-Soir…
Ils n’arriveront qu’après… D’ailleurs à France-Soir, leurs papiers sont meilleurs quand ils n’ont rien vu…
Il est temps que je file… tenez…
(Il tend à Robert un revolver.)
Parfait…
(Il tire en l’air.)
À l’aide… À l’aide ! Il s’échappe !
Ils sont fous !
Je vous laisse une carte de la maison… Futur-Publicité… ça peut servir !
(Il s’approche posément de la fenêtre, enjambe. La porte résonne.)
Suivez-le !
(Ils obéissent – aux photographes :)
Photo !
(Éclair.)
(La porte s’enfonce avec bruit, Robert court à la fenêtre tandis qu’André entre.)
Robert !
Occupe-toi de la petite ! Ah ! le bandit ! Il a filé.
(Aux reporters :)
Photo !
(Entrent Michel et tout un monde.)
André ! Vous aussi !
Ma chérie !
(Il la détache.)
Ah, c’est de la publicité !
(Elle le gifle, se lève, se rue sur Robert et le gifle.)
Oh ! Quelle poigne !
Ah ! vous trouvez ça drôle ! Tenez ! Tenez ! Tenez !
(Elle gifle successivement tout le monde et arrive à Aurélie. Ça fait bing ! et elle se tient la main en gémissant.)
Oh ! m main !
Mais Clémentine !…
(Entrent deux journalistes.)
France-Soir…
L’Aurore.
Kyriano s’est échappé… mais le rapt de Mlle Bonsoir a échoué… Ses amis innombrables sont venus à la rescousse.
Comment ! C’est toi qui as organisé tout ça !
(Furieux.)
Tiens !
(Gifle, le photographe opère.)
André ! Vous n’étiez donc pas au courant !
Ah, non, alors !
Où est la petite ?
Tout va bien.
(Il se frotte la joue – À Janine, bas :)
J’avais tout combiné… C’est une astuce publicitaire… Vous allez voir cette presse !
Ah !… Je vois !
(Elle prend son élan et le gifle.)
Et vous ne m’auriez pas prévenue, imbécile !
Janine !
(Entrent des reporters, des photographes.)
Une photo, s’il vous plaît… une pose originale !
André !
(Il vient – Au photographe :)
Allez-y !
(Elle empoigne André.)
La légende !
(Robert arrive.)
Sauvée par celui qui l’aimait en silence, elle lui accorde sa main !
Vous êtes quand même formidable !
(Elle lui saute au cou.)
Photo !
La légende !
Il épouse sa secrétaire !
Mais non ! C’est faux ! C’est faux !
(Les flashes crépitent – entre le reporter de la radio.)
Chers auditeurs… en direct grâce à Téléactualités… L’épisode dramatique du sauvetage de Mlle Bonsoir… Quelques mots de l’héroïne !…
CHOEUR FINAL AU MICRO