Premier spin-off de Saint Seiya confié à une femme mangaka, Saint Seiya : The Lost Canvas - Meiô Shinwa (La Légende d’Hadès en V.F.) sera aussi le premier à bénéficier d’une adaptation animée. Publié pendant près de cinq ans dans le magazine Shônen Champion aux éditions Akita Shoten - d’août 2006 à avril 2011 -, le manga de Shiori Teshirogi compte vingt-cinq volumes qui rencontreront rapidement l’adhésion du public... au point de se voir prolongé de seize tomes supplémentaires (Saint Seiya : The Lost Canvas - Chronicles) entre 2012 et 2016. À l’origine, ce spin-off devait s’avérer relativement court et n’intégrer qu’un nombre réduit de chevaliers, Albafica des Poissons devant être le seul Gold Saint signé de la main de Teshirogi. Mais face au succès rapide de la série et à l’aptitude de la mangaka à proposer des protagonistes à la hauteur des originaux, celle-ci a pu bénéficier d’une plus grande liberté créatrice, y compris dans la conception de nombreuses Cloths inédites. C’est pourquoi, tout comme Masami Kurumada l’avait fait à l’époque de la première série, l’autrice inclura des pages bonus illustrant le fonctionnement de ces nouvelles armures.
Conçu en parallèle de Saint Seiya : Next Dimension, le manga de Shiori Teshirogi présente une vision alternative des événements relatifs à la précédente guerre sainte, suivant une interprétation finalement assez personnelle. Ayant bénéficié d’une grande liberté de décision et de toute la confiance du créateur de la série, la mangaka s’est ainsi permis d’insuffler une certaine part de féminité dans l’univers de la saga, modernisant le style de Kurumada sans pour autant le dénaturer. Si ses visuels font généralement l’unanimité, Saint Seiya : The Lost Canvas divise davantage dans ses choix narratifs, quand bien même son histoire n’est plus directement rattachée au canon de la série. Rappelons que, constatant que l’œuvre de Teshirogi s’éloignait de plus en plus des fondations de Next Dimension, le créateur de Saint Seiya choisit de « reléguer » The Lost Canvas au rang de simple alternative. Cette décision ne doit pas pour autant être perçue de manière complètement négative puisqu’elle eut pour effet, non seulement de préserver la cohérence de l’univers global de Saint Seiya, mais surtout de permettre à l’autrice du spin-off de laisser sa vision s’épanouir encore plus librement. Tout cela avec l’aval de Kurumada qui aura finalement donné carte blanche à Teshirogi dans l’élaboration du récit et les choix de design. Les puristes pourront certes s’insurger devant certaines trouvailles ponctuellement maladroites, voire contradictoires avec l’univers très codifié de la série, mais, pris comme une œuvre autonome, le manga de Teshirogi s’en sort avec un brillant certain.
Quels sont les dessous de cette fameuse guerre sainte qui opposa les chevaliers d’Athéna à Hadès, déité des enfers, il y a plus de deux siècles ? L’interprétation suggérée par Shiori Teshirogi dans The Lost Canvas est chargée d’ironie. Non seulement l’individu récipiendaire de l’esprit d’Hadès n’est autre que le meilleur ami de Pégase, mais il est aussi du même sang que la réincarnation d’Athéna du XVIIIe siècle. Et c’est précisément dans le but de surveiller Alone, l’hôte d’Hadès, que la déesse a choisi sa sœur Sasha comme réceptacle. Toute la problématique du scénario réside ainsi dans le fait que l’empreinte d’Alone subsiste encore en Hadès, vulnérabilité que vont chercher à exploiter les protecteurs d’Athéna pour l’empêcher d’achever sa résurrection. Les enjeux se complexifieront encore davantage avec l’entrée en scène tardive d’un individu tirant les ficelles à l’insu de tous, manipulant les uns et les autres comme de simples pions sur un échiquier.
Le trio d’orphelins qui grandit ensemble dans un petit village d’Italie ignore évidemment tout du coup du sort que s’apprête à lui jouer le destin. Si Alone, l’innocence incarnée, correspond parfaitement au profil de pureté requis pour devenir l’enveloppe humaine d’Hadès, l’impulsivité de Tenma et sa foi en la justice le désignent, lui, comme héritier idéal du chevalier Pégase, dont la légende prétend qu’il serait le seul à pouvoir blesser le dieu. C’est piégé par Hypnos et Pandora qu’Alone, jeune passionné de peinture en quête du rouge véritable, tombe dans l’engrenage du chaos, témoignant d’une agressivité inhabituelle après avoir reçu le fameux pendentif « Yours ever ». Devenu incapable de peindre quoi que ce soit sans que son sujet ne soit condamné à mourir, Alone pose les yeux sur une toile torturée où les morts s’agrippent désespérément au dieu des Enfers qui arbore le même visage que lui. Le garçon se laisse alors convaincre que le seul moyen d’apporter à tous le salut éternel est d’achever la fresque du Lost Canvas, tableau d’envergure céleste représentant les âmes de ses victimes sous forme d’anges. La fresque ne sera complète que lorsque toute vie y aura été représentée.
Parmi les différences majeures qui distinguent les personnages communs à l’univers de The Lost Canvas et à celui de Next Dimension se trouve le choix du maître de Tenma. Ici, l’adolescent n’est pas formé par Suikyô, mais par Dôko, le Gold Saint de la Balance - encore jeune à l’époque -, qui le prend sous son aile après avoir détecté en lui un grand potentiel. Deux années d’entraînement suffiront à Tenma pour mériter la Cloth de Pégase et entrer dans la bataille opposant le Sanctuaire aux Spectres d’Hadès. Pas un mot en revanche sur la promotion spéciale qui aurait, selon Kurumada, permis à Shion et à Dôko de passer directement du statut de chevaliers de bronze à celui de chevaliers d’or. La version de Teshirogi se veut plus conventionnelle en évoquant leurs formations respectives débouchant sur l’obtention des armures d’or du Bélier et de la Balance.
En tant qu’auteur féminin, Shiori Teshirogi ne pouvait par ailleurs manquer d’inclure dans son noyau de héros principaux une femme chevalier au caractère bien trempé. Guerrière de Jamir formée par le grand Hakurei de l’Autel - dont le rôle sera primordial dans le développement de l’intrigue -, Yuzuriha ne démérite pas lorsqu’on la compare à Tenma de Pégase ou Yato de la Licorne. S’étant temporairement éloignée de la voie des protecteurs d’Athéna après le massacre de sa famille, elle redeviendra le chevalier d’argent de la Grue dans l’espoir d’extirper son frère Tokusa du chemin sinistre qu’il a emprunté.
Dans l’autre camp, c’est Violate de Béhémoth qui marque pour la première fois l’intégration d’un Spectre féminin dans les rangs d’Hadès. Couturée de cicatrices et adepte de techniques brutales, sa description correspond bien à l’image de cette créature biblique bestiale et tranche avec la sensualité apparente de Véronica et Phantasos qui sont, eux, des hommes travestis.
D’une manière générale, même si elles sont peu nombreuses à se battre véritablement, les figures féminines sont omniprésentes dans l’œuvre de Shiori Teshirogi et rarement dotées d’un caractère lisse ou effacé.
Dans le contexte de cette guerre sainte revisitée, les chevaliers d’or gardiens du Sanctuaire ne seront pas seulement confrontés aux Spectres mineurs d’Hadès, mais également à des émissaires plus imposants du Monde des Morts, tels que Minos, Rhadamanthe, et surtout Eaque du Garuda. En complément de ce que Next Dimension nous révèle quant à l’identité de ce juge des Enfers, Teshirogi avance l’idée que Suikyô se serait vu finalement dépossédé de son titre et de sa Cloth par Kagaho du Bénou qui prend sa place après l’avoir convaincu de retourner à sa condition humaine.
La démesure des affrontements justifie en tout cas le sacrifice inévitable de certains Gold Saints qui, à l’image d’Albafica des Poissons, ne pourront sortir victorieux de leurs duels qu’en échange de leur propre vie. On reste ainsi totalement dans l’esprit de la première série, les drames étant légion dans l’œuvre de Teshirogi qui avouera, a posteriori, avoir souffert de ces séparations forcées avec ses propres créations. Il faut dire que la prestance des Gold Saints imaginés par la mangaka dans le cadre de cette précédente guerre sainte force le respect, même si nombre de lecteurs regretteront que leurs profils respectifs ne se démarquent pas davantage de ceux signés par Kurumada dans la série d’origine. Omniprésent dans The Lost Canvas, le sentiment de désespoir est accentué par la perspective d’une bataille perdue d’avance, Hadès pouvant ressusciter ses Spectres à volonté tandis qu’Athéna ne peut maintenir sa barrière défensive indéfiniment. C’est la raison pour laquelle Hakurei de l’Autel envoie Tenma, Yato et Yuzuriha dans les Enfers pour récupérer les cent huit fruits du « magnolier » censés stopper le retour des Spectres. Ce voyage dans l’au-delà sera l’occasion pour l’autrice de proposer sa propre vision du gardien Cerbère et de mettre en évidence les doutes d’Asmita, le Gold Saint de la Vierge, quant à la légitimité de Tenma en tant que chevalier Pégase prédestiné à défier Hadès. Plus de deux siècles avant son successeur, Asmita s’ouvre au huitième sens et donne sa vie pour atteindre la conscience ultime. Son sacrifice permet l’achèvement du chapelet devant sceller définitivement l’âme des Spectres, chacune des perles qui le composent étant une prison qui leur est destinée.
Une fois encore, le barrage tout relatif que constitue la maison du Taureau voit son gardien mourir debout après avoir épargné le Spectre Kagaho du Bénou qu’il considère - à juste titre - comme non foncièrement mauvais. Le drame du passé de Kagaho occupera d’ailleurs une place particulière dans le développement de The Lost Canvas. Sa souffrance, il la tient de la mort de son frère cadet, incapable d’accepter l’idée qu’il ne le reverra plus. C’est Kagaho qui redonnera vie à l’armure d’Athéna en répandant le sang de Dôko - mêlé à celui de la déesse - sur la statue sacrée dans l’optique de l’apporter à son maître Hadès. Lui qui se tient constamment à l’écart des autres et a rejeté toute notion d’empathie pour ne devenir que colère à l’état brut, peut-il encore retourner à la lumière ? Plus que jamais, le manga écarte toute conception manichéenne du bien et du mal, soulevant la question de la rédemption à travers plusieurs de ses antagonistes.
Bien que la plupart des chevaliers d’or imaginés par Teshirogi se détachent difficilement de l’image des Gold Saints que l’on connaît, on apprécie de pouvoir enfin y découvrir un alter ego d’Aiolos bien vivant. Sisyphe du Sagittaire, qui avait été contraint de séparer Sasha de ses amis d’enfance pour l’escorter au Sanctuaire cinq ans plus tôt, se révélera toutefois impuissant à stopper Hadès et sa propre flèche se retournera contre lui. Seul le Grand Pope de cette ère - le dénommé Sage, ancien chevalier d’or du Cancer et frère d’Hakurei - parviendra à piéger le dieu à l’aide des multiples sceaux disposés de manière anticipée à l’issue de la guerre sainte du xve siècle. Mais même affaibli, Hadès reste redoutable et la tentative de le coincer dans la tour où furent emprisonnées les cent huit étoiles démoniaques échoue. Le dieu dévoile alors à l’humanité la sinistre fresque du Lost Canvas qui, une fois achevée, signifiera la fin de toute vie sur Terre.
L’efficacité du manga réside en grande partie dans l’ambivalence du camp des antagonistes, le lecteur ne pouvant, à ce stade, déterminer qui de Pandora ou des dieux jumeaux Hypnos et Thanatos manipule véritablement qui. Ce qui est certain, c’est que tous ont à cœur de débarrasser Hadès de l’impureté qui parasite son esprit et qui résulte des souvenirs que nourrit l’humain Alone envers son ami Tenma. L’existence de Pégase est en vérité la seule chose qui empêche le dieu de prendre définitivement possession du jeune peintre.
Les deux tandems de jumeaux qui interviennent à ce stade de l’intrigue de The Lost Canvas sont pour une fois sans lien avec la constellation maudite des Gémeaux. La problématique concerne ici le Grand Pope Sage et son frère Hakurei, seuls survivants de l’ancienne guerre sainte qui eut lieu au cours du XVe siècle. À l’époque, Hakurei avait préféré laisser la place de Grand Pope à son frère Sage, lui cédant également l’armure d’or du Cancer, pour l’épauler dans l’ombre en tant que chevalier d’argent de l’Autel. Mais tous deux soupçonnent à présent leurs anciens ennemis, les dieux jumeaux Hypnos et Thanatos, d’être à l’origine du retour d’Hadès. Parce que leurs compagnons d’armes avaient été les martyrs des dieux de la Mort et du Sommeil, Sage et Hakurei ont juré de les venger. Seul le sacrifice de Manigoldo du Cancer, disciple de Sage, leur permettra de piéger Thanatos dans l’armure de l’Autel où son esprit sera détruit de l’intérieur. Mais Sage lui-même devra donner sa vie pour sceller ce qu’il reste du dieu dans un coffret créé par l’actuelle déesse Athéna. À travers le profil de Manigoldo, la mangaka redore le blason du signe du Cancer qui, malgré son arrogance et son mépris résultant d’un passé douloureux, défend des valeurs intérieures justes.
Emprisonner les dieux jumeaux étant la destinée de Sage et Hakurei, ce dernier sait qu’il devra quant à lui affronter Hypnos. Avec le concours du chevalier d’or du Capricorne El Cid et de Tenma qui convoque sa propre armure divine par sa seule force de volonté, les quatre dieux de la peuplade des rêves envoyés par Hypnos seront écartés les uns après les autres. L’autrice s’appuie ici sur une source mythologique qui n’avait pas encore été exploitée dans la série, Oneiros, Icelos, Phantasos et Morpheus étant connus pour façonner les rêves des hommes. Quant à Sasha/Athéna, elle interviendra elle-même pour protéger ses chevaliers en pénétrant dans les rêves de Sisyphe, toujours prisonnier de sa culpabilité et convaincu d’être directement à l’origine de cette guerre. La souffrance morale du Sagittaire est telle que son armure d’or se change en Surplis tant il estime ne pas mériter le titre de chevalier. Athéna réussira tout de même à chasser le doute dans son esprit et à le ramener à sa conscience première. Plutôt surprenant, ce passage est quelque peu terni par un énième sacrifice, pas forcément justifié, qui voit El Cid disparaître pour empêcher Oneiros d’emporter Pégase avec lui dans la mort. L’instant d’avant, le Capricorne avait tout de même réalisé l’exploit de frapper les âmes des quatre dieux des songes simultanément en découpant la flèche du Sagittaire du tranchant d’Excalibur. Avec le recul, on peut estimer que cette propension aux sacrifices à répétition finira par nuire à l’efficacité du manga, le nombre de drames contrebalançant la crédibilité émotionnelle qui s’en dégage.
L’heure de l’assaut final ayant sonné, Hakurei harangue ses troupes en empruntant temporairement à son frère défunt le masque du Grand Pope. Déterminé à s’infiltrer seul dans le château d’Hadès pour tenter d’en neutraliser le champ de force, Hakurei ne pourra sceller son ennemi juré Hypnos qu’en invoquant l’esprit de tous les chevaliers morts durant la précédente guerre sainte. L’intervention inattendue d’Hadès sous sa forme complète fera néanmoins échouer son plan, entraînant ce que l’on croit être la mort de Dôko, bien que le chevalier soit appelé à survivre grâce au sang d’Athéna. Cette bataille marquera en tout cas le départ d’Hadès vers les cieux dans le but d’assister à la destruction du monde imminente, et un tournant dans le développement du récit.
Afin de justifier l’évolution de son héros Tenma à la suite d’un parcours initiatique destiné à lui permettre d’effleurer la maîtrise du septième sens, Teshirogi s’inspire à sa manière de l’enfer vécu par Ikki sur l’île de Death Queen. Pégase devra ainsi surmonter ses peurs pour devenir le disciple du démon Deuteros et survivre à un entraînement terrifiant. Le point intéressant réside surtout dans les allusions multiples au manga original, Deuteros étant à la fois « le démon de l’île de Kanon » - où viennent se régénérer les chevaliers blessés au combat -, le détenteur de l’armure d’or des Gémeaux et le responsable de l’assassinat de son frère jumeau Aspros.
Bien que l’on puisse y voir encore une fois un emprunt facile à l’œuvre de Kurumada, l’exploitation de ce même thème par Teshirogi se révèle assez surprenante. Considéré par son propre frère Aspros - désormais au service d’Hadès - comme un usurpateur de l’armure des Gémeaux, Deuteros sait que l’un d’entre eux doit disparaître pour le bien de leur constellation. Contraint toute son enfance à vivre dans l’ombre de son jumeau en portant un masque de fer, il avait même failli attenter malgré lui à la vie du Grand Pope, manipulé par Aspros, dont il ne soupçonnait pas la noirceur. Deuteros avait ensuite délibérément choisi de vivre reclus tel un démon sur l’île de Kanon pour se débarrasser de son complexe d’infériorité jusqu’au jour où il se sentirait digne de porter l’armure d’or des Gémeaux. Les rôles sont finalement inversés et le sentiment de redite est compensé par le triomphe inattendu du plus mauvais des deux, la mangaka réussissant parfaitement à dépeindre le tourment de cette constellation. Qui plus est, leurs âmes finiront à terme par fusionner en une seule et même entité pour se retourner contre Hadès.
Mieux encore, la question de l’origine du mal dans le cœur d’Aspros inspire à Teshirogi l’entrée en scène du Spectre Yôma de Méphistophélès, dont le rôle va s’avérer d’autant plus déterminant que ce personnage sera présenté comme le véritable géniteur de Tenma de Pégase. Toute la dernière partie du manga subira ainsi de plein fouet les révélations relatives à celui qui est aussi Kairos, « l’autre dieu du Temps », dont tout le monde semble avoir oublié le nom au profit de son frère Chronos. Humilié et rongé par la haine, le dieu déchu finira emprisonné dans l’une des cent huit perles du rosaire brandi par Aspros, avec toute l’éternité devant lui pour méditer sur la laideur de ses actes.
On ne peut s’empêcher de ressentir, à un certain stade du récit, l’influence palpable des arcs Asgard et Poséidon dans la réflexion de l’autrice de The Lost Canvas. Le manga nous montre en effet une Athéna prête à prendre le risque de s’allier à son ancien ennemi, l’empereur des mers, pour débusquer Hadès. Considéré comme le plus érudit parmi les chevaliers, Dégel du Verseau est envoyé à Blue Graad, à l’est de la Sibérie, pour solliciter le soutien du dieu. Il se rend sur les terres de glace en compagnie de Kardia du Scorpion, s’élançant à la poursuite de Pandora avant de se heurter au Dragon des Mers, lieutenant de Poséidon. La combinaison des ambiances de ces deux arcs qui se succèdent de manière logique dans l’adaptation animée de la première série donne un résultat plutôt habile de la part de Teshirogi, qui n’a de cesse de complexifier toujours plus son intrigue. L’intervention constante de nouveaux protagonistes et les nombreux flash-back qui leur sont dédiés confèrent une épaisseur impressionnante au scénario global de The Lost Canvas. La mangaka est aussi la première à oser insuffler la puissance de Poséidon à l’intérieur d’un réceptacle féminin, en l’occurrence la sœur du meilleur ami de Dégel, même si celle-ci ne devient pas véritablement son hôte.
Loin d’être sans lien direct avec les ambitions d’Alone, cette parenthèse contribue à permettre à Athéna d’atteindre les cieux où se trouve le Lost Canvas par l’intermédiaire d’une arche céleste mythique cachée dans les montagnes de Jamir. Symbole d’espoir, ce navire échappera de peu à l’assaut de l’avant-garde d’Eaque du Garuda, ménageant un instant de gloire pour Regulus du Lion qui ne retiendra pas ses coups face à Violate en qui il reconnaît un adversaire de valeur. D’aucuns reprocheront en revanche à la mangaka d’avoir mal interprété la notion de huitième sens en autorisant Sisyphe du Sagittaire à atteindre la quintessence du cosmos après s’être crevé les yeux pour pousser son acuité dans ses extrêmes limites. Le problème vient du fait que le huitième sens (ou « arayashiki ») a toujours été présenté par Kurumada comme un stade particulier permettant uniquement de transcender la mort pour conserver son libre arbitre dans les Enfers, et non comme un surcroît de puissance. Cet écart de parcours ne sera hélas pas le seul à décrédibiliser légèrement l’œuvre de Shiori Teshirogi aux yeux de certains puristes qui auront du mal à admettre que trois Gold Saints puissent s’abaisser à recourir à la technique interdite et avilissante de l’« Athena Exclamation » pour simplement forcer la porte des Enfers... même si la déesse semble leur avoir donné son accord.
On peut également se demander à certains moments si l’autrice ne cherche pas à gonfler artificiellement le déroulement de son histoire, Hadès se bornant à repousser sans cesse l’échéance du face-à-face final. Retranché dans les dédales de son palais céleste, le dieu convoque le soutien de certaines grandes figures du dernier arc de la série originale, à l’image de Charon le Passeur, du juge de l’étoile du Balron, ou de Pharaoh qui ne laisse entrer que ceux dont le cœur est en parfait équilibre avec la plume de Maât. Même si tous les Spectres ne sont pas traités de manière égale, les retrouver dans un contexte antérieur à celui de Saint Seiya reste judicieux, l’ensemble de ces péripéties convergeant finalement vers la renaissance de l’armure d’Athéna, convoitée par les deux camps. La structure même du Lost Canvas se rapproche d’ailleurs beaucoup de celle du Sanctuaire. Son dôme de nuages renferme un escalier en colimaçon sans fin et ses maisons symbolisent des planètes gardées chacune par l’un des principaux Spectres d’Hadès. Le grand œuvre ne sera terminé que lorsque l’aiguille de la pendule d’étoiles aura fait un tour complet du cadran, en écho à l’horloge de flammes du zodiaque qui rythmait la bataille du Sanctuaire.
Dans sa dernière ligne droite, The Lost Canvas reprend à nouveau son orbite autonome et imprévisible pour présenter Tenma et les autres comme de simples pions sur le grand échiquier de Yôma. Le demi-dieu méphitique se délecte de son rôle de simple observateur du destin, comparant le déroulement des événements à une scène de théâtre, ostensiblement détaché face à une tragédie qu’il a lui-même provoquée. C’est lui, le véritable auteur de l’enlèvement d’Hadès à l’époque où ce dernier était encore à la charge de la jeune Pandora et donc l’instigateur de cette guerre sainte insensée, qui retourne à présent ses pions les uns contre les autres au gré de ses envies. Contraint de lever la main sur une représentation spectrale de sa propre mère Partita - incarnation de la chouette messagère d’Athéna -, Tenma devra aller au-delà du septième sens pour matérialiser l’armure divine de Pégase et reprendre le dessus.
Athéna ne retrouve quant à elle ses pouvoirs que dans les tout derniers instants, délivrant ceux qui étaient restés fossilisés sur l’arche céleste pour avoir eu l’imprudence de se retourner en entendant la voix des êtres qui leur étaient chers. Bien que libérés de leur gangue de pierre, aucun n’a le droit d’intervenir dans la bataille finale qui doit opposer Alone, revêtu du Surplis d’Hadès, à Athéna et Tenma en armures divines. Comme en écho au début du récit, la mangaka rappelle par l’intermédiaire de Dôko toute l’ironie de la situation : « La jeune fille qui admirait tant son frère est devenue sa plus grande ennemie. Et son meilleur ami, devenu chevalier, doit l’affronter dans un combat à mort. » Si les anges peints sur le Lost Canvas protègent malgré tout Alone contre la comète de Pégase, c’est parce qu’ils aspirent sans doute encore à la rédemption promise par le tableau et veulent sincèrement échapper aux souffrances du monde mortel. En proie au doute, Tenma parvient un court instant à dissocier l’esprit de son ami de l’âme du dieu, mais il faudra l’union de tous les chevaliers d’or pour chasser définitivement Hadès du corps d’Alone. Face au trio enfin réuni, la forme éthérée du dieu sera réexpédiée dans le royaume qui est le sien, comme vaincue par ce bracelet de fleurs, symbole d’une amitié indéfectible.
Dans les toutes dernières pages, Teshirogi se raccroche explicitement au canon de la série en illustrant la décision de la déesse de confier à Dôko et Shion leurs charges respectives en vue de la prochaine guerre sainte. Sous l’effet du Misopethamenos, le premier devra surveiller le mouvement des étoiles maléfiques tandis que le second occupera le siège du Grand Pope afin de remettre le Sanctuaire sur pied. Ils deviendront le lien qui reliera leur époque au futur.
Faute de ventes réellement satisfaisantes au Japon, l’adaptation animée de Saint Seiya : The Lost Canvas sera interrompue bien avant le dénouement de l’histoire du manga. Sur les vingt-six OAV produites par TMS Entertainment à partir de juin 2009, les treize premières ne transposent le scénario que jusqu’à la fin du sixième tome relié, et les treize suivantes prolongent l’intrigue seulement jusqu’aux événements présentés à l’issue du volume 11. Autant dire que l’anime ne couvre qu’une brève partie du récit et que nombreux seront les fans à déplorer l’abandon d’une troisième saison.
Concernant sa participation à l’élaboration de la série, Shiori Teshirogi expliquera qu’elle fut sollicitée essentiellement dans le cadre de la deuxième saison qui s’éloignait davantage du manga original. La mangaka a ainsi dû livrer des scènes supplémentaires chaque fois qu’il restait de la place dans le déroulement de tel ou tel épisode. L’anime a ainsi pu incorporer des éléments complémentaires à ce que l’on pouvait lire au travers du manga, suivant scrupuleusement les directives de l’autrice qui s’avouera très satisfaite de cette adaptation. Teshirogi se dira notamment impressionnée par le traitement accordé à des figures telles qu’El Cid du Capricorne auxquelles elle n’avait pas pu donner autant de place qu’elle l’aurait souhaité.
Réalisée par Osamu Nabeshima, l’adaptation ne bénéficie pas du concours de Shingo Araki sur le plan de l’animation et le design s’avère parfois un peu trop éloigné du trait de l’autrice du manga. Elle constitue malgré tout une porte d’entrée idéale aux ramifications complexes de The Lost Canvas.
Entamée dans la foulée de la publication du vingt-cinquième et dernier tome du manga, Saint Seiya : The Lost Canvas - Chronicles démarre dès 2012 avec la perspective de lever le voile sur le passé des chevaliers d’or. L’idée de voir ces héroïques Gold Saints, disparus dans le cadre de l’histoire principale, revenir sur le devant de la scène pour dévoiler leurs motivations respectives est pour le moins alléchante, et le public suit volontiers. Ce ne sont ainsi pas moins de seize volumes reliés qui sortiront jusqu’en 2016, ce spin-off de type gaiden (« histoires annexes ») dédiant chacun de ses numéros à l’un des douze Gold Saints - deux pour les Gémeaux -, auxquels s’ajoutent trois tomes supplémentaires. Le quatorzième relate la fin de l’épopée de Shion du Bélier face aux manigances de Kairos, le dieu du Temps, suivi d’un épisode bonus expliquant l’origine du tatouage de Yuzuriha, gravé avec le sang de son frère Tokusa. Les deux derniers convoquent enfin les souvenirs des jumeaux Sage et Hakurei, survivants de deux guerres saintes successives, dans une conclusion riche en émotion. Le caractère véritablement inédit de chacune de ces histoires confère à la partie Chronicles des allures de supplément inespéré pour les fans, quand bien même les éléments qu’elles contiennent ne sont pas rattachables au canon de la série.
C’est avec le lancement d’une toute nouvelle série animée que le studio Tôei choisit de célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la franchise. Diffusée d’avril 2012 à mars 2014 sur la chaîne japonaise TV Asahi, Saint Seiya Omega compte pas moins de quatre-vingt-dix-sept épisodes répartis en deux arcs radicalement distincts qui marquent une scission nette au tournant du cinquante et unième épisode. Alors que la première saison relate le retour de Mars, le dieu de la Guerre, sur une Terre protégée par une nouvelle génération de chevaliers, la seconde s’intéresse aux ambitions égoïstes de la déesse Pallas, jalouse de l’amour que porte Athéna aux êtres humains. La longueur de la série trahissant d’inévitables passages à vide, nous ne ferons ressortir ici que les éléments les plus propices à l’analyse. Les libertés prises par Saint Seiya Omega par rapport aux codes de la saga ainsi que sa tonalité ouvertement ciblée vers le jeune public en font l’une des déclinaisons les plus décriées par les puristes, en dépit de son succès d’audience relatif au Japon.
Avec le désir de s’afficher comme une suite directe de Saint Seiya, située un peu plus de treize ans après les événements initiaux, Omega ne convoque les anciens acteurs clefs de la série que de manière ponctuelle pour mieux s’articuler autour d’une nouvelle génération de Saints. Son prologue se révèle en cela trompeur dans le sens où il pourrait laisser présager d’un retour au tout premier plan de l’ancien quintet de bronze. Auréolé de l’armure d’or du Sagittaire, le chevalier Seiya de Pégase - désormais entré dans la légende -, y apparaît tel un sauveur pour empêcher Mars, dieu de la Guerre, de s’emparer de Saori et du bébé qu’elle tient dans ses bras. À travers le regard émerveillé de ce nourrisson qui n’est autre que Kôga, héros attitré de Saint Seiya Omega, c’est bien une métaphore du spectateur qu’il faut voir ici, la série s’adressant finalement à une nouvelle génération de fans désireuse de comprendre le culte qui entoure désormais la série originale. Elle révèle sans doute également la fascination de la nouvelle équipe en charge du projet à l’égard du travail accompli par Masami Kurumada et Shingo Araki, logiquement soucieuse de ne pas trahir l’honneur que représente le droit de prolonger le mythe.
Si l’on se fie à cet épisode introductif, la série s’annonce à première vue truffée de clins d’œil plus ou moins appuyés à la série d’origine, à l’image de cette réplique que Shaina lance très sérieusement à son disciple Kôga, treize ans après les faits décrits plus haut : « Omae wa cosmo o kanjita koto ga aru no ha ? » (qui signifie : « As-tu déjà ressenti ton cosmos ? ») Les adeptes de la version originale reconnaîtront immédiatement cette phrase culte de l’anime de 1986 puisqu’elle est quasiment identique à celle que prononçait Seiya à chaque fin d’épisode après l’annonce de celui à venir. Le plus drôle est de voir Kôga répondre par la négative, le nouveau héros de la série n’étant à première vue qu’un gamin peu désireux de devenir chevalier ! Le jeune homme est même totalement hermétique au laïus de Shaina concernant l’univers composé d’atomes, en écho là encore à celui de Marine lorsqu’elle formait Seiya à la notion de cosmos. Sa méconnaissance des clefs de Saint Seiya est ainsi comparable à celle de la nouvelle génération de téléspectateurs à l’égard de ces codes qui ont été depuis longtemps assimilés par les fans de la première série. À son maître qui n’aspire qu’à le voir exprimer son potentiel de chevalier, Kôga s’insurge : « Où est-elle, cette Athéna, à part dans la mythologie grecque ? ! » Il ignore même tout de ce fameux Seiya que l’on dit mort pour lui avoir sauvé la vie alors qu’il était bébé. Contraint de vivre caché à l’écart du monde pendant treize années, entraîné à la dure par Shaina et veillé seulement par l’héritière de la famille Kido et son fidèle Tatsumi sans personne pour daigner lui expliquer les raisons de son exil, Kôga a beau être fasciné par Saori, il ignore qu’il s’agit de la déesse Athéna qu’il souhaite tant rencontrer. Et il ne le découvre que lorsque Mars revient en personne chercher la déesse pour s’emparer de ses pouvoirs...
Avec ses airs de confrontation digne d’un face-à-face final de jeu vidéo, le bras de fer qui se joue entre Seiya et Mars dans le prologue de la série contribue à accentuer au maximum la prestance martiale du dieu de la Guerre. Son design singulier, évoquant davantage les vilains des comics américains que les divinités hostiles de la saga, nous le montre coiffé d’un casque enflammé, revêtu d’une cape rouge et d’un corps immatériel dans lequel se reflète l’univers tout entier. Par l’intermédiaire de celui qui ne fera bien évidemment que de brèves apparitions durant toute la durée de la série, Saint Seiya Omega veut convaincre les téléspectateurs qu’elle saura crédibiliser ses enjeux face à un adversaire de la trempe de Poséidon ou d’Hadès.
Si le choix du dieu de la Guerre comme nouvel antagoniste ne suscite a priori aucune interrogation particulière, celui de son nom latin est en revanche plus étonnant. Jusqu’à présent, tous les dieux opposés à Athéna étaient mentionnés sous leur appellation grecque, y compris et surtout dans la version originale japonaise. Alors pourquoi avoir opté ici pour Mars au lieu d’Arès ? Loin d’apparaître comme une simple coquille, cette décision semble pouvoir s’expliquer de plusieurs manières. D’abord, la prononciation d’Arès en langue japonaise risquait d’entrer en conflit avec celle du personnage que la version animée de la première série présentait comme étant le frère cadet du Grand Pope assassiné par Saga. Mais surtout, l’image que véhicule le dieu de la Guerre diffère sensiblement entre les points de vue grecs et romains. Dans La Mythologie, ouvrage de référence d’Edith Hamilton, il est dit que les Romains honoraient Mars bien plus que les Grecs n’aimaient Arès. Digne d’inspirer une mort glorieuse sur le champ de bataille, Mars intimait la crainte et le respect, là où Arès était souvent présenté comme haïssable, voire poltron, capable de retourner sa fureur aveugle contre ses propres fidèles. Cet élément pourrait justifier le choix de Mars comme appellation désignant le dieu de la Guerre par le staff de Saint Seiya Omega, au détriment d’un Arès moins prestigieux. La manière dont le nom de ce dernier interviendra plus tard dans le cadre du spin-off Saint Seiya : Saintia Shô renforce d’ailleurs cette hypothèse, mais nous y reviendrons le moment venu.
C’est en voyant s’écrouler Shaina, le masque brisé, que Kôga daigne enfin libérer son cosmos et convoquer l’armure de Pégase... à partir d’un simple pendentif ! Objet d’une polémique sans précédent à laquelle ne s’attendait probablement pas l’équipe de l’anime, la notion de Clostones (combinaison de « Cloth » et de « stone », rebaptisés « cristaux » dans la version française officielle) compte parmi les litiges de Saint Seiya Omega qui susciteront l’indignation des puristes. Du point de vue des animateurs, l’abandon des urnes traditionnelles contenant les Cloths au profit de joyaux facilement transportables par les jeunes chevaliers n’a que des avantages. Discrets, ces pendentifs se marient facilement au design des personnages qui n’ont plus à transporter de coffres massifs sur leurs épaules, et tant pis si cela faisait partie du charme de Saint Seiya. En termes de crédibilité narrative, on nous explique qu’en embrassant la puissance de l’univers suite au crash d’une météorite, les armures seraient subitement devenues telles des cristaux, héritant au passage de nouveaux pouvoirs et entraînant l’avènement de l’ère des éléments.
La conséquence directe de la mise en place de ces Clostones se répercute ainsi sur une autre trouvaille largement sujette à débats : l’affectation systématique d’un élément naturel à chaque chevalier. Le recours superflu à ce ressort maintes fois employé dans les œuvres de fiction - Naruto en tête - contribuera à desservir fortement la crédibilité de Saint Seiya Omega au point de finir par s’effacer progressivement pour n’être plus évoqué que très ponctuellement au fil de l’avancée de la série. Parachutés dans un univers qui n’y avait jamais fait mention jusque-là, les éléments ont pour intérêt de différencier la nature du cosmos de chaque chevalier en leur ajoutant une notion de complémentarité. Le feu étant supérieur au vent qui, lui-même, domine la foudre, la victoire de tel ou tel Saint sur un autre trouve ainsi une nouvelle justification plus « scientifique ». A priori, seul un cosmos puissant peut parvenir à transcender un élément pour permettre à son détenteur de prendre l’avantage face au maître de l’élément censé lui être supérieur. Mais si les cinq premiers éléments suivent cette logique de complémentarité (feu > vent > foudre > terre > eau), les deux derniers (ténèbres et lumière) occupent une place à part au sein du système. Bien qu’à première vue cette idée puisse sembler incompatible avec les codes propres à l’univers de Saint Seiya, ses défenseurs pourront toujours arguer que l’astrologie a toujours distingué les douze signes du zodiaque en quatre catégories : les signes de feu (Bélier, Lion, Sagittaire), les signes de terre (Taureau, Vierge, Capricorne), les signes d’air (Gémeaux, Balance, Verseau) et les signes d’eau (Cancer, Scorpion, Poissons). Mais étant donné que les éléments concernent la totalité des chevaliers, et pas seulement les douze Gold Saints, cela ne suffit pas vraiment à justifier leur intrusion dans l’univers si codifié de la saga. Surtout que les chevaliers d’or en question ne sont pas tous associés aux mêmes éléments naturels que ceux établis en astrologie.
Découvrant au cours d’un affrontement contre un éclaireur martien qu’il est manifestement détenteur d’un cosmos de lumière, Kôga se lie rapidement d’amitié avec Sôma du Petit Lion et Yuna de l’Aigle qui maîtrisent respectivement le feu et le vent. Viendront ensuite Ryûhô (eau), Haruto (terre) et Eden (foudre). Notons que si le personnage de Yuna a été intégré au noyau de héros principaux, c’est à la demande de Masami Kurumada qui souhaitait voir une héroïne figurer parmi les nouveaux protagonistes. Bien que la règle exige toujours que les femmes chevaliers ne se présentent jamais à visage découvert, Yuna brise très tôt la loi du masque en choisissant délibérément de ne plus le porter, convaincue que nul ne doit lui dicter sa ligne de conduite. Au-delà du sacrilège que cela pourrait dans un premier temps représenter aux yeux des puristes, ce choix traduit surtout la volonté des créateurs de la série de gommer les points litigieux, dépassés, en mettant fin ici à une tradition inégalitaire entre les hommes et les femmes chevaliers, qui rejoint, d’une certaine manière, la question du port du voile.
Même si Saint Seiya Omega n’abandonne pas complètement les anciennes figures de la saga, la volonté de séduire une nouvelle génération de téléspectateurs, plus jeunes que les fans de la série originale, se répercute à la fois sur sa tonalité et sur son character design. Encore largement immatures à l’aube de leur apprentissage de chevaliers, ces frêles adolescents invoquent leurs armures par le biais des Clostones qui matérialisent des protections élastiques de type « Spandex » sans aucune commune mesure avec les Cloths imposantes et finement ouvragées des autres déclinaisons de la saga. Relevant davantage de l’imagerie des magical girls que de celle de la chevalerie médiévale, les chorégraphies durant lesquelles les chevaliers endossent ces armures qui épousent les formes de leur corps au détriment de leur virilité seront inévitablement pointées du doigt par les détracteurs de Saint Seiya Omega. Quant à la question de la censure, elle ne se pose plus, les blessures se limitant visuellement à des égratignures insignifiantes dans le cadre de combats qui ne relèvent que très rarement d’une question de vie ou de mort.
S’ajoute enfin à cela un choix de character design parfois à la limite du mauvais goût, la tête du Petit Lion apparaissant distinctement sur le casque de Sôma qui parade comme dans un carnaval avec sa truffe ridicule sur le front... Une farce qui illustre assez bien la tonalité presque puérile du premier quart de la série, qui se borne à vouloir donner l’image d’une version enfantine de Saint Seiya. Une impression que la fin de la première saison parviendra heureusement à dissiper à l’aide d’une évidente remise en question, mais au prix du sacrifice de toute une frange du public qui ne sera pas parvenue à passer le cap de ce début de série.
La réaction de rejet d’une partie des téléspectateurs envers Saint Seiya Omega résulte, pour une part non négligeable, de la mise en place d’une académie de chevaliers. Aussi déplaisante sur le papier que dans sa concrétisation, l’idée de voir les Saints suivre une formation commune au sein de l’école de la Palestre confère très tôt à la série des allures de parodie. Finis les entraînements surhumains aux quatre coins du monde sous la tutelle d’un maître seul habilité à récompenser son disciple le plus méritant. Les chevaliers sont désormais des étudiants en uniformes scolaires qui doivent respecter des règles strictes et suivre scrupuleusement les cours de leurs enseignants sans jamais être autorisés à se battre entre eux de leur propre initiative.
L’occasion, malgré tout, de s’amuser du traitement imaginé pour certains anciens chevaliers de bronze, Geki de l’Ours étant devenu professeur tandis que le pathétique Ichi de l’Hydre, pourtant de la même génération, est le doyen des élèves, car toujours dans l’incapacité d’identifier son élément naturel. Régulièrement tourné en dérision, Ichi ira tout de même jusqu’à prétendre s’être caché dans les toilettes pour échapper aux envoyés de Mars, passant en réalité délibérément à l’ennemi pour monter en grade et revêtir une armure d’argent ! De quoi choquer les jeunes chevaliers de bronze et surtout ses fans... si tant est qu’il en ait jamais eu. Toutefois, il faut peut-être aller au-delà des apparences pour y voir, pourquoi pas, un manifeste au nom de tous ces personnages secondaires laissés pour compte dans la série originale. Une théorie que semble confirmer le traitement accordé à Jabu de la Licorne qui, sous ses airs de cow-boy solitaire, remet Sôma dans le droit chemin en lui faisant prendre conscience que la vengeance n’est pas une motivation honorable. Le surcroît de charisme dont bénéficie Jabu dans Saint Seiya Omega est peut-être une façon de rendre hommage au plus représentatif des éternels seconds rôles de la franchise.
Omega coche évidemment bien vite la case du tournoi - avec un titre de chevalier d’argent à la clef -, mais aussi celle du rival misanthrope par le biais d’Eden d’Orion, prodige faisant d’abord cavalier seul avant de se rallier à la cause du groupe. On retrouve dans ce personnage un reste de l’héritage d’Ikki du Phénix, Eden gagnant brutalement en épaisseur lorsqu’il est question de sa filiation directe avec Mars, dieu de la Guerre et ennemi principal de la série.
Mais les autres membres de l’équipe de Kôga recèlent eux aussi leur lot de surprises. Officiellement présenté comme le fruit des amours de Shiryû avec Shunrei, Ryûhô aurait été personnellement entraîné par son père pour devenir l’héritier de l’armure du Dragon. Profondément altruiste, il souffre d’une santé fragile et constitue l’un des premiers alliés sincères de Pégase, ne le provoquant que pour l’aider à déployer sa puissance qu’il ne maîtrise pas encore. Ryûhô rêve surtout de trouver une solution à l’état de son père qui a perdu ses cinq sens à la suite de ses anciennes batailles, ce qui ne l’a pas empêché de transmettre tout son savoir à son fils par l’intermédiaire de son cosmos.
Calqué sur le personnage de Naruto, avec ses « jutsu » et ses rondins de substitution, Haruto du Loup subira le rejet immédiat d’une grande majorité de téléspectateurs estimant que le chevalier-ninja s’insère très mal dans le cadre de la saga. L’histoire de son passé, marqué par la perte de son meilleur ami au village des shinobi, paraît elle aussi en décalage avec le contexte mythologique de Saint Seiya. Tous les clichés défilent d’ailleurs effrontément dans cet épisode, de la technique du multiclonage au « kuchiyose no jutsu » qui permet d’invoquer un scorpion géant... à se demander si l’on ne s’est pas trompé de série !
Lancé dans sa propre quête de vengeance, Sôma du Petit Lion est, lui, sur les traces de l’assassin de son père, le chevalier de la Croix du Sud. Mais le mystère entourant la disparition de ce dernier n’est pas sans lien avec le personnage de Sonia du Frelon, une Martienne de haut rang qui se révélera également être la sœur d’Eden d’Orion.
Il est intéressant de noter que le groupe de Kôga compte plusieurs héritiers légitimes des constellations qui avaient été mises au second plan dans la première série. C’est le cas du Petit Lion (Sôma succédant ainsi au très secondaire Ban), du Loup (Haruto prenant indirectement la relève de Nachi), mais aussi de l’Aigle. Toutefois, même si Yuna et Marine sont affiliées à la même constellation, la première ne possède qu’une armure de bronze là où le maître de Seiya se rangeait parmi les Silver Saints. C’est peut-être dans le souci d’atténuer cette incohérence que la série emploiera plus volontiers le terme latin « aquila » - au lieu d’« eagle » - pour présenter Yuna.
Considérés comme de véritables modèles pour les jeunes chevaliers de la Palestre, les anciens Bronze Saints sont qualifiés de légendaires et chacune de leurs apparitions respectives constitue un moment fort de la série. Affligés par une malédiction, ils ne peuvent théoriquement plus se battre ni revêtir leurs armures. Car, treize ans plus tôt, si Seiya parvint à repousser Mars et à le blesser, il fut lui-même entraîné dans les abysses tandis que Shun, Ikki, Shiryû et Hyôga en sortirent contaminés par les ténèbres. Depuis ce jour, ces dernières dévorent leur chair chaque fois qu’ils enflamment leurs cosmos, les condamnant à l’inaction.
Pourtant, aucun d’entre eux ne s’avoue réellement battu. Shun d’Andromède est devenu médecin pour porter secours aux plus démunis. Shiryû, le mythique chevalier du dragon, en perpétuelle méditation depuis l’abolition de ses cinq sens, a désormais la garde de l’armure d’or de la Balance que viendra revendiquer un certain Genbu. Hyôga, le légendaire chevalier du Cygne, mettra la volonté de Kôga à l’épreuve dans le but de dissiper ses doutes et lui redonner la force d’enflammer son cosmos pour poursuivre sa quête. À l’instar de ses anciens frères d’armes, Ikki, le Phénix à l’armure immortelle, n’interviendra véritablement qu’à la toute fin de la série, lors de l’assaut final contre la déesse Pallas. Car il n’est pas question d’accorder une place trop importante aux anciens héros, le passage de flambeau entre les deux générations étant symbolisé par le message adressé par Seiya aux jeunes chevaliers de bronze qui leur confie, comme Aiolos avant lui, le destin d’Athéna.
En proposant lui-même sa propre vision de l’avenir pour les anciens personnages de la saga, Omega entre inévitablement en conflit avec l’interprétation suggérée par Megumu Okada dans Saint Seiya Episode G - Assassin. Dans ce dernier, Seiya n’a pas été promu chevalier d’or du Sagittaire, Shiryû n’a pas de descendant direct, mais un fils adoptif nommé Shôryû, Hyôga ne vit pas à l’écart du monde, mais travaille comme serveur dans un bar et Ikki est appelé à devenir le Gold Saint du Lion. À l’inverse, on peut identifier plusieurs similitudes intéressantes entre les deux, comme le fait que Shun soit devenu médecin ou que Kiki, le disciple de Mû, ait hérité de l’armure du Bélier. La redéfinition des chevaliers d’or constitue d’ailleurs l’un des principaux attraits de Saint Seiya Omega qui s’amuse à surprendre en mêlant des personnages connus à d’autres totalement inédits. Si les anciens Bronze Saints sont vénérés comme des légendes vivantes par la nouvelle génération, que dire alors des chevaliers d’or ? À ce titre, l’espiègle Kiki, qui intervenait essentiellement dans les scènes comiques de la première série, est traité avec un respect excessif qui ne peut manquer d’amuser les fans de Saint Seiya. Aux yeux des jeunes chevaliers, « Kiki-sama » - suffixe honorifique japonais marquant la déférence envers une personne haut placée -, est un individu de haut rang qui symbolise la réussite à laquelle ils aspirent tous. Saint Seiya Omega l’imagine comme un adulte beaucoup plus responsable, conscient de la valeur de l’héritage transmis par Mû. Il n’est pas seulement un expert en télékinésie, il est aussi la dernière personne de cette époque à pouvoir réparer les armures à l’aide de la poussière stellaire. Ayant même sa propre disciple (la petite Raki d’Appendix), il a pris la relève de son maître au point d’être capable de détecter les points faibles des armures de ses adversaires pour les oblitérer d’une simple pression avec le doigt.
La surprise concernant Harbinger du Taureau ne réside pas tant dans la description intrinsèque de ce nouveau chevalier - un colosse borgne qui aime le bruit des os fracassés - que dans la promotion qui lui est offerte à la fin de la série. Alors que la saga n’a jamais accordé un rôle digne de ce nom au gardien de la maison du Taureau, Omega le voit comme un prétendant potentiel au statut de Grand Pope. À l’issue de la seconde saison, c’est lui qui est désigné à l’unanimité pour remplir cette fonction, avec pour mission de maintenir la cohésion entre tous les chevaliers. Il semble que le caractère désintéressé d’Harbinger le prédispose à cette fonction inadaptée à quiconque convoiterait uniquement le pouvoir et le trône du Grand Pope. Ce n’est pas un hasard si c’est à lui qu’Athéna demande de veiller sur son armure de déesse jusqu’au moment où elle sera en mesure de la porter.
Une fois n’est pas coutume, c’est une femme chevalier qui est ici la détentrice de l’armure des Gémeaux. Dans une revisite étonnante du labyrinthe d’Alice au pays des merveilles, l’entrée en scène de Paradox fait basculer la série dans un délire heureusement temporaire. Devenue chevalier par admiration envers Shiryû auquel elle aurait fait parvenir des lettres d’amour qui seraient restées sans réponse, Paradox tente de corrompre en vain son fils Ryûhô. De l’autre côté de l’écran, on a bien du mal à croire que cette groupie soit capable de recourir aux arcanes du Dragon uniquement après s’être longuement entraînée à reproduire les techniques de son idole... La dualité de sa constellation se retrouve dans un premier temps dans son tempérament aliéné pouvant basculer à tout moment dans la haine. Mais son rôle se verra considérablement étoffé dans la seconde saison, où elle se rangera aux côtés de Pallas et devra affronter sa jumelle Integra des Gémeaux dans un duel fratricide avant d’accepter de joindre ses forces à celles de sa sœur dans ses tout derniers instants.
Comptant parmi les Gold Saints les moins présents dans Saint Seiya Omega, Schiller du Cancer considère que seule la mort d’autrui peut lui permettre d’assurer sa propre survie. À cause d’une enfance misérable et traumatisante, il n’a toujours vécu que dans la peur de ne pas voir le lendemain se lever. Sa voie vers le grade de chevalier d’or - qui plus est celui du Cancer, symbole de l’immortalité - sera pavée de sacrifices ne visant qu’à satisfaire sa propre ambition.
L’entrée en scène des chevaliers d’or, dont certains sont à la solde de Mars, conduit à l’introduction d’enjeux plus ambitieux et survient alors que le voile se lève sur l’identité du directeur de l’académie de la Palestre. Ionia n’est pas seulement un adorateur de Mars adepte des ténèbres qui s’est abaissé à faire passer une innocente jeune fille (Aria) pour la véritable Athéna. Il est surtout le chevalier d’or du Capricorne, censé incarner la sagesse et l’intelligence, qui tire en réalité les ficelles dans l’ombre, tel le Grand Pope de la première série. Cet érudit plutôt âgé utilise le pouvoir des mots pour contrôler ses adversaires, et, sous son influence, la Palestre devient une gigantesque prison de ténèbres dont nul ne peut s’échapper. Pourtant, si le chevalier félon s’est rallié à Mars, c’est à cause de sa dévotion sans bornes envers Athéna qui lui valut jadis la rébellion de ses disciples. S’étant exilé volontairement en attente du jour où il recevrait le pardon de la déesse, il devient le jouet de Médée, l’épouse de Mars, qui le persuade que seul l’avènement du dieu de la Guerre pourra libérer Athéna de son destin tragique.
C’est dans ce contexte qu’est suggérée l’édification de douze nouvelles maisons du zodiaque, l’idée de faire intervenir les chevaliers d’or résultant peut-être de l’urgence de remplacer les insipides soldats martiens par des antagonistes plus prestigieux. Sur les ruines de l’ancien Sanctuaire, Mars dresse sa propre Tour de Babel et y rassemble le cosmos des chevaliers prisonniers afin d’accomplir ses sinistres desseins, avec l’appui de Mycènes, le chevalier d’or du Lion. Loin du modèle de droiture habituellement décrit avec emphase dans la saga, le nouveau Gold Saint du Lion est un renégat impassible qu’une loyauté aveugle empêche de remettre en question le bien-fondé des ordres de Mars. Fudô de la Vierge, lui aussi, est convaincu que le monde ne peut être sauvé qu’en le purgeant afin que les hommes puissent expier leurs péchés. Ses yeux vairons, il ne les ouvre que pour dévoiler la vraie nature de son visage, mi-dieu mi-démon, et confronter ses adversaires au jugement des cinq Vidyarajas, les dieux courroucés du bouddhisme. Balance et Verseau s’affrontent aussi à travers les personnages de Genbu et Tokisada, chevalier d’argent de l’Horloge fraîchement promu au rang de Gold par l’entremise de Médée. Convaincu de l’inégalité de leurs forces, Tokisada n’étant qu’un pantin soumis à la volonté de sa nouvelle armure, Genbu engage le duel sans risque de s’enliser dans une guerre de mille jours, mais il ne survivra pas à sa confrontation ultérieure avec le Pallasite Aegir.
Avec celle des Gémeaux, la constellation du Scorpion est la seule à oser placer une femme dans une armure d’or, Sonia du Frelon ayant à son tour bénéficié d’une promotion express de la part de Médée. Dans la mythologie grecque, Médée n’est pourtant pas dépeinte comme un être si malveillant, mais sa nature de magicienne accomplie en fait cependant une manipulatrice crédible dans le cadre de la série. La vie de Sonia, fille de Mars, s’achèvera sous les yeux de son demi-frère Eden qui arrivera trop tard pour empêcher le drame.
De l’avis du plus grand nombre, c’est avec le dénouement de sa première saison que Saint Seiya Omega justifie le plus son visionnage. La légitimité du statut de héros de Kôga de Pégase y est subitement remise en cause à la lueur des révélations entourant les circonstances de la précédente bataille contre Mars. Si l’impact de la météorite a bien donné naissance à deux enfants - Kôga (récupéré par Athéna) et Aria (capturée par Mars) -, la lumière et les ténèbres produites durant le crash se sont aussi insinuées en eux. Seule l’influence omniprésente de la déesse durant ces treize années a permis à Kôga d’exprimer un cosmos lumineux alors que les ténèbres l’avaient choisi, Athéna ayant tout fait pour empêcher l’enfant de plier sous la domination de son cosmos véritable. Lorsqu’il découvre qu’il possède un cosmos de ténèbres, Pégase comprend que la lumière qu’il possède en lui n’est pas la sienne, mais celle du cosmos bienveillant de Saori. C’est uniquement parce qu’il avait foi en sa propre lumière qu’il est parvenu à faire brûler ce cosmos alors qu’il ne s’agissait pas de son véritable élément. La perspective de voir le héros de la série basculer à tout moment dans les ténèbres confère alors une toute nouvelle ampleur au scénario de Saint Seiya Omega. Des deux enfants, c’est Aria qui fut choisie par la lumière, et c’est précisément cette essence que convoite Mars lorsqu’il lui transperce le cœur. Là encore, la série surprend par sa prise de risque, Aria disparaissant de manière précoce et définitive au grand dam du téléspectateur pourtant convaincu qu’il la reverra. Avec le choc de cette disparition - comparable à la célèbre mort d’Aerith dans le jeu Final Fantasy VII -, la tonalité se fait nettement plus sombre et on commence à comprendre que personne ne sera épargné. Car, si la disparition d’Aria a effondré Kôga et ses compagnons, Eden le vit carrément comme un traumatisme. Semblable à une coquille vide, il apparaît alors aux yeux de Mars et de Médée comme le réceptacle idéal du cosmos de ténèbres qui vient d’émerger en Kôga.
À la différence des autres chevaliers d’or, le rôle d’Amor des Poissons trouve son intérêt dans sa participation directe à la renaissance d’Apsû, l’entité noire qui sommeille en Kôga. Malgré la défaite de Mars, Médée poursuit son projet de destruction en insufflant les ténèbres de la dépouille du dieu dans le bras de son frère, le chevalier d’or des Poissons. Se prolongeant sur la planète rouge, l’affrontement opposant Amor à Kôga provoque le réveil d’Apsû, déité des ténèbres qui prend le contrôle du corps et de la conscience de Pégase pour faire de lui le nouvel antagoniste de la série ! Sous cette forme d’ombre mutique à la rapidité fulgurante, Kôga reste sourd aux appels de ses anciens alliés, l’image qu’il renvoie évoquant tout particulièrement celle du personnage d’Oswald dans le jeu vidéo Odin Sphere. Ni les supplications de Yuna ni celles de Saori ne parviennent à atteindre ce qu’il reste de l’ancien Kôga, mais elles permettent la libération de Seiya qui était resté prisonnier des ténèbres depuis sa dernière confrontation avec Mars. Ensemble, et avec la bénédiction de l’armure du Sagittaire, ils finissent par détacher Kôga de l’entité Apsû et la première saison s’achève sur une séquence particulièrement audacieuse où de simples crayonnés s’animent à l’écran. La simplicité et la virulence du trait accentuent le caractère dramatique de cette scène qui reste parfaitement lisible.
Les taux d’audience de cette fin de saison ayant convaincu le studio de repartir pour quarante-six épisodes supplémentaires à partir d’avril 2013, de nouvelles problématiques se dessinent. L’adversité s’articule dans un premier temps autour des ambitions égoïstes de la déesse Pallas, jalouse de l’attrait que porte Athéna à l’égard des humains. Les sources mythologiques divergent beaucoup lorsqu’il est question d’identifier cette déesse, mais elles se rejoignent le plus souvent pour associer le nom d’Athéna à celui de Pallas au point de suggérer qu’il s’agirait finalement d’une seule et même entité. Omega opte toutefois pour la version de l’auteur grec Apollodore qui prétend que Pallas aurait été tuée accidentellement par Athéna, sa compagne de jeu, et que sa mort affecta grandement la déesse de la Guerre. Dans le contexte de la série, tout laisse à penser qu’Athéna envoie Seiya assassiner Pallas - qui n’est encore qu’une très jeune déesse - afin d’éviter la bataille qui s’annonce. Mais Seiya hésite et ne parvient pas à se résoudre à la frapper de la dague d’or. Choquante sur le plan moral, cette introduction est à relativiser au regard de ce que l’on apprend par la suite. C’est en voyant Saori incapable d’éliminer Pallas que Seiya décide lui-même de s’en charger, mais il ne s’abaisse pas lui non plus à commettre un tel acte. Le fait d’attendre que Pallas ait grandi quasiment au stade adulte pour l’affronter s’avère déjà plus digne de leurs valeurs. Avec le recul, Saori s’en voudra terriblement d’avoir cru qu’empêcher la résurrection de Pallas permettrait d’éviter la confrontation. Le destin d’Athéna, déesse de la Guerre, est de se battre quoi qu’il advienne. Il n’en reste pas moins que Pallas est résolue à exterminer l’humanité par l’intermédiaire de son armée de Pallasites, capables de manipuler le temps à l’aide des Chronotectors, les puissantes armures qu’ils revêtent.
Moins inspirée sur le plan narratif, cette seconde saison prend pourtant la peine de corriger certains écueils identifiés très tôt par les fans. À commencer par le design des armures qui, en héritant d’une nouvelle forme, se font plus métalliques et un peu plus couvrantes, et donc davantage dans l’esprit de la série originale. Dans le souci de réhabiliter les codes les plus symboliques de Saint Seiya, la série tire un trait sur les pendentifs pour revenir au concept des urnes contenant les Cloths, et on voit même Kôga reproduire le dessin de sa constellation comme le faisait son prédécesseur en 1986. Malgré cet effort, la série souffre toujours des mêmes faiblesses au niveau de l’animation et du character design, comme en témoigne la scène où apparaissent côte à côte les deux générations de chevaliers du Bélier. La comparaison est sans appel, l’armure de Mû étant aussi finement ouvragée que celle de son disciple paraît désespérément lisse, sans fioritures ni aspérités et reflétant beaucoup moins bien les jeux d’ombre et de lumière. Dans le même style, on avait déjà pu constater le gouffre séparant le degré de finition entre les deux séries lors de l’intervention des chevaliers d’argent. La tête de la Gorgone sur le bouclier du nouveau chevalier de Persée était à ce point stylisée qu’elle en devenait méconnaissable.
Censé conférer un surcroît de maturité à la nouvelle génération de bronze, le retour des chevaliers d’acier - invention de la première série animée - n’a d’intérêt que dans le cadre de l’entrée en scène d’une figure clef de ce deuxième arc : le Steel Saint Subaru. Bien des chevaliers ayant péri pendant la bataille contre Mars, la Palestre est en train de former de nouveaux aspirants revêtus d’armures d’acier artificielles et, parmi eux, Subaru semble avoir un rôle important à jouer. Dans une tentative désespérée de réconcilier le public avec le ninja Haruto, le staff a l’idée saugrenue de faire de lui une star du rock, condamnant encore plus le personnage au rejet des fans. Promu Pallasite de troisième rang, Eden - qui a tout perdu lors de la bataille contre Mars - repasse dans le mauvais camp pour espionner l’ennemi de l’intérieur. Malheureusement, la guerre totale qui s’annonce entre Pallas et Athéna verse dans des duels sans intérêt contre des Pallasites de troisième rang qui reviennent à maintes reprises. Une fois les enjeux posés, l’écriture des épisodes fait montre d’une platitude absolue, très inférieure à la fin de la première saison. Les Gold Saints et la génération légendaire n’entrent en scène que pour le grand final et les chevaliers d’acier ne dépassent jamais leur statut de simple faire-valoir.
Un objectif intérieur se dessine malgré tout pour les Saints : s’éveiller à l’Oméga, un stade de conscience supérieur aux autres sens qui permettrait de rompre le maléfice du bracelet torsadé qui dévore Athéna à petit feu. La série instaure là un nouveau stade d’éveil du cosmos qui n’apparaît pas dans le canon de Saint Seiya tel que l’a imaginé Masami Kurumada. Ne peuvent y prétendre que ceux qui unissent leurs cosmos dans le but de produire une puissance infinie. La dernière des vingt-quatre lettres grecques, qui représente la fin de tout, symbolise en définitive ce pouvoir que les dieux jugeaient trop grand pour les simples humains. Il s’agit du pouvoir d’égaler, voire de surpasser les dieux, l’ultime cosmos auquel aspirent les chevaliers au-delà du septième sens : l’Oméga véritable qui métamorphose les Cloths en armures divines.
À l’approche du lever de rideau au sujet de l’identité du réel antagoniste, les rebondissements tournent essentiellement autour de l’évolution de Subaru qui finit par se ranger sous la protection de la constellation du Petit Cheval, héritée du défunt chevalier Celeris d’Equuleus. L’apparition des quatre Rois Célestes, lieutenants de Pallas, tranche avec le reste de l’anime à cause de leurs armures massives transformables aux noms improbables (Gravitontector, Photontector, Destructiontector et Genesistector !) dignes de séries de mechas. Un prétexte pour voir les chevaliers de bronze mettre encore à jour leurs propres Cloths en les customisant afin d’effleurer le stade de l’Oméga. Tout y passe, même la technique interdite de l’« Athena Exclamation » que s’abaissent à déclencher Kiki du Bélier, Fudô de la Vierge et Shiryû, à qui Genbu a légué l’armure de la Balance. Pour ne pas rester passive durant l’assaut du château de Pallas et dans le but d’éveiller sa propre Cloth, Saori entre en résonance avec la statue d’Athéna et son armure s’anime au contact du sang sacré de la déesse. Elle l’endosse pour tenter de faire plier Pallas qui, elle aussi, a revêtu sa tenue de bataille, épaulée par son champion Titan aux prises avec Seiya. Mais tandis que les deux déesses semblent trouver un terrain d’entente, le véritable ennemi se manifeste sous les traits de Saturne, déité du Temps, enfoui à l’intérieur de Subaru. Bien qu’il soit parfois assimilé au Titan grec Cronos, le dieu Saturne de Saint Seiya Omega n’a aucun lien avec le Cronos d’Episode G ni avec le Chronos de Next Dimension. Ils n’en ont pas moins tous la même capacité à contrôler le temps et c’est dans l’espace infini que la dernière bataille prendra place. Cristallisant l’Oméga né de l’union de tous les cosmos de la Terre, l’armure de Kôga s’imprégnera de l’éclat ultime du pouvoir de réaliser des miracles propre à l’être humain, et même Saturne n’y résistera pas. Impressionné, le maître du temps s’inclinera pour se retirer, laissant aux hommes le soin de rebâtir tout ce que les dieux ont détruit.