« La meilleure solution face à une situation contrariante, c’est l’humour. »
MURIEL STERLING,
Savoir mêler les affaires et la joie de vivre :
Comment équilibrer avec succès les affaires et l’amour
La soirée du mardi marqua le retour de Muriel chez Zelda’s. Olivia, cheveux gris et bien en chair, toute pomponnée dans son pull noir constellé de paillettes et son pantalon à taille élastique, l’accueillit en la serrant dans ses bras.
— Je suis tellement heureuse que tu aies décidé de nous rejoindre, ma chérie.
De fait, maintenant qu’elle se trouvait là, Muriel l’était également. Au lieu de se sentir nerveuse et sous pression, elle espérait pouvoir lâcher prise, et s’abandonner au réconfort que seule la camaraderie née d’une expérience commune était susceptible de procurer. Personne pour la forcer à programmer des événements. Personne, non plus, pour lui demander si elle avait contacté Lupine Floral afin de se renseigner sur la possibilité d’obtenir gracieusement des compositions florales pour le bal, ou si elle avait imaginé des questions pour le concours de Monsieur Idéal. Ici, elle pourrait avouer à quel point Waldo lui manquait, combien elle se sentait perdue, et il n’y aurait personne pour feindre d’éprouver du chagrin pour la perte qui l’endeuillait. Les femmes réunies là partageraient réellement sa peine.
Charley venait de les installer à une table d’angle lorsque Dot Morrison survint à son tour. C’était une femme mince, aux cheveux gris coupés court, qui encadraient un visage allongé au nez busqué. Certes, elle avait de jolis yeux, et Muriel lui reconnaissait au moins cela, mais ceux-ci étaient constamment plissés — sans doute un réflexe pour se protéger de la fumée de ses incessantes cigarettes. Bref, Dot était l’incarnation de Maxine, la vieille dame représentée sur les cartes de vœux Hallmark. Muriel n’avait jamais acheté ce type de cartes.
Dot se glissa sur son siège, apportant avec elle l’odeur du tabac. Puis, d’une voix assez grave pour lui permettre de chanter comme basse dans un quatuor vocal, elle prit la parole :
— Quelle soirée… Que cette satanée pluie verglaçante dure encore un peu et nous allons toutes rouiller.
Elle sembla remarquer Muriel tout à coup.
— Je constate que nous avons une nouvelle ANHo, dit-elle en s’adressant à elle. Je prends toutefois le pari que vous ne resterez pas avec nous longtemps.
« Agneau » ? Comme un agneau conduit à l’abattoir ? Et qu’avait-elle en tête, quand elle affirmait que Muriel ne resterait pas longtemps avec elles ? Allaient-elles la renvoyer ?
Tandis qu’un sourire pincé se dessinait sur ses lèvres, Muriel demanda :
— Un agneau, vous dites ?
Olivia la corrigea immédiatement en lui fournissant les éclaircissements nécessaires.
— Non, pas agneau, ANHo. Il s’agit d’un acronyme qui signifie « Après Nos Hommes ».
Ce que la formule était déprimante !
Comme si elle lisait dans les pensées de Muriel, Olivia ajouta :
— C’est supposé véhiculer un message positif, nous rappeler que ce n’est pas parce que notre mariage est derrière nous que notre vie l’est aussi.
Elle se tourna vers Pat pour lui offrir un sourire de remerciement.
— Si Dottie et Pat ne m’avaient pas prise sous leur aile après le décès de George, je ne sais pas comment je m’en serais sortie. M’occuper des garçons, diriger seule l’auberge, tout ça était accablant… J’avais quelquefois l’impression que la chaîne des monts Cascade s’était tout entière abattue sur moi. S’il est exact qu’il m’arrive certains jours de me sentir seule, en réalité, je ne le suis pas.
Muriel ne put s’empêcher de penser : Jusqu’à ce que tu ailles te coucher le soir.
Pat reconnut cependant :
— Pour autant, s’adapter n’est pas chose aisée.
Dot interrompit ces confessions avec des paroles qui se voulaient rassurantes pour Muriel :
— Mais ne vous tracassez pas, je parie que vous allez dégoter un autre homme et que, d’ici six mois, vous nous aurez quittées.
Irritée, Muriel se hérissa.
— Excusez-moi ? demanda-t-elle.
Mais Dot n’en démordit pas. Comme s’il était facile, pour des femmes de leur âge, de trouver l’amour à un coin de rue.
— Vous êtes encore jeune et séduisante, ajouta-t-elle.
Autre hypothèse : Dot était en train d’insinuer qu’elle n’était pas très exigeante en la matière. Quels que soient ses sous-entendus, Muriel n’appréciait décidément pas son attitude condescendante. En dépit de cette peau vieillie par la consommation de tabac et de ces cheveux gris, Dot n’était guère plus âgée qu’elle. Aussi cette dernière était-elle mal placée pour camper la vieille femme pleine de sagesse.
Muriel attendit quelques instants avant de rétorquer, d’une voix à laquelle l’émotion donnait une intonation cinglante :
— J’ai eu assez de chance pour me marier par deux fois avec des hommes merveilleux. Je ne vais certainement pas me précipiter pour rencontrer le premier venu sous l’unique prétexte que je suis seule.
Sur le coup, Dot haussa les sourcils. Ce qui semblait signifier : Vraiment ?
Cette conversation avait mis Muriel à cran. Si c’était du soutien, elle pouvait s’en passer. Elle s’apprêtait à invoquer la nécessité urgente de rentrer chez elle et à présenter en conséquence ses excuses, quand Maria s’approcha pour prendre leur commande.
— Bonsoir, mesdames ! C’est une nouvelle réunion des ANHo ?
Pat confirma sur un ton enjoué :
— Oui. Apporte donc du champagne.
Après avoir acquiescé, Maria s’éclipsa, tout affairée. Pat, quant à elle, annonça à Muriel en souriant :
— Nous devons porter un toast à notre tout nouveau membre.
Nouveau membre ? Muriel ne s’était en aucun cas engagée. Elle avait juste accepté de venir prendre un verre.
— Eh bien, nous verrons, murmura-t-elle.
Ç’aurait été faire preuve d’impolitesse que de se lever maintenant. Elle resterait le temps d’un verre, le temps de leur souhaiter à toutes bon courage, et ensuite, elle partirait.
En attendant le champagne, la conversation porta sur des sujets banals, comme les exploits des petits-fils de Pat, qui étaient scolarisés en primaire, ou encore le nouveau régime qu’Olivia avait entrepris : sept jours de légumes suivis d’autant de protéines. Là-dessus, les amies se mirent à discuter de leur entreprise, ce qui donna à Muriel l’impression d’être un poisson hors de l’eau. Ces femmes-là étaient toutes des femmes d’affaires compétentes. Alors que, elle, elle pataugeait. Encore un bon motif pour ne pas rester.
Maria apporta la bouteille de champagne et les servit.
Pat brandit son verre et lança :
— A Muriel. Que les bons souvenirs te bercent et qu’une nouvelle voie se montre à toi.
Tout en levant son verre vers Muriel, Dot s’écria :
— Aux femmes fortes ! A l’exemple du roseau, nous ployons sous les vents mauvais, mais ne rompons pas.
— Et même si vous vous retrouvez seule, ajouta Olivia, souvenez-vous toujours que vous n’êtes pas esseulée. Aux ANHo.
Les deux autres répétèrent en écho :
— Aux ANHo.
Tandis que ses compagnes sirotaient leur champagne, Muriel se délectait des mots de leurs toasts. Après tout, peut-être resterait-elle pour dîner. Partir brusquement serait incorrect.
* * *
Cecily fut surprise de se réveiller avec l’odeur du bacon frit. Leur mère ne pouvait être déjà debout… De surcroît, en train de préparer le petit déjeuner… Elle se rendit dans la cuisine, où elle la découvrit non seulement occupée à concocter le petit déjeuner, mais habillée, de surcroît. Ses yeux rouges trahissaient une crise de larmes matinale, mais il était encourageant de la voir levée et en pleine action.
Cecily l’embrassa en déclarant, enthousiaste :
— Ça sent merveilleusement bon !
— Je suis sûre que tu as un million de choses à faire aujourd’hui, répondit sa mère en lui tapotant la joue. J’ai pensé que tu pourrais prendre un solide petit déjeuner.
Cecily approuva, avant de se verser une tasse de café :
— Tu as vu juste.
Muriel mit du pain à griller.
— Qu’est-ce que tu as de prévu, aujourd’hui ? demanda-t-elle.
C’était la première fois que sa mère posait cette question depuis son arrivée.
— Je vais faire imprimer les photos de tous les hommes qui participent à notre concours de Monsieur Idéal pour les afficher dans la boutique. Mais avant, dans l’après-midi, Bailey et moi devons discuter sur Skype : j’aimerais trouver un thème pour le bal, et commencer à chercher des détails correspondants.
Muriel opina du chef tout en cassant des œufs dans une poêle.
Cecily se hasarda alors :
— J’aurais bien besoin d’une aide créative.
Elle avait déjà sollicité sa mère pour mettre au point certaines questions destinées aux concurrents. Elle avait l’espoir, d’une part, de tirer parti de son talent d’écriture et, d’autre part, de la libérer de ses soucis. Mais elle avait essuyé un refus ferme, quoique poli. Aussi ne savait-elle pas très bien pourquoi elle renouvelait sa demande.
A sa grande surprise, sa mère lui déclara :
— J’arriverai peut-être à trouver quelque chose d’intéressant.
Excepté la séance familiale de remue-méninges à laquelle on l’avait contrainte et forcée, c’était la première fois, depuis la mort de Waldo, que sa mère accordait un quelconque intérêt à la vie qui continuait de suivre son cours autour d’elle. Cecily ignorait si son dîner en ville de la veille, avec le groupe de soutien de Pat, y était pour quelque chose — Muriel n’avait donné aucune précision en rentrant à la maison — mais, si tel était le cas, elles seraient redevables à Pat pour le reste de leur vie.
— Ce serait formidable, dit-elle à sa mère.
Sans compter que Samantha serait enchantée de constater que leur mère s’investissait.
Muriel poursuivit, comme pour s’excuser :
— Je ne voudrais pas que vous, les filles, considériez que vous portez ce fardeau toutes seules.
Puis elle fit glisser un œuf dans une assiette, y ajouta une tranche de pain grillé et tendit le tout à Cecily.
Eprouvant subitement de la culpabilité à avoir demandé de l’aide, Cecily déclara doucement :
— Tu affrontes beaucoup de choses.
— Nous affrontons toutes beaucoup de choses, mais, ensemble, nous sommes assez fortes pour renverser n’importe quel obstacle. Nous nous en sortirons.
Leur mère restait décidément la reine de la formule. Elle était capable de déployer une phrase comme une couverture moelleuse et réconfortante. Cecily posa l’assiette et l’étreignit.
— Tu es toujours là pour nous.
D’une voix étranglée, Muriel la remercia et l’étreignit à son tour.
— Merci, ma chérie.
Voilà qui était la manière idéale d’entamer la journée. Sur cette considération, Cecily partit pour la boutique, vêtue d’un jean, d’un chandail à col montant et d’une veste d’hiver.
Samantha ne se trouvait pas dans son bureau lorsque Cecily passa la tête à l’intérieur pour lui dire bonjour.
Elena la renseigna :
— Elle est partie au Bavarian Brews. Elle s’entretient avec Nia Walters.
Bien sûr : l’interview pour le Mountain Sun que Cecily lui avait organisée.
— Très bien. Je vais en bas, dans la boutique, agencer une exposition de nos candidats au concours Monsieur Idéal. Peut-être que je devrais lui proposer d’emmener Nia la voir, une fois que ce sera fini.
— Ça promet d’être un sacré concours, pronostiqua Elena.
— Heidi m’a dit que plusieurs hommes sont encore venus déposer leur inscription ce matin. Ce qui n’a rien de surprenant, quand on voit les prix mis en jeu.
Bailey s’était surpassée. Cecily ne put retenir un sourire.
— On dirait que chacune des femmes de cette ville inscrit son homme, fit-elle remarquer.
— Pas moi, répliqua Elena. Même si nous le pouvions, je ne le ferais pas. Le mien n’aurait aucune chance, avec sa grosse bedaine. Et pourtant, il en avait envie.
— Qu’est-ce que vous lui avez dit ?
— Qu’il était loco.
— Vous croyez que nous avons été folles d’organiser ce concours ?
— Je dirais plutôt « malines comme des singes ». Nous allons vendre des quantités astronomiques de chocolats pour ce concours, n’est-ce pas ? En tous les cas, moi, j’y assisterai et j’y emmènerai mes sœurs.
Samantha avait beau rouspéter, songeait Cecily en descendant l’escalier qui menait à la boutique, cet événement-là allait remplir la salle des fêtes. Et si tout se passait bien, le bal et les autres manifestations connaîtraient un succès similaire.
Heidi lui remit les photos et les formulaires d’inscription des derniers participants en s’exclamant :
— Je n’avais jamais réalisé que nous avions autant de beaux spécimens masculins, à Icicle Falls !
L’une des photos représentait le benjamin d’Olivia, Brandon, qui posait en tenue complète de ski. A la fois mordu de glisse et mauvais garçon, il avait essaimé, entre Icicle Falls et Ellensburg, une kyrielle de cœurs brisés, dont celui de Bailey. Cette dernière avait nourri l’espoir de le voir lors de son déplacement pour les obsèques de Waldo mais, fort heureusement, il s’était absenté de la ville. Cependant, il projetait d’être dans les parages pour le festival, semblait-il, ce qui risquait d’être synonyme d’ennuis pour leur petite sœur.
Cecily soumit la photo à un examen attentif, dans le but de déterminer à quelle vedette de cinéma il ressemblait. Ce menton carré et ces cheveux bruns ondulés lui faisaient penser à Orlando Bloom, mais il avait incontestablement les yeux de Jake Gyllenhaal, et un physique mince à la Jude Law. Elle en arriva à la conclusion qu’il était purement et simplement d’une beauté renversante.
Et là, c’était… Elle battit des paupières. Blake Preston ? Sérieusement ? Ce type ne manquait pas de toupet.
Elle interrogea Heidi sans tarder :
— Qu’est-ce qu’il fait donc ici, celui-là ?
Heidi s’étonna :
— Pourquoi ? Il ne devrait pas ?
— Il ne paraît pas avoir beaucoup de dignité, pour un directeur de banque.
— Allez le dire à sa grand-mère, répliqua Heidi. Elle, elle le trouve magnifique. Et je dois dire qu’elle a raison.
Comme il était dommage qu’un si bel homme fût pourvu d’un cœur si mesquin ! Il n’y avait toutefois là rien d’étrange. La plupart des hommes que Cecily avait rencontrés étaient de pauvres types superficiels, qui ne voyaient pas leur cœur comme le plus important de leurs organes.
S’emparant de la photo, elle gagna l’endroit de la boutique où elle allait mettre en place son exposition et téléphona à sa sœur.
— Tu ne devineras jamais qui participe à notre concours…
— Qui ça ?
Sa réponse tomba tel un couperet :
— Blake Preston.
Un silence pesant s’ensuivit à l’autre bout de la ligne, puis Samantha s’exclama :
— Oh ! C’est vraiment le dernier des hypocrites, celui-là !
— C’est un bon résumé du personnage, approuva Cecily. Est-ce que je dois égarer sa photo ?
— Non, conserve-la. L’envie pourrait me prendre d’y lancer des fléchettes.
— Tu pourras au moins informer Nia que nous avons la fine fleur des personnalités locales.
— Ce que j’aimerais, là, tout de suite, maugréa Samantha, ce serait le secouer depuis les cimes du Sleeping Lady. Oh, tiens, voilà Nia ! Je dois y aller.
Cecily mit fin à la communication et partit travailler, tout en ruminant cette dernière péripétie.
Elle s’était à peine remise à la tâche que le carillon de la boutique retentit pour laisser entrer Billy Williams, un employé du ranch d’hôtes de River Bend. Il comptait parmi leurs premiers inscrits. Bill Will, ainsi que tout le monde l’appelait, était un autre des mauvais garçons du cru. Cecily, à l’époque étudiante, avait brièvement fait partie de sa bande. Elle avait grandi, mais ce n’était pas, apparemment, le cas de Billy. En une phrase lapidaire, Heidi avait comblé le retard de Cecily en ce qui concernait ses exploits : Il aime traîner au Men Cave. C’était tout dire, à en juger par l’identité du propriétaire.
Heidi accueillit Bill aimablement :
— Salut, Bill Will. Vous nous rendez visite pour acheter du chocolat ?
Il ôta son chapeau de cow-boy pour révéler des boucles ébouriffées couleur châtain.
— Je suis passé pour offrir un cadeau à Samantha.
Puis il s’adressa à Cecily :
— Salut, Cecily. Tu es de retour en ville, à ce qu’il paraît ?
— Oui, et j’ai fort à faire avec le festival, répliqua-t-elle du tac au tac.
Il haussa les épaules avec bonhomie.
— Bon, et où est ta grande sœur ? reprit-il.
— Elle est allée faire un tour au Bavarian Brews.
— Entendu. Je devrais la trouver là-bas, j’imagine.
— De quoi est-ce que tu as besoin ? demanda Cecily, dont la curiosité avait été piquée.
Et qu’est-ce que c’était que ce mystérieux cadeau ? Impossible de se départir du soupçon que quelqu’un allait essayer de soudoyer les juges.
— Oh ! Rien… Je pensais juste lui montrer pourquoi je suis le meilleur Monsieur Idéal du coin. A bientôt, les filles !
Une seconde après, il franchissait le seuil de la porte.
Les deux femmes échangèrent plusieurs regards. Bill Will était un tantinet exhibitionniste.
— Est-ce que nous devons prévenir Samantha ? demanda Heidi à Cecily.
Un Bill Will se donnant en spectacle constituerait une excellente publicité. Quoi qu’il envisageât de faire, cela ne pouvait qu’apporter du piment à l’article que Nia était en train de rédiger pour le Sun. Du coup, après avoir marqué un temps de réflexion, Cecily répondit :
— Laissons-lui la surprise.
* * *
Samantha et Nia avaient pris place à une table d’angle avec leur café au lait quand Billy Williams fit son apparition, tout droit sorti d’une affiche de beau mannequin musclé, moulé dans un jean étroit et portant une chemise sur le point de se déchirer sous ses pectoraux saillants. Il avait repoussé son chapeau de cow-boy en arrière et tenait à la main une corde.
Billy hurla à travers la salle de café, attirant ainsi tous les yeux sur lui :
— Samantha Sterling ! J’ai quelque chose à vous montrer, poupée !
Or, il y avait quantité d’yeux susceptibles d’être attirés. A commencer par les propriétaires du café et les clients en quête de leur dose matinale de caféine, bien alignés dans les files d’attente. Il y avait par ailleurs trois femmes d’âge mûr assises à une table tandis que, installées à une autre, quatre jeunes mamans, leur bébé sur les genoux ou allongé dans une poussette à côté d’elles, fixaient Billy avec convoitise, comme s’il s’agissait d’un plateau de truffes. Enfin, à une autre table se tenaient — oh, non… — Hildy Johnson et Lila Ward, qui affichaient toutes deux une mine renfrognée et désapprobatrice. Ce n’était pas bon signe.
Bill Will faisait à présent tournoyer sa corde nouée en lasso au-dessus de sa tête. En plus, voilà qu’il entonnait à tue-tête Save a Horse, Ride a Cow-Boy. Il se mit ensuite à exécuter une série de bonds et de déhanchements en direction de Samantha, ce qui déclencha applaudissements et cris d’encouragement à la table des jeunes mères. Même les serveurs s’interrompirent dans leur préparation des cafés, et le sifflement des percolateurs se tut, laissant le champ libre à Bill Will.
Lui non plus ne boudait pas son plaisir. Il se trouvait maintenant au niveau de la table de Samantha. Celle-ci se ratatina au fond de son siège, désireuse de disparaître. Manœuvre qui tourna au quiproquo, car elle ne fit que la placer dans une position vraiment embarrassante, la rapprochant de Bill Will qui s’agitait. Comble d’horreur, Nia Walters, la journaliste, avait dégainé son fidèle appareil pour prendre des clichés compromettants pendant que Bill Will se déhanchait, comme s’il s’attendait à ce que Samantha fourre un billet de cinq dollars dans son jean. Nia n’était pas la seule à prendre des photos : tous ceux qui disposaient d’un téléphone portable étaient en train d’immortaliser ce moment pour la postérité.
Samantha s’évertuait à ne pas croiser les yeux de Billy, mais ses efforts se soldèrent également par un malentendu : à force de dériver, son regard gêné finit par rencontrer la porte qui s’ouvrait.
Pour quelle raison, de tous les cafés qui existent dans le monde, est-ce que tu t’obstines à fréquenter le mien ?